Départ
« Et si vous m'accompagniez, monsieur Poirot ? »
La question avait été posée d'une toute petite voix inquiète. Comme le détective ne refusait pas catégoriquement, la jeune femme revint à l'attaque d'une voix plus ferme.
« Vous venez de me dire que vous n'aviez jamais pris l'Orient-Express, monsieur Poirot. C'est l'occasion ! Accompagnez-moi ! »
Dans son empressement, Mlle Grey saisit les mains du détective qu'elle serra, voulant à tout prix le convaincre.
« Vous resterez mon cher oncle ! S'il-vous-plaît ? »
Ses beaux yeux noisette brillaient, fixés sur l'émeraude de ceux du petit Belge. Celui-ci regardait la jeune femme avec un mélange de joie et de tristesse. Il était si vieux, elle était si ,jeune. Il savait l'étendue du travail qui l'attendait à Londres, elle était libre comme l'air.
Partir n'était pas une option envisageable. Il venait justement de partir en vacances. Et cependant... Il accepta avec un petit sourire bienveillant.
« Très bien, mademoiselle. Un oncle digne de ce nom ne peut pas laisser sa chère nièce traverser seule le continent européen. Ce serait déraisonnable ! »
La jeune femme était si folle de joie qu'elle embrassa Poirot sur les deux joues.
« Et maintenant ! Nos valises !, » s'écria-t-elle en se dirigeant vers la villa, tenant Poirot par la main.
Comme si elle n'était pas sûre que le détective ne change pas d'avis.
Hercule Poirot n'avait jamais pris l'Orient-Express, mais il était déjà allé dans les pays d'Europe de l'Est. Il n'eut aucun mal à convaincre Mlle Grey qu'il fallait acheter des vêtements chauds pour le froid du Caucase.
Ils partirent donc le plus tôt possible de la Côte d'Azur pour arriver à Paris avant le départ de l'Orient-Express, histoire de faire les boutiques.
Deux heures après cette résolution, Poirot et Mlle Grey étaient assis dans le même compartiment en direction de la capitale.
Poirot avait prévenu Londres et sa secrétaire Miss Lemon des suites de son voyage, la poussant à prolonger ses vacances également et à garder fermée l'agence. Puis sa banque fut aussi prévenue de ce qu'il fallait faire pour le loyer du détective et pour le salaire de Miss Lemon. Tout serait versé en temps et en heure. Le petit Belge pouvait partir l'esprit plus tranquille. Ces dernières années à Londres et le succès de ses affaires avaient enrichi passablement Hercule Poirot. Il pouvait se permettre un arrêt prolongé de ses affaires, sans aucun souci.
Et puis, ce ne serait l'affaire que de quelques semaines tout au plus. L'idée d'abandonner Mlle Grey lui était véritablement pénible. Ce qu'il fallait, c'était un homme, jeune et beau, pour remplacer le vieil Hercule Poirot en tant que chevalier-servant. Cette idée fit sourire le petit Belge et attira le regard de la jeune femme. Curieuse.
« A quoi pensez-vous M. Poirot ?
- A vous, ma très chère nièce et à l'Orient-Express !
- J'espère qu'il n'y aura pas de meurtre cette fois-ci, sinon je penserai que vous y êtes pour quelque chose ! »
Poirot se mit à rire à cette boutade et enchaîna d'une voix lointaine :
« Je commence à me demander si je n'attire pas le crime comme d'autres attirent le succès ou l'amour. J'ai fait une croisière sur le Nil, il y a eu un meurtre, j'ai du prendre deux semaines de vacances forcées pour des raisons de santé, rebelote, un meurtre, je voyage sur le Train Bleu et encore un meurtre ! Peut-être portai-je malheur ? »
La jeune femme se récria mais Poirot avait les yeux pétillants de malice, attendant les dénégations empressées de Mlle Grey. Ce qui ne manqua pas d'arriver.
« Vous ne pouvez pas dire cela M. Poirot ! Puisque vous avez été mon seul soutien durant ces terribles semaines. Même si je ne vous ai pas encore pardonné d'avoir suggéré que j'aurai pu avoir tué Mlle Van Aldin à cause de ce que son père avait fait au mien. »
Cette tirade fut suivie d'une petite tape sur la main du détective.
« Cela faisait partie du jeu, mademoiselle. Si mon Hastings était encore à mes côtés, il vous aurait expliqué comment fonctionne Poirot. Il fallait faire sortir le loup du bois et le major a parfaitement réagi à mon attaque contre vous.
- Pauvre major ! Je le plains sincèrement vous savez !
- Quelle idée de tomber amoureux d'une jeune femme à son âge ! »
Cette affirmation du détective fit sourire Mlle Grey, un sourire triste.
« Je ne suis pas tombée amoureuse de lui, mais il avait de très jolis yeux.
- Il faut dire que le bleu est une couleur assez rare pour des yeux, » persifla Poirot.
A cette réponse, la jeune femme fixa intensément les yeux verts du détective, sans cesser de sourire.
« Il est vrai que le vert de vos yeux est assez rare. Intense et brillant. Magnifique ! »
Poirot baissa les yeux, troublé, avant de se ressaisir, retrouvant son attitude de Papa Poirot.
« Et les vôtres sont d'un magnifique marron. La couleur des noisettes !
- Une couleur qui n'est ni rare, ni exceptionnelle.
- Peut-être, mais elle est très belle. »
Et ce fut à la jeune femme de se troubler.
« Cela dit, je n'ai pas apprécié de devoir vous accuser ainsi devant tout le monde et dévoiler votre secret, reprit Poirot, affligé.
- De toute façon, je n'aurai pas pu tuer M. Van Aldin. Il était tellement bouleversé par la mort de sa fille que j'ai eu pitié de lui. Et tuer sa fille ne m'aurait pas rendu mon père. »
Mlle Grey baissait les yeux, attristée. Poirot posa doucement sa main sur celle de la jeune femme et lui sourit avec gentillesse.
« Jamais, à aucun instant, je ne vous ai suspectée. Vous êtes la douceur personnifiée.
- Et si je vous menais en bateau ?
- On ne mène pas Hercule Poirot en bateau ! »
Cette affirmation péremptoire fit rire la jeune femme et allégea l'atmosphère. La conversation roula sur le trajet de l'Orient-Express et les pays qu'il traversait.
Puis Papa Poirot poursuivit son rôle de protecteur. Il commanda le repas dans le wagon-restaurant du train qui roulait vers Paris. Il fit goûter le vin à sa charmante compagne de voyage, lui apprenant à en apprécier la couleur, le goût, l'odeur. Elle se plia à cet exercice avec courtoisie, imitant les gestes du détective.
L'après-midi se passa lentement à commenter les paysages et à évoquer des tranches de vie.
Dans la nuit, le train arriva en gare de Paris. Ils étaient épuisés. Le voyage avait connu quelques retards. Le célèbre détective belge connaissait bien son Paris, il arrêta un taxi et y fit monter Mlle Grey. Il emmena sa compagne jusqu'à un hôtel, agréable et bien noté.
Il ne fallut que quelques minutes pour gérer cela au mieux.
Puis la jeune femme abandonna son « cher oncle » pour prendre quelques heures de repos. Le détective avait besoin de peu de sommeil et la faim était une sensation qu'il détestait. Il partit donc à la recherche d'un restaurant encore ouvert à cette heure tardive. Ce qu'il découvrit assez rapidement. Hercule Poirot connaissait très bien son Paris.
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