J'ouvre les yeux.
Quelques cendres encore tièdes tombent de mes cils. Je ferme les paupières.
Juste une seconde, une éternité.
Je reprends mon souffle.
Et écoute le monde.
Des âmes passent de l'autre côté.

Je me lève, sans bruit.
Ne pas troubler le silence. Jamais. Surtout pas aujourd'hui.
Mes trois frères ont rejoint le sanctuaire. Je préfère demeurer éveillée.
Je me laisse tomber du rocher où je reposais. Nuage de chairs carbonisées.
Je m'éloigne en creusant derrière moi un chemin de pas fumants.

Je marche.
La pluie efface mes traces.
L'eau qui ruisselle m'apaise tandis que le silence se traîne.
Désert.

J'arrive aux confins du monde.
Du moins celui des hommes.

Autour de moi, rien de vivant.
Et pourtant.
Il y a ici quelque chose qui m'attire. Réchauffe mon cœur.
Une lanterne.
Je papillonne à sa rencontre. Sans le savoir.
Débris et poussières.

C'est alors que je l'entends.
Juste un souffle. Un râle.
Plus doux que la brise. Sous une épave.
Une femme.

Elle est là, souffrante.
Sur le point d'engendrer. Si pâle.
D'un simple regard, elle me brave.
Dans ses yeux noirs brûle une flamme.

Il suffit d'une vie pour que tout recommence.
Après tous ceux qui ont péri. Juste une chance.
Devant moi, le dernier miracle. L'ultime insolence.
Serait-ce un caprice impénétrable ?

Le voilà qui naît au milieu des cendres.
Pose sur les lieux un regard d'innocence.
Il n'est pas si différent. Ni plus grand, ni plus puissant.
Et pourtant.
Il a été choisi.

J'ai vu les hommes et leurs souffrances.
La peur, la haine et l'intolérance.
Ils pourraient le souiller. L'abîmer.

Je pose mon glaive, comme une offrande.
La femme hésite. Muette est ma demande.
Mais elle ne peut refuser.

J'abolis les règles, profane les écrits.
Que l'on m'exile ou que l'on me renie.
Tant pis.
Je ferai de lui l'Homme. Celui que personne n'oublie.

Au creux de mes bras, l'enfant ouvre les yeux.
Quelques gouttes de pluies tombent sur ses cils. Il ferme les paupières.
Juste une seconde. Un début d'éternité.
Enfin, il offre au ciel son premier cri de nouveau né.
Déchire le silence.
Je m'éloigne en laissant derrière nous un chemin de plumes grises.

C'est la fin du monde.
La lune se dévoile sous l'effet d'une brise.