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30- D'un fantôme et d'une maison au fond des bois




Seine-Saint-Denis, Neuilly sur Marne,

Hôpital psychiatrique de Ville Evrard.

Mercredi 10 février 2019


— Vous voulez que je vous attende, Mademoiselle ?

Avec sa dentition éblouissante, sa barbe taillée au cordeau et son costume sombre impeccable, le chauffeur Uber, à l'évidence, cultive son look avec soin. Le genre à poster sur Instagram des photos de lui à côté de sa Tesla rutilante en se rêvant influenceur. Une chance pour ses followers que leur soit épargnée l'odeur excessivement boisée de son eau de toilette qui fleure plutôt la contrefaçon tombée du camion. Soledad décline avec un sourire poli.

— Je vous remercie, mais non. J'en ai pour un moment.

— Vous travaillez ici ? tente-t-il. Vous êtes médecin ?

— C'est ça, oui !

Sans autre commentaire, elle règle le prix de la course et s'extrait du véhicule. Le type affiche une mine un peu déçue, mais n'insiste pas. Professionnel, tout compte fait. La berline redémarre et s'éloigne dans un bourdonnement de soucoupe volante. Un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres, elle commençait à se dire qu'il aurait mieux valu demander à Jocelyn Anagbi de l'accompagner.

Mais solliciter de nouveau l'instituteur pour la conduire à l'hôpital psychiatrique de Ville Evrard ne lui a pas semblé opportun. Elle l'a senti, les événements des derniers jours l'ont déjà bien assez perturbé. L'agression de son oncle, la découverte de la véritable nature de ses élèves et des magouilles de Nagamate, ça fait beaucoup à digérer. Inutile d'en rajouter.

D'ailleurs, ce n'est qu'après avoir quitté les deux hommes que lui est venue l'idée de rencontrer le frère de Jannek. Une impulsion, un coup de tête, comme souvent. L'intuition que ce garçon est une pièce importante du puzzle.

Idrissa affirme ignorer son existence. Selon lui, il n'aurait jamais vécu aux Tilleuls.

Bizarre.

Mais Jannek a dit qu'il était interné depuis longtemps. Peut-être l'a-t-on enfermé dès son arrivée en France, ça expliquerait que le griot n'ait pas eu l'occasion de le rencontrer.

Quand même... Ça fait une éternité que le vieux réside dans la cité, il connaît par cœur la vie du quartier et tous les petits secrets de ses habitants. Étonnant qu'il n'ait pas, au minimum, entendu parler du gamin. Et puis, à la connaissance de Soledad, il est extrêmement rare qu'un enfant soit placé en hôpital psychiatrique. Si elle se fie à l'âge du commandant, Nikola ne devait pas avoir plus de dix ou douze ans quand il a débarqué.

Enfin, elle n'en sait rien. Il pourrait être l'aîné, après tout. Jannek ne l'a pas précisé.

Autant d'interrogations qui la titillent et justifient sa visite. Son besoin de comprendre, une fois de plus. De se rendre compte par elle-même. Peut-être, aussi, préfère-t-elle différer le moment de poser directement la question à son amant. De toute façon, il est fort probable qu'il rechigne à lui répondre. Elle l'a bien compris, le sujet de son frère semble particulièrement douloureux.

Le nez levé, elle scrute les alentours, avise un bâtiment d'allure administrative surmonté d'une pancarte « Accueil » et s'y dirige d'un pas décidé. Elle franchit le seuil et pénètre dans un hall, pourvu de l'inévitable guichet et d'un espace détente délimité par des claustras, où trône la non moins habituelle machine à café. L'endroit est quasi désert en cette fin d'après-midi, seules trois ou quatre personnes discutent à voix basse en ingurgitant le contenu de leurs gobelets en carton.

Pas de quoi occuper les deux employées, installées derrière le comptoir, qui semblent attendre la fin de service en se montrant des photos sur leurs téléphones portables. Soledad n'éprouve aucun scrupule à interrompre leur échange.

— Bonjour, annonce-t-elle, je viens voir un patient. Pourriez-vous m'indiquez sa chambre, s'il vous plaît ? Monsieur Nikola Miljanic.

La plus jeune la considère avec une mine ennuyée.

— C'est un peu tard pour les visites, avertit-elle, elles se terminent dans moins d'une heure.

— Je ne resterai pas longtemps...

La préposée hausse les épaules et consent à pianoter sur son ordinateur puis secoue la tête en signe de dénégation.

— Miljanic, vous dites ? Désolée, mais nous n'avons aucun patient de ce nom actuellement.

— Vous êtes sûre ? À ma connaissance, il devrait être ici.

— Ben, il n'est pas sur la liste des hospitalisés, en tout cas. Il est arrivé quand ?

— Euh... il y a environ une dizaine d'années.

La fille relève vers elle une figure abasourdie et la fixe, les yeux agrandis d'une évidente incrédulité.

— Une diz... s'étouffe-t-elle. Vous plaisantez ? On ne garde jamais les patients aussi longtemps !

Soledad fronce les sourcils, perplexe. C'est pourtant bien ce que Jannek a laissé entendre.

— Même les malades les plus atteints ? tente-t-elle. Les... incurables ?

— Certainement pas ! On n'enferme plus les gens à l'asile, vous savez ! C'est pas une prison, ici !

Elle recule d'un pas, hésite à insister. Le regard suspicieux de la jeune femme ne l'y encourage guère. Elle soupçonne qu'il ne lui en faudrait pas beaucoup pour la prendre pour une déséquilibrée et appeler la sécurité. Contre toute attente, c'est sa collègue plus âgée qui vient à son secours.

— Ceux-là sont suivis en ambulatoire, indique-t-elle, vous devriez vous renseigner à la conciergerie des chroniques.

Elle quitte bientôt le pavillon, munie d'un plan et des explications de la secrétaire. Selon elle, certains patients, atteints de pathologies lourdes entravant leur autonomie ou justifiant d'un suivi prolongé, se voient proposer des hébergements dans les quelques logements thérapeutiques dont dispose l'hôpital. Si Nikola Miljanic réside vraiment ici, c'est là qu'elle a une chance de le trouver.

Soit à l'autre bout du complexe, en plein milieu du parc, à l'écart des bâtiments d'hospitalisation classique. Une bonne dizaine de minutes à pieds, d'après la femme.

Soledad scrute d'un regard chagrin le ciel qui commence à s'obscurcir sous l'effet conjugué de la fin de journée hivernale et de gros nuages gris annonciateurs d'une nouvelle averse de neige. Elle estime malgré tout avoir largement le temps d'arriver à destination avant la venue de la nuit et des intempéries. Elle rajuste le col de son manteau et se met en route. Pour le retour, elle avisera.

Il lui faut malgré tout bien davantage que le temps annoncé et une déambulation de plus en plus laborieuse le long d'allées de moins en moins fréquentées pour apercevoir enfin la fameuse conciergerie. Avec une grimace morose, elle observe un instant le pavillon de deux étages, planté au bout d'un chemin étroit bordé de grands arbres aux ramures dépouillées. Le ciel plombé et les buissons hirsutes qui grimpent à l'assaut de la façade de brique décrépite renforcent l'aspect lugubre des lieux. Un vrai décor de film d'horreur, songe-t-elle en poussant la porte au linteau écaillé.

À l'intérieur, la lumière fuligineuse du jour finissant combat péniblement l'obscurité imposée par les sombres boiseries murales. Une odeur de papier sec, de vieille poussière et d'encaustique lui sature les narines. Dans les tréfonds de la bâtisse, un carillon poussif émet quelques notes aigrelettes en réponse au claquement de ses talons sur le carrelage usé du vestibule. Ambiance fin dix-neuvième. Décidément, l'état français n'a pas d'argent à investir dans la modernisation des infrastructures psychiatriques.

— Il y a quelqu'un ? lance-t-elle, un peu nerveuse.

— Oui, c'est pourquoi ? s'enquiert une voix en réponse.

Se guidant au son, elle entre dans une pièce latérale qui doit être le bureau du concierge. Même décor suranné, même odeur de renfermé, même pénombre à peine vaincue par la lumière rasante qui filtre d'une étroite fenêtre encrassée. Au fond, derrière une massive table de bois encombrée de bouquins, une tignasse blonde en pétard émerge au-dessus de l'écran d'un ordinateur, seule concession à la modernité.

Son propriétaire se penche de côté, révélant le visage juvénile et le buste frêle d'un jeune homme à peine trentenaire. Soledad marque une pointe de surprise ; inconsciemment, elle s'attendait à tomber sur un gardien hors d'âge, bossu avec une tête de gobelin. L'atmosphère des lieux, sans doute...

En même temps, ce gars dégage une curieuse impression. La lueur bleutée de l'écran confère à sa silhouette éthérée et ses traits androgynes, presque enfantins, quelque chose d'irréel. La manière dont ses iris translucides la fixent sans ciller la met vaguement mal à l'aise. Elle s'ébroue et se décide malgré tout à faire un pas vers lui.

— Vous êtes le gardien ? demande-t-elle. Je cherche un patient...

— Je suis le gardien, confirme-t-il, je connais tous les patients.

Soledad tique de nouveau. La prosodie mécanique, le timbre monocorde, la raideur figée des épaules et le regard évanescent lui rappellent un peu les enfants de l'institut. Si ça se trouve, ce type est un malade de l'hôpital qui s'est échappé de son service. Il s'est introduit dans la loge du concierge et...

Elle avale sa salive, panique un instant à l'idée d'être coincée dans cet endroit isolé avec un psychopathe, se reprend. Quoi qu'en ait dit la secrétaire, tout à l'heure, les individus dangereux sont étroitement surveillés. Peut-être que le jeune homme travaille vraiment ici, elle a entendu dire que les psychiatres encourageaient l'insertion sociale de leur patients grâce à des emplois protégés. Oui, c'est certainement ça. Un boulot de gardiennage peinard, au calme, dans une baraque au fond des bois. Idéal pour quelqu'un qui souffre de troubles de la communication.

— Comment s'appelle-t-elle ?

— Que... qui ça ? sursaute-t-elle.

— La personne que vous cherchez. C'est quoi, son nom ? 

Soledad se détend ; la question, la figure concentrée penchée vers l'ordinateur et la main suspendue au dessus du clavier sont redevenues celles d'un administratif lambda.

— Miljanic, indique-t-elle, Nikola Miljanic. Il loge probablement dans l'un des appartements thérapeutiques.

Le jeune homme interrompt brusquement son geste, relève la tête et affirme d'un ton catégorique.

— Non, pas de Miljanic ici.

— Mais... proteste-t-elle. Vous ne vérifiez pas ?

— Pas la peine. J'habite là, je connais tous mes voisins. Aucun ne s'appelle comme ça.

Elle fronce les sourcils, elle a donc vu juste au sujet du garçon, mais sa réponse la laisse dubitative. Si Nikola n'est pas hébergé dans un de ces logements ni hospitalisé dans un service conventionnel, où diable peut-il être ?

Elle glisse à son interlocuteur un regard discret, il a l'air sûr de lui et sincère. Et d'ailleurs, pourquoi lui mentirait-il ? Mais peut-elle raisonnablement se fier à sa parole ? Sa mémoire est peut-être défaillante... Pour autant, elle n'ose pas trop insister. Il pourrait mal le prendre. De nouveau, il s'est mis à la contempler fixement et elle n'aime pas son expression bizarre.

— Est-ce que vous êtes un húlíjīng ? demande-t-il à brûle pour point.

— Un quoi ?

— Un esprit-renard ! J'aime bien les renards, j'en vois parfois dans le parc. Ils sont beaux, ils ont le poil tout rouge, eux aussi. Mais ils sont méfiants, faut pas faire de bruit pour les approcher.

Machinalement, elle passe une main embarrassée dans ses cheveux et esquisse un demi-tour.

— Euh non... bafouille-t-elle. Je ne suis pas un renard, je veux dire ! Mais je les aime bien aussi, hein ! Bon, je vous remercie de votre aide, je vais vous laisser travailler et...

— Attendez ! Vous êtes venue comment ?

— À pieds, mais...

— Bah alors, faut que je vous ramène. Il fait noir, là. Le parc n'est pas dangereux, mais quand on connaît pas, on risque de se perdre. Et à mon avis, y a une sacrée tempête qui se prépare.

Soledad se rembrunit, ses yeux habitués à la pénombre ambiante et la luminosité trompeuse de l'écran l'ont empêchée de s'apercevoir que la nuit était déjà tombée. Ou peut-être l'épaisse couverture nuageuse a-t-elle hâté la venue des ténèbres. Elle jette un coup d'œil par la fenêtre et observe avec consternation les bourrasques, chargées de pluie et de neige mêlées, qui giflent déjà les carreaux. Elle se remémore le dédale d'allées à peine balisées. Il a raison, dans l'obscurité et sans aucun repère, elle a toutes les chances de s'égarer.

— Vaut mieux que je vous raccompagne à l'accueil avec mon scooter, insiste le jeune homme, vous n'avez vraiment pas les chaussures qu'il faut pour marcher dans la neige.

Elle baisse le nez sur ses talons aiguilles et grimace. Sûrement pas, en effet. Mais est-il bien prudent d'accepter la proposition d'un inconnu amateur de renards, probablement un peu dérangé ? Pas moins que de rester ici avec lui en attendant que la tempête se calme ou que le jour se lève. Et puis, un scooter... Au pire, elle pourra toujours sauter en marche au moindre geste suspect.

— D'accord ! se décide-t-elle. Il est où, votre scoot ?

— Dans la cour, derrière la maison. Je vais le chercher et je le ramène devant la porte, comme ça vous ne vous mouillerez pas les pieds. Restez ici au chaud en attendant.

Elle acquiesce, touchée malgré elle par sa sollicitude, et le suit des yeux tandis qu'il quitte la pièce en enfilant une grosse parka par dessus son pull gris et son jean élimé. Pas plus épais qu'une allumette. À vrai dire, elle est presque aussi corpulente que lui. Même s'il tentait de l'agresser, elle parviendrait certainement à se défendre.

Malgré tout...

Restée seule, elle ouvre sa besace à la recherche de sa bombe au poivre. On n'est jamais trop prudent, autant la garder à portée de la main. Elle farfouille un moment dans son sac avant de retrouver l'objet dissimulé sous une épaisse boule de papier chiffonné. Celle qu'elle a ramassé ce matin dans la voiture de Jannek.

Sa mâchoire se crispe en songeant au policier. L'échec de sa tentative pour en apprendre plus sur son frère lui laisse un sentiment étrange. Nikola Miljanic semble s'être évaporé dans la nature, personne ne se souvient de lui, il n'est nulle part. Inconnu au bataillon ! On dirait presque qu'il n'a jamais existé. Un fantôme...

Une onde glacée la parcourt. Pourquoi diable Jannek se serait-il inventé un frère ? Les sourcils froncés, elle considère la boulette de papier. Sûrement une vieille facture ou un brouillon de rapport. Mais quelque chose qui appartient à son amant et pourrait peut-être lui en apprendre davantage sur lui. Mue par une curiosité impulsive, elle défroisse la feuille et l'étale sur ses genoux. Ses yeux s'écarquillent.

Un texte rédigé en cyrillique d'une écriture sèche, aiguë et penchée, une écriture de gaucher. Elle s'empresse de le déchiffrer, en dévore chaque mot. Des mots qui rappellent le passé, une ferme brûlée, une grange, une blessure. Un épisode douloureux d'une vie dangereuse et brisée. Vécu à travers les yeux d'un enfant. Nikola.

Nikola qui n'est pas tout à fait un spectre, finalement.

Les larmes aux yeux, elle replie la feuille avec soin et la replace dans son sac. Il faut qu'elle rejoigne Jannek, qu'elle le serre dans ses bras. Qu'elle le réconforte, qu'elle le rassure, qu'elle lui répète que tout ce qu'il a été contraint de faire n'était pas de sa faute.

Elle sort dans le vestibule, jette machinalement un regard à la vieille horloge ternie accrochée au mur. Qu'est-ce qu'il fiche, l'autre, avec son scooter ? Ça fait au moins dix minutes qu'il est parti le chercher !

Un bruit sourd, provenant de l'étage supérieur, la fait sursauter. Elle fronce les sourcils, scrute le sommet de l'escalier, tend l'oreille, vaguement inquiète. C'est peut-être être le jeune qui est monté chercher quelque chose, ou juste une porte ou une fenêtre mal fermées... Sans vraiment savoir ce qui l'y pousse, elle commence à gravir les marches.

Quelques pas supplémentaires l'amènent sur le palier du premier étage. Il en part un long couloir plongé dans l'obscurité. Seule une faible lueur lunaire, filtrant par une étroite imposte, fait luire par endroit le vieux parquet craquant. De part et d'autre du corridor s'ouvrent une dizaine de chambres.

Soledad y jette un regard circonspect. Des pièces, munies de portes épaisses, avec des verrous extérieurs et des fenêtres à barreaux. Le mobilier minimaliste est rivé au sol. Elle frissonne. Cet endroit, définitivement lugubre, devait servir autrefois à l'internement des malades les plus dangereux. Aucune envie de s'y attarder ! Elle retourne vers l'escalier, lorsqu'un nouveau grincement retentit derrière elle, suivi d'une course rapide et d'un souffle d'air soudain.

Elle n'a pas le temps de faire volte-face. L'étau d'un bras brutal lui enserre le cou, une main puissante, gantée de cuir, s'abat sur sa bouche. Elle se débat, son cri instinctif s'étouffe entre ses lèvres bâillonnées, s'évapore en un couinement inaudible. Incapable de se dégager malgré ses ruades vigoureuses, elle est entrainée à l'intérieur d'une des chambres et plaquée sans ménagement contre le mur.

Son front heurte la cloison, un brouillard tombe devant ses yeux. Un autre, âcre, pénètre dans ses narines, descend dans sa gorge. Elle étouffe, happe l'air comme un poisson hors de l'eau. Un air vicié, chargé d'un gaz toxique qui s'infiltre dans ses bronches.

Ses jambes flanchent, ses genoux plient, l'inconscience la rattrape. Un monde noir et cotonneux où gronde au loin le moteur d'un scooter qui s'éloigne. Le gamin s'en va à la poursuite des renards, son esprit vaporeux l'a déjà oubliée.

Ses paupières se ferment.

Game over.

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