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24- De la fin du monde et d'un moment d'égarement




Seine-Saint-Denis, Aulnay-sous-Bois,

Hôpital Robert Ballanger.

Mardi 9 février 2019


Débarrassé de son attirail de perfusions, de tuyaux et de capteurs, Idrissa Doucoure semble aller beaucoup mieux. Ils l'ont trouvé sur un banc dans le jardin de l'hôpital, profitant du pâle soleil hivernal, un gros pardessus enfilé sur son pyjama.

— Ils vous ont laissé sortir ? s'est étonnée Soledad. Ce n'est pas un peu tôt pour vous lever ?

— Il ferait beau voir qu'on me garde enfermé ! s'est-il récrié avec un clin d'œil, sans équivoque quant à l'autorisation qu'il s'est abstenu de demander. Et puis, les odeurs de désinfectant, c'est mauvais pour mes bronches. On respire mieux ici.

Jannek s'est fendu d'un grognement vaguement approbateur ; éviter de pénétrer à nouveau dans ces couloirs lugubres l'arrange plutôt. À présent, il observe le griot pencher un front concentré vers les documents que lui a apportés la linguiste. Avec une pointe d'irritation jalouse, il note l'espèce de complicité joyeuse qui s'installe entre eux tandis qu'Idrissa se fait préciser de temps à autre la signification d'un pictogramme.

Elle a l'air de bien l'apprécier et cela semble réciproque. Peut-être parce qu'elle s'est montrée ouverte à ses croyances, qu'elle les a accueillies sans aucun préjugé. Ou à cause de sa capacité naturelle à se glisser avec aisance dans un univers à des années-lumière du sien. Peut-être parce que, comme n'importe quel homme, le vieux est sensible à l'aura magnétique de son regard gris vert.

Comme lui-même, sans doute.

Sinon, pourquoi lui aurait-il ainsi laissé l'initiative ? Pourquoi se serait-il plié sans discuter à son injonction de retourner à l'hôpital ? Parce qu'il a besoin – désespérément besoin – de se raccrocher à l'existence possible d'une alternative. Parce qu'il doit à tout prix se dédouaner de cette culpabilité qui le ronge, sous peine de perdre définitivement pied. Certainement pas parce que cette femme lui plaît, qu'il n'a pas envie de la mécontenter, ni parce qu'il pourrait envisager, enfin, de passer à autre chose...

— Tu as raison, Docteur, il y a un problème.

— Ah ! s'exclame Soledad avec une satisfaction évidente. Vous êtes d'accord avec moi, alors ! Ce texte ne ressemble pas aux autres.

— Non, en effet.

Jannek se crispe légèrement ; l'enthousiasme avec lequel la jeune femme accueille le verdict d'Idrissa, sa manière de le tenir, lui, à l'écart de l'échange comme si elle avait totalement oublié sa présence commencent à l'irriter. Il se contraint malgré tout à juguler ses ruminations et affiche un intérêt désinvolte.

— En quoi est-il différent ? s'enquiert-il.

Soledad sursaute au son de sa voix, interrompt son conciliabule avec le griot et lève les yeux de ses notes. Elle adresse au vieil homme un bref regard interrogateur, une quête d'approbation, une autorisation de parler. Idrissa hoche doucement la tête.

— Les textes de Noah et Vinojan et le récit d'Alaïs relataient des événements précis vécus par leurs alters... commence-t-elle.

— Ce n'est pas le cas de celui-ci ?

— Si, mais la tonalité est... différente. Nourethep, Vyanjât ou Ayii semblaient ignorer l'existence d'une autre version d'eux-mêmes. Ils attribuaient leurs perceptions aux dieux ou aux esprits. Itzel, elle, évoque clairement son alter. Elle a pleinement conscience de leur lien et elle a compris que cette Autre détient des connaissances qu'elle peut exploiter.

— Et alors ?

— Alors, ce n'est pas normal, intervient Idrissa, les Alternautes ne sont pas censés se comporter ainsi.

— C'est vrai que vous êtes un spécialiste de la question ! ne peut s'empêcher de railler Jannek.

Le griot relève la tête à son tour et lui offre son éternelle expression bienveillante.

— Spécialiste est un bien grand mot, sourit-il, la notion d'Alternaute n'est pas consignée dans un traité ou un obscur grimoire qu'il conviendrait d'étudier pour en percer les secrets. Elle appartient à la mémoire du monde et elle est accessible à quiconque se pose la question de l'origine des équilibres.

Jannek fronce un nez circonspect, peu perméable à ce genre de considérations métaphysiques. Le vieux doit s'en rendre compte car son regard s'anime d'un pétillement amusé.

— Mais l'être humain est un animal de langage, poursuit-il, de tout temps certains ont voulu mettre des mots sur les choses. Et ces mots disent que la nature des Alternautes est d'ignorer ce qu'ils sont.

— Euh... vous ne pourriez-pas être plus clair ?

— Bien volontiers. Leur raison d'être, je crois te l'avoir déjà dit, est de permettre à ce qui fut d'engendrer ce qui sera. Afin que les réalités se construisent comme elles le doivent et que perdure l'équilibre du Tout. C'est un phénomène naturel qui procède des lois de l'Univers et non d'une quelconque volonté individuelle.

— Il veut dire que les Alternautes ignorent qu'ils possèdent des consciences multiples, précise Soledad d'un ton docte, ils ne savent pas d'où proviennent leurs intuitions et ne choisissent pas délibérément de les transmettre pour infléchir l'évolution dans une direction ou une autre. Ils se contentent de le faire, tout simplement. Ils sont en quelque sorte programmés pour ça.

— Je... Vous... Programmés par qui, bordel ?

— Mais... Ne soyez pas grossier !

— Ah ça, Commandant, tempère Idrissa, c'est une question à laquelle il revient à chacun de répondre selon ses propres convictions. Le Créateur, le Destin, les dieux, une intelligence supérieure... Ou tout simplement le hasard. C'est comme tu veux.

— Et vous, rétorque Jannek avec un reniflement excédé, évitez de vous foutre de ma gueule !

Il s'éloigne de quelques pas, fixe un instant le ciel vide au-dessus de sa tête, respire de nouveau profondément. Se reproche son mouvement d'humeur. Rester calme, exploiter le filon jusqu'au bout. Il fait demi-tour et revient se camper devant le duo en mode flic inquisiteur.

— Bon, alors, selon vous, il y aurait un problème avec cette Itzel. Elle ne serait pas comme les autres ? Elle aurait échappé à sa programmation, c'est ça ?

— On peut le supposer, opine Soledad. Le texte indique clairement que son alter lui a transmis la conscience d'une menace pour l'avenir de sa civilisation et qu'elle espère parvenir à l'en protéger.

— Et en quoi est-ce problématique ?

— Ça pourrait le devenir... reprend le griot, le visage soudain rembruni. Les Alternautes sont aussi des êtres humains. Comme pour chacun d'entre nous, leur perception du bon équilibre des choses est conditionnée par leur vécu personnel et l'idée qu'ils se font du bien commun. Une vision nécessairement limitée qui peut les conduire à de mauvais choix.

— Oui, renchérit Soledad, si un Alternaute réalise soudain qu'il détient la connaissance d'un possible et qu'il le juge néfaste, il peut être tenté d'agir pour éviter qu'il n'advienne. Nous pensons que c'est le cas pour Itzel.

— Et c'est là que réside le danger, complète Idrissa, si elle modifie ce que doit être sa propre réalité, elle provoquera une réaction en chaîne qui impactera forcément la nôtre.

— Attendez ! Vous suggérez que cette gamine aurait le pouvoir de... changer l'avenir ?

— C'est exactement ça, Commandant. La trame des possibles qui sous-tend les réalités est fragile. Si un seul fil est déplacé, l'équilibre sera différent et le monde tel que nous le connaissons cessera probablement d'exister.

Fin du monde.

La grenade explose. Les tirs des snipers crépitent leur staccato infernal. Les vieux murs de pierre éclatent tels des fruits trop mûrs, levant des gerbes de poussière tremblante aux innombrables doigts. Les branches des arbres déchiquetés craquent leur agonie. La roche noire de la montagne piège l'écho du carnage, comme si elle tentait de l'emprisonner entre ses parois maternelles dans un dernier sursaut pour cacher l'indicible.

La guerre, le feu, le sang. Les hommes qui courent et se battent.

Le monde bascule, Jannek titube.

Il court. Sous un ciel gris anthracite vomissant la tempête. Sur une terre gelée striée d'ornières entachées de neige sale. Vers une ruine de ferme que la fumée couronne d'une tiare macabre. Dans l'odeur écœurante de la boue, de la suie et du sang.

Il enjambe les cadavres, étendus sur le sol froid, une balle dans la tête. Il entend le hurlement du vent, les sanglots de son frère.

Un ultime effort, une ultime course. La silhouette recroquevillée dans le poulailler, au milieu des plumes et des fientes de volailles. Les bras tendus vers l'enfant hagard au visage maculé de larmes...

— Nikola !

Le décor se dilue. Le voile gris et blanc se déchire.

Cut.

— Jannek !

Son esprit se descelle, ses paupières s'entrouvrent sur une palette fauviste. Mèches rousses, teint de pêche, iris vert de gris. Couleurs. Scintillantes à la lumière du soleil, bercées par le bleu glacier du ciel. Un bras, passé sous le sien, qui soutient sa carcasse vacillante. Une main légère, posée sur son torse. Réalité. Celle à laquelle, à ce moment précis, il a terriblement envie d'appartenir.

— Ça va ? On dirait que vous allez tourner de l'œil !

Et pourtant...

Changer ce qui doit être. Balayer les fantômes. Effacer les images qui le hantent. Ramener Nikola...

Il se mord la lèvre.

— Ça va, balbutie-t-il, un simple étourdissement... J'ai... peu dormi.

Soledad fronce un sourcil sceptique. Elle hoche néanmoins la tête, sans pour autant lui retirer le secours de son épaule. Il s'appuie sur elle, glisse sa main vers sa taille, impulsivement. Il ne devrait pas. Il devrait s'écarter, se redresser. Afficher l'attitude solide d'un homme inébranlable.

Le griot l'observe, il sent son regard posé sur lui. Scrutateur, énigmatique. Le vieil homme s'ébroue, resserre frileusement le col de son manteau, se lève de son banc.

— Il commence à faire frais, énonce-t-il, je vais rentrer. Je suis un peu fatigué, j'ai dû présumer de mes forces.

La jeune femme esquisse un geste vers lui, il anticipe son mouvement qu'il interrompt d'un signe de la main.

— Inutile de me raccompagner, je connais le chemin. Et je suis tout à fait capable de rejoindre ma chambre tout seul.

— Vous êtes sûr ?

Il opine du chef ; contre toute attente, Soledad n'insiste pas davantage. Elle se contente de le regarder s'éloigner, rassurée sans doute par sa démarche plutôt alerte pour un vieillard soi-disant fatigué. Jannek attend, indécis. Heureux qu'elle ne le suive pas, troublé par les prémices d'un nouvel espoir qu'il craint de voir s'évanouir comme tant d'autres avant lui.

— Eh bien, la preuve est faite ! lance-t-elle en s'écartant de lui, sans préambule ni ménagement. Il se passe quelque chose de pas clair avec ces Alternautes. On doit interroger Nagamate !

La conclusion ne devrait pas le surprendre, pourtant il ne peut s'empêcher d'écarquiller les yeux, sidéré, une fois de plus, par sa tendance naturelle aux raccourcis improbables. Elle doit interpréter son expression comme le témoignage d'une indécrottable lenteur d'esprit et ajoute avec autorité :

— Isha/Itzel ne se comporte pas comme elle le devrait ! Mais si on en croit Idrissa, les Alternautes existent depuis la nuit des temps et jusqu'à présent, aucun n'a manifesté la moindre divergence. Je doute donc que ce changement soit naturel, quelque chose l'a sans doute provoqué. Et je ne serais pas étonnée que Nagamate ait quelque chose à y voir !

— Je ne vois pas ce qu'elle...

— Réfléchissez ! Elle connait la nature d'Isha, j'en suis sûre ! Elle l'a fait venir à l'insu de tous. Et puis... elle est neuro-je-ne-sais-quoi, elle est très bien placée pour... disons, pour lui avoir trafiqué le cerveau !

Jannek se fige ; lui reviennent en mémoire ces protocoles de soins innovants, évoqués par Shiora Nagamate lors de leur première rencontre. Nadjet l'avait même accusée à demi-mot de pratiquer des expériences sur les enfants... Est-ce une hypothèse plausible ? L'Asiatique aurait-elle pu dériver sur la pente d'expérimentations contestables ?

— Peut-être... murmure-t-il, l'esprit englué dans une marée de possibles qui monte à l'assaut de sa conscience comme une onde poisseuse.

— Il faut lui faire cracher ce qu'elle sait ! insiste Soledad. Et surtout, si elle a une quelconque responsabilité dans la transformation de la petite, on doit l'arrêter ! Vous avez entendu Idrissa, les conséquences pourraient être terribles !

— Les conséquences...

Il déglutit, la gorge sèche. La fin du monde ou... une réalité différente ? Dans laquelle Nikola deviendrait ce qu'il aurait dû être. Où Gruber serait toujours vivant. Où il ne traînerait pas le poids d'une culpabilité insupportable. Une existence alternative, qu'il pourrait simplement se contenter de vivre. Libre des traumatismes et de la nécessité épuisante de leur tenir la bride.

Sa raison s'effiloche, ses pensées battent la chamade, s'ouvrent et se ferment comme des portes qui claquent au vent des souvenirs. Des doigts glacés sur le manche d'un couteau de chasse, sur la crosse froide et mate d'une kalach, sur la gâchette d'une arme de service. Des sons, des saveurs, des odeurs, des sourires, des douleurs, des oublis...

Il va devoir choisir. Ses yeux s'égarent sur le bout de jardin désert. Son regard vide absorbe le halo incandescent d'une chevelure écarlate. Avant, il a besoin d'une parenthèse, d'un moment de répit. Sa main se tend, agrippe le bras de la jeune femme, l'attire contre lui. Il enfouit son visage dans son cou, respire, avide, le parfum de sa peau. Cherche sa bouche. Libère une supplique.

— Attends !


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