Chapitre 2 : Léna
Les mots de la principale continuent de résonner dans ma tête, comme une sentence injuste. Pourquoi n'ai-je pas été mise au courant plus tôt ? Pourquoi apprendre cette « grande nouvelle » en même temps que lui ? Assise à l'une des tables rondes du réfectoire, je tourne machinalement mes pâtes avec ma fourchette, incapable de trouver l'appétit.
Pauline et Camille ne tardent pas à me rejoindre. Elles s'installent en silence, mais leur regard insistant finit par me forcer à lever les yeux.
— Qu'est-ce qui s'est passé dans le bureau de la principale ? En voyant ta tête, on dirait que tu t'es fait engueuler, lâche Pauline.
— Oh... Je crois que j'aurais préféré, soupiré-je avec lassitude.
— Crache le morceau, on va pas poireauter pen...
Elle s'interrompt brusquement, et je ressens soudain une présence, une chaleur étrange à ma droite. Je tourne la tête et le vois. Il est là, à quelques centimètres, ses yeux verts ancrés dans les miens. Je déglutis, prise au dépourvu, un mélange confus d'émotions s'agitant en moi. Que fait-il ici ?
Un sourire en coin étire ses lèvres, remplaçant l'expression furieuse que je lui avais vue plus tôt. Pendant un bref instant, il me semble presque... charmant. Revenant rapidement à la réalité, je fronce les sourcils, méfiante. Qu'est-ce qu'il me veut ?
— Je serai en salle d'étude à partir de quinze heures. On se retrouve là-bas, annonce-t-il avant de s'éloigner sans attendre ma réponse.
Je le suis du regard, incapable de détacher mes yeux de lui jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la foule du réfectoire. Pendant un instant, je reste figée, prise dans un étrange mélange de colère et d'incrédulité. Non seulement il ne m'a pas demandé mon avis, mais il agit comme si tout lui était dû. Culotté, vraiment.
Je prends une profonde inspiration et reporte mon attention sur Pauline et Camille, qui me fixent avec une curiosité dévorante. Je replonge dans mon assiette, triturant de nouveau mes pâtes.
— Euh, pause ! s'exclame Pauline, les yeux écarquillés. On a raté un épisode ou quoi ? Depuis quand Eden Gomez te donne rendez-vous en salle d'étude ?
— Ce débile est déjà collé, il est arrivé en retard ce matin. C'était hilarant, ricane Camille.
— Ma convocation au bureau le concerne justement, expliqué-je en soupirant. Au début, je pensais que madame Richard voulait me parler d'un concours, du journal du lycée, ou d'une autre activité. Mais non, il a débarqué lui aussi. Il doit suivre des cours particuliers pour remonter ses notes dans les matières où il est nul, et devinez quoi ? J'ai l'immense honneur d'être son mentor, lâché-je, la frustration grondant dans ma voix.
— Quelle chance, souffle Camille, les yeux rêveurs.
Je lève les yeux au ciel.
— Ce n'est pas une chance, loin de là. Je ne veux pas me retrouver seule avec lui. Ce type est une coquille vide, tout dans les muscles et rien dans le crâne, décrète Pauline.
— Arrête de jouer les saintes-nitouches, Pauline. Tu sauterais sur l'occasion s'il te proposait son lit ! On ne va pas se mentir, ce mec est incroyablement sexy, rétorque Camille.
Et c'est reparti. Le reste du repas va être une joute verbale sur Eden Gomez. Ça arrive presque tous les jours. À croire qu'il hante les pensées de toutes les filles du lycée. Certes, je peux comprendre l'engouement – il est objectivement attirant – mais pour moi, ses accès de violence effacent tout le reste. Plus il reste loin, mieux je me porte.
Je m'apprête à les ignorer quand Pauline reprend, implacable :
— Il est peut-être sexy, mais c'est un gars à éviter. Je te rappelle qu'il a cassé le nez de Justin quand on était au collège, argumente-t-elle.
Intriguée malgré moi, je relève la tête.
— Vous le connaissez depuis longtemps ? demandé-je, un brin curieuse.
Je suis arrivée à Riverside quelques jours après ma première année de lycée, et depuis, je ne me suis jamais vraiment sentie à ma place. La ville semble divisée en deux : d'un côté, les voyous tatoués qui passent leur temps à fumer entre deux matchs de sport ; de l'autre, les enfants de familles aisées, toujours impeccables, qui brillent dans leurs cercles mondains. Les filles du lycée, superficielles, se plaisent à être le centre de l'attention, tandis que les garçons cultivent une allure rebelle, tout en jonglant avec les apparences.
Avant, je vivais dans une petite ville du Nevada. Là-bas, les choses étaient bien différentes. Certes, les clubs de voitures occupaient une grande partie de la vie locale, mais les gens étaient simples. Les familles, modestes pour la plupart, ne se jugeaient pas entre elles. À Riverside, tout est question de popularité. Ici, chacun semble vouloir briller sous les projecteurs, un concept qui m'échappe complètement.
Moi, j'aime rester dans l'ombre. Être cette fille qu'on remarque à peine, qui ne gêne personne et qu'on ne vient pas déranger. Les histoires inutiles et les ragots m'exaspèrent. Heureusement, j'ai eu la chance de rencontrer Pauline et Camille dès mon arrivée. Pauline, ma tutrice lors de ma première semaine, est vite devenue une amie précieuse. Camille, je l'ai connue lors d'un projet en binôme. Nous sommes très différentes : elle adore faire la fête, se faire remarquer et grimper dans l'échelle sociale du lycée, tandis que je préfère rester loin de ce genre de préoccupations.
— Pour ma part, je suis dans la même classe qu'Eden depuis la primaire, mais on ne s'est jamais vraiment parlé. On est trop différents, et on ne s'apprécie pas, donc on n'a jamais vu l'intérêt, raconte Pauline en haussant les épaules.
— Moi, je le connais depuis le collège. Il n'est pas si terrible quand on le connaît un peu. Et franchement, il est incroyablement sexy, ajoute Camille avec un sourire malicieux. Après, c'est le genre de mec qu'il vaut mieux avoir en ami qu'en ennemi.
— Qu'est-ce qu'il a de si terrible ? Je l'ai déjà vu se battre, mais à part ça ? demandé-je, intriguée malgré moi.
— C'est tout un package, explique Pauline. Il vit dans les quartiers nord, près de l'ancienne piscine. Ce coin, tout le monde sait qu'il craint. Et lui... il est toujours en train de se battre, pour tout et pour rien. Il est prétentieux, violent. Bref, je ne le sens pas du tout.
— De toute façon, je vais juste lui donner des cours. Je ne compte pas m'en faire un ami. Mais je n'aime pas les gens violents, vous savez pourquoi. Ça me met mal à l'aise, rien que d'y penser, grimacé-je.
Je replonge mon regard dans mon assiette, tentant d'évacuer les appréhensions qui montent en moi. Les quartiers nord, vraiment ? Rien qu'à l'évocation de cet endroit, une boule se forme dans mon ventre. Drogues, violence, trafics... Je n'imagine pas m'y aventurer un jour.
Une fois le repas terminé, on décide de profiter du soleil avant la reprise des cours. Installées sur les marches de la sortie arrière, près du parking des professeurs, je tente de chasser mes pensées en profitant de la chaleur. Mais rien n'y fait. Mon esprit reste accroché à ce garçon, à tout ce qu'il représente.
— Hé, ça va ? me demande Pauline, me tirant de mes réflexions.
— Oui, ne t'inquiète pas, mentis-je. Je réfléchissais à comment m'organiser pour ses cours. Madame Richard m'a donné une liste des matières à revoir avec lui.
— Le mieux, c'est que tu vois directement avec lui. Laisse-le te guider sur son rythme, comme ça, il te lâchera la grappe, suggère Camille.
— Merci pour tes encouragements, plaisanté-je en riant légèrement.
La sonnerie retentit soudain, me faisant sursauter. Je me lève, ajuste mon sac sur mon épaule et salue les filles avant de me diriger vers mon prochain cours. En marchant, je sors mon téléphone pour envoyer un message à ma mère. Elle a pris l'habitude de venir me chercher après les cours quand elle n'est pas de garde à l'hôpital, une chose pour laquelle je suis infiniment reconnaissante. Prendre le bus scolaire signifierait devoir côtoyer Zoé Carnas et Samantha Perez, deux pestes que je préfère éviter à tout prix.
Dans la salle de maths, je m'installe au fond, près de la fenêtre. Les tables sont par deux, une disposition peu commune. Je plonge mon regard à l'extérieur, espérant trouver un moment de calme avant que le brouhaha habituel ne commence.
C'était sans compter sur Zoé et Samantha, qui entrent dans la classe en gloussant, suivies de deux garçons bruyants. Je soupire en levant les yeux au ciel, tandis qu'elles s'installent dans un vacarme insupportable. Peu après, une chaise glisse brusquement à côté de moi, produisant un grincement désagréable. Je tourne la tête, et mon cœur manque un battement.
Eden.
Il s'assied sans un mot, sans même me regarder, comme si sa place à côté de moi allait de soi. Je reste un instant figée, incapable de comprendre pourquoi il s'est installé là. Mais il est là, tout près. Et je ne peux m'empêcher de sentir un mélange d'agacement et de malaise m'envahir.
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