Chapitre 7 : Objectif Rentrée des Classes - Lucifer
L'université de Sciences-Humaines de Rouen était dans un état lamentable. Lucifer n'avait jamais été dans la charité pour son service public, mais au moins, l'Académie de Léonard était impeccable, que ce soit au niveau du matériel que des locaux en général. Non parce que Lucifer était passée à côté de la bibliothèque et, franchement, ce n'était pas la joie. Par chance, ce n'était pas si mal indiqué. Elle devait trouver une salle en particulier et, pour le moment, ça avait l'air de bien se passer.
Belphégor lui avait donné son identité le jour d'avant. Elle était maintenant Lucy Dupont, étudiante en troisième année de licence d'histoire venant de l'étranger. Ce dernier détail était là pour justifier de l'accent du Diable. Lucifer avait certes révisé son français avant de venir, mais elle conservait toujours quelques faiblesses dans son vocabulaire ou sa syntaxe. Ce n'était pas de sa faute : la dernière fois qu'elle avait mis les pieds en France, c'était durant la Révolution, autant dire que la langue avait un peu changé depuis.
Enfin, dans tous les cas, c'était le moment où Lucifer allait de nouveau rencontrer le seul et unique Edward de Bergeret. Alors qu'elle se dirigeait sans aucun mal vers la salle où elle assisterait au TD intitulé « Jeanne d'Arc, entre mythe et réalité », elle entendit quelqu'un dans son dos. Etait-ce Edward de Bergeret qui montrait le bout de son nez après moins de trente minutes dans l'enceinte de l'université ? Pas du tout !
Lorsque Lucifer se retourna, elle tomba nez-à-nez avec une jeune femme. Elle était plutôt petite, avec des lunettes rondes plutôt tendance, des cheveux châtains foncés longs et des yeux de la même couleur. Elle était plutôt mignonne mais tout ce qu'il y avait de plus banal. Elle portait ses classeurs dans ses bras – parce que c'était plus pratique que dans un sac, encore une chose bien connue. Lucifer plissa légèrement les yeux : la parfaite meilleure amie. Une bff de compétition. Impeccable. Fadasse comme il le fallait.
« Oui ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle de sa douce voix – normalement, elle était beaucoup plus grave.
- Tu es nouvelle ? Je ne t'ai encore jamais vue ! »
Lucifer avait très envie de répondre : « C'est tout à fait normal dans une fac de plusieurs milliers de personnes ! » Mais elle s'abstint et préféra expliquer d'une manière tout aussi niaise :
« Euh... oui. Je cherche la salle pour le TD sur Jeanne d'Arc, tu sais où c'est ?
- Oh ! Alors on va au même endroit ! »
Quelle coïncidence ! Lucifer avait donc trouvé un plan sur pattes. Toujours utile à avoir sous la main. Après, si elle continuait à parler avec une voix aussi suraiguë, cela allait très vite lui taper sur les nerfs. En moins de cent mètres, Lucifer avait déjà appris tout ce qu'il y avait à savoir sur la jeune femme. A savoir qu'elle s'appelait Thérèse, qu'elle avait vingt-et-un an et toutes ses dents – enfin, pas vraiment vu qu'elle s'était faite retirer ses dents de sagesse quatre mois plus tôt. Lucifer soupçonnait également qu'elle soit une grenouille de bénitier puisqu'elle avait repéré une petite croix en or autour de son cou et qu'elle soupçonnait qu'un des bouquins qu'elle portait soit une Bible. Une jeune fille charmante : tout à fait le style de Lucifer. Si elle n'avait pas eu pour objectif de séduire un Chasseur de Démons, elle se serait sans doute reportée sur la petite Thérèse – ne serait-ce que pour damner une possible future nonne. Mais elle n'avait pas le temps pour ça.
Lucifer faisait la conversation en automatique, en espérant que peut-être, elle prononcerait une parole intéressante. Ce ne fut pas le cas. Elle suivit donc Thérèse jusqu'à la salle vide et se dirigea vers une des places au premier rang. Elle n'avait absolument pas fait ça de manière intentionnelle et pourtant, cela plut beaucoup à sa nouvelle meilleure amie qui lança :
« Toi aussi tu te mets devant pour bien écouter le professeur ? Je sens qu'on va bien s'entendre ! Toutes ces filles, qui pensent qu'elles auront leur semestre juste en mettant un décolleté et en ayant un comportement indécent alors qu'elles ne sont même pas sérieuses, me fatiguent. »
Le Diable avait très envie de répondre : « Si tu savais, ma chérie... Ce sont mes futures sujets, et elles sont parfaites dans leur rôle ! » Oui, parce que le Paradis n'accueillait que rarement les femmes qui mettaient en avant leur sexualité. En général, plutôt que de les torturer, parce que ce n'était pas très productif, Lilith et Pan les mettaient au service de leurs subordonnées. On avait toujours besoin de bons laquais humains en Enfer. Même si leur taux de survie n'était pas très haut. L'Empire démoniaque n'était pas non plus une organisation caritative...
« Je me dis que ce serait peut-être mieux pour comprendre ce que le professeur dit. J'ai parfois des difficultés pour certains termes complexes.
- Si tu as un soucis, surtout, n'hésite pas à me le dire ! répondit Thérèse qui rayonnait presque sur place, pensant sans doute qu'elle avait gagné une amie – elle avait tort. Tu parles très bien français, tu ne devrais pas t'inquiéter.
- Merci, c'est gentil... »
Lucifer sortit son ordinateur de sa pochette. Belphégor lui en avait fourni dans la langue locale. Elle voulait éviter de détonner dans le paysage avec un appareil rempli de fichiers écrits en alphabet démoniaque. Après tout, il aurait suffi que l'intelligence d'Edward se réveille pour qu'il comprenne que sa nouvelle future conquête n'était pas très humaine. Et puis de manière générale, cela aurait été difficile de d'expliquer à quiconque – même Thérèse qui n'avait l'air très douée non plus.
« Tu restes pour combien de temps ? Tu viens d'où ?
- Un semestre. D'Angleterre. »
Oui, le Diable commençait à en avoir marre de lui parler. Elle espérait que Thérèse allait lui être utile parce que sinon, elle s'en débarrasserait bien vite. Dans ses papiers, Belphégor avait bien précisé que sa langue maternelle était l'anglais. Ce n'était pas forcément la meilleure des idées puisque son accent ne ressemblait en rien à celui d'un habitant d'une quelconque partie des îles britanniques – la langue démonique commune pouvait être prise de loin pour du Hongrois, au niveau de la sonorité. Enfin, Lucifer comptait sur la stupidité ambiante et son sens de la persuasion pour s'en sortir.
« J'espère que le professeur ne sera pas en retard... D'ailleurs, si tu veux que je te donne les cours du début d'année, n'hésite pas à me les demander ! »
Lucifer était persuadée que ses fiches étaient parfaites, avec du fluo et un code couleur bien précis. Elle acquiesça mais en vérité, elle s'en moquait : elle n'avait pas l'intention d'étudier autre chose dans cette université qu'Edward de Bergeret. Elles n'avaient pas les mêmes objectifs – en même temps, ce n'était pas comme si Lucifer aurait besoin de trouver un CDD mal payé dans l'avenir... Les étudiants arrivaient petit à petit dans la salle. Pas un ne leur jeta un regard. Pas plus que le professeur qui ne s'attardait même pas sur sa nouvelle élève.
« Tu ne veux pas aller te présenter ? »
Mais quelle emmerdeuse celle-là... Heureusement, Lucifer avait déjà une réponse prévue – et qui collait à la perfection avec la persona de Lucy Dupont.
« Je... peut-être à la fin. Pas maintenant. En plus, je ne voudrais pas le retarder. »
Comprenant sans doute la timidité de sa nouvelle amie, Thérèse hocha la tête pour lui signifier sa sympathie. C'est ainsi que la leçon commença, entre Lucifer qui faisait semblant d'être attentive et Thérèse qui prenait avec diligence chaque phrase prononcée par leur enseignant. Le Diable était bien heureuse de ne jamais avoir eu à mettre les pieds dans une salle de classe auparavant – Léonard s'occupait de tout ça, en Enfer. Elle se retint de pousser un soupir : les choses n'avançaient pas comme elle le voulait ce matin.
Et c'est là, en plein milieu du cours – et alors que Lucifer était à ça de changer la langue de son ordinateur pour le passer en démonique commun – la porte de la salle s'ouvrit à la volée, claquant contre le mur dans un bruit peu rassurant. Il aurait mieux fallu être plus délicat : vu l'état du bâtiment, pas la peine d'ajouter un risque d'effondrement supplémentaire. L'Impératrice de l'Enfer savait de qui il s'agissait. Il s'était fait attendre le bougre.
Mais pour le coup, ce ne fut pas la fantastique arrivée d'Edward de Bergeret qui provoqua l'ébahissement de Lucifer – même si le Chasseur de Démons le prit pour lui. Il y avait une étudiante pendue à son bras. Elle le collait telle une sangsue fort peu gracieuse. On ne pouvait qu'admirer ses courbes voluptueuses – moulées dans des vêtements une taille trop petite – et sa magnifique chevelure de feu. Thérèse devait sans doute trouver son maquillage outrageux mais en réalité, il soulignait parfaitement sa beauté flamboyante.
Et effectivement puisque Lucifer put l'entendre marmonner dans sa moustache :
« Ah... Scarlett devrait avoir honte... »
Toutefois, Lucifer n'en avait que faire. La seule pensée qui tournait dans son esprit était : Ok... Que fait un Succube ici ? Parce qu'effectivement, la demoiselle qui venait de pointer le bout de son nez était de nature démoniaque, il n'y avait aucun doute là-dessus. Elle pouvait presque sentir le soufre qui avait tendance à imbiber les tous jeunes Démons ! Que mijotait-elle ? Pourquoi personne ne l'avait informée de la présence d'un Succube qui tentait de séduire un Chasseur de Démons ? Alors certes, elle ne l'avait pas demandé, mais quand même ! Et comment Edward n'avait pas remarqué qu'il couchait probablement avec une Démone ? ça n'avait aucun sens ! On ne pouvait pas bête à ce point-là ! Si ? Plus elle en apprenait sur ce garçon, plus Lucifer en était à un point où elle espérait qu'il soit au fond un maître manipulateur. Ne serait-ce que parce que c'était embarrassant à ce niveau-là.
Normalement, le Succube ne serait pas capable de détecter Lucifer. Elle était bien trop puissante pour ça. Toutefois, cela réduisait ses envies d'utiliser autre chose que le français ou l'anglais sur son ordinateur... Elle allait également devoir faire attention avec son téléphone portable. Bien sûr, Belphégor lui en avait fourni un autre, mais elle utilisait toujours beaucoup son personnel – un petit strap en forme de fourche y était accroché.
Pourtant, cela n'empêchait pas Scarlett de regarder Lucifer avec beaucoup de mépris dans les yeux. Elle ne devait sans doute pas penser qu'une petite humaine serait une rivale potentielle dans sa chasse à l'Edward de Bergeret. Comme elle avait tort. Mais ce n'était pas le moment de lui révéler. Lucifer préféra ne pas plus s'attarder sur elle et adressa un regard choqué à Edward qui avait l'air aussi tout aussi surpris de la voir ici.
« Mais c'est Cendrillon ! cria-t-il sans aucune discrétion. »
Lucifer se força à rougir, comme gênée, non seulement de se faire afficher en public, mais surtout de se rappeler de l'épisode devant la cathédrale – une véritable comédienne. Elle décida de l'ignorer en se concentrant intensément sur son ordinateur. Alors qu'Edward s'apprêtait à faire une commotion et que Thérèse regardait Lucifer avec des yeux ronds, le professeur intervint avant que la situation ne dégénère.
« Monsieur Bergeret, vous êtes déjà en retard, asseyez-vous discrètement ou partez d'ici. »
Scarlett l'entraîna sans un mot et Edward se laissa faire. Lucifer se doutait que ce n'était que partie remise. Elle pouvait sentir que Thérèse avait de nombreuses questions à lui poser, mais étant une élève sage, elle n'osait pas bavarder, surtout pas au premier rang. C'est pourquoi les deux se turent. Le reste du cours se passa sans plus de problèmes et au moment où le professeur en annonça la fin, Edward s'approcha de leur bureau – comme Lucifer s'y attendait. Elle l'ignora, rangeant ses affaires de manière mécanique.
« Comme on se retrouve...
- Tu le connais, Lucy ? intervint sa nouvelle meilleure amie. »
Ah. Vu le ton, elle venait peut-être de descendre dans l'estime de Thérèse. Après tout, seules les personnes de mauvaise vie pouvait s'associer à une personne comme Edward de Bergeret. Pour un Chasseur de Démons, c'était cocasse. Avec un soupir et pour éclaircir le malentendu, Lucifer expliqua brièvement sa petite rencontre.
« Comment peux-tu te comporter d'une telle manière avec une jeune fille ? s'exclama Thérèse alors que Scarlett levait les yeux au ciel. Et c'est valable pour toi également !
- Calme-toi, Thérèse. A froncer les sourcils comme ça, tu vas avoir des rides, ricana Scarlett.
- T'as l'air d'être une fille intéressante, Lucy. Traîne pas trop avec cette bigote. Sinon, tu vas vite te faire chier ! »
Lucifer confirmait, toutefois, elle n'avait pas trop le choix.
« Elle est là pour travailler et pour découvrir la culture française ! protesta Thérèse. Et cesse de te moquer de ma croyance en le Seigneur ! Tes parents étaient des gens pieux, ils t'ont élevé dans sa Grace pourtant ! »
Cela voulait donc dire que Thérèse connaissait Edward depuis son enfance. Très intéressant et très pratique pour son infiltration.
« Heureusement que j'en suis sorti et que j'en ai gardé que le côté fun, alors, la railla-t-il. Enfin bref... Comme je te le disais, écoute pas trop Thérèse, c'est pas comme ça que tu vas te faire une vie sociale, poupée. Viens plutôt à ma soirée jeudi de la semaine prochaine... En plus, je pourrais te rendre ta chaussure... C'est histoire de me faire pardonner de mon comportement grossier... »
Son sourcillement laissait entendre une proposition bien moins innocente qu'elle ne le paraissait. Une telle subtilité laissait le Diable sans voix. Edward avait pourtant dû être enfant de chœur à un moment donné non ? Les frères n'avaient pas bien fait leur travail, si maintenant, même les Chasseurs de Démons étaient de sacrés pécheurs. La luxure avait le vent en poupe. En même temps, pour attirer un Succube malgré son boulot, Edward devait être un champion en la matière. Au moins, si elle en venait à ça. Lucifer se disait que ça serait plutôt sympa au lit, s'il avait autant d'entraînement... Il devait bien être bon dans un domaine le bougre, quand même !
« Je... commença Lucifer, avant d'être interrompue par Thérèse.
- Elle ne viendra pas à tes espèces d'orgies ! C'est une fille bien ! »
Mais mêle toi de ton cul ! La meilleure amie avait l'air d'être plus à un boulet qu'autre chose. Certes, cela avait l'avantage de participer à sa persona d'héroïne... mais quand même. Enfin, ce n'était pas comme si elle pouvait aller à cette fête sans le petit cadeau de Raphaël, de toute façon. Beaucoup trop risqué.
« Je... je voudrais juste récupérer ma chaussure, en fait...
- Oui, eh bien, tu sais quoi faire pour ça ! ricana Edward avant de faire volte-face. »
Scarlett le suivit de près mais lui adressa un dernier regard mauvais qui voulait clairement dire : « T'as pas intérêt de venir, petite pétasse ? » Lucifer se retint de lui rétorquer : « Compte là-dessus, ma chérie. Compte là-dessus... »
Publié le 09/07/2020.
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