Chapitre 6 : L'Abominable Créature de l'Enfer - Baal
« Baal, réveille-toi. »
La Générale des Armées ouvrit les yeux dès que ces mots furent prononcés. Elle était toujours sur le qui-vive et ne dormait jamais que d'une oreille. Et pourtant, là, quelqu'un avait réussi à s'infiltrer dans sa chambre et à monter sur son lit sans qu'elle ne s'en rende compte. Toutefois, elle ne paniqua pas. Parce qu'il n'y avait qu'une seule créature qui était adepte de ce genre de comportement agaçant.
C'est pour cette raison qu'avec un calme surréel pour elle, Baal alluma la lampe sur la table de chevet sans même prendre le couteau rangé dans sa table de nuit. Sans surprise, une fois que ses yeux se furent habitués à la luminosité, ils tombèrent sur une étrange créature. Son nom était Monsieur Moustache. Il était confortablement installé, les quatre pattes en l'air, attendant les caresses ainsi que les gratouilles qui lui étaient dues.
Baal ne perdit pas un seul instant de plus et tendit son bras jusqu'à toucher l'abondante fourrure noire et lustrée. Monsieur Moustache était le chat de l'Impératrice. Non. Ce n'était pas exactement ça. Monsieur Moustache était l'Impératrice. Même si son apparence était celle d'un imposant Maine Coon à poils longs. Ses deux grands yeux jaunes fixaient toujours le monde qui les entourait avec une lueur retorse et mauvaise. De toute façon, il n'était jamais content – une des raisons pour lesquelles Baal ne comprenait pas pourquoi Lucifer lui avait donné la parole... et bien plus, d'ailleurs.
Enfin si, la Générale des Armées comprenait pourquoi. Il s'agissait là d'une brillante stratégie. Monsieur Moustache était compris dans le package si l'on voulait le trône Impérial. Contrairement à ce que beaucoup auraient pu penser, si Lucifer disparaissait, le chat n'en ferait pas de même. Elle s'était certes séparée d'une partie d'elle-même pour le créer, mais il était indépendant, intelligent. Et accessoirement immortel. Ainsi que très puissant. Impossible donc de le supprimer. Avoir une sale bestiole sur le dos pour l'éternité, cela devait tout de même refroidir les ambitions de plus d'un... ça et le fait que leur souveraine bien aimée pouvait pulvériser ses rivaux avec le petit doigt.
« Que voulez-vous ?
- Rien de particulier. J'étais juste curieux de savoir ce qui avait pu être dit dans la réunion pour que tu dormes, non seulement dans ton lit, mais surtout à seulement minuit. Auraient-ils vaincu la grande Baal par leur rhétorique implacable ? A moins que tu ne sois désespérée par le départ de Lilith ? miaula le chat en donnant de petits coups de patte à la main de la Générale des Armées.
- Vous me demandez cela, alors que je suis persuadée que vous y avez assisté, marmonna-t-elle en se levant, sans plus se préoccuper de lui.
- Tu ne me connais que trop bien, Baal. Toutefois, je souhaiterais avoir ton avis sur leurs comportements... Après tout, ils se croient tant au théâtre qu'ils ne peuvent s'empêcher de jouer à la comédie. »
Cette foutue réunion avait duré trois heures. Trois heures durant lesquelles Baal s'était imposée de parler le moins possible (avec plus ou moins de succès) et avait fini par dessiner sur ses feuilles de notes comme une enfant – elle était très douée pour les petits rongeurs. Tout cela afin de s'empêcher de faire plusieurs choses qui l'auraient libérée, avant de lui causer un certain préjudice :
1 – Fracasser la tête d'Hécate sur la table : tout était beaucoup trop dans les apparences avec elle.
2 – Faire bouffer à Pluton ses fiches de notes : il l'irritait fortement avec ses pense-bêtes qui avaient envahi une bonne partie de la table.
3 – Empoissonner l'innommable bouteille d'eau de Nergal : elle avait passé son temps à la faire craquer.
4 – Enchaîner Moloch à une niche à l'entrée de l'Enfer : totalement gratuit, parce qu'elle en avait envie.
5 – Castrer Pan : pour lui faire passer son mauvais goût en matière de mecs.
6 – Rendre aveugle Lilith : elle lui lançait trop de regards désappointés et cela commençait à l'agacer parce qu'elle ne comprenait pas pourquoi.
7 – Noyer Léviathan : il lui avait réclamé pendant dix minutes son rapport.
Et il ne valait mieux pas parler d'Eurynome. Si elle avait pu, elle l'aurait détruit sur place. Baal l'avait toujours détesté – même au Paradis, elle ne pouvait pas le voir en peinture – mais là, cela avait pris d'autres proportions. Malheureusement, il était puissant. Sans doute parce que ses compétences étaient plus équilibrées que celle de la Générale des Armées. Et puis, Lucifer n'aurait pas été heureuse si elle lui avait cassé son jouet. Ils avaient toujours eu une relation très particulière que Baal n'avait jamais bien comprise. Lilith avait bien essayé de lui expliquer, mais elle avait fini par abandonner. Dans tous les cas, si Baal avait cédé à ses pulsions, cela aurait fait tache. Pauvre d'elle. Son existence n'était pas des plus confortables, on pouvait vraiment la plaindre.
« Pour être honnête, je m'attendais à ce qu'on ne réussisse pas à se mettre d'accord... Et pourtant, je dois bien avouer que c'est le cas.
- On dirait que ça t'arrache la bouche de le reconnaitre, ricana Monsieur Moustache en baillant. »
Baal ne lui fit même pas l'honneur de répondre. De toute façon, il avait plutôt raison : Baal aimait pouvoir se plaindre de l'incompétence des autres. En temps normal, elle n'avait aucun mal à le faire légitimement alors il était hors de question de lui retirer ça. L'avantage de tout ça était qu'au moins, elle n'aurait pas du travail supplémentaire à fournir puisqu'Eurynome prenait les rênes. Si la Générale des Armées avait moins été de mauvaise foi, elle aurait dû avouer que c'était logique. Toutefois, ce n'était pas du tout dans son caractère.
« Quand ça se passe bien, c'est d'un ennui... Enfin bref, tu n'auras même pas une petite anecdote à raconter à Lulu ?
- Aucune. Même Pluton qui a encore mélangé ses fiches et a commencé à déblatérer sur la gestion du Tartare n'a pas su relever mon intérêt... Franchement, qu'il arrête de se plaindre : il a suffisamment de subordonnés pour se débrouiller tout seul.
- C'est vrai que ceux de là-bas sont sélectionnés avec attention et sont plutôt bons dans leur genre...
- Parce qu'il y a de « bons » subordonnés en Enfer ?
- Evidemment : ceux qui me donnent à manger.
- Donc, ceux qui souhaitent survivre...
- Les gardes du Tartare ont toujours une boîte de thon pour moi, ne les accable donc pas... »
Monsieur Moustache, toujours en manque de gratouilles, commençait à s'impatienter de nouveau, Baal le sentait. Son absence d'intérêt pour lui devait sans aucun doute l'irriter. C'est pour cela que le chat décida de se venger. Il partit alors d'un pas digne vers les rideaux... et entreprit de les réduire méticuleusement en charpie. Il allait falloir que Chaamos trouve une résolution à ce problème. Baal nota intérieurement d'en parler aussi à Léonard : s'il pouvait créer du tissu qui résistait à ses griffes, la vie des serviteurs serait révolutionnée et Astaroth pourrait couper un peu de budget. C'était surtout cette dernière possibilité qui intéressait Baal, ne serait-ce que pour qu'il se sente redevable.
« Monsieur Moustache... Pourquoi n'iriez-vous pas visiter quelqu'un d'autre ? Eurynome ferait très bien l'affaire. En plus, il déteste lorsque vous abandonnez des poils partout. Ce serait l'occasion de vraiment l'emmerder. Or, je sais que vous appréciez tout particulièrement cela.
- Pas autant que toi, Baal, j'en suis sûr. »
Il n'avait pas tort. Elle voulait se venger de la conversation inutile avec lui qui avait engagé le débat – alors même qu'il n'y avait pas lieu d'en avoir un. Malheureusement pour Eurynome, Baal aimait les plats qui se mangeaient chauds : elle n'avait pas le temps de faire une liste de tous les comptes qu'elle avait à rendre pour que sa vengeance soit froide. De toute façon, ce n'était pas dans son caractère de patienter de longues heures pour concocter un plan compliqué. Simple et direct, tel était ses mots d'ordre.
Quant à la discussion entre les plus grands Démons de l'Enfer, cela avait donné quelque chose comme ça :
« Je me propose de diriger cette réunion. Il faut bien quelqu'un pour gérer les choses, avait lancé posément Eurynome, un petit sourire en coin plaqué sur son visage.
- Pourquoi toi ? avait rétorqué Baal par automatisme. Tu n'es pas l'Impératrice, que je sache !
- Et je n'ai jamais prétendu l'être, avait répondu Eurynome avec le ton utilisé pour s'adresser à un enfant particulièrement rétif. Il s'agit juste d'avoir un président de séance, rien de plus. Après tout, nous n'allons pas prendre de décisions incroyables. Et puis, n'oublie pas Baal, que je suis le numéro deux de l'Enfer. Ce qui me place juste en-dessous de l'Impératrice, et surtout, juste au-dessus de toi. »
Le visage de Baal avait pris une teinte verte. Si la jalousie pouvait tuer, elle serait déjà six pieds sous terre, même si elle ne l'avouerait jamais. Elle n'avait rien à répondre à ses arguments parce qu'ils étaient vrais, et pire que ça, elle avait besoin de soutien pour se faire entendre face à Eurynome. Autant dire que vu son caractère, c'était peine perdue. Parfois, avoir un tel caractère n'était pas une bonne chose. En fait, cela l'était rarement mais Baal n'était pas prête à changer.
La suite avait été beaucoup plus calme, chacun parlant des affaires courantes. Baal n'avait été que peu intéressée – à part pour tacler Léviathan à la moindre occasion pour son incompétence... jusqu'à ce que vienne le sujet principal de la réunion. Le procès de Baalberith et son remplacement.
« Bon, avait commencé Eurynome à ce propos. Après une enquête minutieuse menée par Nerval et après l'approbation de l'Impératrice, c'est Roanoke qui remplacera Baalberith. Il a toujours servi le culte démoniaque et n'a aucun antécédent de trahison ou autre.
- Je suis étonnée : comment Baalberith a pu le garder en tant que bras-droit s'il ne partageait pas ses idées ? C'est forcément un Sataniste ! était intervenue Baal.
- Il semblerait que non, avait rétorqué Nergal, sans doute vexée par sa réflexion. Je sais faire mon travail. Je t'enverrai mes rapports, si tu le souhaites vraiment. »
La Générale des Armées n'avait rien répondu : elle avait fait ça plus par habitude que par réelle conviction. Après tout, même si Baal était persuadée que les personnes compétentes dans son entourage se comptaient sur les doigts d'une main, il n'en restait pas moins que la plupart d'entre eux travaillaient très bien. Sinon, Lucifer ne les aurait jamais choisi – sauf Léviathan, lui c'était juste pour la blague et parce qu'on avait toujours besoin d'une cible facile pour les moqueries.
« Et pour Baalberith ?
- On le maintien dans une santé correcte dans le Tartare, avait expliqué Pluton. Il n'est pas loin de Satan, d'ailleurs. Mais aucune tentative de contact entre les deux n'a été enregistrée.
- Vous ne l'avez même pas torturé un peu ? avait protesté Baal d'un ton outré.
- Non, il faut absolument qu'il tienne jusqu'à l'exécution, avait rétorqué Eurynome, toujours prompt à contredire la Générale des Armées dans toutes les occasions. Je vous transmettrai bientôt le plan que le tribunal a mis en place pour son procès et son exécution. Il devrait être complet dans un ou deux jours. Alastair, comme vous l'imaginez, affute d'ores et déjà son épée.
- Nous avons aussi prévu une édition spéciale, sur toutes les chaînes, ajouta Hécate. Et dans les journaux également. Je n'ai pas eu de nouvelles pour ma proposition d'obliger les gens à regarder tout ça...
- Astaroth m'a renvoyé une note incendiaire qui expliquait que s'il était d'accord pour qu'on tue Baalberith, il l'était beaucoup moins pour qu'on sabote l'économie et le fonctionnement de l'Enfer.
- C'était juste pour une mi-journée ! On les aurait fait travailler deux fois plus le lendemain ou pendant la nuit !
- Je sais bien, mais Lucifer s'est rangée à son avis. Et puis, entre nous, je pense que tout le monde regardera, de toute façon, s'il le peut. Ce n'est pas le genre de programme que la populace boude. »
Peu importait les époques, les exécutions faisaient toujours fureur en Enfer. La population était heureuse de savoir qu'il y avait plus malheureux qu'eux et d'avoir une cible pour leur vindicte. C'était d'autant plus le cas ici puisque Baalberith avait été membre du Grand Conseil. Ce dernier était le cauchemar de tout Démon inférieur, alors, en voir un humilié et exécuté ? Un vrai bonheur qui avait même l'avantage de les décharger un peu de leur rancune. Non pas qu'ils aient la possibilité de se révolter, mais un travailleur heureux est un travailleur plus productif.
« Par ailleurs, Lilith, je sais que tu devais partir faire ton inspection générale, cependant, l'Impératrice m'a informé qu'elle souhaitait que tu reportes ton voyage, avait expliqué Eurynome, au moins jusqu'au procès de Baalberith, voire après l'exécution. »
Lilith n'avait pas eu l'air très heureuse – ce qui était assez courant, ces derniers jours – cependant, elle n'avait pas grand-chose à rétorquer puisque les paroles de l'Impératrice faisaient loi. Toutefois, elle avait tout de même demandé quelques précisions sur la situation :
« Astaroth et Léonard sont sur le chemin du retour ?
- Oui, Léonard est censé arriver quelques jours avant le procès. Quant à Astaroth, il a essayé de resquiller mais l'Impératrice a insisté... Il viendra sans doute au dernier moment.
- Eh beh... Il n'est plus aussi soucieux de la qualité de son travail qu'avant ! »
Il n'était pas difficile de deviner qui avait pu dire ça.
« Tu sais bien qu'il cherche son bras-droit partout, avait rétorqué Eurynome.
- Erise est toujours portée disparue ?
- Oui.
- C'est con. Ça a beau être un cauchemar cette nana, on peut pas dire qu'elle est pas doué avec l'argent... lança Léviathan.
- Dans tous les cas, il devra poursuivre son enquête après que le cas de Baalberith ait été réglé. Donc ce sera la même chose pour toi, Lilith. Je te laisse gérer ça : je ne pense pas que cela pose trop de problèmes ? »
Il était évidemment, vu le regard de la Princesse des Succubes, que oui, cela lui posait problèmes. Mais, elle s'était contentée d'hocher sagement la tête : elle ne pouvait rien y faire, de toute façon. Tout comme Astaroth devait se plier aux demandes de l'Impératrice alors qu'il était sur une affaire très sérieuse, Lilith devrait faire de même avec ses inspections.
Du côté de Baal, l'amertume avait été à son paroxysme en voyant Eurynome diriger ce petit monde d'une manière beaucoup trop naturelle pour être honnête. Et c'était d'ailleurs ce qui avait amené la Générale des Armées à rejoindre son lit beaucoup trop tôt – en plus, Lilith ne l'avait pas invitée dans le sien, alors... Mais avant de retourner à son sommeil, dénué aussi bien de songes que de cauchemars comme pour tous les Démons, Baal avait besoin de se débarrasser de Monsieur Moustache. Ce que ce dernier avait très bien remarqué puisqu'il lança :
« Malgré ton compte-rendu fort détaillé, j'ai l'impression que je t'agace Baal. Tu n'apprécies donc pas ma présence ?
- Mais pas du tout... ça va très bien.
- Ton expression m'indique que cela va aussi bien que si tu avais du verre pillé coincé dans la gorge. Autant dire que ce n'est pas la joie. C'est affolant à quel point une Démone aussi puissante que toi est une aussi mauvaise menteuse. »
Et effectivement, la seule envie de Baal était de vociférer : « Mais casse-toi de là, sale greffier ! » Elle se retenait de toutes ses forces de le faire, évidemment. C'est peut-être pour cette raison que Monsieur Moustache voulut lui faire une petite faveur.
« Bah... Je suis miséricordieux, aujourd'hui. Je vais te laisser tranquille. Mais ce n'est que partie remise !
- Vraiment ?
- Oui. Je dois te quitter. Après tout, grâce à tes bons conseils, j'ai maintenant rendez-vous avec le mobilier d'Eury... »
Baal ne put s'empêcher de ricaner en entendant cette annonce : les allergies d'Eurynome étaient toujours un spectacle splendide à contempler.
Publié le 04/07/2020.
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