Chapitre 17 : Tentative d'assassinat d'amateur - Baal
La salle du trône avait été construite pour être impressionnante. Elle était beaucoup trop grande pour l'utilité que Lucifer en avait, mais le but n'était pas de rentabiliser l'espace dans ce cas précis. Non, l'objectif était d'en mettre plein la vue. C'était d'ailleurs pour ça que la décoration n'avait presque jamais changé depuis sa conception – malgré les supplications répétées de Chaamos.
Elle avait été creusée à même la roche. Au départ, le Palais Impérial avait été installé dans les grottes de l'île au centre de Lux. Avec le temps, le terrain avait été aplanie, la pierre dégagée, mais la salle du trône conservée. Le plafond était haut et on ne pouvait que difficilement le distinguer à cause de sa noirceur profonde. La seule lumière dans la pièce était apportée par des torches et autres lanternes. Le sol de la salle circulaire était en marbre sombre poli. Un long tapis menait au trône au fond, en face de l'entrée principale. Le siège de Lucifer était le seul à avoir été modifié donc, parce que le plus important restait le confort. Lorsque l'Impératrice n'avait pas d'autre choix que de tenir audience pendant des heures, il fallait au moins que son popotin profite d'une assise moelleuse. Par contre, les misérables à genoux sur le sol pouvaient toujours crever la bouche ouverte. Elle n'en avait que faire. Baal n'allait pas la juger : elle aurait réagi de la même manière à sa place.
C'était ce à quoi la Générale des Armées pensait alors qu'elle rongeait son frein dans un coin en attendant de présenter et plaider pour son cas – à savoir obtenir l'autorisation de virer (tuer) un subordonné d'Eurynome. Parfois Lucifer accédait à ses demandes, parfois non. Elle perdait souvent contre le Juge de l'Enfer, mais qui ne tente rien, n'a rien...
Il y avait encore deux Démons devant Baal et elle commençait à s'impatienter franchement.
Toutefois, l'ennui de Baal ne dura pas longtemps. Et elle en aurait presque remercié Baalberith si ce dernier n'avait pas hurlé un subtil 'Sus à l'Impératrice ! Gloire à Satan, l'Elu du Peuple !' en ouvrant à la volée la porte principale.
Juste après, il agrippa la lance qu'il avait amené avec lui, avant de s'élancer vers l'Impératrice de l'Enfer. Tout s'était passé très vite et pourtant, le temps sembla comme s'arrêter pour Baal.
Malheureusement pour Baalberith, qui avait l'air déterminé à agresser Lucifer, il y avait donc la Générale des Armées dans la pièce. Il n'avait pas dû prévoir ce détail puisqu'elle était venue ici à l'improviste. Baal le cueillit au vol. Un placage en bonne et due forme. L'impact fut violent et le masque de Baalberith se brisa sous l'impact. Baal n'en avait que faire. Sans réfléchir d'avantage aux conséquences, elle lui mit un poing en plein milieu de la figure. Le craquement – une douce musique à ses oreilles –, lui fit très plaisir, à l'inverse du stylet que le Grand Pontife parvint à lui planter dans la cuisse alors qu'elle le chevauchait. Baal ne lui fit même pas grâce d'une expression de douleur. A la place, elle se leva en l'empoignant par sa tignasse grasse.
Elle adressa à Baalberith un sourire féroce et lui lança au visage :
« Je sais pas ce que tu fabriques, sale vermine, mais tu viens d'illuminer ma journée avec ta tentative d'assassinat parce que je vais pouvoir te tuer sans qu'on me le reproche !
- Ne le tue pas ! cria Lucifer de son siège en l'entendant dire. »
Elle n'avait absolument pas bougé et regardait la scène comme si elle était devant un film au cinéma. Il ne lui manquait plus que le pop-corn hors de prix. Baal allait ignorer la remarque – ce qui lui aurait valu une sévère punition – mais par chance (ou malchance), Baalberith saisit l'opportunité. Il mobilisa ses dons en matière de Sorcellerie et un souffle de feu engloutit la Générale des Armées. Par réflexe, cette dernière lança tomber le Grand Pontife.
Avec sans doute l'énergie du désespoir, il se précipita de nouveau vers l'Impératrice qui affichait un grand sourire. Elle devait avoir remarqué une Baal dans une fureur noire et dont les vêtements étaient à moitié en flammes juste derrière lui. La botte de la Démone atterrit avec une délicatesse toute relative dans le bas de son dos, entre les reins. Il étouffa un cri et tomba de nouveau au sol. Cette fois-ci, Baal fut sans merci – si elle ne l'avait pas un jour été –, et commença à le tabasser à coups de pied. Elle prenait plaisir à viser là où elle savait que la douleur serait la plus intense. Lucifer le remarqua et eut un petit rire :
« Je t'ai bien dit de ne pas le tuer, non ? Ça veut aussi dire de ne pas le rendre fou de douleur... »
Baal ne lui accordait déjà plus un regard. Dans ces moments-là, même la profonde loyauté que la Générale des Armées pouvait ressentir pour l'Impératrice de l'Enfer n'était pas suffisante pour la faire sortir de sa transe. Comprenant la manière dont la situation était en train de se dégrader, Lucifer décida de ne rien faire pour l'instant. Elle n'avait aucun souci à laisser Baal s'amuser quelques temps. Au moins jusqu'à la limite de la résistance de Baalberith.
Toutefois, cela ne dura pas longtemps puisque la porte de la salle du trône s'ouvrit de nouveau. Sans doute que les trois Démons, qui attendaient pour plaider et étaient parvenus à fuir, avaient fini par prévenir les gardes qui avaient dû choisir cet instant pour faire leur pause-café. Une malheureuse coïncidence qui allait se payer bien cher, sans aucun doute.
Enfin, dans tous les cas, ce n'était pas les gardes – payés à rien faire –, qui débarquèrent pour sauver la situation. Ça aurait été trop leur demander pour leur salaire. En effet, c'est Eurynome qui se précipité sur Baal afin de la décrocher d'un Baalberith plutôt mal en point – et à moitié dans les pommes. Il eut quelques difficultés puisqu'elle s'accrochait avec une hargne toute caractéristique de sa personne au corps – et pas loin de futur cadavre –, du (pauvre ?) Baalberith.
Cependant, il ne fallait pas sous-estimer Eurynome. A l'aide d'un coup de pieds dans les côtes, combiné à un vilain petit Sortilège, le Juge de l'Enfer parvint à la projeter en arrière. Baal s'écrasa contre un mur mais ne mit pas longtemps à se remettre sur ses pieds. Alors qu'elle hésitait, dans sa rage meurtrière, entre qui attaquer en premier, Lilith apparut devant elle comme par magie, les bloquant à sa vue.
Baal la regarda avec un drôle d'air pendant un instant et la Princesse des Succubes crut qu'elle allait lui sauter à la gorge. Et dans un sens, c'est ce qu'il se passa puisqu'elle se matérialisa en un éclair en face de Lilith pour l'embrasser à pleine bouche. Ce n'était encore une fois pas si surprenant : lorsque Baal partait dans une folie sanglante, il lui arrivait également de passer très rapidement (et facilement) de cet état à une excitation tout ce qu'il y avait de moins catholique. Et elle venait de le prouver une fois de plus. Lilith eut bien du mal à se dégager d'elle pour lui demander le pourquoi du comment de la situation. C'est qu'elle pouvait être persistante, la bougresse.
Lucifer, au contraire, trouvait ça très divertissant, mais elle ne put s'empêcher de lancer d'un ton moqueur :
« Evitez de vous désaper ici... Je suis sûre qu'une partie de l'audience présente serait ravie mais je crains que même Hécate ne soit pas capable de faire disparaître une vidéo de vous en train de faire des cochonneries sur la toile. »
Lilith avait l'air plutôt d'accord mais Baal ressemblait toujours à une moule collée à son rocher. Dans un sens, ce n'est pas plus mal : cela évitait que des dégâts supplémentaires soient infligés à la salle du trône (et à Baalberith mais il était négligeable – même avant sa trahison).
Pourtant, Eurynome n'hésita pas à profiter de la situation (même s'il clamerait le contraire après) et abandonna le fourbe Grand Pontife pour donner gentiment un coup à la tempe de la Générale des Armées qui s'effondra sans demander son reste, à demi consciente de ce qui se passait autour d'elle. Lorsqu'elle était passée en mode « j'ai envie de te faire des choses qui me vaudrait une condamnation pour luxure », elle avait la vilaine tendance à être distraite, et le Juge de l'Enfer avait été très heureux d'en profiter.
Lilith l'attrapa par reflexe. Baal ne pesait pas très lourd – malgré ses muscles –, puisqu'elle était assez petite comparée aux autres Démons avec son mètre soixante-cinq.
« Joli coup et joli rattrapage, commenta Lucifer alors qu'elle n'avait pas bougé d'un pouce. »
La Princesse des Succubes ne répondit même pas : elle était trop occupée à exécuter un magnifique porté-princesse (avec une personne qui était tout sauf une, de princesse – bonjour les rangers et la tenue que la fantaisie avait fuie). Elle se retourna vers Eurynome – qui maintenait de nouveau Baalberith sur le sol – celui-ci n'avait d'ailleurs plus prononcé un mot depuis quelques minutes :
« Tu sais qu'elle va vouloir te tuer pour ça...
- C'était pour son bien.
- Elle ne va pas le voir comme ça et franchement, je crois moyen à de la sollicitude de ta part...
- Tu ne peux pas le prouver.
- Excusez-moi, intervint Lucifer, mais vous ne pensez pas qu'il y a des choses plus urgentes à gérer ? Comme la tentative d'assassinat traumatisante que je viens de subir ? »
Tout le monde, Baalberith y compris, lança un regard à Lucifer qui voulait clairement dire :
« Toi ? Traumatisée ? »
Publié le 01/11/202.
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