Gadie

Tommy était en train de verrouiller la porte menant sur la cour arrière, porte plus communément appelée « entrée des artiste » même si personnellement je l'aurais bien nommée « sortie des poubelles »... Mais bon, après c'était chacun ses goûts...

Laura était partie plus tôt aujourd'hui, soi-disant pour remplacer un collège dans sa boite de nuit. Elle était barmaid... Mon œil ! Je pensais surtout qu'elle n'avait pas eu envie de se coltiner le rangement de la salle ainsi que les grognements incessants et habituels de notre Tommy national qui y étaient liés... Ce que je comprenais tout à fait je l'avoue. Si je l'avais pu, moi aussi j'aurais fui le plus loin possible...

Je l'entendais pousser des jurons contre cette malheureuse porte tandis que je galérais à émerger de mon sweat à capuche kaki. Cette foutue porte en ferraille n'était pas des plus faciles à fermer je veux bien l'avouer, mais avec un petit Tom-Tom énervé les choses n'allaient pas s'arranger...

Quand je réussi enfin à extirper ma tête de ce diabolique amas de toile vert foncé Tommy poussa un cri de victoire. Ah... il devait avoir enfin réussi à faire tourner la clé dans la serrure... Quel homme ! Il se retourna vers moi, un énorme sourire était peint sur son visage. On aurait dit un gosse... Je lui aurai offert des bonbons en gélatine fluo il n'aurait pas été aussi content... Je soupirai et enfonçai mes mains dans mes poches.

Il faisait assez frais pour un soir d'été. Mon sweat n'était décidément pas de trop. J'enfonçai ma tête dans mes épaules.

Une fois que Tommy eu exécuté une petite danse de la joie, nous nous éloignâmes du théâtre. Le vent soufflait légèrement, ébouriffant nos cheveux. Une odeur de gasoil et de cendre flottait dans l'air. Nous empruntions le même chemin lui et moi pour rentrer chez nous. Il n'habitait pas dans le même quartier que moi, l'exact opposé en fait, mais comme à chaque, il avait voulu prendre son bus à l'arrêt qui bordais ma cité. Il était têtu. A chaque fois j'insistais pour qu'il en prenne un autre, bien plus proche, mais comme toujours il refusait. Je râlais mais au fond de moi j'étais contente. Je voulais qu'il me raccompagne même si je n'aimais pas le montrer. J'aimais ces petits moments que nous partagions.

Je ne connaissais pas Tommy depuis très longtemps. Ce n'étais pas un ami d'enfance avec lequel j'avais vécu mille et unes aventures, ni une connaissance de longue date qui savait tout de moi. Il ne m'avait pas sauvé d'un danger mortel, si ce n'était l'ennui et la bêtise... Pourtant j'avais l'impression d'être en sécurité avec lui, j'avais le sentiment de tout pouvoir lui dire sans que jamais il ne me juge.

Cela faisait à peine deux ans. C'était Laura qui me l'avait présenté. Elle le collait partout. Et quand je disais partout, c'était bien partout. Elle s'agrippait à lui comme une sangsue. C'était grâce à lui qu'elle était entrée dans ce ridicule groupe de théâtre, et également grâce à lui qu'elle avait réussi à m'y trainer... et c'était sûrement une des plus belles choses qui me soient arrivées.

J'avoue ne jamais avoir compris comment une fille comme Laura avait pu rencontrer et sortir avec un type comme Tommy. Tous les opposaient. Laura était un peu tête en l'air, une fêtarde à la limite de l'alcoolisme, mais surtout une femme pétillante et vivante qui aimait être sous le feu des projecteurs. Une vraie petite starlette. Tommy était tout son contraire, d'un naturel calme, discret, sérieux... Sans être introverti ni spécialement timide, il aimait être à l'arrière, dans l'ombre. Je le trouvais étrange au début, il était bizarre, un type en noir toujours caché derrière ses bouquins, une petite mine aigrie gravée sur son visage. Mais j'avais fini par le découvrir. Par l'apprécier. Vraiment. Et puis je les trouvai vraiment mignons tous les deux... Ce qui était rare je précise. Etranges, chtarbés et complètement fêlés mais mignons. On m'a souvent dit que les contraires s'attiraient, et je ne croyais pas pouvoir trouver de meilleur exemple !

Tommy marchait à mes côtés. Je sentais son regard posé sur moi. Il m'observait. Je n'aimais pas que l'on me regarde ainsi. Surtout qu'il n'avait pas prononcé un mot depuis que l'on était partis.

- Bon qu'est-ce qu'il y a Tommy ?! dis-soudainement en me tournant vers lui.

Il sourit devant ma réaction.

- Rien de bien grave, relax Gad, c'est juste que je n'ai pas l'impression que tu aimes énormément ma nouvelle pièce... dit-il calmement, je me trompe ?

Je soupirai. Mon dieu, mais que ce garçon était perspicace ! Quoiqu'une petite rectification s'imposait...

- Ce n'est pas ta pièce que je n'aime pas, même si cela reste très discutable, mais le personnage que tu m'as attribué.

Il haussa un sourcil.

- Ah bon... Je croyais que tu aimais ce qui était un peu décalé... ce qui te changeait...

J'enfonçai plus profondément mes mains dans mon sweat. Décidément il n'avait rien compris.

- Je déteste avoir l'air d'un plouc...

- Tu n'as pas l'air d'un plouc mais d'un mec.

- Je ne vois absolument pas la différence...

Il soupira.

- Gadie...

C'était bon, il avait réussi à m'agacer... Reste calme Gadie, reste calme...

- Raah mais c'est toi qui ne comprend pas ! Regarde bien ton super personnage qui n'est pas un plouc ! Regarde le bien ! J'ai l'impression que tu as fait exprès d'en créer un qui pouvait mettre en avant tous mes pires défauts et tous les traits de ma personne que je déteste !

- Mais que...

- Et que, cerise sur le chapeau d'anniversaire ridicule, tu te sois battu, malgré mes vaines protestations, pour que ce soit moi qui l'endosse ! Sadique ! Si tu voulais me blesser et me ridiculiser et bien je te félicite parce que c'est réussi espèce de faux frère !

Il me fixait, complétement perdu.

- Je ne comprends absolument rien à ce que tu racontes Gady...

- C'est ça... Tsss... Menteur !...

Il soupira, visiblement perdu et agacé. Il n'aimait pas ne pas comprendre. Il n'aimait pas quand je me comportais comme cela, je le savais. Mais je détestais expliquer mes problèmes, mettre en avant ma vie moisie. Je ne voulais pas me dévoiler. C'était lui qui avait commencé.

- Gad... Je n'ai jamais voulu t'humilier, tu le sais bien. Et puis je ne vois aucune ressemblance entre ce personnage et toi, ni même tes défauts... pourtant tu sais que je les connais !

Je le toisai du regard.

- Aller Gadie... Dis-moi ce qui te tracasse.

- Non...

Il soupira de nouveau.

- S'il te plait ?

Expliquer mes problèmes, dévoiler une part cachée de moi-même... Je n'aimais pas cela... C'était comme un aveu de faiblesse. Et je ne voulais pas avoir l'air faible...

- Tu me gonfles Tommy.

- Et toi, tu crois que tu ne me gonfle pas ?! Mon personnage te pose un problème et tu ne veux même pas m'expliquer pourquoi !

- Raah ! Mais regarde-moi ! Regarde-le ! Je n'ai jamais été féminine, ni sexy, ni rien du tout ! Je viens des quartiers chauds de la ville, j'ai une éducation pourrie, un job craignos avec lequel je peine à m'acheter des pâtes, le charisme et la swagattitude d'une serpillère ! Le look d'un dealer et la vie d'une voleuse... ! Tu ne le vois pas le rapprochement ? Je fais du théâtre pour m'évader moi, merde ! Pas pour replonger dans ce monde que j'essaye désespérément de fuir !

Je m'étais soudainement mise à hurler sans vraiment m'en rendre compte. Mes joues étaient devenues rouges. J'avais chaud à présent. Autour de nous les passants s'étaient arrêtés pour nous regarder. Merde... J'étais peut-être allée un peu trop loin...

Tommy me fixait également. Interdit. Il ne disait plus rien. Il ferma les yeux comme pour réfléchir et passa doucement une main dans ses cheveux.

- Ce n'est qu'un personnage Gadie, et il est à des kilomètres de te ressembler crois-moi... Et tu sais très bien que tu es loin d'être la personne que tu viens de me décrire...

- Je pense savoir mieux que toi qui je suis et ce que j'ai vécu... grinçai-je entre mes dents.

Il souffla.

- Gadie... Cesse de te complaire dans ton malheur...

J'écarquillai les yeux. Mais il voulait quoi lui ? Mon poing dans sa figure ?! Me complaire dans mon malheur, moi ?!

- Je ne m'y complais pas et je t'emmerde.

Il eut un sourire.

- Aller... positive !

- Mais ta gueule !

Son rire se mit retentir. Je serrai les poings.

- Ok, je suis désolé Gad, je ne pensais pas que ce personnage allait te blesser à ce point. Au contraire même, je pensais que ça allait te faire plaisir d'endosser ce rôle car tu connaissais un peu plus ce genre de gars et le monde qu'il représente mais... il faut croire que je me suis trompé...

- Tu es constamment à côté de la plaque en effet...

Il se remit à rire.

- Ce n'est pas très gentil ça... mais si tu veux je peux trouver quelqu'un avec lequel tu pourrais échanger ton rôle.

- Ce n'est pas la peine, ils ont déjà tous appris leur texte... ce ne serait vraiment pas sympa de ma part... Et puis c'est bon, ce personnage ne me plait pas mais je peux arriver à le jouer ! Je ne suis pas si fragile que ça !

- Ok ok, c'était juste une proposition...

J'eu un sourire. Ce garçon était décidément trop gentil. Je fixai le bout de l'avenue. Une forme sombre se profilait sous les rayons du soleil.

- C'est gentil de l'avoir proposé, excuse moi de m'être emportée un peu trop vite... Mais là au lieu de blablater tu devrais te mettre à courir car ton bus est en train d'arriver... et ce serai quand même super bête de devoir dormir à la belle étoile ce soir...

- Oh merde ! S'exclama-t-il

Il me fit un rapide bisous sur la joue, serra la hanse de son sac de sa main blanche et galopa jusqu'à l'arrêt de bus. Je me mis à rire. On aurait dit un petit gnome des bois avec sa démarche de canard. Je le vis grimper dans la machine de fer, complètement essoufflé, les joues rougies par l'effort. Ce n'était décidément pas un grand sportif... Il m'adressa un petit signe de la main et disparu dans les profondeur sombres et obscures du monstre de ferraille. J'agitai bêtement la main quelques instants puis tournai les talons. Tours de béton, me voilà !