Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 31

Mélina

Le bus me déposa juste devant l'entrée du grand hôpital. Mon front poissait et mes mains étaient moites. Sans parler de l'odeur. Une horreur. Étouffant un soupir exécré, je sautai sur le bitume noir. C'était la deuxième fois en une seule journée que je m'enfermais de mon propre chef dans une de ces affreuses boites de conserve. Je devais être devenue complètement cinglée. Secouant la tête, j'empli mes poumons de cet air délicieusement pollué, avant de me décider enfin à franchir les derniers mètres qui me séparaient de l'immense porte. Mon cœur battait à tout rompre contre ma poitrine. Gady était là. Juste derrière le crépis triste et grisâtre de ces murs. Il était juste là. Nouveau battement affolé. J'entrai.

Blanc. Tout était blanc. Et bruyant. Des voix, partout, le bruit incessant des machines et le tumulte angoissant des pas. Il y avait cette odeur également. Cette affreuse odeur de propre. Un propre sale. Un propre qui puait la maladie, la routine et la vieillesse. Je frissonnai. Chassant de ma tête d'affreuses images, je me frayai un chemin à travers le grand hall de l'hôpital. Des individus au teint gris et triste me regardaient passer sans vraiment me voir. C'en était... terriblement perturbant. Je n'aimais pas cet endroit. Non décidément, je n'aimais pas cet endroit. Mais Gady était là. Peut-être. Sûrement. Je me ragaillardi. Ce n'était pas un misérable hôpital qui allait m'arrêter tout de même !

Un écriteau lumineux attira mon attention. Des lettres jaunes scintillaient sur un fond gris. Piètre assemblage. Je plissai les yeux. "ACCUEIL" Parfait. C'était tout ce qu'il me fallait. Jetant un dernier regard dédaigneux à l'atroce faute de goût qui servait de pancarte, je pivotai vers la direction indiquée. Un vaste bureau cerclé de planches de verre et de PVC. Gris et blanc, comme le reste. En son centre, disparaissant derrière l'écran de son ordinateur, une petite dame au chignon grisonnant semblait penchée sur un paquet de dossiers. Super. Une Louise II ! Je posai bruyamment mes mains sur le comptoir. La femme releva la tête.

-    Vous désirez ?

Sa voix aigüe et pinçante s'accordait parfaitement avec le pli serré de ses rides. Je lui offris une délicieuse grimace en guise de sourire. Elle me retourna la pareille. Parfait. On allait s'entendre.

-    Eh bien, commençais-je d'une voix qui se voulait assurée, je souhaiterai que vous me renseignerez sur le numéro de la chambre occupée par monsieur...

Je me tue soudainement. Monsieur qui exactement ? Monsieur Gady ? Non. Mille fois non. J'étouffai un juron. Quelle idiote je faisais. Je ne connaissais ni le prénom ni le nom de cet illustre inconnu. Et il en allait de même concernant Gady. Je me pinçai la lèvre. Comment les identifier ? Et comment obtenir l'indication tant souhaitée sans passer pour un odieux charlatan ?

-    Je suis venue voir un homme qui se trouve dans le coma, expliquai-je finalement sur un ton bien moins fringuant. Il s'est pris une balle hier soir, vous avez sûrement dû en entendre parler. Je suis une amie de son frère...

La vieille bique qui me servait actuellement d'interlocutrice plissa les yeux. Ainsi étriqué, son visage n'était plus qu'un affreux amas de rides. Répugnant.

-    Son frère... répéta-t-elle de sa voix exécrable.

-    Oui, son frère, m'agaçai-je. Alors, vous pouvez m'aider ?

Un silence. Les yeux toujours plissés, Louise-bidule fit claquer la pointe de son stylo sur son bureau. Lentement. Trop lentement. Je commençai à perdre patience. Mes ongles vinrent rayer la surface de plastique.

-    Et vous n'êtes pas capable de me fournir plus d'informations que cela sur leurs identités ?

Je me figeai sur place. Qu'insinuait-elle ? Que j'étais une menteuse ? Une imposteure ? Quelle ose seulement me le dire en face si le courage lui en prenait ! Je triturai nerveusement la lanière de mon sac. Bon sang. Dire que j'étais si proche...

-    Comme je vous l'ai dit, repris-je en me tortillant sur place pour ne pas exploser de colère, je suis une amie de son frère. Je...

-    Écoutez, me coupa-t-elle sèchement en se redressant sur son misérable siège à roulettes, le mieux je crois est que vous attendiez la venue d'un des proches du patient. Ne le prenez pas mal, mais il s'agit d'une affaire très sensible, je ne peux pas permettre à n'importe qui d'aller le visiter. J'espère que vous comprendrez.

N'importe qui ? N'importe qui ?! Je m'offusquai de colère. Mon cœur redoubla de vitesse tandis que mes joues se tintèrent d'une couleur digne des enfers. Elle m'avait renvoyée. Cette odieuse bonne femme laide comme un poux avait osé me renvoyer. Moi ! Un grondement furieux vint mourir dans ma gorge. Poings serrés, le corps aussi tendu qu'il pouvait l'être, j'hochai lentement la tête avant de me détourner. Si un jour quelqu'un retrouvait son cadavre suspendu en haut d'une grue, qu'il ne s'interroge pas. Cette femme était un démon. N'importe qui... Ah !

La démarche serrée, le sang bouillonnant d'indignation, je fis bruyamment claquer mes talons sur le carrelage blanc, avant de poser mon superbe séant sur l'une de ces pathétiques chaises en plastique. En plastique bleu, bien évidement. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, tandis que mes nerfs jouaient à qui craquera le premier. Assurément, j'allais perdre. J'avais envie de hurler. De crier. Crier son nom. Crier ma colère. Crier mon désespoir et ma peine. J'avais besoin de le voir. Besoin de le savoir en vie. Lui que je devinai perdu, seul, abandonné dans les ténèbres glaçant de sa détresse. Pauvre prince.

Mais je ne pouvais rien faire. Non. J'étais impuissante, contrainte à rester ici, assise dans cette salle d'attente déprimante, à attendre qu'un quelconque individu vienne m'autoriser à tirer des griffes des enfers le plus charmants de tous les crétins de l'univers. Mon regard se tourna vers l'ignoble secrétaire. Son répugnant chignon toujours bien positionné sur le sommet de son crâne trop plat, cette dernière ne m'avait pas quitté des yeux. Ses lèvres étaient plissées en un ourlet dubitatif. Je lui adressai un rictus faussement courtois. Elle détourna le regard. Bien fait.

La grande horloge électronique qui surplombait la pièce faisait danser les secondes. Je la fixait avec désespoir. Chaque instant, chaque déplacement misérable de ses chiffres, enfonçait une épine supplémentaire dans la chair déjà sanglante de mon cœur. Je portai ma main à ma bouche, décimant en l'espace d'un demi-tour de cadre le malheureux ongle qui s'y trouvait. Puis je passai au suivant. Perdue. Atterrée. Angoissée.















Dix minutes. Dix minutes que je poireautai là comme une idiote. Dix putains de minutes. Je lâcha un juron bien trouvé. Bon sang. Dire que l'on osait me faire attendre, moi, Mélina Roagon, dans un moment aussi crucial ! J'enrageai. L'on m'aurait donné une arme que je n'aurais pas hésité un seul instant pour en vider le chargeur sur une certaine secrétaire. Pétasse.

Je tournai une nouvelle fois la tête en sa direction. Ses pupilles de chouettes ne semblaient pas vouloir se détacher de moi. C'était comme si elle cherchait à farfouiller dans mon âme. Chacun de ses regards tentait de me mettre à nu. C'en était désagréable. Terriblement désagréable.

J'attendis encore quelques minutes. Un homme entra dans le hall. Grand, le teint hâlé, les cheveux longs. Un chemise hawaïenne atrocement colorée lui servait de vêtement. Je plissai le nez avec dégout. Super. Néo-beauf en vue. Il ne manquait que les sandales à chaussettes pour compléter son superbe costume. C'était tout de même trop bête de manquer la médaille du pignouf au style le plus immonde pour une sordide histoire de chaussettes. Je secouai la tête. Mais où donc allait le monde ?

L'homme, qui se tenait le bras avec insistance, s'approcha à toute allure du guichet d'accueil. Louise l'Affreuse se tourna vers lui, son répugnant sourire accroché à ses lèvres. Mon sang ne fit qu'un tour. C'était le moment. Saisissant la lanière de mon sac, je me relevai aussitôt avant de m'engouffrer d'un pas on ne peut plus rapide dans le labyrinthe incessant des couloirs de l'hôpital. Enfin. J'allais pouvoir le retrouver.











Je déambulai inlassablement à travers les immenses corridors sans âme de l'hôpital. Des néons aux couleurs froides éclairaient ma course, éclaboussant de leurs lumières blanches les murs inertes de l'hôpital. Ainsi éloigné du bouillonnement ambiant du grand hall, l'établissement semblait plongé dans un état de léthargie angoissant. Morne. Inerte. Glacial. Un sentiment désagréable de mal-être pulsait dans mes veines, compressant les parois angoissées de mon cœur. Je raffermi la poigne de ma main sur mon sac.

Cela devait faire bien vingt minutes que je marchais à corps perdu dans ces boyaux sordides. Vingt minutes que mon regard scrutait avec une avide angoisse chacune des portes, chacune des pancartes, chacune des lucarnes qui s'offrait à leurs yeux. Vingt minutes que le visage radieux de Gady hantait douloureusement mes pensées. Mais je ne voyais rien. Pas l'ombre d'une mèche blonde, pas même l'éclat d'un regard et encore moins le rayonnement d'un sourire. Il était nulle part. Nulle part et partout à la fois. Dans le recoin enfoncé de ce mur, derrière les pas pressés de cette infirmière, sous le plastique rayé d'un écriteau. Je me mordis rageusement les lèvres. Bon sang. Il ne pouvait pas avoir disparu ! Il se trouvait forcément quelque part. Forcément.

Un soupir désespéré s'échappa de mes lèvres. Un aveux douloureux de faiblesse. Je ne pouvais pas abandonner. Je ne pouvais pas l'abandonner. Je n'en avais pas le droit. Il avait été là pour moi. Il m'avait aidée, soutenue. Il m'avait apporté ce que nul autre n'avait été capable de faire. Il avait fait tout cela pour moi, moi l'affreuse gamine insupportable qui ne méritait rien d'autre qu'une bonne paire de claques. Moi qui n'avait rien fait pour lui. Comment pouvais-je l'abandonner ? Ce n'était pas possible. Je ne me le permettrais jamais.

Nouveau soupir. Je me collai contre le mur. Et s'il ne voulait pas de moi ? Et s'il refusait mon aide, mon épaule, mon soutien ? Après tout, qui étais-je pour prétendre pouvoir l'aider ? Qui étais-je pour oser me soucier de son état ? Je n'étais rien, rien du tout. Peut-être même que ma présence allait le repousser. Peut-être désirait-il rester seul. Loin du monde. Loin de moi. Qu'en savais-je.. ?

Une boule d'angoisse pitoyable vint se loger dans ma gorge. Lourde. Pesante. Je baissai les yeux, continuant à longer ce mur atrocement blanc. Mais qu'est-ce que je faisais ici exactement ? Mince, la vie n'était pas un fichu film ! Tout le monde n'était pas là, immobile, à attendre stupidement mon entrée en scène pathétique. Gady encore moins que les autres. Il avait vécu sans moi jusque-là, et il n'avait probablement pas besoin de ma présence misérable et ridicule pour continuer à avancer. Je n'étais qu'un boulet, un fardeau ridicule, quand lui était guerrier. Un prince.  Stupide fille. J'enfonçais mes ongles dans la lanière de mon sac. Le pauvre devait atrocement souffrir...

Mon regard glissa sur le mur, coulant entre ses interstices, dévalant le long d'une rambarde de PVC, pour finalement venir se loger dans le recoin ombragé d'une porte. Grise. Terne. Comme tout le reste. L'esprit ailleurs, le dos vouté par l'accablement, j'abandonnai un œil désabusé à l'intérieur. La pièce était blanche, à l'image de toutes les autres. Des bruits, des machines. Un lit à roulette particulièrement angoissant. J'haussai un sourcil fatigué. Encore énième pauvre type qui s'était vu contraint à finir ses jours allongé sur un matelas, le corps et l'esprit prisonniers d'une salle aux allures de chambre mortuaire. Pincement au cœur. Triste destin. Dans un coin de l'espace, une silhouette encapuchonnée était recroquevillée sur une chaise. Je fronçais les sourcils. Mes pas cessèrent leur marche désespérée. La silhouette était de dos. Méconnaissable. Pourtant un détail attira mon attention. Un infime détail qui eut pour conséquence l'accélération brutale de mon cœur. Une casquette. Une ignoble casquette mickey. Gady.

C'était lui. Là. Juste devant moi. Emmitouflé dans son sweat vert, l'air tristement misérable. Il était là. Mon cœur se serra. Une minute s'écoula. Puis deux. Je restai là, immobile, le souffle court, mon regard agrippé à cette créature déchirante. Il paraissait si petit, si fragile. Un ange dont on avait brulé les ailes. Prince déchu. J'agrippai la toile de mon sac, comme pour vainement tenter d'exhumer ses démons. Mais cela ne fonctionnai pas. Je ne savais pas quoi faire.

Devais-je entrer ? Le tirer de sa solitude ? L'arracher à ses pensées que je devinais si sombres ? Devais-je perturber son silence ? Peut-être n'avait-il pas envie qu'on le voit ainsi. Peut-être ne cherchait-il que le repos et l'isolement. Seul. Devant le corps inanimé de son frère. Cette dernière pensée m'arracha un frisson. Non. Je ne pouvais permettre cela. Posant une main sur la parois plastifiée de la porte, je fis doucement tourner le loquet.

La porte grinça. Un grincement discret, imperceptible. Mais un grincement suffisamment puissant pour résonner honteusement dans ce silence affolant. La silhouette frissonna. Lentement, je la vis sortir de sa lente prostration pour laisser apparaître une tête, un visage, l'éclat douloureux d'un regard. Je me figeai sur le pas de la porte.

Accroupi sur sa chaise, les bras enroulés autour de ses genoux, Gady avait tourné sa figure vers moi. Il s'immobilisa, le visage englouti par l'ombre de sa capuche. Pâle. Atrocement pâle. L'étincelle de son regard était morte, dévorée par ce voile insolent de tristesse. Je n'osais plus faire un pas. Il ne semblait pas me reconnaitre.

Sa tête bascula lourdement sur le côté. Il détourna les yeux. Absent. Mon cœur se contracta d'avantage. Il était méconnaissable.

-    Mélina... murmura une voix.

Un frisson glacial parcouru mon corps. Sa voix. Elle était métamorphosée. Faible. Caverneuse. Mais surtout affreusement creuse. J'osai un pas dans la pièce. Le bruit incessant des machines me faisait tourner la tête. Une ombre sur le lit. Funeste. Je fus pris d'un malaise. Gady ne bougeait plus.

-    Je... euh... hésitais-je en triturant maladroitement mes mains. Je suis venue te voir... Je... Je voulais savoir comment tu allais...

La machine bipa. Gady ne remua pas d'un pouce. Les bras toujours fermement agrippés à ses genoux, il fixait le vide devant lui. Terriblement immobile. Un souffle. Mouvement imperceptible. Il tourna ses yeux vers moi. L'éclat glacial de ses pupilles me percuta de plein fouet. Un cri d'alarme. L'expression aveuglante de sa détresse. Son regard replongea dans le vide. Je me mordis la joue, insultant violement ma bêtise. Quelle imbécile je faisais. Bien sûr qu'il n'allait pas bien ! Pas besoin d'être médium pour s'en apercevoir. Idiote. Foutue idiote.

Inspirant péniblement, je fis couler mon regard vers le lit. De là où je me trouvais, on ne distinguait qu'une touffe de cheveux brune et bouclée enfoncée dans le pli d'un oreiller. Des bras puissants gisaient de part et d'autre de ce corps inanimé et couvert de couvertures. Partout des tubes et des fils. L'ampoule rouge d'un compteur clignotait avec nervosité.

-    Comment va-t-il ? osais-je finalement demander en me tournant vers la misérable créature à casquette.

Silence. Les mains blanches de Gady se raffermirent sur ses genoux.

-    Mal.

Le ton sec et dur de sa voix me fit frissonner. Je me raidis. Bon sang. Mais à quoi je jouais exactement ?! Au festival des questions les plus stupides et inutiles de ce siècle ? Pauvre idiote. Évidement qu'il allait mal, évidement que tout le monde allait mal. Il s'était pris une balle ! Ce n'étais pas une promenade de santé ni une occupation futile du dimanche soir. Une balle ! Je m'octroyais une claque intérieure. Ma propre stupidité m'effrayait.

-    Il est dans le coma.

Je sursautai. Sa voix s'était adoucie. Toujours aussi lointaine certes, mais moins dure. Le tourment effréné qui animait mon âme se calma. Quelques secondes. Une virgule dans l'univers. J'hochais la tête. Il me parlait. Malgré la souffrance qui devait lui taillader les veines, il tolérait ma présence dans cette pièce, et allait même jusqu'à m'adresser la parole. C'était triste, bref, infime. Mais cela m'apparaissait comme le plus doux et le plus beau des cadeaux. Mon âme chancela. J'avais envie de hurler.

-    Je suis désolé, soufflai-je d'une petite voix.

Gady ne bougea pas. Je me pinçai les lèvres. Bon sang, cela me tuait. Le voir ainsi, si pitoyable, le visage hanté par la tristesse et la douleur. J'aurais pu en crever. La torpeur capturait mes muscles. Pourtant j'aurai voulu faire tant de choses. Venir le serrer contre moi, écraser son cœur en miette contre ma poitrine, raviver la flamme de ses yeux, éclairer l'éclat de son sourire. J'aurais voulu défoncer un à un chacun de ces murs trop blancs qui l'emprisonnaient, secouer violemment les épaules de son frère pour qu'il se réveille, crier au monde à quel point la souffrance de cet homme était immense. L'emmener avec moi, loin d'ici. Dans un monde où tous ces malheurs pathétiques ne seraient que poussière et mauvais rêve. Mais je ne fis rien de tout cela. Non. Immobile, paralysée dans mes chaussures trop étroites, je me contentais de rester là, plantée dans l'entrée, la bouche close, les bras ballants, à contempler impuissante cette terrible torture.

-    Tu as besoin de quelque chose ? demandai-je sur un ton qui se voulait bienveillant et engageant.

Nouveau silence. Gady secoua la tête.

-    Non.

Je déglutis. Très bien. Mon cœur s'emballa. Sans raison. Ou peut-être pour trop de raison. Bien sûr qu'il avait besoin de quelque chose. De soutien et d'amour. Il avait besoin de son frère, ou d'une épaule sur laquelle pleurer. J'aurai voulu lui offrir tout cela. Je me serais même damnée pour ne voir ne serait-ce qu'un vague soupir de sourire sur son visage. Mais il n'en voulait pas. Je détournai la tête.

Mon regard balaya distraitement la petite pièce. Une chambre d'hôpital, tout ce qu'il y avait de plus banal. Froide, impersonnelle, sans vie si l'on oubliait le bourdonnement angoissant des appareils qui l'occupaient. Une petite étagère ornait le coin d'un mur. Des cintres vides y avaient été accrochés. Pas de vêtements, ni de magazines ou encore de photos. Rien qui ne puisse témoigner qu'un homme ait un jour reposé ici. J'eu un pincement au cœur. Les lourds rayons du soleil filtraient à travers les persiennes. Une vague tâche de couleur dans cet enfer blanc.

Je fis pivoter mon regard. Une table se trouvait disposée juste derrière Gady. Une table vide, comme le reste de la salle. Seul simple de gobelet de plastique, toujours emballé, venait en garnir l'angle. Mon sang ne fit qu'un tour. Je me redressai.

-    Tu as mangé ? demandai-je soudainement.

Gady ne daigna même pas relever la tête, laissant l'odieux bip sonore répondre à sa place. L'emprise de ses bras se resserra autour de ses genoux.

-    Non.

J'hochais la tête. Le malaise était palpable. Mon propre malaise. Glissant une mèche sauvage derrière mon oreille, j'osai une nouvelle tentative.

-    Tu veux que j'aille te chercher quelque chose ?

Silence. Bip. Je me mordis les lèvres. Mais pour qui est-ce que je me prenais exactement ? Sa mère ? Il était suffisamment grand pour se nourrir tout seul. Tout ce qu'il voulait, c'était qu'on le laisse en paix. Là non plus il ne fallait pas être un médium pour le deviner. Son corps tout entier respirait la tristesse, le rejet, la douleur. L'envie étouffante et déchirante d'être seul. Je baissai la tête, prête à quitter les lieux, quand un geste infime brisa mon élan. Le hochement imperceptible et hésitant d'une tête. Mon cœur eut un sursaut de bonheur coupable. Je me ragaillardi. Empoignant mon sac, je pivotai aussitôt vers la sortie.

-    Je reviens tout de suite, soufflai-je avant de disparaitre une nouvelle fois dans la dédale insensée des couloirs.














J'étais un génie. Et j'affirmais cela sans fausse modestie. J'étais réellement et sincèrement un génie. La question qui taraudait les lèvres de mes fidèles et ô combien nombreux admirateurs aurait sans doute été : « mais pourquoi donc, au grande Mélina, es-tu un génie, bien qu'aucun de nous n'en eusses jamais douté ? Aurais-tu découvert la formule sécrète de la jeunesse éternelle ? Aurais-tu mis au point une stratégie infaillible permettant de résoudre d'un simple claquement de doigts le conflit israélo-palestinien ? » Piètre ambition mes amis, piètre ambition... La réalité était toute autre, et bien plus excitante ! J'étais un génie, mais surtout je n'étais pas n'importe quel génie : je venais d'établir un plan implacable pour déjouer la surveillance accrue et odieusement exagérée de Louise-bis ! Oui, vous avez bien entendu, l'unique, la fameuse, l'inimitable Louise-bis ! N'hésitez surtout pas à applaudir.

Bon, je dois avouer que la mise au point de cette œuvre diabolique n'étais pas franchement optionnelle, la cafétéria se trouvant de l'autre côté du grand hall... Mais que cela n'empêche pas mes admirateurs de me vouer un culte à paillettes, car rares étaient ceux qui auraient eu le culot et l'audace de faire mieux que moi !

Ce moment d'intense satisfaction passé, je me retrouvai de nouveau à déambuler à travers les interminables couloirs blancs de l'hôpital, un petit sac plastique pas du tout zéro-déchet dans la main. Ma mission avait été un succès, je revenais victorieuse, les bras chargés de nourritures. Quelle femme je faisais décidément !

Mon regard glissa vers le fruit de ma victoire. Léger pincement au cœur. Mon excitation retomba aussitôt. J'étais pathétique. Je me réjouissais alors que Gady souffrait à quelques mètres de là. Monstre que je faisais. Je m'étais montrée incapable de le consoler. Moi, l'odieuse et insupportable égoïste, paralysée par ce visage dévoré de douleur. J'avais parcouru monts et marrées, endurée le calvaire insupportable des transports en commun, pour me retrouver plantée comme une idiote, la bouche en cœur et la gorge nouée, à ne pas savoir quoi faire. Ridicule. Comble du désespoir, j'avais fui. Je l'avais abandonné. Pour lui ramener quoi ? Un pauvre sac de nourriture répugnante. Je poussai un soupire pathétique. Si Gady ne me le jetait pas à la figure à mon retour, je pourrais m'estimer heureuse.

J'arrivai devant la porte de sa chambre. Enfin, que dis-je, la porte de la chambre de son frère. Ne tentons pas le diable je vous prie. Mes doigts se resserrèrent autour du misérable sachet de plastique. Un sentiment affreux avait agrippé mon âme. La peur. La peur qu'une fois de plus je me retrouve incapable de faire un pas, de dire un mot. La peur qu'il me rejette. La peur de ne pas parvenir à le consoler. J'avais été plus qu'heureuse qu'il accepte mon aide, même misérable et inutile. Mais je savais que je n'étais pas de taille. Pas de taille à affronter des démons que moi-même je fuyais. Avec lui à mes côtés, je me croyais invincible, mais sans lui, sans sa force et son sourire, je me voyais sombrer. Tomber dans un trou, sombre, profond, puant.

Une puissante gifle vint frapper mon esprit. Mes ongles s'enfoncèrent dans la chair de ma paume. Je ravalai rageusement un juron méprisant. Mais qu'elle personne étais-je ? Quel misérable créature pouvais-je faire ?! Il m'avait aidée et je m'apprêtais à l'abandonner. Parce que quoi ? Parce que la misère de sa situation me rappelai ma propre misère ? C'était égoïste. Cruel. Odieux. Je m'étais pourtant jurée de ne plus être ce genre de personne, du moins pas avec lui. Je ne voulais pas le voir souffrir tout comme je ne pouvais pas vivre sans son sourire. J'avais besoin de lui. Il avait besoin de moi. Nous avions besoin l'un de l'autre. Et je n'allais pas le laisser tomber. Ni maintenant, ni plus tard, ni jamais. Jamais !

Agrippant de plus belle mon misérable sachet de plastique, je poussai la porte d'une poigne décidée et énergique. Peut-être un peu trop d'ailleurs.... Car le battant de bois vint littéralement s'exploser contre le mur. Je me crispai aussitôt. Gady, qui se trouvait debout près de la table, sursauta. Il se retourna. Une grimace pathétique vint étirer mes lèvres. Mon dieu...

Les yeux clairs du prince de mes rêves me dévisagèrent un instant, surpris, sceptiques. Je fis un pas dans la pièce. Sa capuche avait été repoussée sur ses épaules, dévoilant la courbe fine de son cou et le tracé souple et délicat de sa mâchoire. La partie supérieure de son visage disparaissait toujours sous l'ombre de son ignoble casquette, mais je commençais à me faire à cet insupportable détail.

Son corps se tourna complètement vers moi. Silencieux. Les lèvres pincées. L'abattement qui semblait l'occuper jusqu'alors avait disparu. Du moins en apparence. Sa figure, elle, restait cruellement froide et sans vie, mais au moins il n'avait plus l'air aussi triste. Osant un nouveau pas vers lui, je tendis fièrement mon sac.

-    Voilà, déclarai-je sur un ton faussement ravi. Alors je te l'accorde, ce n'est pas un tacos ni une crêpe Suzette, mais j'ai beau eu cherché un cassoulet, je n'en ai pas trouvé. Cet hôpital n'a décidément aucun goût concernant la gastronomie. Enfin, j'espère que ça te plaira...

Je baissai les yeux. Bon sang, mais il fallait vraiment que l'on m'enferme moi ! Oser faire une tentative d'humour pitoyable dans de telles circonstances... Je méritais tout simplement que l'on me lapide, à coup de blagues de toto bien moisies. Imbécile. Une main frôla la mienne. Froide. Douce. Je frissonnai. Gady venait de saisir le fruit de mes recherches. Mon regard se leva irréversiblement vers lui, attiré comme un aimant. Je me figeai aussitôt. Il y avait quelque chose, sur son visage. Un semblant de... de sourire ?

-    Merci.

Mon cœur allait tout simplement faire un arrêt cardiaque. Ou se mettre en grève. Ou je ne sais quoi. Mon esprit ne devait plus fonctionner comme il le fallait en tout cas. J'avais brusquement chaud. Trop peut-être. Un souffle de bonheur vint faire disjoncter mon cerveau. Il avait souri. Il m'avait remercié. Gady. Il revivait enfin. C'était bien plus que tout ce que j'avais osé espérer.

Son regard de neige plongea dans le sac, inspectant son contenu. Une seconde. Deux secondes. Son nez se plissa. Ah. Je m'en doutais. Il n'allait pas trouver la plaisanterie drôle très longtemps. Ma main agrippa nerveusement la lanière de mon sac à main que je portais toujours à l'épaule.

-    Euh... souffla-t-il en se redressant vers moi. Je me trompe ou tu m'a ramené du pudding ?

Je me précipitai vers lui, paniquée, les joues rougies par la honte et par un je-ne-sais-quoi que je ne parvenais à expliquer.

-    Ah oui, mais non ! m'exclamai-je aussitôt tandis qu'il sortait du sachet un pitoyable ramequin empli d'une pâte plus que ragoutante. Ce n'est pas seulement un pudding.

Gady releva un sourcil intrigué vers moi, sa bouche légèrement entrouverte. Purée. C'était incroyable comme ce garçon pouvait être beau. Je m'en serais damnée ! Raaah mais tais-toi ! Foutue conscience. Foutue moi. Je lui arrachai la coupelle des mains. Il eut un mouvement de recul surpris.

-    Attends je... bafouillai-je en farfouillant mon sac, il y a autre chose...

Les mains toujours suspendues dans les airs, sa casquette de travers dévoilant le froncement délicat de ses sourcils, Gady me fixait avec une curiosité amusée. L'ombre de son chagrin semblait avoir définitivement abandonné son visage. Mon cœur tressauta à cette pensée.

Sortant de mon sac une bombe pressurisée, je recouvris d'une épaisse couche de crème chantilly l'ignoble part de gâteau. Une spirale parfaite. Onctueuse. Dangereusement alléchante. Je la tendis aussitôt vers le ventre affamé qui me tenait présentement compagnie.

-    Voilà, déclarai-je d'une voix mal-assurée. Maintenant ce pudding n'est plus du tout un pudding mais une montagne de fraises à la chantilly. Ça n'a strictement plus rien à voir, on est d'accord ?

Nouveau sourire. Infime. Splendide. J'aurais pu mourir, là, dans cette chambre, mais le moment était bigrement mal venu. Il s'approcha de moi pour délicatement saisir l'assiette entre ses doigts. Une étincelle d'émerveillement brillait dans son regard. Son corps se pencha légèrement vers l'avant.

-    Évidemment, présenté comme ça...

Il s'éloigna, sans pour autant me quitter du regard. Un pli intrigué marquai toujours son visage.

-    Comment tu as fait pour dégoter un truc pareil ? finit-il par demander en inclinant la tête. Je n'aurais jamais pensé qu'ils vendaient de la chantilly dans un tel endroit ...

Je me tortillai les mains. Ah. Oui. En effet.

-    Eh bien je... hésitais-je en me mordillant les lèvres.

L'éclat somptueux qui brulait dans le regard de Gady n'avait pas faiblit. Fourbe. Ce n'était pas loyal de m'attaquer avec des armes pareilles. Encore moins dans de telles circonstances ! Je baissai piteusement la tête. Bon. Puisque le moment était venu...

-    Je l'ai piquée dans la chambre d'un gosse en train de pioncer comme un lard, à l'autre bout du couloir...

Silence.

Odieux silence.

Pathétique voleuse.

Mais pourquoi je lui avait dit cela moi ? N'étais-je pas capable d'inventer un de mes mensonges tordus comme j'en ai si souvent l'habitude ? Imbécile. Foutue imbécile !

Je relevai timidement la tête, ravalant les reflux acides de ma rancœur. Gady me fixait toujours. Lèvres pincées. Yeux brillant. Silencieux. Une seconde. Deux secondes. Il éclata de rire. D'un coup, comme cela. Sans crier gare. Je sursautai. Son rire était frais, magnifique, libérateur. Un rire comme je n'en avais que trop peu entendus. Un rire merveilleux qui s'envola vers les cieux, emportant avec lui les derniers morceaux sanguinolants de mon cœur.

Plié en deux, la main toujours agrippée à l'assiette couverte de chantilly, Gady semblait ne plus pouvoir cesser de rire. Ou peut-être ne voulait-il pas s'arrêter. Son corps était comme secoué par une serie de salves folles, irrépressibles, sublimes. Je le contemplais, bouche bée. Il était beau. Libéré du poids de ses malheurs, bon sang ce qu'il pouvait être beau. Jamais il ne l'avait autant été. Piteuse. Heureuse. J'osai un sourire.

-    Tu es la personne la plus affreuse que je connaisse ! articula-t-il entre deux rires tout en reposant le ramequin sur la table de PVC. Pauvre gosse, tu as pensé à ce qu'il allait ressentir en se réveillant ?

J'haussai les épaules. Pauvre gosse pauvre gosse... n'exagérons rien. Ce n'était pas si terrible.

-    Tu l'aurais vu, pas sûr que tu me tienne le même discours... marmonnai-je en croisant les bras sur ma poitrine. Aux vues de sa corpulence je pense même lui avoir sauvé la vie en le privant de sa crème.

Une nouvelle vague de rires vint perturber le visage si tranquille de mon beau blond. Un rire qui vint balayer par sa splendeur autant que par son retentissement inespéré les inquiétudes malsaines qui rongeaient mon esprit. Je me pinçai les lèvres, m'autorisant un second sourire. Les rires se calmèrent. Gady loucha un instant sur le gâteau avant de relever son sublime regard vers moi. Étincelle de malice. Bon sang mais achevez-moi !

-    Si je mange cette chose, ironisa-t-il avec un odieux sourire, je serais accusé de complicité de crime, et j'aurais l'agonie douloureuse de ce pauvre petit Obélix sur la conscience !

Il m'avait manqué. C'était dingue à quel point il m'avait manqué. Lui. Son humour à la noix, sa voix trop fluette, son sourire en coin, ce regard de demi dieu grec. Tout. Il m'avait manqué. Et je m'en était même pas rendue compte. Mes bras se croisèrent sur ma poitrine.

-    Exactement, et pour te repentir tu seras condamné à passer l'éternité de tes jours en mon inestimable compagnie !

Une grimace faussement horrifiée vint perturber les traits de son visage. Ses doigts se crispèrent exagérément sur l'assiette de plastique.

-    Diable ! s'exclama-t-il avec terreur. Je ne crois pas que l'on m'ait déjà raconté un cauchemar aussi affreux !

Ah le fumier.. ! Un vulgaire cauchemar ? Moi ?! Je plissai les sourcils.

-    On ne t'a jamais dit que mon deuxième prénom était Lucifer ?

Sourire. Enfer et damnation !

-    Pas besoin de se donner cette peine, minauda-t-il en dodelinant de la tête. C'est gravé sur ta figure.

Je ne pus retenir mon rire. Ce pauvre fou se foutait ouvertement de moi, et moi je riais. Belle idiote que je faisais. Mais il était heureux. Enfin, tout du moins il me semblait moins triste. Humour, rire, sourire. Futiles et inutiles occupations, mais pourtant tellement essentielles. Vitales. Un rien qui permettait au prince de mes pensées d'échapper, une fraction de seconde, aux tourments que lui infligeaient ses démons. Cela valait tout l'or et tous les orgueils du monde.

-    Et tout cas c'est toujours un plaisir de chercher à te rendre service...

Clin d'œil. Rascal !

-    Mais je suis un plaisir à moi tout seul.

Je ri. Tu n'avais même pas idée... Son terrible sourire toujours fixement accroché à ses lèvres, Gady se pencha de nouveau sur le sac qui pendait à sa main. Son sourire s'éteignit. Mon cœur accéléra. Froncement d'incompréhension. Nouveau sourire. Il releva la tête.

-    D'accord, concéda-t-il avec une étincelle de malice. Donc, quand je ne suis pas un odieux criminel, je suis une poule c'est ça ?

Une quoi ?

-    Hein ?

Il eut un rire. Sans décrocher son regard de ma figure pathétique, il plongea une main dans le sac pour en ressortir un sachet de papier. Ah. Oui. Bien sûr. Il eut un regard amusé.

-    Des graines ? Sérieusement ?

Je torturai le rebondi rosé de mes lèvres. Si en plus il jouait les difficiles...

-    Bio et sans gluten, tentai-je vainement de me défendre.

Haussement de sourcil. Son sourire c'était agrandi. Étincelant. Lumineux.

-    C'est tout ce qu'il restait...

Le sourire se transforma en rire. Il plongea une nouvelle fois sa main dans le sac pour en sortir une branche de menthe. Tiens. Je l'avais oubliée celle-là.

-    Et ça c'est quoi ?

-    C'est la petite touche de verdure, expliquai-je vainement. C'est que j'élabore des repas équilibrés moi Monsieur.

Gady hocha la tête. Lentement. Amusé. C'était un supplice. J'enchainais les erreurs, les blagues moisies et les faux pas, mais lui continuait de sourire. Soit il était sérieusement atteint par l'accident de son frère, soit cet homme était le plus merveilleux de tous.

-    Ah mais je n'en ai jamais douté ! s'exclama-t-il d'un air faussement admiratif. Je suis hyper impressionné par ces incroyables talents culinaires qui sont les tiens !

J'eu un sourire. Touchée. Amusée. Ravie. Chaque moqueries, chaque sarcasme était une perle de bonheur rare que je devais à tout prix conserver. Le risque de les voir s'éteindre était trop grand, trop menaçant.

J'ouvris la bouche, prête à rétorquer, quand le bruit insolent d'une machine vint couper court à toute tentative de tirade. Je me figeai. Le visage de Gady s'était brutalement éteint. Il pivota sur lui-même. Son regard se posa sur l'ombre du lit. Ce corps éteint, inerte. Je l'avais presque oublié. Un silence terrible envahit l'espace. Mon cœur se chargea de tristesse.

-    Ça ne te dérange pas si... si on va s'installer dans le couloir ?

Je relevai brusquement la tête. Hein ? Que ? Quoi ? Il m'avait parlé ? Là ? Tout de suite ? À moi ? Mon regard affolé parcouru son visage. Les ombres étaient revenues. Languissantes, cruelles. Mais Gady ne s'était pas éteint. Non. Il n'avait pas disparu. Au contraire d'ailleurs, il luttait. Debout devant moi, il luttait contre l'obscurité angoissante de son existence. J'hochai vivement la tête.

-    Non, non pas du tout.. ! m'empressai-je de répondre.

Un vague sourire empreint de grisaille vint échouer sur ses lèvres. Saisissant l'assiette de pudding d'une main, le sac de graines de l'autre, il pivota sur ses talons et se dirigea vers la sortie. Je le suivi. Silencieuse. Incapable de prononcer un mot. Pathétique et inutile. Super.

Le couloir était sombre. Seuls quelques ampoules murales aux lueurs glaciales et ternes tentaient vainement de partager leurs chaleurs. Le carrelage blanc empestait l'asthénie. J'avais froid.

Gady s'installa sur l'un des sièges de plastique bleu qui bordaient le mur. Je m'empressai de le rejoindre. Silencieuse. Les mains sur les genoux. Je n'osais pas me tourner vers lui. Immobile, je me contentai de guetter son silence. Attendre et espérer. Bon sang, j'étais foutrement inutile !

Froissement de papier. Il posa son pudding sur le sac. Le sifflement discret de son nez venait bercer le creux de mes oreilles. Un homme aux cheveux gris et à la blouse verte passa devant nous. Rapide Pressé. Il nous lança un regard intrigué avant de disparaitre au coin du mur. Mon regard obliqua en direction des lignes qui quadrillaient le sol. Réfléchir. Quelque chose à dire. D'intelligent. Maintenant. À moins qu'il faille que je me taise. Je ne savais pas. Raaaah ! Mais pourquoi était-ce si compliqué ?!

-    Comment as-tu su ?

Je sursautai, ravalant un hoquet de surprise. Bon sang. Mais il fallait me prévenir avant de me faire des frayeurs pareilles, mince à la fin ! Encore muette de stupeur, je fis pivoter mes pupilles vers Gady. Les mains toujours jointes autour du malheureux ramequin, ce dernier me fixait à son tour. Ses pupilles trop pures scrutaient mon visage avec intérêt. Je dégluti.

-    Les infos, répondis-je, hier soir, à la télé.

Il hocha la tête, détournant le regard. Maigres informations que je lui dévoilaient. Je mordillai nerveusement mes lèvres. Les images de la veille avaient de nouveau fait irruption dans mon esprit. Ces éclats de lumière, ce visage déchiré. Ce même visage qui se trouvait à présent à mes côtés. Si triste, si tranquille. Ce visage qui me hantait. Mon cœur semblait partagé entre le plaisir de le voir et la douleur de constater sa peine. Gady. Gady que je pensais inébranlable, ce phare qui s'était allumé sur ma route pour me guider vers des contrées brulantes de chaleur et de lumière, je le découvrait à terre, blessé, couvert de larmes et de poussières. Non. Je ne le découvrais pas. Car je ne le connaissais pas.

Mon regard parcouru un instant cette figure tant chérie, avant de détourner la tête. Il n'avait pas bougé.

-    C'est Laura qui m'a dit où je pourrais te trouver, articulai-je sans trop savoir pourquoi.

Nouvel hochement de tête. Sa main triturait imperceptiblement le sachet de graines. Mon cœur se serra.

-    Elle s'inquiète pour toi tu sais...    

Le silence du couloir se mua en un rire. Infime. Léger. Affreusement triste. Gady secoua la tête.

-    Laura s'inquiète toujours pour moi.

Ses yeux s'étaient relevés vers moi. Bleus et intenses. Je me perdis un instant dans leurs flots tendres et torturés. Cette phrase aurait dû me révolter. Savoir que miss nibars s'autorisait à choyer ce garçon merveilleux aurait dû me faire sauter sur ma chaise, les poils hérissées, prête à tuer. Mais il n'en fut rien. Non. Car tout cela était trop triste, trop lourd. Ce rire tragique, ce sourire navrant. Ces quelques mots cruels. Je me pinçai les lèvres.

-    Oui mais là... murmurai-je faiblement, je pense qu'elle a ses raisons, non ?

Ses pupilles humides me scrutèrent un instant avant de s'en retourner au blanc effroyable du sol. Ce silence si pesant revint prendre sa place dans l'espace, entre nous, dans mon cœur. Mes mains serrées vinrent presser la hanse de mon sac. N'étais-je donc pas capable de faire mieux ? Quoique je dise ou fasse, ce n'était qu'avalanche d'erreurs. Incapable. Je secouai la tête. Gady avait saisi une graine entre ses doigts.

-    Je ne sais pas si ma question est indiscrète mais... osai-je finalement d'une voix étrange, ton frère, il... enfin est-ce qu'il va...

-    Ils n'en savent rien, me coupa-t-il brusquement d'un ton froid. Ils disent que la blessure n'est pas trop grave et qu'il y a de fortes chances pour qu'il se réveille, mais la vérité c'est qu'ils n'en savent rien.

Tranchantes. Implacables. Fatalistes. Tout sonnait comme si le sort avait déjà été joué, comme si plus rien ne restait à faire. Gady avait plié, flanché. Ce coup porté à son frère l'avait atteint, en plein cœur. Je le regardais avec un mélange d'horreur de d'affliction. Non. Il ne pouvait pas avoir abandonné. Pas comme cela. Pas aussi facilement. Et pourtant... Et pourtant qu'avais-je à dire, que pouvais-je faire ? Je n'avais aucune idée de ce qu'il pouvait vivre ou ressentir. Je n'avais jamais connu de choses pareilles. Non. Moi qui n'aimais personne, comment aurais-je pu connaitre un tel chagrin. Mon cœur était froid, et ce depuis longtemps. Seules la tristesse de ma propre existence avait su l'attendre. Avant lui.

-    Je suis désolé, murmura Gady en broyant la graine qu'il tenait toujours entre ses doigts, pour t'avoir embêté hier, et pour cette histoire d'argent... Je... Ça n'a servi à rien, je suis arrivé trop tard... trop tard...

Ces dernières paroles échouèrent comme des billes lourdes d'aveux sur le carrelage froid de l'hôpital. Boule de tristesse et d'amertume. Je secouai aussitôt la tête.

-    Ne dis pas ça, répliquai-je d'une voix scandalisée, tu ne m'as pas embêtée du tout, et cet argent, tu peux le garder autant que tu voudras, je n'en ai pas besoin...

Deux océans bleus se levèrent vers moi. Semblant de sourire. Bourrasque de vent. Il se pinça les lèvres.

-    Tu es tarée de me faire confiance à ce point...

Vague de chaleur. Je dissimulai l'ardeur qui s'emparai soudainement de mes joues. Confiance. Oui. Je l'aurais suivit jusqu'au bout du monde, et au-delà.

-    Je sais, rétorquai-je d'une voix faussement assurée, mais j'adore être tarée.

Son sourire s'étira légèrement. Amusé. Presque ému. Ses prunelles merveilleuses scintillaient étrangement, perle de lumière humides dans la froideur sombre du couloir. Je souris à mon tour. Plongés chacun dans le regard de l'autre, lisant dans la profondeur vertigineuse de ces pupilles ce que les lèvres scellées n'osaient prononcer. Du soutien, un appuis, un caresse de réconfort et... et un je ne sais quoi qui faisait battre mon cœur si fort. Trop fort. Gady détourna la tête. Il souriait toujours. Calme. Serein.

-    Tu sais, commença-t-il d'une voix que je ne lui connaissais pas, je ne le montre peut être pas assez mais... Mais je suis sincèrement contente que tu sois là. Vraiment. C'est difficile à dire. Tu es quelqu'un d'exceptionnel Mélina et... t'avoir à mes côtés me fait du bien, bien plus que je n'aurais pu l'imaginer.

Il se tourna de nouveau vers moi. Mais je ne le voyais plus. Non. Je ne voyais plus rien. Je n'entendais plus rien non plus. Car tout mon être avait été emporté par une bourrasque d'émotions et de sensations. Des paroles, de simples mots. Des paroles échappées de la bouche la plus merveilleuse du monde pour broyer les cendres mortes de mon âme. Mon cœur avait battu. Ce cœur froid et dur, ce cerveau implacable et rationnel. Tout avait été détruit. Embrasé. Je n'étais plus. Plus rien. Il était tout. Il était là.

Je clignai deux fois des paupières. Oui. Il était là. Devant moi. Une moue embarrassée sur le visage. L'air étrange. Triste et heureux à la fois. Sincère. Affreusement sincère. Ma gorge se serra. J'osai un sourire. Un rire. Un je ne sais quoi . Je ne savais pas. Je ne savais plus ! Mes pupilles sondèrent ce visage fabuleux, ces ombres, ces courbes, ces étincelles et ses remords. Je secouai la tête. Bon sang Mélina, mais ressaisit toi !

-    Exceptionnelle au point de t'en faire perdre toute notion de grammaire à ce que je vois...

Il fronça les sourcils. Je me maudis intérieurement. Était-ce vraiment là tout ce que j'étais capable de dire ? Des absurdités pareilles ? Pas drôles ni futées pour un sou ? Idiote. Imbécile. Triple demeurée !

-    Comment ça ? demanda-t-il en inclina sa superbe tête sur le côté.

Évidement. Il n'y avait que mon cerveau dérangé pour comprendre l'intérêt de ma question débile. J'osai un sourire niais.

-    Et bien, balbutiai-je stupidement, jusqu'à preuve du contraire, le masculin de « contente » c'est « content » si je ne m'abuse...

Gady écarquilla les yeux, abandonnant son expression intriguée pour un masque embarrassé. Baissant la tête, il eut un sourire piteux. Je me maudis intérieurement. Moi et mes traits d'intelligence à la noix, si je me choppe à la sortie, je me défonce.

-    Ah oui, murmura-t-il, ça, en effet...

La tête toujours douloureusement incliné vers le bas, je le vis se mordiller un instant la lèvre avant de relever son super visage en ma direction. Ses deux prunelles bleues se plongèrent dans les miennes. Hésitantes, craintives. Mon cœur frémit. Mais... que lui arrivait-il à présent ?

-    D'ailleurs je... hésita-t-il un instant. Il faudrait que je te dise quelque chose, quelque chose de...

Il se figea brusquement. Ses dernières paroles moururent dans l'espace. J'écarquillai les yeux. Surprise. Intriguée. Son regard avait agrippé quelque chose au loin, derrière moi. Quelque chose qui couvrit aussitôt son visage si pâle d'un voile d'obscurité froide. Scrutant un instant ce masque de pierre qui me faisait à présent face, je pivotai la tête. Une femme. Petite. Une femme à l'allure chevrotante, au teint crayeux et aux cheveux blonds et ternes. Une esquisse de squelette. Je me tourna de nouveau vers Gady. Il n'avait pas bougé. Immobile, l'air brusquement distant. Il regarda l'inconnue s'approcher.

-    Gady chéri, héla faiblement la femme en arrivant à notre hauteur. Je t'ai cherché partout ce matin...

L'intéressé considéra un instant la nouvelle venue, avant de froidement reculer sur son siège. Il avait changé du tout au tout. Ce n'était plus de la tristesse ni même de la douceur qui étreignait présentement son cœur. Non. C'était de la haine. De la haine et du dégoût. Je frémi.

-    Partout sauf ici apparemment... grinça-t-il sèchement.

La femme eut une grimace attristée. Ses yeux gris, creusés par des cernes plus grosses que mon poing, scrutaient avec douleur le visage de mon prince. Elle portait un gilet de laine moutonneux qui lui tombait sur les épaules, révélant la maigreur osseuse et fripée de ses bras. Ses cheveux, aussi blonds et pâle qu'un blé rassit, s'échappaient en mèches épaisses de son chignon défait. Je fis osciller mon regard entre Gady et l'inconnue. J'eu un déclic. Un frisson de révélation. Ce pourrait-il que... que cette femme étrange soit sa mère ? L'inconnue se tourna vers moi. Un sourire affreusement triste étira ses lèvres gercées. Son regard couru sur mon visage. Absent. Trop pâle. Je ne me sentais pas bien.

-    Bonjour mademoiselle... souffla la femme de sa voix de fantôme.

Je dissimulai un sursaut de surprise. À mes côtés, Gady s'était crispé sur son siège. J'ouvris la bouche, mais aucun son n'en sortit. Gady avait le regard rivé vers le sol. La femme ne m'avait pas quitté des yeux. Un sourire maladroit s'empara de mes lèvres. L'atmosphère était soudainement devenue affreusement lourde. Étouffante.

-    Bonjour madame, fini-je par prononcer d'une voix qui se voulait légère mais qui sonnait douloureusement fausse. Je... je suis Mélina, une amie de Gady.

L'étrange femme hocha longuement la tête, souriant toujours. Son sourire me dégoutait. Il donnait envie de pleurer. De fuir. D'aller quelque part, n'importe où, mais de ne pas voir ce rictus terriblement lourd qui trônait sur ses lèvres.

-    Très bien, très bien... murmura-t-elle sans cesser de sourire ni de hocher la tête.

Son regard se tourna vers Gady, toujours muré dans son silence, la tête obstinément inclinée vers le sol. Elle souriait encore. Toujours. J'avais envie de lui crier d'arrêter. De la frapper pour que cette grimace affreuse disparaisse. Mais je ne bougeai pas. Muette de stupeur. Intriguée. Horrifiée.

Le silence poissait. Il était lourd et pesant. La femme fit un pas. Son regard s'était levé vers la porte. Elle nous considéra en silence, sourire aux lèvres, avant d'ouvrir lentement la porte. Trop lentement. Gady ne bronchait pas.

-    Je vous laisse, hein...

La porte se referma lourdement derrière elle. Bruit de sentence. Fin de l'entracte. L'air se fit moins lourd. Mais le silence resta tout autant présent. Je me tournai vers Gady. Silencieux. Statufié. État de transe et de dégoût. Paralysé. Pourquoi ? Pour cette femme. Oui. Mais pourquoi ?

-    Ta mère ? osai-je brusquement demander.

Mouvement d'épaule. Imperceptible frisson. Gady releva la tête. Le masque de pierre avait disparu. Un voile de tristesse cachait à présent son visage. Il hocha la tête.

-    Quelque chose comme ça oui...

Mon cœur se serra. Sa mère. Cette femme était sa mère. J'avais vu juste. Et pourtant cette constatation m'attrista. Car il n'allait pas bien. Cette femme n'allait pas bien. Aucun des deux n'allait bien. Il la détestait, je ne savais pourquoi, mais cela se lisait clairement sur son visage. Tandis que dans le regard de l'autre, dans le regard terne de cette femme affreuse, je n'avais rien réussi à lire. Un fantôme. Un fantôme malade. Je baissai la tête. Pauvre prince. Mes dents vinrent triturer nerveusement la surface meurtrie de mes lèvres.

-    Vous préférez peut-être que je vous laisse... en famille ?

Un rire sinistre ébranla son visage. Un ricanement triste et pathétique. Il secoua la tête. Je me maudit.

-    En famille... répéta-t-il d'une voix creuse.

Le rire se tu, laissant place à un silence glaçant. Terrible. Je me tourna vers lui. Il avait relevé la tête. Une mèche de cheveux clair s'était échappée de sa casquette pour venir souiller l'arrête fine de son nez. Mon corps se crispa. Me considérant un instant, il eut un mouvement d'épaule avant de soupirer tristement et de se relever.

-    Mais tu as raison, conclu-t-il tristement, vas-y, c'est mieux...

J'hochai la tête, gorge sèche, bouche fermée. Agrippant la hanse de mon sac, je me dressai à ses côtés. Nous étions proches. Moins d'un mètre l'un de l'autre. Et pourtant il me semblait tellement distant. Loin. Un faussé invisible nous séparait. Je me raclai la gorge. Bruyamment. Timidement. Ma main plongea dans la poche de mon vêtement.

-    Je suis contente de t'avoir vu, bafouillai-je d'une drôle de voix, et...

Mes doigts trifouillèrent un instant avant d'extirper un morceau de papier que je glissai dans sa main. Gady eut un sursaut de surprise.

-    Tiens, dis-je en retirant ma main de la sienne, si tu as besoin... Enfin, je... n'hésite pas.

Ses sourcils s'étaient froncés d'incompréhension. Mais avant qu'il n'eut le temps de réagir ou même d'ouvrir la bouche, je me penchai vers lui pour coller un léger baiser sur la peau blanche et douce de sa joue. Gady se figea. Je me reculai aussitôt.

-    À bientôt, lui soufflai-je.

Puis je pivotai sur mes talons et m'éloignai d'un pas rapide vers l'autre extrémité du couloir. Mon cœur battait la chamade dans ma poitrine. Mes joues étaient en feu. Je ne me retournai pas. J'avançais, mains tremblantes. Bon sang. Mais qu'avais-je encore fait ?

..................................................

Hey vous ! Je tiens promesse, voici le 31ème chapitre ! J'espère qu'il vous aura plu !!

Mélina retrouve Gadie, Gadie retrouve Mélina... Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais au moins elles sont ensembles !

Mélina qui a un mal de chien à aider et à aimer les autres nous à fait une parfaite démonstration de ses talents de communication. Alors ? Qu'avez-vous pensé de sa performance ? Est-elle la mieux placée pour ramener un sourire sur le visage détruit de Gadie ?

Bon, vous m'excuserez cette longueur affreuse, je me suis emportée dans ce chapitre... J'espère tout du moins que cela vous aura plu !

Merci du fond du coeur de continuer à me lire ! Merci pour vos retours qui me font toujours super plaisirs !

À la semaine prochaine !!



Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro