2. Jugement Dernier
J'ouvre les yeux. La lumière est vive, et seules des silhouettes informes m'entourent. Je me redresse alors que ma vision se précise, ce qui n'empêche cependant pas les silhouettes de rester informes.
Je porte la main à ma tête, perturbé. Un blob tentaculaire bave sur le sol pour se porter jusqu'à moi.
« Bienvenue parmi nous. Les désagréments liés à votre réveil ne devraient pas tarder à s'estomper. »
Ma bouche reste sèche et pâteuse, et un mal de crâne lancinant refuse encore de disparaître.
« Vous avons trouvé votre caisson de cryostase il y a quelques jours et avons décidé de vous ranimer. Apparemment, vous seriez resté ainsi durant plus de cinq mille ans. »
Je me sens épuisé, un véritable comble. Malgré ma tête qui me tourne, je parviens à me remettre sur pied.
« Beaucoup de choses ont changé depuis votre époque, et l'humanité s'est vue contrainte à évoluer jusqu'à sa forme actuelle, celle que vous voyez. Cela fait aussi de vous le dernier humain d'origine, vous comprendrez donc l'importance de cette rencontre. »
Je me rends compte que des écrans retransmettent notre conversation. Une assemblée entière de blobs reste à distance pour profiter de cet instant historique. Sidéré, j'ouvre la bouche, la referme, la rouvre. Ces mots resteront probablement gravés à travers les annales pour les générations à venir.
« Purée... »
Les blobs semblent déçus. À quoi pouvaient-ils s'attendre d'autre ? Je sursaute alors que l'un d'entre eux se détache de la foule pour me rejoindre. Malgré son apparence, il me semble le reconnaître.
« Que... Gudule ? »
— Bah, oui, c'est moi. Je suis immortel, je rappelle.
— Mais pourquoi tu ressembles à un blob ? »
Je me rends compte que je l'ai tutoyé, ce qui n'avait pas encore été le cas. D'un autre côté, on pourrait aussi dire que l'on se connaît depuis déjà plus de cinq mille ans.
« Bah, je peux aussi changer de forme, je rappelle. » me répond-t-il.
Les autres blobs restent perplexes. Je fais quelques pas, sous le mitraillage des appareils photos. Au-delà des vitres du complexe, il ne reste plus rien. Le sol de la planète est noir, le ciel, balayé par des nuages de soufre. Était-ce donc cela l'avenir de l'humanité ?
L'espace-temps se déchire pour révéler Z..., sous sa véritable forme.
« Ha, ha, ha ! Voici venu l'heure de ma revanche. »
Revanche de quoi ? En plus de ses ricanements clichés, ce méchant ne fait aucun sens.
Il s'avance vers moi ; les blobs s'écartent sur son passage, visiblement terrifiés.
« Te voici arrivé à la fin des temps, déclame-t-il d'une voix grave, et même... ta fin.
— Meh, ce n'est pas possible, ça. Comme je suis l'auteur, je ne peux pas mourir. D'ailleurs, pourquoi m'avoir enfermé dans ce caisson ? À quoi cela pouvait-il servir ?
— Parce que ça fait plus dramatique... et puis je ne vais quand même pas expliquer mes raisons ! »
Il ramène à lui sa cape noire avant de poursuivre dans un sourire.
« Ici, je pose les questions. Si tu veux vivre, tu devras me donner des réponses satisfaisantes. »
Je hausse les épaules, peu convaincu. Il attrape une tablette numérique pour la lever au-dessus de sa tête. Je déchiffre aussitôt les lignes qui s'affichent à l'écran.
Au moment où tu as commencé à la lire, pensais-tu que cette question était une véritable question ?
« Meh, c'est idiot, c'est une vraie question. Et bien sûr que je pensais que c'en était une, puisque c'en est une de toute façon. »
Quelques blobs agitent leurs tentacules comme pour applaudir, enfin je crois. Des murmures me parviennent, que j'interprète comme admiratifs. Finalement, j'adore ces nouveaux humains.
Face à moi, Z... ne se laisse cependant pas démonter. Il ricane.
« Ah, ah, toujours aussi perspicace, je vois... mais attends un peu avant de répondre à ça. »
Je soupire alors que les lettres se réordonnent. La stupidité de cet antagoniste est atterrante.
Ta réponse à cette question est-elle "non" ?
Un paradoxe bien connu. Cette phrase peut-elle-même mériter le titre de question ? De toute façon, c'est idiot. Je souris.
« Peut-être.
— Trop tard, le temps est écoulé ! C'est la fin du mooooooonde ! »
Il disparait dans un nouveau déchirement d'espace-temps. Une lueur blanche s'étend au dehors. Non, de partout. Je me fige en comprenant.
Le monde s'efface. Je suis arrivé au jour du Jugement Dernier.
La seconde d'après, il n'y avait plus rien.
***
Je m'élève à travers l'éther, porté par la lumière blanche omniprésente. Apparemment, je suis mort. Comme on pouvait s'en douter, c'est la première fois...
La bonne nouvelle, c'est que le Paradis existe, et qu'il faut croire que j'ai été quelqu'un de bien dans ma vie passée. Des nuages blancs m'entourent, des bâtiments d'or et de marbre se révèlent au loin, des séraphins se laissent entrevoir dans les cieux. Les blobs de tout à l'heure sont aussi présents et se dispersent dans ce nouveau monde. Eux non plus n'ont pas échappé à la fin du monde, mais ils ne semblent pas le regretter, au moins.
« Wouaaaah ! C'est beauuu ! »
Apparemment, Gudule ne semble pas non plus le regretter.
Une forme se détache, auréolée de lumière et de toute-puissance. Me voici désormais face à Dieu, le Créateur qui...
« Mais qu'est-ce que... »
Le Monstre Spaghetti Volant me fait face, et me dévisage de ses deux yeux globuleux. Je dois admettre que ce n'était pas exactement ce à quoi je m'étais attendu. Le visage de Gudule s'éclaire d'un sourire béat. Apparemment, il devait s'attendre à ça.
« En ce jour du Jugement Dernier, je te souhaite la bienvenue, commence-t-il.
— Un, deux, trois, quatre...
— Heu, je peux savoir ce que tu fais ?
— Je compte vos appendices nouillesques. C'est la première chose qu'une personne sensée devrait faire, non ? »
Le regard qu'il me lance m'informe qu'il ne doit sans doute pas croiser souvent ce genre de personnes sensées. Gudule essaie quant à lui de s'effacer discrètement, en faisant mine de ne pas me connaître.
« Voilà, maintenant, je me rends compte que vous n'avez "que" vingt-trois appendices. Par conséquent, vous ne pouvez pas vraiment être Dieu. Ou alors, ce n'est pas votre véritable forme...
— Hein ? »
Ses yeux globuleux s'agitent, des éclairs l'entourent comme pour faire état de sa toute-puissance. Sa voix se fait profonde, omniprésente, jusqu'à faire vibrer l'espace-temps lui-même. Gudule bat aussitôt en retraite pour observer la scène depuis un nuage distant.
« Bien sûr que si je suis Dieu ! D'ailleurs, je parle en gras ! »
Je balaie l'argument d'un revers de main.
« Meh, j'ai déjà connu des personnages qui parlaient en gras, et ils n'étaient pas Dieu pour autant. Est-ce que vous connaissez la Question sur la Vie, l'Univers, et le Reste ? »
Les éclairs s'éteignent ; il me regarde avec des yeux interloqués.
« Mais... personne ne connait cette Question... Seulement la Réponse... »
Je m'approche de lui.
« Vous êtes sans doute un dieu, mais pas Dieu, pas le véritable Créateur de l'Univers. Ou peut-être pensez-vous l'avoir créé, alors que quelqu'un d'autre vous a créé, vous.
— Et... et vous... vous connaissez la Question ?
— En partie, tout du moins... Si vous me laissez revenir au début de ce récit, je pourrais vous révéler ce que je sais.
— Et... vous êtes sûr que le monde est prêt à entendre une telle vérité ?
— Bah, je n'en sais rien. C'est son problème, au monde. Ici, c'est mon bouquin, je raconte ce que je veux.
— Au fait, je peux venir avec vous, moi aussi ? » demande Gudule.
Le Monstre Spaghetti me fixe avec intensité.
« C'est d'accord, reprend-t-il. Dites-moi ce que vous savez. »
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