Le monde virtuel se brise, je reviens à la réalité.

Encore que le terme de réalité, à l'intérieur d'une fiction absurde, reste somme toute très relatif.

Quoi qu'il en soit, me revoici dans ma cellule blanche, face à la télévision. Ma transformation en clown a cessé, tout semble revenu à la normale.

« Yo ! Je ne suis plus un pingouin ! Et j'ai quitté ce monde virtuel, en plus ! »

Tout semble revenu à la normale, si tant est que l'on considère comme normale l'apparition soudaine de cet épéiste à la cape rouge, ainsi que son tigre ailé dans ladite cellule.

« Mouhahaha ! Tremblez, mortels, car, désormais, le plus grand épéiste de tous les temps, l'ineffable, l'unique Gigamèche est ici ! Mais, d'ailleurs, où suis-je ? »

Il tourne la tête pour observer les quatre murs, ainsi que la porte verrouillée.

« Hum, cette porte est verrouillée, c'est ennuyeux. »

Il se tourne vers moi.

« Je dois vous remercier pour cet incroyable duel. Vous avez été un adversaire remarquable, et, jusqu'au bout, vous avez failli me battre. Fort heureusement, le nom de Gigamèche ne connaît pas la défaite.

— Euh, je vous ai même battu, en fait.

— Oui, remarquable, comme je le disais. Vous auriez mérité d'emporter ce duel. En guise de consolation, eh bien, je veux bien vous rendre un service, comme par exemple, euh... ouvrir cette porte.

— D'un autre côté, vous restez bloqué dans cette pièce avec moi, sinon.

— Yo, très chère porte, je serais fort aise que vous pivotassiez sur vos gonds afin que nous puissions quitter cet espace, au demeurant fort exigu. »

La porte ignore sa proposition et s'entête dans son immobilisme. En même temps, ça reste une porte.

« Ouvre-toi, stupide porte ! »

Gigamèche tambourine dessus avec l'une de ses armes, sans plus d'effet qu'auparavant. Puis il recule de quelques pas.

« Je vois, tu sembles donc bien décidée à te dresser face à moi, même s'il s'agit d'une grave erreur... »

Une lueur diffuse émane de l'épéiste.

« Je ne comptais pas utiliser cette technique dévastatrice, mais tu ne me laisses pas le choix. »

Il s'élance vers elle en hurlant.

« Autodestructiooooon ! »

Explosion.

Je rouvre les yeux. Gigamèche a disparu, de même que son compagnon tigre ailé.

Malgré cette fin pour le moins abrupte, j'ai la certitude que je ne manquerai pas de les recroiser un jour ou l'autre.

Et puis, maintenant, la porte est ouverte.

Pour fêter cette avancée scénaristique, je mange un cookie, et m'engage dans l'ouverture.

« Eh, tu croyais que tu allais me laisser toute seule, comme ça ? »

Je me retourne. Un "A" sur son écran, la télévision anime ses pieds pour me rejoindre.

« Allez, hop, on y va, propose-t-elle.

— Euh, sans doute, on est censé aller par où, en fait ?

— Par-là, je crois. »

Elle commence à partir dans une direction, avant de repartir dans l'autre.

« Ou plutôt par-là, en fait. Je crois qu'il faut ouvrir cette porte. »

Je m'approche, attrape des clés accrochées au mur, ouvre ladite porte...

« Salut ! Je suis justine334 et je n'ai pas la moindre idée de ce qui se passe ni de ce que je fais ici.

— Euh, moi non plus, à vrai dire...

— C'est amusant, nos T-shirts se ressemblent beaucoup... »

Deux images de Galaxie, effectivement. Une coïncidence amusante, sans doute, mais...

« Du coup, faisons connaissance, je te tague.

— Hein ? »

Je referme la porte. Au dernier instant, justine334 se faufile à travers l'ouverture pour me rejoindre dans le couloir. AleckLPark en profite pour m'abandonner et partir se promener plus loin, à la recherche de la sortie.

« Tu aimes l'art ? Lequel trouves-tu le plus intéressant ?

— Euh, je n'en sais rien. Vu que j'aime lire et écrire, on pourrait dire que j'aime bien la littérature... »

Elle note la réponse sur un carnet. Une alarme se met à retenir. Je tourne la tête en direction d'AleckLPark.

« Ah, le capteur de surveillance était donc bien ici. »

Les clignotements rouges ne perturbent cependant pas justine334 qui poursuit son interrogatoire.

« Et sinon, c'est quoi, ta période historique préférée ?

— Euh, on ne peut pas en discuter plus tard ?

— Je note, donc, "plus tard".

— Alerte. Des trublions tribulent en dehors de leurs cellules respectives. La sécurité est priée d'intervenir. »

Je me mets à courir, suivi par AleckLPark et justine334. Sur l'écran de la télévision, une cabine téléphonique bleue se met à voler au-dessus d'un vortex psychédélique.

« Eh, j'ai retrouvé du réseau ! s'enthousiasme AleckLPark.

— Super, mais, même si j'adore cette série, il y a sans doute plus urgent pour le moment. »

Des tourelles lasers commencent à nous prendre pour cible.

« Et sinon, quels sont les livres qui t'ont fait le plus réfléchir ? reprend justine334.

— Euh, ceux que j'ai écrits, sans aucun doute. »

Quelles questions. Pour l'heure, des explosions parcourent le couloir, et nous arrivons face à une porte blindée.

« Je me souviens, il y a un code à rentrer pour ouvrir la porte, s'exclame AleckLPark. Par contre, je ne me rappelle plus des numéros...

— Ça va beaucoup m'aider. »

Je m'approche du digicode. Juste au-dessus, trois lettres : LUX.

Lux ? Lumière ? À tout hasard, j'entre sa vitesse, en unités internationales (mètres par seconde, donc). La physique a toujours été ma matière de prédilection.

299792458

La porte s'ouvre aussitôt. Nous nous précipitons pour échapper aux lasers et explosions toutes proches. Nous arrivons dans une grande salle vide, avant d'aviser une nouvelle porte. Nouveau digicode, avec des lettres, cette fois-ci.

« Ah, c'est en rapport avec des groupes de musique, ici, je crois, se souvient AleckLPark.

— Comment veux-tu que je devine, à partir de ça ?

— Une histoire d'initiales cachées, je crois. Cinq artistes. »

J'observe le digicode, dubitatif. Se pourrait-il... ?

Je tape cinq lettres, cinq initiales, plus pour vérifier une idée soudaine que par réelle conviction.

ESEND

La porte s'ouvre, je reste pétrifié. Qui a pu mettre en place un tel stratagème ? Z... ?

« Mouhahaha, je savais qu'on finirait par me citer dans le texte, et me voici ! »

L'espace-temps se déchire et le voyageur temporel apparaît.

« J'espère bien avoir un nom désormais, depuis tous ces chapitres. Je suis sûr que les lecteurs se sont battus pour me proposer une véritable identité.

— Euh, pour l'instant, on en est toujours à dix propositions sur quinze, et je suis déjà un peu occupé dans l'immédiat, sans avoir de nouvel arc narratif à gérer. »

Il me fixe quelques secondes.

« Tant pis, je repars vers l'avenir. Car l'heure tourne, et j'aurai un nom, tôt ou tard. Ce jour-là, tu pourras trembler.

— Moui, sans doute.

— Mouhahaha. Cela représentera peut-être des semaines, des chapitres, pour toi, mais, pour moi, ce ne sera que l'affaire d'un instant. »

Il disparait dans un craquement sourd.

Donc, ce n'était pas lui. Mais, alors, qui ?

Je m'engage dans la pièce. AleckLPark m'avait parlé de Grymm_, mais il ne peut pas y avoir qu'elle... quelqu'un d'autre voulait que je m'échappe, certainement. Et puis, je ne connais presque rien, sur cette Organisation... ses objectifs m'apparaissaient incertains et l'identité de son chef, parfaitement inconnue.

« Tu ne prends pas de notes, sur tout ce qui se passe, au fait ? me demande justine334, son carnet à la main. Il y aurait de quoi écrire un bouquin, en fait.

— Je garde tout en mémoire, j'écrirai tout dès que j'aurai accès à mon ordinateur.

— Ah... »

Nous parcourons de nouvelles pièces, au décorum toujours plus fourni. Le style architectural est impressionnant, de grandes baies vitrées offrent une vue imprenable sur une jungle luxuriante, une centaine de mètres en contrebas.

Des paramilitaires nous croisent et se précipitent en direction des cellules, sans nous remarquer. Nous sommes arrivés en zone sécurisée, déjà, mais mieux vaudrait ne pas s'attarder. Histoire de passer encore plus inaperçu, je décide de me transformer en chameau.

« Wouah ! Comment tu as fait ça ? s'exclame justine334.

— Grâce à mon apprentissage dans un temple bhoutanais, il y a quelques chapitres, déjà. »

Nous arrivons face à un ascenseur. De nouveaux étages s'élèvent avec, au sommet, sans doute, les réponses à mes innombrables questions.

« Et, au fait, aimes-tu les cheveux roux ? termine justine334.

— Euh, quoi ? »