1. Le tag de Gudule
5 septembre 2016
Le dragon se pose dans la cour dans un tremblement sourd et m'arrache à mes occupations. Je jette un œil discret par la fenêtre pour découvrir la bête. Sa tête démesurée se tend dans ma direction pour me fixer de ses yeux jaunes étincelants.
Ce n'est pas le premier dragon que je croise, mais il n'en demeure pas moins que ces créatures sont toujours aussi impressionnantes. Leur mythe se perd à travers les siècles, et nombreux sont les écrivains à s'être inspirés de leurs légendes.
Un monstre se dresse face à moi, entouré d'éclairs. Une légère brume commence à envahir la pièce, tandis que résonne une voix grave et caverneuse.
« Mouhahaha ! Tremblez, mortels ! »
Je soupire. Cette journée aurait presque pu être normale. Je gratifie l'importun d'un regard consterné, en l'occurrence une betterave parcourue d'étincelles qui roule sur ma table en hurlant.
« Je suis Rodolphe-Albert, l'Empereur du Monde ! Prosternez-vous devant votre Dieu !
— Il y a un dragon dehors. »
La betterave s'arrête. Si elle avait des yeux, je jurerais qu'elle serait en train de me dévisager, ou alors elle regarde la fenêtre. Je commence à regretter cette expérience culinaire ratée. En fait, en revoyant le décor désormais apocalyptique de ma cuisine carbonisée, il me semble l'avoir déjà regretté hier.
« Je crois qu'il vient pour vous, en fait. » remarque Rodolphe-Albert.
Le dragon se penche vers la fenêtre pour dévoiler ses naseaux fumants. La betterave n'est déjà plus là ; ses capacités de tapage sans raison et de disparition subite au moindre danger ne cessent de m'étonner.
J'ouvre la fenêtre pour faire face au dragon. De près, la bête est encore plus impressionnante. Ses crocs acérés dépassent de sa mâchoire gigantesque ; ses pupilles me fixent de leur intensité millénaire.
« À qui ai-je l'honneur ? »
Il me répond d'une voix caverneuse.
« Je me nomme Zogothar, et je suis un dragon.
— Ça, j'avais remarqué.
— Vous n'avez rien à craindre de moi, je suis végétarien.
— Et moi, je suis Gudule. »
Il abandonne sa monture pour poser pied à terre. J'écarquille des yeux ronds de surprise.
« Vous êtes Gudule ? Le Gudule ? Je ne vous avais même pas remarqué ! »
Il bombe le torse avec fierté.
« En effet, le seul et l'unique.
— Mh, ce n'est pas ce que dit Google, tente le dragon. Je découvre des références qui ne font aucune mention de vos accomplissements. »
Gudule lui lance un regard outré.
« Sacrilège ! Ne cite plus ce faux dieu !
— Désolé, que le FTM me pardonne...
— Râmen.
— Pour les quelques personnes qui ne le sauraient pas encore, Gudule est le personnage central de Pourquoi j'adore les maths, PJAM pour les intimes. On y parle de produits laitiers, de pastafarisme, d'explosions, de ninjas de tardigrades, de coléoptères, d'explosions... et de maths, bien sûr. Comme vous l'aurez compris, c'est à la fois divertissant et instructif. »
— Euh... vous parlez à qui, là ? Me demande Zogothar, perplexe.
— Euh, aux quelques wattpadiens égarés qui pourraient passer par ici, et qui ne connaîtraient pas encore ChristopheNolim et ses écrits. »
Je me gratte la tête, pensif.
« Pas sûr que cela représente grand monde, effectivement. Mais cela fait longtemps que je voulais faire ça... »
Enthousiaste, je me tourne vers Gudule.
« Mais sinon, que me vaut votre présence, ici ?
— Ah oui, j'avais failli oublier. ChristopheNolim m'envoie pour vous transmettre un message. »
Il sort de sa poche un papier qu'il déplie lentement, puis s'éclaircit la gorge.
« Trois paquets de pâtes ; deux bouteilles de lait frais ; quatre yaourts...
— Non, ça c'est la liste de courses, reprend le dragon.
— Ah oui, exact. »
Gudule retourne la page.
« Vous êtes tagué, en fait. Vous allez donc maintenant devoir répondre à dix questions.
— Hein ? »
Gudule plisse les yeux sur la première ligne.
« Gné ?
— Zerie. »
Gudule me gratifie d'un regard perplexe.
« Bah oui, comme niaiserie. Elle n'est pas mal cette réponse, non ? »
Le dragon se cogne le visage avec sa patte ; sans doute une façon pour lui d'exprimer son enthousiasme. Gudule reste quant à lui de marbre, il doit certainement se contraindre à rester sérieux.
« Bon, je reprends... » poursuit-t-il, sans relever ce trait d'humour.
Il plisse à nouveau les yeux sur sa feuille.
« Gné ?
— C'est niais, comme question. »
Le dragon s'enfuit à tire d'aile. Gudule me jette un regard consterné, alors que je commence à ricaner.
« Ahem... question numéro 3... »
L'espace-temps se déchire pour laisser tomber un homme en blouson. Il se relève, et se porte aussitôt vers moi, l'air ahuri.
« Je suis un voyageur temporel. Viens, on va tuer Hitler en 1936. Bon, par contre, tu vas un peu changer de ligne temporelle, disparaître du présent dans lequel tu existes et te retrouver dans un présent modifié dans lequel tu n'existes pas et personne ne te connaît... Accessoirement, l'intégralité de la population mondiale vivra aussi sous l'égide d'une dictature pastafariste éclairée.
— Non. »
Face aux regards perplexes qui m'entourent, je décide de m'expliquer.
« En tuant Hitler, je ne ferais que créer un univers alternatif, et ça ne changerait rien à celui-ci, si ce n'est que j'en disparaitrais pour de bon. Donc, ça n'a aucun intérêt, en fait... sauf si je voulais absolument quitter, cet univers, ce qui n'est pas le cas. »
Dépité, le voyageur temporel arrache son masque.
« Tu es malin, mais pas suffisamment échapper à mon plan machiavélique.
— Hé, mais je te reconnais, tu es Z...
— Il ne faut pas prononcer son nom, m'interrompt Gudule. Vous n'avez pas les droits d'auteur. »
Le méchant sort de sa poche une bonbonne qu'il active. Il éclate d'un rire cliché alors que la pièce se remplit d'un gaz âcre. Je me porte vers lui, alors qu'il disparait dans une nouvelle déchirure de l'espace-temps. Trop tard.
Mes jambes se font lourdes. Mes paupières se ferment. Je tombe au sol, puis perds connaissance.
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