Recroquevillée sur le sol humide, Anna est seule avec ses sanglots et la douleur irradiant de chacun de ses membres. Elle crache un caillot de sang sur le côté et lève péniblement les mains pour essuyer les larmes baignant ses joues. Les visages de ses agresseuses la hantent déjà. Leurs mots, aussi. Leurs regards haineux. « T'es là pour nous violer, c'est ça ? Sale travelo... »

Anna se fait violence pour passer en position assise. L'envie d'uriner est complètement partie, elle ne pense plus qu'aux bleus monstrueux qui commencent à apparaître sur ses bras et jambes dénudées. Elle soulève doucement son t-shirt pour regarder l'étendue des dégâts sur ses côtes. Ce n'est pas joli à voir... Elle se traîne jusqu'à son sac à main expulsé à quelques mètres, et s'appuie sur le lavabo pour se hisser sur ses pieds. Elle vacille, s'ancre dans le sol, croise son regard dans le miroir. Oh. Son nez est cassé...? On dirait bien que oui. Elle le tâte tout doucement mais elle ne sent rien, son visage est complètement anesthésié. Elle rince le sang maculant ses lèvres et son arcade sourcilière éclatée. Elle devrait aller aux urgences, mais elle n'en a pas le courage. La peur lui tord le ventre. Elle ne veut pas prendre le risque. Elle réajuste son haut pour se donner une contenance et rassembler son courage... Puis change d'avis, sort un pull et un pantalon de son sac, se change en tâchant de ne pas trop regarder ses contusions. Elle rabat la capuche de son sweat sur sa tête pour dissimuler son visage tuméfié, sort des toilettes d'un pas rapide et nerveux. Elle pleure à nouveau, mais elle doit partir, vite, vite, le plus vite possible, avant que qui que ce soit ne la voie ainsi.

— Anna ?

Damien. Elle l'avait oublié.

— Je vais rentrer, dit Anna à mi-voix.

— Non, attends, regarde-moi...

Damien est une bonne personne. C'est son ami. Elle lui fait confiance. Ça ira. Elle le laisse repousser légèrement sa capuche, contemple son expression horrifiée lorsqu'il découvre à quel point elle est défigurée.

— Anna, qu'est-ce que...?

— Je vais rentrer.

— Je te raccompagne.

Ils prennent le métro tous les deux, se tiennent l'un près de l'autre sans un mot. Anna pleure tout du long. La scène se rejoue dans sa tête, elle revoit tous les moindres détails. Elle hait ces femmes pleines de haine, elle hait cette société, elle hait le monde entier. Elle voulait juste entrer, pisser, sortir, comme n'importe qui d'autre. Pourquoi le monde lui interdit-il cela ? C'est si peu demander. Puis la culpabilité s'installe. Elle aurait dû se maquiller, les gens la prennent plus facilement pour une femme quand elle est maquillée. Elle sait pourtant que c'est faux, tout cela n'est pas de sa faute, loin de là...