Chapitre 27
Gillian
Domaine, Comté du King, 2018
Je me force à respirer à fond par le nez et la bouche, à ne pas laisser la panique et la peur m'envahir, alors que je marche – très lentement – jusqu'à la chambre de Sander. Mon cœur soubresaute jusque dans ma gorge et mes mains tremblent malgré mes poings serrés. Je suis fébrile et j'ai la sensation que ma tête va bientôt exploser si je ne me ménage pas...
Arrivée à un croisement, je fais halte et m'adosse un instant contre le mur frais, paumes ouvertes dessus comme pour mieux absorber sa froideur. Mon agitation s'apaise quelques secondes, ce dont je profite pour recentrer mon esprit et étouffer le trop-plein d'émotions qui me rend nauséeuse et gauche. Lorsque le tressaillement de mes doigts commence lui aussi à s'atténuer, je les plonge dans ma poche et en sors mon portable. J'ouvre ensuite la conversation entre Sander et moi et relis notre dernier échange, celui que j'ai lancé ce matin en lui demandant de me rejoindre dans ma chambre après le déjeuner. J'ai dû mettre vingt bonnes minutes pour taper un aussi court message tant je n'arrivais pas à me calmer. Mon corps et ma tête étaient aussi éparpillés l'un que l'autre ; cela dure depuis la veille au soir, et je crains que ça n'aille pas en s'arrangeant...
Sander n'a pas répondu tout de suite à ce texto laborieux. Il avait quitté le manoir la veille, en fin de journée, afin de nous ravitailler en munitions et véhicules, et ne devait rentrer que tard dans la matinée d'aujourd'hui. Ce n'est donc qu'aux alentours de onze heures qu'il m'a répondu préférer que l'on se retrouve dans sa chambre à lui, sur les coups de dix-sept heures. Il est actuellement seize heures cinquante-cinq et si je ne me remettais pas en route, non seulement je vais être en retard pour la première fois de ma vie, mais je ne suis pas non plus sûre de réussir à bouger de ce muret.
La tétanie me reprend, elle a déjà commencé à longer mes jambes. Elle était implacable il y a quelques heures, bien plus forte que ma volonté. Heureusement que ni Sander, ni Allan et ni Eleuia ne m'ont rendu visite, sinon ils auraient compris que quelque chose n'allait pas ! Ils m'auraient retrouvée clouée au lit, à peine capable de respirer ou de cligner des yeux...
Non, ça ne peut pas se reproduire. Je dois prendre sur moi ! Sander m'attend, nous devons parler, c'est vraiment très important, et ensuite nous... et ensuite... ensuite...
Je lâche une espèce de grognement et serre à nouveau les poings, mais de rage et de dépit, cette fois. Ça suffit ! Je me suis torturée toute la nuit, me suis fait submerger par l'angoisse, j'ai aussi déjà envisagé mille et un scénarii possibles dans ma tête, des plus cauchemardesques aux plus optimistes, maintenant je dois laisser de côté ces chimères et affronter la réalité ! Je ne sais effectivement pas ce qui va se passer ensuite, pour la simple et bonne raison que tout ne dépend pas juste de moi. Sander est autant concerné, alors c'est ensemble que nous allons faire face à cette suite si effrayante à mes yeux.
J'inspire à pleins poumons, nez levé sur le plafond, et c'est bien armée de ma résolution que je me décale du mur et reprends mon chemin. Je sais que je n'ai pas uniquement peur de cet « ensuite » obscur, je suis aussi terrifiée par la réaction de Sander et par ma propre réaction face à la sienne, mais je ne peux plus laisser la peur me guider. Je l'ai fait pendant si longtemps que ça a bien failli me coûter mon bonheur plus d'une fois. Si Sander ne s'était pas autant accroché, s'il ne m'avait pas tant aimée... j'aurais tout perdu. Autant l'avenir que nous nous sommes tracés, tantôt ambigu, reflet de ces décennies de vie commune, tantôt époustouflant, comme l'ont été ces derniers jours l'un avec l'autre, depuis que je me suis enfin débarrassée de mes poids et chaînes pour lui, que ce nouveau futur aux lignes floues.
Au moment où je m'arrête devant la porte de la chambre de mon amant, j'adresse toutefois une prière muette à l'Univers et à la Vie qui veillent sur moi, pour les supplier de faire en sorte que tout se passe bien et que mon avenir ne me soit pas arraché, quelle que soit sa forme finale.
Je donne des coups secs et rapides sur le battant et refoule aussitôt une grimace. Je suis trop nerveuse, nom de nom... Il faut que je me calme, que je respire. Avant qu'il...
Le bois s'efface lorsque Sander manipule la poignée et laisse apparaître sa silhouette entière dans l'embrasure, révélant ainsi son corps massif mis en valeur par une chemise blanche et un pantalon noir classiques, et son sourire heureux, qui illumine ses prunelles azurées.
— Comme toujours, tu es pile à l'heure, Gilly, m'accueille-t-il avec cette bonne humeur coutumière qui me réchauffe de l'intérieur.
Je ne lui dis pas que je suis passée à un cheveu de le décevoir quant à ma ponctualité, et préfère plutôt poser ma main dans celle qu'il me tend pour franchir le pas de sa porte. Dès que celle-ci s'est refermée derrière nous, Sander m'attire tout contre lui, hisse mon visage jusqu'au sien et m'embrasse plusieurs longues secondes. Je réponds à son étreinte, désireuse de me sentir aimée et cajolée par cet homme. Mes mains accaparent sa nuque, se mêlent aux mèches de cheveux mi-longs tandis que nos bouches s'explorent avec langueur. J'avais besoin de ça, besoin de ressentir toute sa passion dans ses lèvres et de retrouver ses bras autour de moi. J'avais besoin d'éprouver cette connexion qui nous lie depuis toujours et qui se soulève dès lors que nos corps et nos cœurs fusionnent.
Sa façon de m'accueillir est un baume apaisant sur mes tracas, un élixir à ma montée de panique. Là, pressée contre son torse, au contact de sa chaleur et de son aura lumineuse, je parviens à respirer, à décontracter mes muscles et mes entrailles noués. Sander est comme les rayons du soleil sur ma peau, il est aussi rassurant et agréable qu'eux. Il s'infiltre loin en moi, jusqu'à toucher mon âme et la réchauffer à son tour. Et même lorsque sa bouche quitte la mienne, cette douce sensation perdure.
— Salut, souffle-t-il d'une voix tendre et rauque à la fois.
— Salut...
— Tu m'as manqué hier.
— Toi aussi, lui assuré-je, car même si j'étais dans un état que je préférais qu'il ne me voie pas, une part de moi se languissait de lui et aurait souhaité qu'il soit là pour me soutenir.
Sander me décoche un sourire tendre avant de déposer un nouveau baiser sur mes lèvres.
— Merci d'être venue me rejoindre ici, poursuit-il en caressant mes flancs de ses pouces. Je suis désolé de ne pas avoir pu me libérer plus tôt, mais j'avais... plusieurs petites choses à préparer.
— Ah ? Et de quel genre de choses parles-tu ? l'interrogé-je, intriguée par le mystère qui flotte dans ses intonations.
Son rictus se transforme, devient un petit sourire en coin tandis qu'une lueur s'anime dans son regard malicieux. Avec lenteur, il se penche à nouveau sur moi et murmure tout contre ma bouche de fermer les yeux. J'obéis à sa requête, opine du chef lorsqu'il me demande d'attendre son signal pour les rouvrir et souris à mon tour quand il m'embrasse derechef.
La seconde suivante, Sander attrape mes mains et m'aide à monter les trois petites marches qui mènent à l'intérieur de sa chambre qui, je le sais, est une grande pièce de plus de vingt mètres carrés au plafond haut, au lit immense poussé près de la fenêtre est, pour que le berserker soit réveillé par les lueurs matinales du soleil, et fournit de plusieurs meubles de rangement faits de bois noble.
Ses pas nous entraînent pas très loin de la fenêtre – je sens l'éblouissement de la lumière naturelle affluer sous mes paupières –, à quelques centimètres de son lit, puis mon amant s'immobilise et me fait pivoter sur moi-même.
— Tu es prête ? s'enquiert-il, collé à mon dos.
— Ce serait plutôt à moi de te demander, ça, Sander. C'est toi qui fais des cachotteries, répliqué-je.
Il rit et ce simple son m'aide à détendre les derniers tendons récalcitrants de mes épaules. J'aime tellement quand il rit ainsi, l'air insouciant, rendu plus joyeux encore par ma gentille repartie. Ses lèvres viennent effleurer mon cou dans une rapide caresse avant qu'il reprenne la parole.
— Ce ne sont pas à proprement parler des cachotteries, plutôt une surprise qui j'espère te fera plaisir.
— Alors lorsque tu vas me dire de rouvrir les yeux, tu vas crier « Surprise ! » ?
— Si c'est ce que tu veux, je le ferai avec plaisir.
Un sourire amusé fend mes lèvres, et je sais qu'il en va de même pour lui. Le cœur battant et toujours nerveuse, je mordille l'intérieur de ma joue en attendant le signal de Sander et pose mes mains sur ses avant-bras autour de ma taille. J'apprécie cet intermède, mais il m'est tout de même nécessaire de puiser dans ses ressources tranquilles, aux allures de ressac léger pour ne pas m'agiter. Constater que nous avons tous les deux une surprise pour l'autre me laisse un drôle de goût doux-amer sur la langue...
— Tu peux regarder, maintenant, m'avertit Sander au-dessus de ma tête.
Je m'exécute, l'exclamation promise du berserker retentit contre les murs... et je reste bouche-bée devant sa fameuse surprise.
Un immense écran blanc a été installé sur la paroi du fond, sur lequel est émise la lumière bleue d'un vidéoprojecteur en veille. L'instrument audiovisuel, lui, pend depuis son applique à un petit mètre de nos têtes, et est relié à un ordi et un lecteur DVD dernier cri.
De biais à cette installation, à proximité de la salle de bain attenante, Sander a préparé un assortiment de gâteaux salés et sucrés sur une table basse, le tout entouré de larges coussins à même le sol.
Faisant un tour sur moi-même, j'examine de plus en plus hébétée les aménagements que le berserker a réalisé pour m'offrir une soirée en amoureux comme je les aime. D'autres coussins et des couvertures moelleuses sont disposés sur son lit aux draps qui sentent bon le frais, et je sens un sourire tremblotant monter sur mes lèvres lorsque je me figure tout ce qu'il a imaginé pour nous. Pour moi.
Il m'est aisé de nous visualiser comme il l'a fait : nous deux, assis par terre à boire la bonne bouteille qu'il nous aura ramené, et à manger les différents bouchées maison, tout en discutant de nos journées durant l'absence de l'autre ; puis nous deux toujours, allongés sur son lit en train de dévorer notre dessert, nos regards rivés sur les films de sa sélection, des films que j'adore à n'en pas douter et qu'il l'aura choisi spécialement pour me faire plaisir ; et enfin, plus tard dans la nuit, nous deux enlacés étroitement sous ses draps, heureux et comblés de nous être aussi bien retrouvés.
Sander a tout prévu dans les moindres détails, décidé à me plaire, sans en faire trop car il connaît très bien mes goûts et désirs. Il sait qu'il n'y a nul besoin de fleurs, de cadeaux ou de sorties dans un restaurant chic. Tout ce qui me ravit le plus est juste sous mon nez : c'est simple et sobre, mais chargé d'attentions chaleureuses qui me vont droit au cœur. C'est parfait ainsi...
— Tu comprends mieux maintenant pourquoi nous ne pouvions pas nous voir avant, reprend Sander d'une voix espiègle et légère, tandis qu'il attrape le cordon des rideaux pour les fermer. J'ai occupé ces dernières heures à mettre en place tout cela...
Des bougies, que je n'avais pas encore remarqué, prennent le relais pour éclairer la chambre de leur lueur douce et tamisée. Les lieux sont soudain plongés dans une atmosphère plus intime et douillette qui décuple mon ébahissement. Il a vraiment pensé à tout.
— Allan m'a un peu aidé, admet mon amant pour continuer ses explications. Il s'en est bien sorti avec l'écran blanc et le câblage ensuite, je ne le savais pas aussi doué avec la technologie. Il ne cessera jamais de m'étonner !
Il lâche un rire bref en secouant la tête à l'évocation de notre meilleur ami. Comme je n'ai pas encore retrouvé ma langue, je ne fais que hocher la tête, d'accord avec lui quant aux capacités d'Allan à nous surprendre : je ne crois pas qu'il se soit passé un jour depuis notre rencontre sans qu'il ne nous ait marqués d'une manière ou d'une autre.
Sander pivote vers moi et me décoche un clin d'œil, comme très souvent sur la même longueur d'onde que moi, puis il s'approche du lecteur DVD, sur lequel trône quelques boîtiers rectangulaires. Deux dans chaque main, il me les montre fièrement, les yeux brillants de gaieté, et énonce :
— Fenêtre sur cour, Chantons sous la pluie, Forrest Gump et Jurassic Park. J'ai prévu un marathon de tes films préférés, Gilly.
Il me dit cela avec le sourire, mais je n'ai toutefois pas manqué la légère différence à la mention des deux derniers titres, à savoir l'accentuation de son rictus. Sander ne peut s'empêcher d'être profondément amusé par mon étrange passion pour les dinosaures et par ma façon de rire aux éclats lorsque la réplique culte : « Cours, Forrest, cours ! » retentit. Ainsi, cette fois encore lorsque nous serons devant ces longs-métrages, le berserker gardera ses prunelles fixées sur moi plutôt que sur l'écran afin de ne pas louper une miette de mes réactions.
Nous lisons en l'autre avec la même facilité tous les deux, il se rend donc compte que je suis prête à répliquer à sa taquinerie implicite – pour la deux-centième fois sans doute depuis que nous regardons ces films ensemble –, mais là encore, il ne m'en laisse pas la possibilité. Il me présente à nouveau son dos au moment où j'ouvre la bouche, repose les DVD, puis marche jusqu'à la table basse. Il se penche sur le côté de celle-ci, celui qui ne m'est pas visible depuis ma position, et hisse quelque chose jusqu'à lui. Un grand sourire complice s'ajuste sur sa bouche lorsqu'il me présente son énième cadeau.
— Tu te rappelles ? C'est l'une des dernières que nous avions ramené de notre séjour en France. Je l'avais mise de côté pour une occasion spéciale, une chose que nous pourrions faire ou fêter juste toi et moi.
Tout en s'exprimant, il me rejoint et me tend avec précaution la bouteille de vin. Un Saint-Émilion, Château Figeac, de près de quinze ans d'âge. Je pousse un petit son, à mi-chemin entre le rire et l'exclamation de joie, au moment où le contact du verre lisse se diffuse entre mes paumes et où l'étiquette bien conservée tombe sous mes yeux. Je me souviens très bien du séjour dont Sander parle et des caisses de cet excellent cru que nous avions chargé sur le bateau ensuite. Le premier soir de la traversée, nous en avions bu une ensemble, à fond de cale de peur d'attirer de trop l'attention de l'équipage avec nos voix fortes et avinées. Nous avions beaucoup ri, cette nuit-là. Nous étions heureux et enfin un peu insouciants, après les devoirs et missions qui nous avaient conduits jusqu'en pays du Libournais.
Je n'oublierai jamais cette escapade en bateau, et je suis d'autant plus touchée de constater qu'il en est de même pour Sander. C'est là un autre souvenir de notre histoire, aussi imparfaite soit-elle, que nous chérissons tous deux.
J'échange un sourire avec mon amant, la bouteille toujours dans les mains, avant qu'il poursuive :
— Alors, qu'en penses-tu, Gilly ? Le programme de cette soirée te plaît ?
— Beaucoup, confirmé-je avec l'impression de me mettre à flotter.
Satisfait, il s'incline vers l'avant et effleure mes lèvres d'un baiser doux qui n'arrange pas mon affaire. Ma tête tourne un peu plus tandis qu'il remonte sa bouche sur mon front et dans mes cheveux.
— Parfait... Alors on va pouvoir trinquer à cette soirée sans attendre. Je vais chercher le tire-bouchon !
Je hoche la tête, encore sous le coup de la joie et de l'étonnement, puis baisse le regard sur le grand cru collé à mon ventre. Et tout à coup, l'évidence me frappe et me fait revenir sur terre. Sonnée, j'observe tour à tour la bouteille et mon abdomen et ouvre de grands yeux. Comment ai-je pu oublier ? Comment ai-je pu me laisser déborder ainsi, alors que je suis venue dans un but précis jusqu'à Sander ? Je ne peux pas croire que sa surprise m'a autant chamboulée, ça paraît invraisemblable lorsque je me remémore l'énorme bouleversement que j'apporte, moi ! Et pourtant...
Mes doigts sont crispés sur le verre et mon estomac est sur le point de se retourner à nouveau. Je bats furieusement des cils, autant pour chasser l'eau qui s'accumule que le voile de béatitude qu'a engendré les attentions du berserker, et recommence à me mordiller les lèvres. Un sentiment de honte et de culpabilité m'étreint alors que je fixe sous un tout nouvel angle l'environnement que Sander m'a offert. Bien vite, la peur revient en première ligne et supplante tout le reste. Mon Dieu... comment va-t-il le prendre ? Est-ce que cela va encore tout gâcher entre nous... ?
— Donne-moi la bouteille, Gilly. Je vais nous l'ouvrir, m'interrompt sa voix joviale à trois pas de moi.
Je sursaute, n'ayant pas remarqué son retour, et manque de peu de lâcher mon bien. Je resserre automatiquement ma prise dessus et remonte mon attention sur le visage détendu de Sander. Des crampes me soulèvent l'estomac, mais je fais tout pour les contrôler. Ce n'est pas le moment de faire un malaise, je dois m'accrocher... je dois lui dire...
— Gilly ? Tout va bien ? Tu sembles un peu plus pâle d'un seul coup.
Ses paumes se posent avec sollicitude sur mes joues tandis qu'il m'examine de haut en bas.
— Tu es malade ? m'interroge-t-il encore, de plus en plus soucieux.
— Je...
J'humecte mes lippes soudain très sèches et cherche mon air avant de reprendre dans un souffle, qui même à mes oreilles me paraît fragile et instable.
— Je ne peux pas boire, Sander.
— Tu te sens mal ? Tu as des vertiges ?
— Si on veut, lui réponds-je.
Ma bouche tremblote et frémit, je me sens gagnée par une hilarité complètement déplacée et absurde. Je secoue la tête et ravale mon hystérie du mieux que je peux tandis que Sander fronce les sourcils.
— Tu devrais peut-être t'asseoir, Gillian. Tu m'inquiètes un peu là...
Se disant, ses bras se déportent sur ma taille, prêts à me soutenir au cas où je tanguerais et m'écroulerais au sol. Je réprime un faible gémissement. Je dois avoir une tête à faire peur...
— Non, ça va aller, je t'assure. C'est juste que... je... je ne vais vraiment pas pouvoir boire.
Je ne sais pas pourquoi mon esprit se focalise autant sur cet élément en particulier alors que je devrais plutôt lui expliquer le pourquoi. On dirait que mon cerveau est trop secoué pour bien faire les choses. Peut-être qu'à bien y réfléchir, il y a une partie de moi qui regrette d'être confrontée à cet interdit : j'aurais pourtant eu besoin d'un ou deux verres ce soir...
— Mais... ce n'est pas grave, Gill, reprend mon amant pour me rassurer. On la boira une autre fois.
Il me retire le Saint-Émilion avec précaution puis le pose derrière lui sans dévier ses iris scrutateurs de ma personne. Son étreinte se raffermit par la suite alors qu'il formule à nouveau son inquiétude quant à mon état. Mes mains tremblent sur les manches de sa chemise, et cette réaction à l'angoisse plisse un peu plus son front au-dessus de ses prunelles perçantes.
— Que t'arrive-t-il, ma dousig ? C'est ma surprise, j'en ai trop fait à ton goût ? se fustige-t-il avec appréhension. Je suis désolé, j'étais persuadé que ça allait te plaire... Je n'aurais pas dû préparer autant de choses en une seule occasion. Et le vin n'était définitivement pas une bonne idée, ça t'a remuée. Excuse-moi, je pensais vraiment que tu apprécierais l'attention, mais...
— Non ! l'arrêté-je au bord des larmes, meurtrie par ses conclusions erronées. Non, Sander, c'est parfait. C'est absolument parfait ! Ce que tu as organisé pour moi... c'est le plus beau cadeau qui soit. J'adore, je te le jure ! Tout est parfait...
— Alors pourquoi pleures-tu ? me relance-t-il dans un murmure délicat, après une courte pause.
Je ne me suis pas rendue compte que des larmes s'étaient mises à couler avant qu'il m'en fasse la remarque. Je les essuie dans un geste nerveux et baisse le menton sur nos pieds. Seigneur, je suis une telle gourde ! Je dis et fais n'importe quoi, mais surtout pas ce qu'il faudrait. Si je m'écoutais, je me donnerais des baffes en plus d'éclater en sanglots...
Reprends-toi, Gillian ! Ce n'est pas le moment de craquer. Il faut que tu éloignes ta peur et que tu lui parles, bon sang !
— Je ne te suis pas, Gillian, déclare Sander, une pointe de frustration dans la voix. Je ne comprends pas ce qui te...
— Je suis enceinte.
Enfin, les mots tant redoutés sortent, mais à voir l'expression soudain figée de mon amant, je les ai énoncés de la pire des façons. Aussi abasourdie que lui, je pose une main sur ma bouche, mais il est évidemment trop tard. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi, nom de nom ? Qu'est-ce qui m'a pris de le lui annoncer comme ça ? Certes, je n'arrêtais pas de paniquer et de tourner autour du pot, mais ça, là... lui lâcher cette bombe ainsi, sans délicatesse ni avertissement en amont...
Je fais tout de travers. En cet instant précis, je me déteste plus que tout au monde.
Les tremblements de mon corps deviennent plus puissants. Il me faut plusieurs tentatives pour réussir à déplacer mes paumes de mon visage au sien. Sa peau est plus froide qu'à l'accoutumée, il a perdu quelques couleurs aussi... Ses yeux sont écarquillés devant moi, et leur bleu éclatant ressort plus que jamais alors qu'ils ne semblent rien voir. Ils sont ouverts dans le vide, toujours aussi magnifiques mais déstabilisants. En mon for intérieur, je me maudis un peu plus et retiens une litanie d'injures à mon encontre.
— Sander ? l'appelé-je avec la réserve dont j'aurais dû faire preuve tantôt. Tu... tu m'entends ?
Il met plusieurs secondes avant de réagir, mais dès qu'il reprend contact avec l'instant présent, ses paupières papillonnent deux fois et son attention se recentre sur moi. Je pousse un bref soupir de soulagement en le voyant revenir à lui, puis la panique me submerge à nouveau lorsque l'intensité de son regard commence à me brûler de l'intérieur.
— Sander ? fais-je encore, bien que mes organes soient noués et que ma seule envie soit d'aller me cacher dans le fond d'un trou. Est-ce que ça va ?
Durant une longue seconde, il s'immobilise une nouvelle fois, puis ses lèvres s'entrouvrent pour laisser entrer une grande goulée d'air avant qu'il bégaye :
— Tu es enceinte ?
Prudente, j'opine du chef avant d'acquiescer à voix haute lorsque ses orbes me hurlent de le faire.
— Tu en es certaine ? quémande ensuite sa bouche sur un ton pressant.
— Oui. Je sens le changement en moi.
En tant que sorcière, mon lien approfondi avec Mère Nature m'informe de tout ce que je dois savoir sur mon essence et mon corps. Et dès qu'un élément vient bouleverser l'équilibre coutumier de mon organisme, disons à travers une blessure ou une variation hormonale, je le ressens dans chaque fibre, chaque cellule, chaque veine de mon être. Je sais donc, sans le moindre doute, que j'attends un enfant avant même que la médecine moderne puisse l'affirmer. Nul besoin de prise de sang, d'échographie ou d'auscultation par ultra-sons ; mes ultra-sens me l'ont dit. Et je me fie toujours à eux.
Sander a lui aussi toute confiance en mes perceptions surnaturelles. Il ne remet donc pas en question ma nouvelle, comme je m'y attendais... En revanche, ce qu'il réplique ensuite est plus explosif encore que n'importe quel bâton de dynamite.
— Alors le vin n'était de toute façon pas du tout indiqué. J'aurais dû rapporter du champagne.
Le choc me vole mon souffle et stoppe les battements de mon cœur. Mon cerveau se déconnecte, mes membres se transforment en acier tant la stupéfaction est grande. Rien, absolument rien ne m'avait préparée à ça... ni à ce qui suit la déclaration de Sander.
Sans crier gare, le berserker me soulève de terre, me presse comme jamais contre lui et nous fait tourner dans un grand cri exultant d'allégresse. Lorsqu'il me repose, sa poigne reste solide sur mes reins et ma taille, et ses yeux magnifiques brillent d'un éclat intense que je n'avais jamais vu.
— Depuis combien de temps ? m'interroge-t-il en faisant la navette entre mon visage halluciné et mon ventre encore plat.
— Je... Depuis une semaine, je pense. Mais je ne l'ai compris qu'hier.
— Une semaine ? Alors ça daterait de...
— Oui. De la soirée au réfectoire, complété-je, le rose aux joues.
Son regard croise le mien tandis qu'un sourire fier monte lentement à ses lèvres.
— Tu veux plutôt parler de notre after privé qui a suivi la fête, me corrige Sander d'une voix plus basse tandis qu'il comble les quelques centimètres qui nous séparent. Une soirée mémorable à plus d'un titre.
Je dégage l'un de mes bras pour lui frapper le torse et lève les yeux au ciel devant sa vantardise.
— Idiot, soufflé-je autant amusée qu'agacée par ses mots.
Un nouvel éclat de rire quitte sa gorge, ce qui me donne envie de lui donner un autre coup, beaucoup plus fort, cette fois...
Cependant, mon agressivité fond comme neige au soleil à l'instant où ses doigts se mettent à me caresser le dos de haut en bas... avant de dériver vers mon abdomen. Je retiens ma respiration et contemple l'expression plus douce de mon amant, bouche bée. Mon cœur bat la chamade et mon être tout entier se remet à frissonner sans retenue alors que ses iris d'un bleu limpide sont emplis de ravissement.
— On a conçu un bébé... Toi et moi, Gilly. On va être parents.
— Tu... es vraiment heureux ? vérifié-je dans un simple chuchotis.
Je sens que mes cordes vocales ne sont pas assez fiables pour parler d'une voix normale. Une nouvelle vague d'émotions va me submerger à tout moment, ma vision n'est déjà plus très claire, obstruée par les larmes. Le sourire que me décoche ensuite Sander est éblouissant, presque un peu fou, tant l'émotion est violente chez lui aussi.
— Si je suis heureux ? Gillian, ça va au-delà de ça ! Il n'existe aucun mot pour définir ce que je ressens, là tout de suite...
Mon palpitant redouble d'ardeur, à deux doigts d'exploser désormais. Dans un souffle tremblotant, Sander pose son front contre le mien tandis que je m'accroche à lui, pour éviter de m'écrouler.
— Je suis comblé. Transporté. Et tellement chanceux d'avoir un tel avenir devant moi... devant nous.
Sa paume se presse sur mon ventre, et tout l'amour et la gratitude qu'il éprouve scintillent autour de lui, rendant son aura plus belle que jamais. De nouvelles larmes se répandent sous mes yeux, mais les lèvres de Sander les capturent toutes avant qu'elles atteignent mon menton ou le sol. Toute l'angoisse et tous les doutes que j'avais emmagasinés jusque-là, toutes les réserves que je m'étais forgée... disparaissent dès que nos énergies se mêlent l'une à l'autre, parfaitement en phase et sans aucune barrière.
Sander est heureux. Sander me veut pour toujours. Et surtout, Sander veut cet enfant. Notre enfant... Comme trop souvent, je l'ai sous-estimé, je n'ai pas eu assez confiance en lui et j'ai trop écouté cette part de moi qui me fait douter sur le « nous » que nous formons. Elle voulait me convaincre que c'était trop tôt, que notre couple n'était pas assez résistant ni fiable pour cette étape-ci. Elle désirait me faire me sous-estimer aussi, me faire reculer...
Mais cela n'arrivera plus jamais.
Nous sommes résistants. Nous nous sommes affranchis de nos limites. Nous sommes prêts.
Je suis prête.
Et au moment où j'ose enfin le penser, et où Sander s'extasie encore sur notre enfant à naître, sans interrompre ses caresses dévotes, j'oublie les heures de confusion passées et me laisse envahir à mon tour par l'allégresse.
Ma bouche fond sur celle de Sander, alors qu'il est encore en train de parler, lui vole des baisers rapides mais intenses. C'est à peine si je le laisse respirer plus d'une seconde, mais il ne s'en plaint pas. Au contraire, dès qu'il comprend où je veux en venir, ses lèves bougent contre les miennes tandis que ses mains passent sous mes vêtements pour toucher ma peau.
— Je t'aime. Je t'aime tellement, lui dis-je entre deux baisers, les bras crochetés à sa nuque.
Un gémissement sourd lui échappe et résonne contre ma langue.
— Moi aussi, je t'aime.
Grisée, je pousse moi aussi une plainte épanouie, le cœur transpercé par la sincérité profonde de ses intonations. Soudain, il recule un peu, brisant ainsi le contact de nos lèvres incendiées, et plaque plus fort sa paume sur mon ventre.
— Je vous aime.
Ma bouche frémit et esquisse un sourire chancelant mais entier, avant que je sois obligée de me la mordiller sous le coup d'une nouvelle déferlante de larmes.
Sander me sourit, les yeux brillants, puis s'approprie à nouveau mes lèvres. Ce baiser-là revêt une dimension inédite, il véhicule toujours autant de tendresse et de sensualité mêlées, toutefois je le ressens différent. Unique. Il me transcende et m'insuffle un air neuf, aussi immaculé que la lumière qui éclate sous mes paupières.
Très vite, nos baisers ne me suffisent plus car la lumière se transforme en chaleur, devient un véritable brasier. Il brûle sous nos peaux, embrase nos veines et remonte nos échines. Je me pends à lui, presse nos corps l'un à l'autre jusqu'à ce qu'il me porte, mes jambes enroulées autour de ses hanches, et qu'il nous emporte sur son lit. Le sentir tout entier contre moi décuple mes sens, accroît mon amour et mon désir.
Pendant que ma langue s'enchevêtre à la sienne, j'entreprends de le déshabiller. Les boutons de sa chemise sautent un à un, et une fois que ses pans sont bien ouverts sur ses flancs, mes mains courent sur sa peau nue avant de jeter le tissu au loin. Sander grogne dans ma bouche, les abdominaux contractés, puis ses doigts filent à leur tour sur l'arrière de ma robe. Ils ont à peine commencé à la délasser lorsqu'ils s'interrompent sans bonne raison.
Perdue, j'écarte mon visage du sien, hors d'haleine, et le scrute pour comprendre ce qu'il se passe. Ses pupilles dilatées me rassurent quant à son envie de moi, cela dit je ne manque pas les coups d'œil trop appuyés qu'elles lancent vers mon giron.
— Oh, pour l'amour du ciel..., marmonné-je en comprenant vers où s'évadent ses pensées. Je ne suis pas en sucre, Sander. Et ça ne fera rien au bébé, non plus. Alors, arrête de trop réfléchir et faisons l'amour !
Mon amant hausse un sourcil, une seconde décontenancé par la virulence de mes paroles. Puis, un sourire apparaît sur sa bouche gonflée et se reflète dans ses iris étincelants.
— C'est bien la première fois que tu me donnes ce genre d'ordre.
— Tu ne te concentres pas sur les bonnes actions ni les bonnes préoccupations. Tu as besoin d'être recadré, rétorqué-je, une main ramenée sur sa nuque, l'autre restée sur son torse chaud.
Il rit et baisse la tête dans mon cou pour l'embrasser et le mordiller. Je geins, ravie de cette attention, et me colle davantage à lui. Nos bassins se frôlent et un même frisson nous saisit au même moment lorsque la friction s'intensifie.
— Tu as raison, susurre le berserker, tandis que son souffle s'écrase sur ma bouche entrouverte. Je te promets que je vais me montrer beaucoup plus attentif à toi durant les prochaines heures...
— Tu as intérêt, fais-je sur le même ton, le dos arqué sur le matelas.
En réaction, Sander prend une grande inspiration qui soulève son buste contre le mien, le cœur battant à tout rompre.
— Vraiment très, très, très attentif...
Sur ces mots, il ne fait plus semblant de m'enlever mes vêtements et glisse dans le même temps ses lèvres avides sur les miennes. Nos peaux nues se rencontrent enfin de haut en bas, sans plus aucune séparation pour nous freiner. Sa bouche sur ma gorge, il aligne ses hanches aux miennes, passe ses mains dans mon dos pour m'attirer davantage à lui. Le brasier devient lave en fusion et s'amoncelle dans ma poitrine qu'il cajole, et dans mon bas-ventre.
Un sentiment d'euphorie et une énergie nouvelle, un pouvoir incroyable roulent en moi au moment où nous ne faisons enfin plus qu'un. C'est merveilleux, profond et addictif. Sander se meut en moi, j'ondule en harmonie avec lui. Ses va-et-vient me laissent pantoises, mes caresses et mes soupirs le font trembler contre moi... Tout est parfait, vibrant de vie et de tendresse.
Le monde n'existe plus. Mes pensées s'effacent au profit de mes sensations. Bientôt, je suis plus heureuse et comblée que jamais... et je me sens toucher les étoiles lorsque Sander ne se défile pas et tient parole un très, très long moment.
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Hello vous ! :)
Voilà pour ce chapitre très doux et heureux entre Sander et Gillian ! J'espère que vous l'avez apprécié et que les émotions de ces deux loustics sont bien passées héhé ^^ C'était assez plaisant d'écrire ce genre de passage, à la fois parce qu'il se finit bien et déborde de joie, mais aussi parce que pour le coup, si j'avais été à la place de Gill, j'aurais été dans le même état ! xD
N'hésitez pas à laisser un petit signe de votre passage ! :) Et à la semaine prochaine pour la suite <3
A. H.
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