Chapitre 20
Sander
Duché de Toro, Espagne, 1730
La nuit est tombée sur l'hacienda, et ses rayons lunaires se propagent à travers les minces tentures des fenêtres. Le calme règne dans les environs, le sommeil ou quelque autre activité nocturne discrète s'est emparé des hôtes du domaine ; seuls les glissements et frottements de petits animaux en contre-bas troublent le silence ambiant. Je me rends compte qu'il est plus de trois heures du matin lorsque mon regard s'attarde une seconde sur l'horloge de ma chambre. Mes yeux s'orientent ensuite sur le pan de mur derrière le cadran, dévalent les ornements et teintes chaudes de cette décoration d'intérieur, scrutent les arches, les sommets arrondis en stuc disséminés dans cette grande pièce... puis répètent le processus pour la millième fois peut-être depuis ce début de soirée solitaire.
Je détaille tout ce qui est à ma portée, des meubles au bois foncé aux portes aux finitions sculptées, n'omets aucun détail – à tel point que j'ai remarqué, dès ma première inspection et grâce à ma vision améliorée, les bévues des peintres et des plâtriers, qui doivent remonter à quelques décennies déjà. Je me focalise inlassablement sur ce qui m'entoure plutôt que sur ce qui se passe en moi.
En regardant les larges ouvertures illuminées par la lune, je ne vois plus le déchirement qu'arboraient les traits de Gillian. En écoutant les grincements du bois, je n'entends plus ses soupirs d'aise dans ma bouche. En captant le moelleux du matelas sur mes paumes, je ne sens plus la chaleur ni la douceur de sa peau contre la mienne.
Ses doutes, sa passion, sa fuite, sa tendresse... tout disparaît si je m'applique bien. Ce qui est resté, en revanche, ce sont mes doutes, ma colère, ma frustration et ma peine. Par chance, les dernières heures écoulées, assis sur mon lit ou accoudé à la balustrade, ont fini par étouffer la puissance débordante de ces émotions. Désormais, elles ne forment plus qu'un agglomérat lâche et ramolli dans mon abdomen. Leur emprise s'est amoindrie, l'apathie et la lassitude ont pris leur suite.
Je doute qu'elles dureront encore très longtemps, il est même certain qu'à la première occasion elles s'envoleront au profit de leurs prédécesseurs – occasion qui se présentera au lever du jour ou à l'instant où je recroiserai Gillian –, mais pour l'heure, je les savoure. Je les laisse m'imprégner complètement, rejette les rares élans de rage et d'incompréhension qui me tordent les entrailles. Après que la sorcière m'a quitté dans le jardin, ils se sont exprimés et m'ont fait mettre en pièces les massifs de fleurs et les jets d'eau qui me tombaient sous la main. L'instant d'après, l'idée de me rendre en ville et de perpétuer ces dégâts au sein même de la corrida m'a effleuré l'esprit. La douleur est la sensation qui nous pousse le plus dans nos retranchements, elle obtient de nous le pire, et parfois le meilleur de nos actions. Le meilleur paraissait bien loin à ce moment précis, la tentation du pire, elle, a bien failli m'absorber tout entier... jusqu'à ce que je m'en détourne, plein d'une volonté insoupçonnée.
Le contrôle est une discipline qui s'acquiert avec le temps et dans l'effort. Il peut s'avérer être un véritable calvaire, fort d'une énergie menaçante pour celui ou celle qui n'y prend pas garde. J'ai goûté à quelques reprises à ce calvaire durant mon existence, mais cette fois-ci m'a paru bien différente des autres. Presque... plus intense. À égalité avec la première fois où j'ai ressenti la morsure de la faim dans mon nouveau corps de berserker, cette faim délirante pour la chair, l'afflux sanguin sous la membrane. Aujourd'hui, la faim qui a menacé de me faire basculer n'était pas tout à fait la même ; elle était issue de mon désir, de mon ire, de tous ses sentiments brusques qui s'alimentent depuis une fameuse nuit d'hiver, en Norvège, dans une réserve de bois...
Je pousse un soupir à fendre l'âme, puis repars en direction du balcon de ma chambre. L'air caresse mes bras nus et mon visage découvert, fait voltiger quelques mèches échappées de mon catogan. Il apaise le léger remous qui me reprend avec ces réminiscences, relance la torpeur onctueuse de mon être. La lune brille au-dessus de ma tête, le calme se diffuse à nouveau dans mon corps, artifice bienvenu, illusion délectable pour les quelques heures de sursis qui me restent.
Sans relâche, mes réflexions se poursuivent, entre amertume et désabusement, jusqu'à ce qu'elles soient interrompues par des coups légers à la porte. La brise s'écrase contre mon dos lorsque je me retourne et fouette mes cheveux sur mon visage alors que je demeure immobile plusieurs secondes. Inutile de préciser que je n'attends personne – les quelques amis qui m'ont rencontré après mon altercation avec Gillian ont été prévenus de mon désir de solitude ; ils ont dû propager le bruit ces dernières heures, à grand renfort de détails plus ou moins véridiques sur les raisons de mon état.
Les coups se répètent tandis que je ne bouge toujours pas du balcon. Ils sont plus rapprochés que les précédents, moins hésitants il me semble. Je fais un pas en avant, m'éloigne ainsi de l'influence du vent, et suis percuté par un arôme chargé et fort. De la nervosité, en provenance directe de derrière le battant.
Ni une ni deux, je retrouve mes facultés et me précipite sur le loquet. Je tire dessus, tourne la poignée et tombe ensuite nez à nez avec le minois chiffonné de Gillian. Ses beaux yeux verts croisent les miens et sa bouche se contracte de tristesse lorsqu'elle balaie ma silhouette de haut en bas.
— Bonsoir, chuchote-t-elle en guise d'amorce maladroite.
— Que fais-tu ici, Gillian ?
Le ton de ma voix n'est ni trop rude ni trop accueillant, ce dont je m'étonne à moitié. Si j'ai su que c'était elle à l'instant où j'ai capté son odeur, cela ne veut pas pour autant dire que je ne suis pas indécis. Dois-je être soulagé ou en colère de la voir là, devant moi ? Je ne sais pas le déterminer, je ne sais que ressentir... Je ne sais pas non plus pourquoi elle est là, vu qu'elle n'a pas répondu à ma question et qu'elle ne paraît pas disposée à le faire.
— Me permets-tu d'entrer ? réplique plutôt la sorcière en désignant l'intérieur de ma chambre.
— Pourquoi ?
Mon insistance et le fait que je ne me déplace pas d'un pouce décuplent sa nervosité. Elle mordille sa lèvre et déporte son regard ailleurs que sur ma personne alors qu'elle tente une réponse.
— S'il te plaît, Sander... Il faudrait que nous parlions.
Les mots me frappent et soulèvent une vague d'ironie en moi. Ce sont les mêmes que je prononce depuis quatre-vingts ans et jamais je n'ai obtenu ce que je voulais. Quelle dérision que ce soit elle qui les formule à présent...
Cette femme aura ma perte. Elle s'est nichée au plus profond de moi-même, et bien qu'elle me meurtrisse un peu plus à chaque faux-semblant, à chaque difficulté, je ne l'en délogerai pour rien au monde.
Je respire par à-coups profonds et me décale pour lui céder le passage. Elle s'engouffre dans la brèche qu'elle n'a pas conscience de s'être creusée seule, et lâche une expiration continue à côté de moi. Je referme la porte sur nous tandis qu'elle chemine dans ma chambre, mais elle s'arrête net dès lors que le grincement des gonds cesse. Nous sommes à nouveau seuls.
La lune baigne toujours la pièce de son auréole éthérée, et c'est dans celle-ci que s'est immobilisée Gillian. La pâleur de sa peau et de sa chemise de nuit s'accorde avec les rayons blancs qui courent sur sa silhouette. Sa chevelure dorée, en grande partie détachée, tranche avec la couleur parme de sa robe de chambre, qu'elle semble avoir enfilé à la hâte, sans en rabattre les pans sur son vêtement de nuit. Ce dernier la couvre jusqu'aux genoux ; épais sans être incommodant, il est fait de coton et est paré de quelques fines broderies, témoignages de richesse, privilèges nobles que seuls l'élite et leurs amis peuvent se permettre. À n'en pas douter, c'est là un cadeau de bienvenue de la duchesse qui est tombée sous le charme – comme quiconque ne souffrant de nulle déficience – de la délicatesse et de la bonté de Gillian.
Belle comme un ange, ses prunelles brillent sous les reflets et me détaillent moi aussi, alors qu'une poignée de minutes s'est déjà écoulée depuis son entrée. Quelque chose passe d'elle à moi et éternise encore un peu cette contemplation mutuelle. Une sensation lourde et un frémissement diffus me traversent pendant que ses iris s'attardent sur mon visage, mes bras nus, ma chemise légère, mes jambes accoutrées d'un pantalon lâche, souvenir d'un séjour en Italie. Son regard se teinte de nuances inédites, il n'est pas semblable à celui qu'elle adopte en temps normal, profond et sérieux, ni à celui qu'elle me décoche à la dérobée, intense et vibrant, quand elle croit que je ne la vois pas faire. Ce soir, son regard est tout cela à la fois... et il me perfore de part en part.
C'est la première fois que Gillian s'autorise un coup d'œil de ce genre et cela réveille en un éclair l'espoir tenace que j'avais tenté d'annihiler plus tôt dans la journée, et à quelques autres reprises au cours de notre relation. Je suis optimiste de nature, je ne me laisse pas abattre pas les épreuves, quelles qu'elles soient. Je veux avoir confiance, en moi, en la vie, en mes sentiments, en les autres... et surtout en Gillian. Je pense que je fais bien car ce soir, l'espoir n'est donc pas mort, la sorcière est venue me retrouver, et une nouvelle énergie se propage entre nous.
Gillian est toutefois la première à rompre ce long contact, les joues plus colorées qu'avant, et à se racler la gorge pour parler.
— Je suis désolée de m'être enfuie comme je l'ai fait, dans les jardins... Ce n'était pas très correct de ma part.
Je ne dis rien, autant parce que je ne vois pas quoi répliquer à cette vérité et parce que je suis encore un peu troublé par ce qui vient de se produire. Gillian pose à nouveau prudemment les yeux sur moi, comme pour évaluer ma réaction à ses mots, puis les détourne à toute vitesse. Le fumet de la gêne l'englobe et je sens qu'elle prend sur elle pour ne pas se balancer d'un pied sur l'autre ou changer de position. Il n'y a que face à moi que la sorcière a bien du mal à se contenir et à conserver un calme impassible. Si, d'ordinaire, j'en sourirais, aujourd'hui je n'en ai pas envie. Je n'y parviens pas, tout simplement.
L'espoir a beau être de retour, la confusion, elle, ne m'a pas encore quitté. Cette journée a tout chamboulé entre nous, il y aura désormais un avant et un après, je le ressens dans la moindre fibre de mon être. Et la présence de Gillian ne fait que le confirmer. L'interrogation la plus importante dorénavant est de comprendre si cet après sera mieux ou pire que l'avant...
— Je... J'ai beaucoup repensé à tout ce que tu m'as dit, cet après-midi, repend la voix incertaine de la sorcière. Je ne suis pas encore bien sûre de savoir comment y réagir encore maintenant, mais je... je ne pouvais pas continuer à tourner en rond dans ma chambre. Je devais venir te voir.
Je n'interviens pas là encore et l'observe plutôt secouer la tête puis fixer ses pieds, l'espace qui nous sépare, la console près d'elle...
— Sander, ce que tu m'as dit... Tu ne peux pas m'aimer, lâche-t-elle avec précipitation, comme si c'était une balle qui fusait d'entre ses lèvres, et non des mots. Tu ne peux pas ressentir ces sentiments à mon égard. C'est juste inconcevable.
— Inconcevable ? C'est loin de l'être, me récrié-je cette fois. Cela fait près d'un siècle que ce que tu nommes impossible est une absolue vérité pour moi.
Je ne crains pas de mettre mon cœur à nu devant Gillian. Car, soyons réalistes, si je ne le fais pas devant elle, devant qui le ferai-je ? Qui pourrait, en dehors de cette femme, me connaître mieux que quiconque ? Qui devrait tout savoir de moi si ce n'est celle que j'affirme aimer ?
Je ne marche plus dans ses faux-semblants ; si je ne m'en étais pas détaché jusqu'à présent, c'était pour Gillian, pour la préserver, lui donner ce qu'elle voulait, ce qui la rassurait. Mais cela s'arrête cette nuit. Elle est venue à moi, elle se confronte à moi pour la première fois depuis notre rencontre. L'après s'installe, il prend ses droits d'autorité.
Plus d'apparences. Plus de mirages. Plus de comédies.
L'après est fait de vérités, aussi délicates et vulnérables soient-elles.
Gillian soupire et abaisse les paupières une longue seconde – sa défense préférée pour ne pas voir en face lesdites vérités.
— Si je suis venue en Norvège, c'était dans le seul but de t'utiliser, reprend-elle sur un ton plus ferme.
— But avec lequel tu n'as jamais été à l'aise et que tu étais prête à abandonner s'il devait nous causer du tort.
La jeune femme me scrute à ma réponse, puis plisse les yeux, agacée par ma repartie.
— Et pourtant je ne l'ai pas fait. J'avais beau savoir que les Danois n'étaient pas totalement honnêtes, j'avais beau me douter que leurs cachotteries allaient vous porter préjudice, d'une manière ou d'une autre, je n'ai rien empêché. Je ne me suis pas assez opposée. J'ai d'abord pensé à moi.
— Et moi, à moi, rétorqué-je avec la même franchise. Je désirais ce changement. J'ai fait passer mes intérêts avant les tiens, Gilly. Et je serais prêt à le reproduire s'il le fallait.
J'accompagne mes répliques de pas en avant, jusqu'à pouvoir me tenir à quelques pieds de la sorcière. Celle-ci lève la tête pour continuer à croiser mes prunelles, et l'expression entêtée et coupable de ses traits fins m'apparaît plus brute à cette courte distance. Elle ne lâchera pas le morceau, je le vois dans ses iris brûlants. Elle est prête à m'énumérer point par point toutes les raisons qui, selon elle, prouvent notre « incompatibilité ».
Lorsqu'elle évoque le fait que nous n'appartenons pas à la même espèce et que les relations entre ces deux races sont récentes, je riposte en prenant différents exemples de couples-amis très heureux en ménage, qui ont su surmonter leurs éventuelles contrariétés. Puis, lorsqu'elle m'assène que nous n'aurions jamais dû nous rencontrer, je n'hésite pas à lui répéter que bien souvent le destin fait bien les choses.
— Tu es infernal ! s'exclame la sorcière, ulcérée et les bras levés au ciel.
J'ébauche un bref sourire, le premier depuis son arrivée, et imagine sans peine toute l'amertume qu'il doit refléter.
— En toute honnêteté Gilly, tu n'as pas vraiment bien placé pour me faire ce reproche.
Elle tique à la mention de son « sobriquet », comme elle se plaît à le dire, mais ne s'éloigne pas quand je me rapproche encore un peu.
— En as-tu fini cette fois, ou gardes-tu encore quelques arguments en réserve dans tes manches ? me moqué-je en faisant mine de tirer sur l'emmanchure de sa robe de chambre.
Gillian me toise, des éclairs dans ses orbes lumineux, et les battements de son cœur s'accélèrent, au diapason de sa respiration. Elle est frustrée et irritée de ne pas réussir à m'atteindre et à obtenir gain de cause, et cela me fait un bien fou de ne pas être celui qui se retrouve dans cette position, pour une fois. Je m'autorise un autre sourire et un rapide éclat de rire pour faire bonne mesure. Et alors que je ramène mon visage à la verticale, après avoir profité de cette sensation libératrice, tête rejetée en arrière, l'attitude soudain trop figée de Gillian ne m'échappe pas.
Les palpitations dans sa poitrine n'ont pas désempli, elles semblent même avoir encore changé de rythme tandis que ses prunelles vont et viennent sur ma personne. L'effluve de sa peau n'est plus drapé en tout et pour tout de nervosité : le parfum de la surprise et du plaisir s'y ajoute et menace de me faire tourner la tête. Un changement s'opère en Gillian et dans l'atmosphère entre nous. Celle-ci devient plus lourde, plus tentatrice et électrique... elle me rappelle celle que nous avons côtoyée dans les jardins.
À nouveau, Gillian laisse divaguer sur moi ce regard trop frénétique pour être vrai, et qui nous chamboule tous deux. C'est bien simple, j'ai l'impression qu'il s'agit là de ma façon de la regarder, de la couver des yeux.
La puissance de son être et la chaleur de son corps doux percutent les miens au moment où j'évince la dernière distance entre nous. Je ne la touche pas, du moins pas encore, nos poitrines ne font que se frôler, ainsi que le haut de nos cuisses, mais l'instant n'en demeure pas moins grisant.
Mes doigts montent vers son visage tendu, restent à un pouce de sa peau fraîche, et je lui décoche la même œillade intense. À travers elle, je l'interroge une dernière fois sur ses réticences, lui conseille de les émettre s'il en existe encore, car dans le cas contraire, je ne me retiendrai plus.
Gillian soutient tant mon regard que je la soupçonne de résister à l'envie de dévier vers mes lèvres, toujours closes pour l'heure, mais plus qu'à un souffle des siennes cela dit.
Comme elle lit aussi bien en moi que moi en elle, elle prend conscience de ma détermination et tente le tout pour le tout dans une réplique effrénée.
— Tu es mon ami, Sander. On ne peut pas.
Je m'immobilise à mon tour, les membres raidis, et perçois autant de soulagement que de déception passer dans les iris de Gillian. Son corps se détend un peu contre le mien ; elle a l'air de penser qu'elle vient d'avoir le dernier mot dans notre joute, que le débat est clos.
Notre amitié, voilà son argument ultime, celui qu'elle n'a eu de cesse de m'opposer. Celui qu'elle a invoqué cette première fois, alors que nous venions de rouler dans la neige et que je m'étais plaqué contre elle, plein d'ardeur et de désir contenus. C'est avec cette carte qu'elle croit me faire ployer, comme elle l'a fait en Norvège, suppliante et opiniâtre à la fois. En ce temps-là, confronté à sa détresse et à ses doutes, j'ai effectivement laissé couler. J'ai tenté de la rassurer, de ne pas la brusquer. Je lui ai promis la relation qu'elle désirait, tout en sachant que ce n'était qu'un pis-aller. Ce n'était qu'une question de temps avant que nous soyons rattrapés par notre attirance mutuelle. Je lui ai menti, en somme ; je suis entré dans son jeu pour ne pas la perdre, au point de m'écorcher la bouche sur des mots vides de sens...
Or, ce temps est révolu. Il s'agissait de l'avant entre nous. Désormais, nous sommes dans l'après.
« Et l'après est fait de vérités, aussi délicates et vulnérables soient-elles. »
— Non, Gillian. Je ne suis pas ton ami.
Choquée, l'interpellée écarquille les yeux, mais j'en fais abstraction pour poursuivre d'une voix métamorphosée par l'assurance.
— Un ami n'éprouve pas les sentiments que tu m'inspires pour une amie. Un ami ne désire pas, corps et âme, une amie. Un ami ne touche pas une amie comme je l'ai fait avec toi, dans les jardins. Un ami n'embrasse pas une amie non plus. Un ami ne se délecte pas de l'odeur, de la beauté et du charme d'une amie.
J'énumère ces vérités trop longtemps déguisées et sans m'interrompre, je pose mes mains sur Gillian, caresse sa mâchoire, son cou, ses clavicules. Je ne me précipite pas, je savoure le grain de sa peau, recueille les frissons qui la saisissent du bout des doigts. Mais à l'instant où j'arrive au bout de mon discours, je reprends son visage en coupe et fais en sorte que nos regards intenses soient au même niveau.
— Nous ne sommes pas amis, Gillian. L'amitié ne ressemble pas à ce que je viens de décrire... L'affection n'est pas ce qui nous guide l'un vers l'autre.
— Non, souffle-t-elle, enfin en accord avec moi.
— Ce qui nous attire et nous relie depuis que nous nous sommes rencontrés...
Comme pour illustrer mon propos, mes mains descendent sur son corps et enserrent sa taille, tandis que ses propres doigts accrochent mes bras.
— ... Ce sont l'amour et le désir que nous ressentons, chérie, complété-je d'un ton fervent à son oreille.
À ces mots, la digue qui la retenait tout ce temps se rompt. Je vois sa destruction dans les émeraudes de la sorcière, juste avant que sa bouche plonge sur la mienne. J'accueille son baiser avec fierté et soulagement, y réponds avec dévotion. Elle l'a fait. Elle a réussi à briser ses dernières réticences, ses dernières chaînes, et cette fois je sais qu'elle ne reviendra pas en arrière. Il n'en est plus question désormais. Nous avons emprunté un nouveau tournant dans notre histoire, et alors que nous nous abandonnons aux lèvres de l'autre, je comprends que cette visite nocturne était un test. Gillian nous a testés l'un comme l'autre, désireuse d'en avoir le cœur net... Autant dire que le résultat final est sans appel : nous l'avons passé avec brio.
J'approfondis notre baiser et suis ivre de joie lorsqu'un soupir d'aise lui échappe. Gillian n'émet pas la moindre résistance au moment où je lui entrouvre les lèvres et glisse ma langue sur la sienne. Sa réaction est aussi passionnée que la mienne et ses bruits de gorge s'intensifient, au point de décupler le martèlement de mon cœur.
Dans un mouvement souple, je passe mes bras sous ses genoux et la hisse contre mon torse. Son cri de surprise est étouffé par ma bouche, puis se transforme en borborygme de béatitude lorsque je la dépose sur mon lit.
À cet instant précis, les choses s'enchaînent avec une aisance incroyable et une rapidité languide. Nos mains agrippent nos vêtements pour nous les retirer. Nos corps se serrent l'un contre l'autre, captivés par la chaleur de nos peaux mises à nu. Nos lèvres explorent les courbes de l'autre. Nos gorges font rouler des gémissements de plaisir, qui nous enflamment autant que notre étreinte. Nos bassins se frôlent langoureusement avant de se rencontrer dans des va-et-vient doux, mais profonds.
Nos êtres s'épousent pour la première fois. Ils se goûtent, s'apprivoisent et se comblent enfin.
Le vent nous englobe, nous pousse à fusionner, à ne plus autoriser un seul espace entre nous. Une pluie chaude et douce roule sur nos membres imbriqués. Un feu ardent couve dans nos poitrines haletantes de désir. Et une secousse fuse de nos âmes jusqu'au sol sous le lit lorsque nos cris de jouissance retentissent en même temps.
Nous retombons sur le matelas, alanguis de bonheur et pantelants de bien-être, les muscles encore brûlants de tension. Mon cœur vibre, mon corps irradie ; je suis transporté, galvanisé par toutes ces sensations nouvelles que Gillian est la seule à m'avoir offert. Ma première fois avec une femme, ma première fois avec la femme, celle que j'aimerai jusqu'à la fin des temps.
Lovée contre moi, ses cheveux couvrant en partie sa délicieuse nudité, Gillian croise mes prunelles, esquisse un sourire rassasié et endormi. Je le lui retourne, la presse un peu plus fort contre moi et dépose un baiser tendre sur ses lèvres, quelques secondes avant qu'elle tombe de sommeil. Les heures suivantes, jusqu'à ce que le soleil pointe ses premiers rayons par la fenêtre, je la contemple inlassablement, bercé par sa respiration apaisée.
Notre première nuit était exceptionnelle, plus belle que tout ce que j'avais pu m'imaginer. Chaque soupir, chaque mouvement, chaque baiser se rejoue dans ma tête, et ils se poursuivent dans mes rêves alors que je m'endors à mon tour, enlacé par les bras de mon amante.
* * * * * * * * * * * * * *
Bonjour à vous ! :)
Bon, je pense qu'un cri du cœur est de circonstance pour ce chapitre, et je vous propose donc de le reprendre après moi : CA Y EST, ILS L'ONT FAIT !!!! ILS ONT ENFIN CONCLU !!! xDD
Au bout de près d'un siècle (et 20 longs chapitres pour vous xD), on en arrive enfin à ce moment ! J'ai hâte d'avoir vos avis là-dessus d'ailleurs, tout particulièrement concernant le discours de Sander (je rêvais depuis longtemps de pouvoir caser le fameux "Non, je ne suis pas ton ami" xD Le personnage de Sander était le "cobaye" idéal pour exprimer cette vérité très crue et souvent dérangeante/malaisante quand on se rend compte qu'un.e ami.e ressent plus que de l'amitié pour nous - et qui du coup, de mon point de vue, n'est plus un.e ami.e. J'avais besoin d'un homme très honnête et intègre, et de poser ce bloc là, dans cette histoire si en dents de scie entre eux, c'est chose faite ^^)
Savourez bien ce chapitre, profitez de ce petit instant de bonheur et de répit, car dès la semaine prochaine, on refait un bond en avant dans le temps et là, comment dire... l'ambiance ne sera plus aussi chaleureuse et exaltée ^^'
Des bisous <3
A. H.
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