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Chapitre 14


Gillian

Lysefjord, Norvège, 1654

— S'il vous plaît ! Un peu de silence dans le cercle, sinon nous serons obligés de mettre tout de suite un terme à la leçon.

Mon rappel à l'ordre dissipe le brouhaha qui s'était formé entre mes jeunes élèves. Je souris de satisfaction lorsque leurs paires d'yeux attentifs reviennent sur mon visage.

— Bien. Nous n'avons plus que quelques minutes avant que vos parents ne vous appellent pour le dîner, alors occupons ce temps intelligemment. Anya ? Désires-tu nous faire la démonstration ?

La fillette à peine âgée de dix ans se déplace jusqu'à venir s'asseoir en tailleur devant moi, et ne dévie pas son regard impatient et anxieux du mien. Je lui souris avec douceur pour la mettre en confiance et lui demande de tendre ses deux mains entre nous, paumes ouvertes vers le ciel. Elle s'exécute et récolte quelques flocons avant qu'ils se désintègrent au contact de sa chaleur.

— Tu te souviens de tous les gestes ? l'interrogé-je d'une voix basse, désireuse de nous plonger dans une bulle pour qu'elle soit bien concentrée.

— Oui.

Sa voix fluette ne tremble pas. Un bon signe : elle est prête. Je lui souffle mes derniers conseils, puis la laisse aux commandes de l'exercice. Anya hoche la tête, ferme les paupières un instant, puis enserre lentement ses deux mains l'une contre l'autre. Une vibration ténue se met à grésiller à ce geste, ce qui agrandit mon rictus. Elle est sur la bonne voie.

La petite le sent aussi, car une seconde plus tard, ses prunelles s'ouvrent en grand et se fixent sur l'énergie entre ses doigts.

— C'est très bien, l'encouragé-je dans un murmure. Maintenant, relâche-les.

Elle inspire par la bouche tout en écartant ses paumes, et son souffle se bloque dans sa trachée alors que les gouttelettes d'eau se sont reformées en flocons de neige, comme prévu. Alentour, les autres enfants poussent des hoquets enthousiastes et quelques exclamations surprises tandis que nos iris, à Anya et moi, se croisent une nouvelle fois.

— Continue, l'invité-je en zieutant vers les cristaux.

Un peu hésitante, mon élève se mordille la lèvre, puis elle finit par replacer tous les flocons dans une paume et monter l'autre vers son minois. Absorbée, elle amorce les mouvements de doigts et de poignet que je lui ai enseignés afin de créer un petit tourbillon d'air, qui se met à faire danser les agrégats scintillants. Ils s'entremêlent, se déportent puis se rapprochent à nouveau au-dessus de la main gauche d'Anya, et la vue de sa fierté et de son sourire immense est encore plus satisfaisante pour moi que le fait qu'elle ait réussi ce tour.

— C'est parfait, Anya, vraiment parfait. Tu as fait de l'excellent travail !

Les orbes gris de l'enfant s'ancrent aux miens, illuminés par la joie débordante qu'elle ressent. Je lui adresse un autre sourire réjoui et passe mes doigts dans ses cheveux blonds près de son oreille. C'est une vraie fierté de voir tous les progrès que font chaque jour ces enfants ; je suis heureuse de constater qu'aujourd'hui encore ne fera pas exception à cette règle devenue coutumière.

Le cœur gonflé, j'avise les faciès de mes autres élèves près du feu et déclare :

— Bien, à qui le tour maintenant ?

Un chœur de « Moi ! » sonore retentit alors qu'ils se mettent à parler tous en même temps, cependant nous n'aurons pas l'opportunité d'aller plus loin ce soir : les premiers appels de parents fusent au même moment.

— Oh non ! se lamentent plusieurs voix désappointées.

— Allez, allez ! Ne faites pas attendre vos parents, vous devez y aller. Nous reprendrons demain en fin de journée.

Quelques moues boudeuses apparaissent, ce qui m'oblige à réprimer un rire amusé, mais elles ne durent pas dès que la deuxième vague d'avertissement s'élève.

— Allez, filez ! leur fais-je avec un geste de la main.

— Au revoir, Gillian ! À demain !

Sans me départir de mon sourire, je leur rends leurs signes avec entrain et les observe s'éclipser un à un en direction des chaumières en contrebas. Depuis mon petit relief, j'aperçois à peine les lumières du village où nous nous sommes établis depuis... deux ans désormais. Je secoue la tête, incrédule.

Cela fait déjà deux ans que mes compagnons et moi-même vivons dans ce fjord splendide. Plus incroyable encore, cela fait plus de dix ans que je réside en Norvège, un pays si éloigné de mes terres natales... Quand je pense à tout ce temps passé ! Seigneur, j'ai parfois du mal à me dire que ça fait si longtemps que j'ai quitté l'Angleterre. Mais c'est bien la réalité. Et il s'est passé beaucoup de choses dans ces paysages glacés et abrupts depuis ma rencontre avec d'autres villageois, demeurant plus à l'est qu'ici...

Comme convenus, Norvégiens et Anglais sont partis à la recherche d'autres berserkers éveillés ou à éveiller à travers la Norvège. Seulement, dès le départ, nous étions plus nombreux que ce que nous pensions, car des sorciers venus du Danemark se sont joints à nous. En effet, Fritz et Viggo leur avaient parlé de notre situation, à nous Anglais, et ils ont été naturellement touchés par leur récit. Ces confrères et consœurs se sont ajoutés à notre groupe, disposés à nous apporter leur soutien dans cette nouvelle aventure. Alors nous avons cheminé de région en région, et débusqué les descendants vikings à différentes étapes de notre périple. Et comme me l'avait promis Sander, les berserkers qui accostaient leurs pairs veillaient toujours à dire toute la vérité sur ce qui les amenait jusqu'à eux. Ils n'omettaient aucun élément, pas même le supplice du sortilège, et c'est à force d'arguments et en comptant sur les désirs refoulés des berserkers en devenir – Sander avait raison : leur être réclamait leur complétude –, qu'ils ont réussi à les rallier à notre cause. Ainsi, de nouveaux guerriers ont vu le jour et ont décidé eux aussi de se joindre à notre troupe au fil du temps – à la fois pour nous aider, mais aussi pour obtenir du soutien de la part de leurs « mentors ».

Nous avons donc voyagé en Norvège, nous sommes faits de nouveaux alliés grâce à la puissance combinée de tous les sorciers et berskers présents, et nous vivons en paix les uns avec les autres. Depuis plusieurs années déjà, à chaque endroit où nous nous posons, nous mettons en place un rythme de vie, une routine qui nous permettent à tous, natifs comme « importés », de nous entendre et nous y retrouver. Ainsi, nos journées sont souvent rythmées entre tâches et corvées « lambda » et activités plus hors norme, telles que les entraînements de force, de vitesse pour les descendants vikings, et les cours de magie pour les sorciers, comme ceux que je donne le soir. Je m'atèle à former les jeunes recrues, de la même façon que Sander le fait avec celles côté berserkers.

— Tu risques de geler sur place si tu persistes à rester assise dans la neige.

Quand on parle du loup...

Je tourne la tête pour faire face à l'expression railleuse de Sander tandis qu'il avance jusqu'à moi, à peine habillé.

— Je peux savoir où sont passés ton manteau et ta veste en laine ? Parce que là, c'est toi qui risques de geler avec cette simple chemise sur le dos.

Le Norvégien me décoche un sourire de son cru et retrousse ses manches, dans l'optique évident de me narguer. Il s'affale ensuite à mes côtés, les jambes étendues dans la neige encore compacte malgré le foyer non loin de là, et passe ses bras derrière sa nuque.

— Voyons, Gilly, tu sais bien que je suis plus résistant au froid que toi. J'ai à peine la chair de poule, là.

Je lève les yeux au ciel en l'entendant m'appeler « Gilly ». Voilà près de sept ans qui m'affuble de ce sobriquet stupide et infantilisant ; la première fois qu'il l'a fait, je me suis rebiffée si fort que j'ai bien cru qu'il allait s'excuser et lâcher prise, mais c'était mal le connaître visiblement... Sur le moment, il m'a souri de toutes ses dents, et depuis il s'en donne à cœur joie à la moindre occasion. Si je ne l'appréciais pas autant, je crois que je l'aurais étripé depuis bien longtemps.

— Comment s'est déroulé ta leçon du jour avec les petits ? me relance-t-il, comme pour m'amadouer et m'empêcher de le houspiller encore une fois.

— Bien, souris-je à l'évocation de mes élèves. Ils sont assidus et curieux, en plus d'être bien plus gentils et sages que toi.

Sander ricane, mais n'ajoute rien. Pour le moment.

— Ils progressent aussi bien que ce que tu souhaitais ?

— Et plus encore, acquiescé-je joyeusement. Ils ont un avenir très prometteur. Et tes élèves, alors ? Apprennent-ils aussi bien que les miens ?

— Oui, oui, je n'ai pas beaucoup de soucis à me faire sur ce point-là. Eux aussi apprennent vite et bien, même s'ils n'ont pas le même âge que tes petits sorciers.

Je hoche la tête. En effet, ça ne doit pas être la même chose d'enseigner à des adultes... Ils sont confrontés à des bouleversements qui, en toute logique, ne devraient pas survenir à cette période-ci de leur vie, c'est assez déstabilisant pour eux. Certains éprouvent de vraies difficultés à se soumettre à une nouvelle forme d'autorité, quand bien même Sander n'abuse jamais de sa position. L'adaptation n'est pas toujours de tout repos chez les berserkers... et c'est cette dernière pensée et l'observation du visage un peu fermé de mon ami qui me font dire que peut-être aujourd'hui compte parmi les journées difficiles.

— Y aurait-il un « mais » dans ta phrase, Sander ? Quelque chose ne va pas ? m'inquiété-je à voix haute.

Son regard sérieux tombe dans le mien tandis qu'il laisse planer un silence entre nous. Lorsqu'il finit par reprendre la parole, sa voix est aussi austère que ses orbes.

— Tu as raison, Gillian, il y a un « mais » dans ma phrase... Je crains, hélas, que mes recrues soient aussi teigneuses que toi. C'est un véritable enfer !

Le vague sentiment de nervosité que je ressentais jusque-là est balayé dans la seconde et remplacé par une rage grinçante. Je grogne et lui décoche une claque sonore sur le bras lorsqu'il se met à rire aux éclats.

— Je ne sais pas par quelle damnation ils ont tous pu hériter de ton sale caractère. Ils sont franchement imbuvables et plus violents que nécessaire, je suis obligé de les canaliser à chaque combat ! C'est épuisant !

— Tu n'as pas bientôt fini tes enfantillages ? m'écrié-je, offusquée.

Mais cet idiot ne fait que rire de plus belle, au point de s'en tenir les côtes.

— Oh, si tu pouvais voir ta tête, Gilly !

— Ne m'appelle pas comme ça !

Je le frappe une nouvelle fois pour le punir et évacuer ma colère, hélas, cela n'a aucun effet sur lui, si ce n'est le faire basculer sur le dos et s'éclaffer à gorge déployée.

— Continue comme ça, Gilly, tu ne fais que me donner un peu plus raison.

— Qu'est-ce que tu peux m'énerver !

— Ma plus grande fierté.

— Tu es ridicule et puéril par-dessus le marché !

Sander se redresse légèrement sur un coude et essuie une larme au coin de sa paupière pendant qu'il me scrute de haut en bas.

— Je pense que je suis né pour t'ennuyer plus que pour devenir berserker, dans le fond.

— Ça expliquerait bien des choses en effet, marmonné-je avec aigreur.

Le son amplifié de son rire devient alors trop exaspérant, tout comme l'air sardonique qu'arborent ses traits. Le berserker a un talent inégalable pour me sortir de mes gonds, les années lui ont permis de se perfectionner dans cet art et si la plupart du temps ses taquineries glissent sur moi, aujourd'hui je n'y tiens plus. Cette fois, je veux qu'il la mette en sourdine et obtenir le dernier mot.

Sans y réfléchir davantage, je me jette sur lui et le fustige vertement, mes mains enserrées sur ses épaules et mes jambes pesant sur son bassin.

— Retire ce que tu as dit !

— Et m'ôter le plaisir de te faire écumer de rage ? Sûrement pas !

Avec un grondement, je le secoue, cherche à atteindre ses flancs pour le chatouiller et à lui faire peur en lui promettant une vengeance salée, mais c'est à peine s'il réagit – en dehors de son rire moqueur, s'entend.

— Tu es l'être le plus agaçant que je connaisse !

— Ce qui ne t'empêche pas de m'adorer, réplique-t-il avec insouciance.

Je lève les yeux au ciel pour la forme, mais son sens de la repartie m'amuse dans le fond. Sander sait toujours quoi dire ou comment le dire pour me dérider, et on peut dire qu'il entretient à merveille ce fameux don.

— Excuse-toi au moins, lui fais-je en sentant un début de sourire monter sur mon visage. Je croyais vraiment que tu avais un problème avant que tu me fasses ton numéro.

Son sourire s'étrécit, devient presque grave alors qu'il s'immobilise sous moi et qu'il me scrute.

— Si je le fais, cela inclut-il que tu me lâches ensuite ?

— Eh bien, oui, bafouillé-je, déroutée par sa question. Nous avons autre...

— Alors non, je préfère ne rien dire, me coupe-t-il, ses mains ramenées sur le haut de mes bras.

Quoi ? Qu'est-ce que ça signifie, ça encore ?

Je n'ai toutefois pas l'opportunité de demander des éclaircissements : la seconde suivante, ce n'est plus moi qui domine et « menace » Sander, mais lui. Il nous a fait changer de place en un tour de bras leste. J'écarquille les yeux et relâche ma respiration – que je n'avais pas eu conscience de retenir jusque-là. Son geste me prend de court, mais je sens bien dans sa façon de me regarder à présent que nos chamailleries sont terminées. Sander ne joue plus, et mon esprit met un instant pour comprendre ce que mon corps a cerné au premier frôlement.

Nous avons déjà vécu cette situation, j'ai déjà éprouvé ce trouble, cette émotion étrange alors que mon cœur s'emballe, que mes muscles se tendent et que les prunelles opalines de Sander me happent avec force. Sauf que cette fois-ci, les sensations paraissent multipliées car nos corps sont bien plus proches. C'est beaucoup plus intense, beaucoup plus déconcertant.

Ses jambes sont alignées aux miennes, ses hanches effleurent mon bassin, son sternum appuie sur ma poitrine, et ses mains sont posées de part et d'autre de ma tête pour l'empêcher de trop peser sur moi. C'est une position intime, fusionnelle, charnelle... comme si nous nous apprêtions vraiment à passer à l'acte, avec ou sans vêtements. J'analyse tout cela sur quelques secondes où j'ai l'impression d'être extérieure à la scène, devenue spectatrice de cet improbable cas de figure. Cependant, mon regard critique éclate en mille morceaux passé ce laps de temps, et cède le pas à un tourbillon de sentiments qui n'ont plus rien de très rationnel.

La panique ébranle mon rythme cardiaque, la peur s'insinue dans mes organes, le danger échauffe mes veines, et une dernière forme d'émoi colore mes joues d'un rouge soutenu.

Tout est à la fois similaire est très différent de la première fois, il y a dix ans de cela, juste avant que nous lancions le sortilège. Je suis perturbée, infichue de me ressaisir tandis que de son côté, Sander semble sûr et confiant, en phase avec lui-même et ses désirs. C'est ce que me hurle ses iris braqués sur moi, et encore plus la pression douce mais ferme qu'exerce son corps au-dessus du mien.

Lui n'a pas peur ni ne doute de ce moment. Sans avoir prémédité son geste, il est heureux d'en être arrivé là, encore plus heureux de nous sentir à nouveau proches tous les deux. Un bref soupir passe la barrière de ses lèvres et échoue sur ma pommette, et je discerne sans mal le soulagement et le contentement derrière ce souffle. En réaction, mon palpitant cavalcade plus vite encore, ce qui déclenche les frémissements de ma cage thoracique.

Comme il y a dix ans, Sander dépose une de ses mains sur mes traits et n'hésite pas longtemps pour me caresser de la tempe au menton. Je ferme alors les yeux, non pas pour mieux profiter de son contact... mais presque pour m'en soustraire.

— Relève-toi, Sander, articulé-je d'une voix un peu flottante. Il faut que l'on rentre.

Son souffle, qui était profond et harmonieux avant ma réplique, se suspend tout comme les mouvements de ses doigts. Un bruit étouffé, proche du geignement blessé, remonte dans sa gorge et me pousse à rouvrir les paupières.

— Gillian..., m'appelle-t-il sur un ton implorant qui compresse un peu plus ma poitrine.

Je lui adresse un regard désolé, réellement attristée de lui faire de la peine, toutefois il fait pâle figure comparé à celui qu'il me retourne. Il n'y a pas que de la tristesse d'ailleurs dans ses orbes clairs, il y a aussi du désespoir, de l'affliction et un cyclone d'autres sentiments puissants qui finissent de m'achever.

Sander me désire. Peut-être même éprouve-t-il quelque chose d'un peu plus fort aussi pour moi. Je ne voulais pas l'accepter jusqu'à présent, mais je ne peux pas indéfiniment porter des œillères. Ç'a toujours été là, entre nous, impossible à manquer et donc insoutenable à voir. Car ça ne se peut pas, ça ne doit pas être. Ce n'est pas ce qu'il nous faut, ça ne peut pas être envisageable... Ce serait une erreur, un fardeau trop lourd à porter.

Je déglutis et prends sur moi pour accrocher à nouveau son regard. Je ne supporte pas de lui faire du mal, mais je supporte encore moins cette situation... Il faut y mettre un terme.

— Sander, s'il te plaît...

Le berserker me sonde encore, fouille dans les tréfonds de mes prunelles et capte ma compassion, mais aussi mon inflexibilité. Le mélange des deux vient à bout de sa résistance : un battement de cœur et un dernier effleurement sur mes cheveux plus tard, Sander se relève. Je ne manque pas de noter sa mâchoire verrouillée et son regard fuyant lorsqu'il me libère. En mon for intérieur, je grimace et résiste au besoin de me frotter la poitrine, comme pour chasser la douleur, sa douleur de moi. Toujours allongée, j'inspire par le nez, puis me redresse à mon tour en époussetant mon long manteau.

Une partie de mes jambes et de mon dos est trempée, suite à la fonte de la neige qu'a engendré mon corps dessus ; j'essuie ces zones du mieux que je peux afin de gagner un peu de temps, tandis que Sander ne bouge pas à deux pas de là.

Un malaise tendu s'abat entre nous et grésille dans l'air, plus encore même, dans nos auras. Celle de Sander est... brouillée, comme nouée en un sens, en phase totale avec son état d'esprit. Je me mordille la lèvre, le cœur lourd, et réfléchis à la tournure de mes prochains mots pour éviter d'empirer les choses et d'assombrir davantage son humeur.

— Tu es mon ami, Sander. L'un des rares sur lequel je sais que je peux compter... Cela fait onze ans que nous nous connaissons, que nous vivons et évoluons ensemble ; les joies, les peines, les désaccords, les compromis jalonnent notre amitié. Aucun d'entre eux ne s'est immiscé entre nous jusqu'à présent, mais je crains que cela change... et je ne veux pas que ce qui nous lie change. Je ne souhaite pas te faire de mal, je ne supporte pas la simple idée de t'en faire. Mais je sais que, malheureusement, je ne peux pas y échapper. Nous ne pouvons pas y échapper... Je le vois dans tes yeux et le sens dans ton aura.

Il ne se retourne pas pour me faire face, s'obstine plutôt à faire semblant d'observer le paysage, mais cela ne m'empêche pas de poursuivre. Au contraire, vu ce que j'ai à formuler à présent, je préfère qu'il ne me regarde pas.

— Je ne veux pas perdre notre amitié, tu sais. Elle m'est très précieuse, tellement précieuse même... Je n'aurais jamais cru qu'un lien pareil pouvait exister entre deux personnes, mais tu m'as démontré le contraire avec aisance et ténacité au fil des ans. Toutefois... si cela devient trop douloureux pour toi, que tu ne peux pas souffrir de ne pas obtenir ce que tu désires vraiment... si notre amitié ne te suffit pas, nous... nous devrions sans doute...

J'expire un souffle tremblotant, incapable pour l'instant de terminer ma phrase. Seigneur, c'est si difficile ! Je ne veux pas renoncer à lui, ça me déchire le cœur et les entrailles rien que de l'imaginer, alors le suggérer... ! Mais si c'est ce qu'il préfère, si c'est ce qu'il y a de mieux pour lui, alors je respecterai sa volonté. Je ne pourrai pas faire autrement. Entre deux maux, il faut choisir le moindre, et ma souffrance compte moins que la sienne à mes yeux.

— Nous devrions sans doute ne plus nous fréquenter, reprends-je alors en puisant dans mes forces. Ou en tout cas, beaucoup moins et seulement dans un cadre plus formel et nécessaire.

Je fronce le nez, aimant peu cette idée. Ce serait si étrange de ne plus nous voir ni nous parler normalement, nous deviendrions presque des étrangers l'un pour l'autre.

— Qu'en dis-tu, Sander ? lui demandé-je en guise de conclusion, après avoir lâché un rapide soupir. Que souhaites-tu faire ?

Je passe mes mains dans mon dos et les presse l'une contre l'autre afin d'endiguer une partie de ma nervosité, et ne dévie pas mon attention de la silhouette du berserker. Il ne s'est toujours pas retourné et l'absence de ses prunelles sur moi m'oppresse autant qu'elle me réconforte. Un grand chaos explose sous mon crâne alors que j'attends la réponse de celui qui est devenu mon pilier, mon ami le plus cher depuis mon départ d'Angleterre. Les secondes puis les minutes passent dans un silence angoissant et très inconfortable, mais je ne fais rien pour le briser. Je laisse le temps qu'il faut à Sander pour énoncer sa réponse.

Après une éternité de doute et de culpabilité, il finit par me faire face, ses iris plongeant directement dans les miens, avec un sourire tordu sur la bouche.

— C'est bon, Gill, ne te martèle pas ainsi. Je comprends ton point de vue et le respecte. Et il n'est pas question que nous ne soyons plus amis, toi et moi. Tu comptes beaucoup trop pour que j'accepte cela.

— Tu en es bien sûr ? vérifié-je. Je ne veux vraiment pas...

— Je sais et oui j'en suis sûr. Tout va bien entre nous. Je te le promets.

Je le sonde à mon tour, teste ainsi la véracité de ses propos, mais il y coupe court. Son sourire s'intensifie, devient rassurant, chaleureux pour me mettre en totale confiance.

— Bon, on retourne au village ? Notre longue absence va finir par en inquiéter plus d'un, là-bas.

J'acquiesce d'un signe de tête tout en le laissant ouvrir la marche. Son empressement à rentrer comme à dévier la conversation raffermit mon sentiment de honte, mais je n'ajoute rien pour autant. Je doute fort qu'il accepterait de suite de revenir au cœur du problème. Je n'ai pas d'autre choix que de prendre mon mal en patience et d'emboîter son pas rapide.

Heureusement pour nous, notre retour au hameau nous force à détourner notre attention du dérapage qui vient d'avoir lieu. À peine avons-nous franchi l'entrée, que plusieurs personnes en train de rejoindre leurs pénates nous saluent et demandent quelques nouvelles du jour. Nous passons plusieurs minutes à échanger ainsi, à évoquer l'emploi du temps du lendemain avant que les cuisinières et cuisiniers nous rappellent de venir manger.

— Vous en avez mis du temps ! s'exclame William à la porte de la chaumière que nous partageons. Kathryn commençait à être soucieuse.

— Pardon, nous avons un peu traîné après les cours...

William hausse les épaules avec un petit sourire, puis s'efface pour nous laisser entrer.

— Tu restes dîner avec nous ? demandé-je à Sander, tournée vers lui.

— Comme tous les soirs, affirme-t-il d'une voix assurée.

Je souris, amusée malgré moi, et m'engouffre à l'intérieur où de bonnes odeurs de soupe et de pain flottent dans l'air. Les couverts sont installés sur la table, la marmite frémit dans l'âtre, et j'entends la découpe d'un couteau dans la pièce attenante. La minute qui suit, Kathryn en sort, les bras chargés, et nous avise d'un regard soulagé.

— Vous voilà enfin ! Un peu plus et j'envoyais William à votre recherche ! Qu'est-ce qui vous a tant retenus ?

— Rien de particulier. On discutait un peu, réponds-je calmement avant de me précipiter sur mon amie pour l'aider.

Une réponse discutable au vu des réels événements, mais qui n'alerte pas nos compagnons. Ce n'est pas la première fois que Sander et moi sommes un peu en retard pour dîner.

— Vous alors... En ne vous voyant pas revenir avec les autres, j'ai préféré ôter du feu le repas et ne l'y remettre qu'il y a quelques minutes. Il va falloir être un peu patients, nous explique Kathryn, les yeux au ciel.

Sander et moi nous débarrassons de nos manteaux mouillés sous l'ordre de la sorcière, tandis que William s'éclipse à l'étage récupérer quelque chose. Lorsqu'il redescend, il brandit une lettre dans sa main et il ne m'en faut pas plus pour me ruer sur lui.

— Elle est arrivée à Helleren il y a deux jours. J'ai été plutôt bien avisé d'y aller aujourd'hui, au lieu de la semaine prochaine comme j'y songeais au départ, non ?

— Tu es formidable, William ! Merci !

J'accompagne mes dires d'un immense sourire de gratitude tout en serrant le pli contre moi. Il provient de ma tante, Agnès, qui est retournée en Angleterre avec le reste de notre troupe du début. Ils sont tous partis depuis plus de sept ans à présent, leur désir de retrouver leurs terres, et plus que tout leurs familles, les a enjoints d'entreprendre ce voyage de retour. Ils ne sont d'ailleurs pas repartis seuls, car les berserkers danois, Erik, Magnus et Harald, les ont accompagnés pour leur servir d'escortes. Ce qui ne devait qu'être un « court » voyage pour les Danois s'est en fait transformé en séjour plus ou moins permanent car ils y ont rencontré leurs femmes et semblent apprécier leur nouvelle vie anglaise.

Depuis que ma tante a quitté la Norvège, nous nous envoyons des lettres le plus souvent possible pour nous tenir informer de ce qui se passe dans nos vies. Je garde précieusement tous ses courriers dans ma chambre, ceux ayant en plus la griffe de ma chère Emily en tête du paquet ficelé. Dans chacun de ses mots, ma cousine m'interroge constamment sur mon retour en Angleterre et se languit de ma présence. Hélas, il n'est pas encore prévu que nous les retrouvions ; oh, bien sûr, cela se fera un jour prochain, mais tant que les berserkers fraîchement « nés » ont besoin d'aide et de temps pour s'adapter à leur nouvelle condition, nous ne pouvons pas rentrer. Sander et les siens ne sont pas les seuls à avoir fait la promesse de les épauler : William, Kathryn et moi nous sommes aussi engagés auprès d'eux ainsi qu'auprès des sorciers et sorcières du pays. Alors, nous devons rester pour parfaire cet enseignement... même s'il est vrai que, parfois, cette décision me pèse. J'ai beau aimer ma vie en Norvège, et apprécier de me sentir aussi utile, j'ai hâte de retrouver ma tante et Emily. Elles me manquent tant...

— Eh bien alors, Gillian ! Tu rêvasses ?

La voix amusée de Kathryn m'interpelle dans mon dos et me sort de mes réminiscences. Je pivote vers elle et découvre l'expression tout aussi enjouée qu'elle arbore.

— Tu n'ouvres pas la lettre ?

— Si, je... je pensais juste à Agnès et Emily, balbutié-je alors que je fais tourner le pli entre mes mains.

L'œillade de mon amie s'adoucit tandis qu'elle s'approche puis pose ses doigts sur mon épaule.

— Va la lire tranquillement dans ta chambre. Nous pouvons patienter.

— Non, non, je...

— Allez, va, insiste-t-elle avec gentillesse. Nous ne sommes plus à cinq minutes près.

Je lui retourne son sourire, puis baisse les yeux sur le cachet brillant dans mes mains et prends alors ma décision. Je suis trop impatiente d'avoir de leurs nouvelles.

— Commencez sans moi, déclaré-je à mes amis alors que je traverse le couloir. Je n'en aurai pas pour long !

Je rejoins à l'aveuglette ma chambre, tant je suis focalisée sur le pli, en ferme la porte une fois franchi le seuil, et m'assieds sur le lit. Je finis de décacheter la lettre avec soin, pour éviter de la déchirer, et imagine déjà son contenu. Dans la dernière missive que m'a écrite ma tante, il y a quatre bons mois maintenant, il était notamment question que notre ancien clan et ses quelques nouveaux membres cherchent à se réinstaller à Greyhood. En bâtissant d'autres logis et en renforçant les premiers – après tout, cela fait une dizaine d'années que notre hameau a été délaissé –, ma tante et d'autres pensent que nous pourrions y revivre.

En tant que sorciers et sorcières, nous sommes très attachés à la terre qui nous a vus naître ; nous aimons y construire nos familles et voir s'épanouir les générations futures. Je n'ai donc pas été étonnée par cette annonce de projet. Je me suis même demandé pourquoi ils ne l'avaient pas lancé plus tôt, d'ailleurs.

J'ai hâte de savoir s'ils ont commencé à le mettre en place...

La lettre est ouverte cette fois, et bien que le feuillet soit grand, je remarque tout de suite qu'il ne contient que quelques lignes rédigées dans une écriture hâtive. Je fronce les sourcils, perplexe, mais à l'instant où je débute ma lecture, les traits de mon visage se figent dans une expression choquée. Un couinement étranglé m'échappe et mon cœur s'affole dans ma poitrine tandis que le monde semble s'écrouler autour de moi.

Non. Non, non, non... C'est impossible. Cela ne peut !

— Gillian ? Gillian, tu vas bien ?

Je suis arrachée de force à la vue de la lettre, mon menton est tenu dans une large paume puis remonté jusqu'à un visage inquiet. Sander me scrute et m'appelle sans relâche, anxieux de ne pas me voir répondre.

— J'ai senti que quelque chose n'allait pas. Ton odeur et ton cœur... Qu'est-ce qui se passe, Gill ? Tu ne te sens pas bien ?

Je ne trouve pas les mots, j'ai comme perdu mes lèvres en plus de la faculté de parler. Il n'y a plus que le mot « Non » qui résonne en boucle sous mon crâne, en plus d'un cri muet, mais si déchirant qu'il fait affluer des larmes dans mes yeux.

William et Kathryn sont là aussi, mais ils n'osent pas s'approcher de trop, de peur de me brusquer ou d'aggraver la situation. Leurs regards alarmés croisent le mien alors que Sander me secoue légèrement.

— Réponds-moi, Gill, s'il te plaît !

Son insistance finit par avoir raison de ma tétanie. Les doigts tremblants, je désigne la feuille sur mes genoux, le cœur au bord de l'explosion, et annonce d'une voix faible :

— Il faut rentrer en Angleterre. Le plus tôt possible.

* * * * * * * * * * * * * *

Bonjour ! J'espère que vous allez mieux que moi ces temps-ci :) :/

Bon, deux choses importantes dans ce chapitre : le friendzonage de Gillian (l'art et la manière du 17e siècle en 10 leçons xD) et la mystérieuse lettre très inquiétante, arrivée tout droit d'Angleterre !

Autant vous dire que ces deux éléments, pour des raisons différentes, vont être lourds de conséquences dans la suite de l'histoire... Et vous allez en observer les premiers effets dès le prochain chapitre, du point de vue de Sander
A votre avis, que contient cette lettre ? Que s'est-il passé en Angleterre ?

A la semaine prochaine pour le chapitre 15 !

Bisous

A. H.

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