Chapitre 33
Le reflet que me renvoie le miroir est fatigué, lessivé. Mes cernes vilains, qui sont apparus depuis des semaines – pour ne pas dire des mois – se sont accentués. Ils arrivent à la naissance de mes joues désormais, ces mêmes joues qui sont plus creuses, plus tombantes aussi. Une de mes mèches humides s'accroche à l'arête de ma mâchoire, attirant ainsi mon regard sur les quelques marques et bleus encore visibles. Ils seront de l'histoire ancienne d'ici une petite heure. Je dégage ma chevelure vers l'arrière, passe une serviette dedans afin de les essorer au mieux et garde mon attention sur la glace.
L'éclat de mes prunelles noires est terni par les images de souffrance qui défilent en masse sur mes rétines. Les souvenirs de ces dernières heures, mais aussi de ces derniers mois s'arriment à moi, disposés à me faire replonger dans un état proche de l'inertie... de l'indifférence. Une partie de mon être voudrait lutter contre la douleur en usant à nouveau de ma prédisposition à m'en détacher plutôt qu'à l'accepter. Elle voudrait ramener la Eleuia froide et distante, celle qui mettait en avant un cœur de pierre...
J'ai conscience du fait qu'elle n'est jamais bien loin, que je ne suis pas à l'abri qu'elle revienne. Cependant, je sais aussi qu'elle ne me dominera pas. Elle ne sera pas aux commandes, car il y a un être dans ma vie désormais dont l'influence est grande et qui ne me laissera pas refouler mes sentiments. Et cet être croise en ce moment même mes iris dans la psyché.
La chaleur de son corps m'enveloppe lorsqu'il coule ses bras sur mes épaules puis sur mes avant-bras. Ses orbes bleus ne me quittent pas tandis qu'il amorce des caresses légères, mais tendres.
— La douche t'a-t-elle fait du bien ? s'enquiert mon lié, ses lèvres au-dessus de ma tête.
Je hoche la tête sans rien dire. Mon dos se renfonce dans mon siège pour se rapprocher de lui et intensifier son contact sur ma peau. Il répond à mes attentes et dépose même plusieurs baisers sur mes cheveux, mon épaule, le creux de mon cou... Je pousse un soupir, ressens cet instant comme un véritable anesthésiant plus efficace que la douche. Allan est le seul à savoir m'apaiser et me réconforter, même dans un moment pareil...
— Tout est prêt en bas ? m'informé-je dans un souffle en revenant sur ses saphirs doux.
— Ils sont en train d'apporter les derniers préparatifs.
— Alors il est temps que nous les rejoignons, cette fois.
Je me lève donc sans attendre et suis accueillie par l'étreinte affectueuse d'Allan. L'une de ses paumes passée sur ma taille, l'autre sur mon visage, il hisse ensuite ma bouche vers la sienne. Son baiser est simple et lent, mais hautement revigorant. Notre lien se diffuse et nous baigne dans son énergie chaude, une autre source de soutien pour ce qui va suivre.
Lorsque nous nous séparons, le regard d'Allan descend sur ma silhouette et entrevoit ma tenue de cérémonie derrière la longue cape qui me recouvre.
— Tu es magnifique, me complimente-t-il avec douceur.
— Merci... C'est ce qu'aurait voulu mon père.
— Je sais, acquiesce-t-il en baisant mon front. Et tu vas lui faire honneur aujourd'hui.
Je l'espère, oui, je l'espère vraiment... L'expression hésitante sur mes traits doit parler pour moi, car mon lié m'embrasse derechef avant de murmurer :
— Necahual serait fier de toi, mon amour. Il l'a toujours été... Ce que tu fais pour lui en ce jour si funeste n'aurait pu que lui plaire et le combler.
J'inspire à fond, touchée par ses mots, et je le remercie une nouvelle fois avant de l'entraîner à ma suite hors de notre chambre. Main dans la main, nous empruntons les couloirs et escaliers qui nous permettent de gagner le hall du manoir. Près de la porte, Gillian, Cakulha et Dren nous attendent et la sorcière vient à ma rencontre pour me prendre dans ses bras.
— Tu te sens prête ? vérifie-t-elle, plongée dans mon cou.
— Est-on jamais prêt pour ce genre de choses ?
Les émeraudes de ma meilleure amie se plantent dans mes prunelles et nous lisons en l'autre toute la peine et toute l'empathie que nous ressentons. Nous savons ce que c'est, nous nous comprenons sans difficulté. C'est une nouvelle épreuve commune que nous traversons aujourd'hui.
J'ébauche un pâle sourire et serre son bras tandis qu'elle baise ma joue, puis j'échange un hochement de tête avec nos autres accompagnateurs. C'est l'heure, à présent.
Notre petit groupe se remet en marche, sort du manoir et bifurque à l'ouest, vers une plaine à six cents mètres de là. Les rayons du soleil accompagnent notre procession et se répercutent sur les carrés d'herbe occupés par un large rassemblement. Des centaines de surnaturels sont là, tous leurs visages sérieux tournés vers notre arrivée. Chagrin et gravité dominent sur ces faciès, en harmonie avec la solennité du moment. Nous dépassons lentement le gros de l'assemblée, échangeons avec elle quelques gestes et paroles brèves sur notre passage, puis nous atteignons le cœur de ce champ, où se tiennent les anciens généraux et conseillers de mon père, ainsi que les chefs de clans amis. Ils sont tous là, et par-delà leurs têtes... d'innombrables bûchers.
Couchés sur des paillasses faites de bois et de paille, les dépouilles de nos disparus attendent que nous mettions le feu et entonnions nos prières et chants de bon voyage. Par facilité comme par croyance et préférence plus individuelle, nous avons choisi l'incinération pour la majeure partie de nos soldats. L'autre sera enterrée ici ou rapatriée dans les régions d'origine des proches toujours en vie et demandeurs de s'occuper eux-mêmes de leurs morts. Et nombre de traditions veulent que la cérémonie ait lieu à l'air libre, en communion avec la Nature.
À côté de chaque bûcher, un homme ou une femme se tient debout, une torche enflammée à la main. Ils ont pour ordre d'embraser les corps à un signal prédéfini, que je dois donner. Après tout, c'est moi qui suis en charge de cette commémoration...
Je fais une halte à quelques mètres de mon point de chute, le regard rivé sur le bûcher qui m'est destiné. Déjà, j'aperçois la silhouette imposante de mon père, habillé de ses atours mayas. Je discerne la riche coiffe qui saillait sa tête à Pomoná, dont les plumes ont été remplacées par des neuves aux couleurs chatoyantes. Les bijoux autour de son cou, de ses poignets et de ses chevilles brillent au soleil et mettent en valeur les teintes foncées de ses habits de chef. Une émotion forte me submerge alors que je me le représente toujours en vie, fort et glorieux au temps du Mexique, juste avant qu'il nous incite à remercier les dieux avec lui au sommet de notre temple. Cette remontée dans le temps me déstabilise, mais pas assez pour que je n'accomplisse pas mon devoir et finisse par me remettre en route.
Entourée par le silence des lieux, je me poste à ses côtés et m'attarde sur la sublime allure que l'on a conférée à notre leader à tous. Il impressionne davantage de près : il ne manque plus que son regard franc et assuré pour parfaire le tableau de prestance qu'il nous offre.
Mais celui-ci ne s'ouvrira plus jamais sur ce monde...
Je laisse davantage errer mes yeux sur les offrandes et cadeaux qui entourent Necahual. Ils sont très nombreux et certains respectent même nos anciennes traditions mayas : des jades, de l'onyx, des poteries, des miroirs, des couteaux, des pointes d'obsidienne, des plats de maïs et de haricots ont été déposés auprès de mon père. Les autres dons sont plus contemporains et représentent davantage les choses qu'aimaient le défunt, comme ses livres préférés, sa plus vieille plume, quelques parchemins, de la musique et du scotch. Dans d'autres circonstances, j'aurais pu sourire, peut-être même rire devant toutes ces attentions hétéroclites, mais non. Pas aujourd'hui... Il n'y a que l'émotion brute qui persiste.
J'inspire une grande goulée d'air, les paupières fermées et le nez levé vers le soleil, et je détache le nœud de ma cape avant de la faire choir à mes pieds. Quelques exclamations basses se font entendre dans mon dos, puisque nombre de nos hôtes ne m'ont jamais vue porter une tenue traditionnelle maya. Celle que j'ai revêtue est composée d'un pagne mi long en motif en treillis, un élément qui symbolise la surface de la terre dans ma culture. Il est accompagné d'une ceinture ornée et plus haut, une multitude de bijoux couvrent ma poitrine. Quelques touches de peinture habillent mon visage et mon buste, et les plumes qui composent certains colliers volètent et chatouillent mon ventre.
Sans m'intéresser à la surprise générale, mes doigts se faufilent au niveau de ma ceinture pour récupérer l'objet qui va me permettre de débuter le rituel. Ils se referment sur une perle de jade, puis l'approchent de ma bouche. Elle reste quelques secondes entre mes lèvres, nos coutumes voulant que je reçoive l'esprit qui s'envole, ensuite je la frotte doucement sur le visage de mon père. Son âme est prête à partir désormais. Alors je me mets à chanter d'une voix profonde, suivie par celles des plus proches amis de Necahual et qui ont été initiés à cette pratique. Les autres se contentent de fredonner en rythme, mais avec la même ferveur que leurs pairs. Une fois que le chant a bien été repris en main par l'assemblée, je me penche sur le bûcher et souffle des prières. Toutes sortes de prières. Toutes celles que j'ai apprises au fil des siècles. Elles s'échappent de moi en latin, en maya, en français, en hébreu, en breton, en espagnol, en anglais... Elles bénissent mon père, lui rendent hommage et prient le ou les dieux de prendre soin de lui et de l'accueillir dans l'au-delà.
En ce jour si particulier, je prie les divinités anciennes et nouvelles, renoue avec une foi longtemps oubliée. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir – ou ce que je crois être encore en mon pouvoir – pour assurer la tranquillité d'âme et d'esprit de mon père. Je ne sais pas s'il y a une vie après la mort, un autre monde qui est prêt à nous offrir hospitalité et prospérité après celui-ci... Je ne sais pas si nos croyances, ou celles similaires aux nôtres, sont fondées. Je ne tente pas d'y répondre ou de savoir d'ailleurs. Tout ce que je souhaite, c'est honorer mon père comme il l'aurait voulu.
Je reprends le chant funèbre tout en m'emparant de la torche fichée dans son socle. Du coin de l'œil, je vois les hommes et femmes au même poste que moi brandir à leur tour bien haut le flambeau... puis ils l'abaissent sur leur bûcher en même temps que moi. J'embrase un côté, puis l'autre de la paillasse rigide et observe les flammes lécher ce qui se trouve sur leur passage. J'effectue quelques pas en arrière dès que le feu devient plus intense, au point d'avaler l'enveloppe charnelle qui l'attend.
Ma voix ne désemplit pas malgré les crépitements alentour, elle soutient encore un bon moment après les autres la crémation. Je ne m'interromps que lorsque la présence d'Allan se fait sentir auprès de moi. Ses orbes clairs sont tournés vers moi et me contemplent intensément, mais je ne lui rends pas son regard. Je demeure focalisée sur le brasier et les nuages de fumée qui ternissent l'éclat du soleil. Ce n'est qu'à l'instant où il me prend dans ses bras que je réalise combien je tremble et les larmes silencieuses sur mes joues.
— C'est fini, mon amour. C'est fini... Tu as été parfaite, m'assure-t-il sur un ton intime.
Il embrasse mon visage, séchant ainsi mes larmes, et emprisonne mon regard troublé dans le sien.
— Je suis là, maintenant. Tout va bien.
Il me répète là les paroles que je n'ai pas arrêté de lui dire depuis nos retrouvailles. Il me fait la même promesse que moi, et je me pends à son cou en réaction. Amour et dévotion circulent entre nous et consolident le pilier que nous formons à deux et l'un pour l'autre.
— Souhaites-tu que nous... ?
— Non, je ne peux pas partir maintenant, le coupé-je tant dans sa question que dans son amorce de mouvement de retrait. Je souhaiterais rester et récupérer les cendres. Elles... Une partie doit être répandue au Mexique. C'est ce que voulait mon père.
Mon lié acquiesce lentement de la tête et raffermit sa prise sur mon corps tandis que les métaux et chairs fondent dans l'incendie. Les gens derrière nous se déplacent quelques minutes plus tard, certains retournent à l'intérieur, d'autres s'avancent à notre instar vers les différents bûchers. Hommes, femmes et enfants avisent respectueusement les halos rouges et orange. Une poignée d'entre eux se déplacent jusqu'à notre couple afin de me présenter leurs condoléances, à commencer par nos amis fidèles. Gillian, Dren, Cakulha, Reun et Onyr insistent même pour me tenir compagnie jusqu'au bout, mais je décline leur proposition. Ils ont leurs propres morts à honorer, des amis et des membres de leurs familles ont péri eux aussi, nous le savons tous...
Amada s'est elle aussi jointe au groupe venu rendre hommage une dernière fois à Necahual. Elle n'a pas dit grand-chose, mais sa marque d'attention m'a suffi. J'apprécie son geste et reconnais sans difficulté les regrets qu'elle nourrit face à cette disparition... Elle estimait mon père et il le lui rendait bien.
Son départ est suivi par l'arrivée d'une autre bande, laquelle est composée d'anciens conseillers de mon père et de chefs de clans. Tous se stoppent devant Allan et moi et effectuent un hochement de tête respectueux avant que Liam prenne la parole.
— Toutes nos condoléances, Eleuia. Nous ne pouvons qu'imaginer l'épreuve que cela représente pour toi.
— La cérémonie était admirable et très touchante, ajoute Eleanor avec un sourire triste, mais sincère.
— Merci... Je suis moi aussi navrée pour vos pertes, leur assuré-je à tous en les observant un à un. J'aurais aimé qu'il n'y en ait pas autant en si peu de temps.
Je ne parle pas seulement des morts du jour, j'inclus aussi ceux des précédents affrontements. J'aurais aimé que plus des nôtres survivent et s'épanouissent à nos côtés et sans plus sentir peser la menace de Jarlath.
— Nous partageons ton sentiment, mais nous savons aussi que nous avons fait ce que nous pouvions et que nous sommes tous faillibles malgré tout, déclare Byron tandis que les autres acquiescent.
— Et... nous avons aussi conscience de ce que toi, tu as fait pour nous, rebondit Helen, ses yeux perçants verrouillés aux miens.
— Quoi ?
Les sourcils froncés, je fais des va-et-vient entre mon lié, aussi perplexe que moi, et nos interlocuteurs. Mon regard s'arrête bien vite sur Tamara, à l'instar des autres, car la conseillère principale de Necahual se poste en face de moi pour prendre le relais.
— Les habitants du domaine, avec le soutien de l'ancien conseil et de la plupart des chefs de clans ici présents, souhaiteraient que tu deviennes notre nouvelle cheffe, Eleuia. Nous voudrions que tu continues à nous guider.
— Quoi ? Mais...
— Tu es celle qui nous a rappelé quelles étaient nos priorités, me coupe Richard avec chaleur. C'est toi qui nous as montré la voie à suivre et qui as réussi à tuer Jarlath. Tu as été une commandante des armées exemplaire.
— Sans compter que c'est aussi ce que voulait ton père.
L'intervention de Tamara me pousse à la dévisager intensément.
— Ne t'en étais-tu jamais doutée ? m'interroge-t-elle avec un sourire en coin. Necahual croyait en toi plus qu'en n'importe qui, Ele. Et la confiance qu'il plaçait en toi...
— Nous sommes tous disposés à en faire de même de notre côté et à le suivre dans ses pas, complète Liam d'une voix franche.
Abasourdie, je ne trouve rien à répliquer dans l'immédiat. Un maelström d'émotions confuses me secoue de toutes parts. Mes prunelles se recentrent dans celles lumineuses et emplies de fierté d'Allan alors que ses doigts serrent très fort les miens.
J'ai fait mes preuves. Les hôtes de mon père ne m'en veulent plus, ils ont accepté mes choix et décisions passés. Ce qu'ils jugeaient comme des erreurs n'en sont plus à leurs yeux. Ils m'accordent leur confiance, plus encore qu'avant toutes ces péripéties : ils désirent me voir les mener, désormais. Ils se rangent à l'avis de mon père et honorent les dernières volontés de leur chef...
Je vais reprendre le flambeau de mon père.
— Acceptes-tu d'être la nouvelle cheffe, Eleuia ? me relance Eleanor, une main sur mon épaule. Acceptes-tu de travailler avec nous tous ?
J'ouvre la bouche, mais une chose me retient de répondre. La main de mon lié dans la mienne se rappelle à moi et mon attention se reporte sur lui dans la seconde. Il a été question de moi, mais pas de lui... Quelle est la position de tous ces dirigeants le concernant ?
— Qu'en est-il d'Allan ? leur demandé-je donc. Vos réticences à son encontre, comme celles des habitants du domaine, ont-elles été surmontées ?
Inutile de préciser que si tel n'est pas le cas, la situation risque de poser un gros problème. Si Allan n'est pas mieux accepté, je ne pourrai pas être leur cheffe, encore moins rester vivre sous ce toit. C'est lui et moi, ou rien du tout...
Nos vis-à-vis déchiffrent sans difficulté ma détermination et mes craintes latentes, ce qui les pousse à réagir.
— Allan n'a rien à craindre de nous ou des autres, affirme Tamara. Il a été d'une grande aide, il nous a montré son dévouement pour toi et pour la cause que nous défendons...
— Tout le monde sait quel rôle il a joué précisément dans la lutte contre Jarlath. Ton rapport a fait le tour et n'est pas tombé dans l'oreille de sourds, Eleuia.
Richard appuie ses dires d'un clin d'œil amical qui me redonne du baume au cœur. J'échange un sourire confiant avec Allan tandis qu'il porte ma paume à ses lèvres. Lui aussi est ému et soulagé par cette nouvelle. L'étincelle dans ses iris flamboie et se répand à tout son être.
— Merci, souffle-t-il avec reconnaissance à nos alliés. Je vous promets de tout faire pour être à la hauteur...
Ils lui sourient avec indulgence et opinent du chef un à un. Je les remercie à mon tour et consens à leur serrer la main à tous afin d'entériner cette conversation et nos nouveaux accords d'alliance et de paix. Tamara nous apprend qu'une annonce plus officielle est attendue par nos hôtes dans la journée, mais qu'avant cela, une interrogation demeure encore.
— Quelles vont être tes premières prises de position en tant que cheffe, Eleuia ? Que décides-tu de faire en ce qui concerne l'armée ennemie restante ?
Je m'accorde quelques secondes de réflexion avant de formuler une réponse. Durant ce laps de temps, mon regard erre sur le bûcher de mon père, les traits décidés d'Allan, les végétaux qui nous entourent... Je me confronte aux reliques de cette ancienne ère, celle qui a vu se former autant de joies que de souffrances chez les miens. Les cendres qui se créent alentour doivent être aussi synonymes de renouveau. Elles vont laisser la place au phénix de cette nouvelle ère, à un autre rougeoiement de flammes et d'espoir.
— Je pense que nous allons devoir appeler nos amis de l'ancien continent pour qu'ils nous prêtent main forte le plus tôt possible, fais-je savoir en revenant sur les visages de mes partisans. Nos soldats ont besoin de récupérer et de soutien.
— La guerre n'est donc pas terminée ?
— Pas tout à fait, non... Nous sommes obligés de nous assurer qu'aucun second de Jarlath n'est à la tête de cette armée, sinon nous courrons à nouveau droit à la catastrophe...
— Prévoyance est mère de sûreté, cite Richard pour asseoir mes dires.
— Cette lutte-ci nous demandera peut-être plus de temps que les précédentes. Il y a de grandes chances pour que nos adversaires tentent de se faire oublier un temps pour mieux revenir plus tard et plus forts.
— Tu veux que nous leur donnions la chasse ? me demande Byron avec un demi-sourire intéressé.
— C'est l'idée générale, oui, acquiescé-je, et il faut que nous nous y préparions rapidement...
— Je m'occupe de joindre les clans en France et en Espagne, nous signale Eleanor en se dirigeant vers le manoir. S'ils prennent un vol dans la soirée, ils pourraient être à nos portes dès demain.
— De notre côté, moi, Richard et d'autres généraux allons lancer quelques fortifications de la bâtisse avec les soldats disponibles. Au cas où, lance Byron, accompagné par le hochement de tête de Richard.
Les premiers plans sont abordés et leur exécution ne va pas tarder à suivre. De concert, Allan et moi mettons au point les éléments essentiels avec eux avant d'en faire part au reste des habitants. Nos compagnons se retirent quelques minutes plus tard, l'effervescence de nos projets déjà dans tous les corps et esprits, et alors que mon lié m'interpelle pour entreprendre notre part et prévenir nos amis, je scrute une ultime fois les lieux. Mes prunelles s'attardent tout naturellement sur l'incendie qui perd en intensité, tandis que la fumée, elle, s'élève toujours plus haut dans le ciel. Un sourire monte sur mes lèvres au moment où je murmure pour moi-même :
— J'espère que je te ferai honneur, Pudire...
Je me détourne ensuite des bûchers et rejoins Allan à quelques pas de là.
— La chasse est ouverte.
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