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Chapitre 32


Notre attention à tous deux se reportent sur Jarlath qui, toujours sur sa plateforme, fulmine en silence pour le moment. La présence de mon père est une épine désagréable plantée au beau milieu de son dos : elle le démange et exacerbe sa fureur, celle qu'il dissimule sous des couches d'affabilité hypocrite. Elle luit dans son regard, imprègne ses tissus, transparaît dans la rigidité de son corps et vibre tout autour de lui.

Necahual est le premier à rompre cette observation tendue et muette en s'adressant directement à notre ennemi.

— Cela faisait longtemps, Jarlath.

— Malheureusement pas assez, j'en ai peur, lui réplique-t-il avec une grimace sur ses lèvres retroussées.

Mon père esquisse un sourire placide alors que son vis-à-vis secoue la tête.

— Je suis... surpris de voir que tu as pu nous rejoindre sans heurt.

— Je n'irais pas jusqu'à dire que c'était sans heurt. Tes hommes de main m'ont accueilli en bas, ils semblaient avoir des ordres bien précis me concernant.

— Ne le prends pas trop personnellement, Necahual. Ces ordres étaient à appliquer pour tous ceux qui n'étaient pas ta fille et Allan, assure Jarlath en nous désignant du menton.

— Quoi qu'il en soit, je crains fort que tu ne les revoies plus et qu'ils ne pourront plus assurer ta protection à l'avenir, rebondit notre chef alors qu'il passe un bout d'étoffe sur son visage barbouillé.

La mâchoire du vampire se serre et fait tressauter un muscle sur son visage.

— Je suppose que les sentinelles postées dans cette zone ne sont plus, elles aussi...

— Je pense qu'il est superflu de confirmer ton idée, répond mon père sans se départir de sa sérénité légendaire.

— Alors cela veut dire que nous sommes seuls, souffle Jarlath en faisant quelques pas inconscients sur son estrade.

— Rectification, lancé-je en captant ses prunelles, vous êtes seul.

Mon intervention tombe comme un couperet et fend l'atmosphère qui nous englobe. Celle-ci devient épaisse, chargée en électricité. Le flegme de Necahual s'évapore à l'instar de la fausse quiétude des lieux et ses orbes acérés se verrouillent à ceux de son ennemi.

— C'est terminé, Jarlath. Au moment où nous parlons, ton armée finit d'être dissoute par la nôtre. Vous étiez moins nombreux, vous ne pouviez pas faire le poids bien longtemps...

— Une armée peut se reconstruire, rétorque l'interpellé, le regard fauve.

— Avec quel chef à sa tête ? assène mon père. Tes plus proches conseillers et généraux sont morts. Les quelques fuyards qui en ont réchappé seront poursuivis et châtiés par les miens. Pour eux comme pour toi, ce n'est plus qu'une question de temps.

— Mais je suis toujours debout. Tant que je le serai, rien ne sera terminé, profère l'autre, le dos droit et le menton redressé.

— Tes ennemis sont en train d'investir les lieux, ils n'auront besoin que de quelques minutes avant d'atteindre cette pièce. J'ai veillé à leur laisser des balises pour les y aider...

J'ai un bref sourire à cette mention et échange une œillade confiante avec Gillian. Nos alliés vont arriver et Jarlath va périr. Notre lutte va prendre fin et notre désir de justice sera assouvi. Elias, Darcy, Trent, Yaotl, Sander... Nos amis et nos familles seront vengés, les crimes de celui qui nous les a ravis ne resteront pas impunis. Cette fois, la donne a bel et bien changé et nous allons pouvoir faire nos deuils plus sereinement. Nous allons apprendre à refermer ces blessures et faire la paix avec ce mal qui nous ronge.

Enfin.

La menace qui pèse sur nos têtes va tomber et ne plus jamais se relever. Encore quelques minutes à patienter et ensuite nous en serons débarrassés...

— C'est terminé, Jarlath, répète encore mon père devant moi. Abandonne et rends-toi. Admets ta défaite.

Le silence suit cette ultime déclaration, durant lequel nous restons à l'affût du moindre geste, du moindre souffle en provenance de notre opposant. Raides comme des baguettes, nous attendons qu'il réagisse ou s'exprime. Alors que son faciès demeure lisse et vide d'expression, mon esprit examine les différentes attitudes qu'il pourrait adopter. Cela va de l'emportement à la tentative de fuite, mais je ne m'arrête sur aucune d'entre elles en particulier. Toutes me paraissent probables, je suis incapable de dire ce qui va se passer... Je me tiens donc prête, les muscles bandés, la main droite à proximité du fourreau de mon épée, le regard ne déviant pas de sa cible... Toutefois, une poignée de secondes plus tard, je me rends compte que rien, absolument rien, n'aurait pu me préparer à ce qui se produit.

Sans se presser, Jarlath nous détaille un à un, l'air toujours indéchiffrable, puis il s'arrête sur le visage fermé de mon père. Et à mesure qu'il s'attarde sur lui, sa bouche ébauche un mince sourire qui fait pulser mon cœur plus vite. Il n'y a rien de repentant ou d'affable dans ce sourire, il ne communique que malveillance et agressivité.

Un instant, mon regard se dirige vers celui de mon lié, mais je comprends bien vite que lui aussi est interloqué par ce changement. Il ne comprend pas d'où il vient, et cela m'angoisse encore plus.

— Tu dis qu'il ne reste que quelques minutes ? s'informe la voix claire de Jarlath tandis que ses orbes ne dévient pas de notre chef.

— Oui, c'est cela, répond ce dernier, aussi confus que nous autres.

Le rictus du vampire s'élargit alors.

— Alors je n'ai plus de temps à perdre...

Le hoquet horrifié d'Allan retentit un millième de seconde avant que Jarlath se penche sur sa botte, mais il est déjà trop tard. Son bras dégaine plus vite que le mien. Il s'empare d'une longue dague et la lance dans un geste précis en plein milieu de la poitrine de mon père. C'est net, rapide... et mortellement efficace.

Le corps de Necahual bascule en arrière alors que la lame s'enfonce en lui, perfore les tissus, se niche entre les côtes et atteint le cœur.

— Père !

L'épée, que j'avais à peine pu prendre en main, s'écroule au sol lorsque je me précipite sur lui. Mon palpitant pompe aussi furieusement mon sang que le sien sous mes doigts, qui pressent et pressent encore sa plaie.

— Non, Père ! Non, non, non ! Pas encore, pas toi ! m'affolé-je alors que l'hémoglobine s'écoule de plus en plus vite.

Son regard toujours vaillant se plante dans le mien et l'une de ses paumes attrape mes phalanges rougies.

— Tu ne peux pas mourir ! rugis-je, au bord du gouffre. Accroche-toi !

— Gijia...

— Gillian ! Viens m'aider ! crié-je encore en ignorant l'appel de mon père. On peut le sauver !

Mes iris éperdus s'accrochent à ceux de mon amie, qui hésite à me rejoindre.

— Gillian, dépêche-toi !

— Ele..., débute-t-elle, les larmes aux yeux et l'air abattu. Ça ne peut pas marcher...

— Si ! Tu l'as déjà fait une fois, pour moi ! Toi, moi et Allan pouvons le ramener ! Nous pouvons y arriver !

Déjà, je sens un grand flux d'énergie répondre à mes invocations silencieuses et se glisser dans mes membres comprimés sur son poitrail. La Nature va sauver mon père, elle m'a accordée une seconde chance, alors elle peut le faire avec lui aussi. Elle va le faire. Elle doit le faire !

Il ne peut pas en être autrement.

— Aide-moi, Gill ! Je t'en prie, l'appelé-je encore, suppliante, mais aussi farouche dans ma détermination.

La sorcière ne tergiverse plus et commence à se rapprocher, ses émeraudes habitées d'une nouvelle lueur. Et alors que j'allais me tourner vers mon lié pour l'inciter à nous rejoindre lui aussi, le bruit d'un choc, puis d'un cri étouffé m'oblige à revenir sur Gill. La panique me submerge complètement au moment où je la découvre allongée à plusieurs mètres de distance, et le crâne en sang.

— Non !

— Navré, ma chère, mais je ne pouvais pas laisser cette petite sorcière compromettre la suite de mes projets, m'interpelle Jarlath en s'éloignant de mon amie. Et puis, un petit somme ne lui fera pas de mal...

Une partie de moi s'apprête à bondir à son secours, mais l'hémorragie visqueuse et chaude sous mes mains m'en empêche. Les paupières de Necahual deviennent lourdes, il a du mal à rester concentré sur moi malgré mes nouvelles supplications.

— Non, reste avec moi. Je t'en supplie, ne pars pas ! Père...

— C'est terminé, Eleuia, insiste le monstre dans mon dos.

— Non ! Allan, viens ! Viens m'aider !

— Non, Allan reste avec moi, nous contre Jarlath.

Mes prunelles les cherchent et s'écarquillent quand elles tombent sur le corps figé de mon lié et la main du vampire serrée sur son épaule. L'expression hagarde et ravagée, Allan ne fait rien pour se soustraire à lui.

Pourquoi ne fait-il rien pour se soustraire à lui ?

La boule dans ma gorge grossit alors que je pivote à nouveau vers mon père. Mon cœur poursuit sa cavalcade folle et désespérée sous mon sein, au contraire du sien qui ne bat plus que très, lentement. Trop lentement... Il va s'arrêter dans quelques secondes, et je n'aurais rien fait pour le sauver.

— Pudire... Pudire...

Je continue à lui parler, aligne plusieurs mots qui n'ont pas grand sens, comme je l'avais fait au moment de perdre Yaotl. La pression de ses doigts se relâche sur les miens tandis que ses yeux se ferment sur les ténèbres. Son aura devient froide, son énergie s'étiole dans l'air tout aussi glacé. Plus aucun flux ne l'habite alors que je m'affaisse sur lui.

Ma tête s'installe dans son cou, là où persistent encore un peu les effluves si rassurants de son odeur. Elle me projette des siècles en arrière, lorsqu'il me portait toute ensommeillée jusqu'à ma chambre. Un instant, sa chaleur et sa force semblent reprendre vie et m'envelopper dans leur étreinte bouleversante. Mes mains tremblantes montent sur son visage et le caressent avec douceur. Elles s'attardent sur ses joues, son front, sa barbe fournie... Elles mémorisent tout ce qui le faisait, tout ce qui me permettra de me rappeler mon père à tout jamais.

Ma voix enrouée chantonne tout bas quelques prières de notre ancien temps afin de l'accompagner dans la mort, et pour commémorer l'homme droit, le père attentionné et le chef affirmé qu'il était et qui a été tant aimé...

Mes paupières se sont abaissées comme les siennes, mais les larmes coulent sous mes cils et dégringolent de mon visage à son cou. Elles finissent leur course lente dans son sang, tandis que des tremblements diffus s'accumulent dans ma carcasse vaincue.

Mon père est mort. Frappé par une dague en plein cœur. Battu par un ennemi qui m'a déjà tant pris auparavant...

Mon père est mort. Et en ce jour funeste, notre famille meurt avec lui aussi...

Il n'y a plus que moi.

C'est terminé.

Une nouvelle éternité de souffrance débute aujourd'hui et prend racine dans ma poitrine mutilée. Elle me rend amorphe, lourde et engourdie. Un autre morceau de moi agonise, se flétrit comme à chaque fois que j'ai perdu l'un de mes piliers. Il s'extraie de mon être, prive mes poumons d'une partie de son oxygène et écartèle mes côtes. La douleur devient mon univers, la mort, ma raison d'être... Mais étrangement, pendant ce temps-là, le monde autour ne cesse pas d'exister. Au contraire, il poursuit sa course, vit sans se préoccuper de mon agonie. Je n'en suis plus que le témoin effacé...

— Vous croyiez tous tellement en lui. Vous pensiez que rien ne pourrait jamais l'atteindre, déclare Jarlath sur un ton posé, toujours à quelques distances de moi et en compagnie d'Allan. Mais vous vous trompiez. Tout le monde a un jour affaire à plus fort que lui...

La douleur gronde, loin d'être sourde aux paroles toxiques du vampire. C'est elle qui me permet d'écouter ce qu'il profère de sa voix profonde. Elle m'ancre à cette réalité, la force à devenir tangible pour moi. Rien ne me sera épargné, et ce constat me donne autant envie de hurler que de me recroqueviller plus encore contre le corps froid de mon père.

— Necahual était faible, reprend mon ennemi, et ces mots me font tressaillir. Il était investi de valeurs et d'idéaux chimériques et absurdes qui l'ont rendu vulnérable. Il s'est fourvoyé et a trompé ses proches durant des siècles ! Et on voit quels résultats cela a donné...

Le glissement de ses bottes sur le sol m'informe qu'il se déplace légèrement. Je comprends qu'il s'est rapproché d'Allan lorsqu'il continue sur sa lancée en l'interpellant.

— Tu sais quelle leçon il faut tirer de ce qui s'est passé aujourd'hui, Allan. Lui est le perdant, et moi le gagnant. Il était faible tandis que moi, je suis puissant. Et la raison principale à cette distinction, mon cher, c'est que je suis dans le vrai depuis toujours. Ses arguments tout comme sa personne ne faisaient pas le poids face à moi. Il a eu tout faux... Et je doute que toi ou d'autres en bas désire faire partie du camp du perdant.

Je ne peux pas bouger, je peux à peine respirer, mais j'ai toutefois bien conscience de ce qui est en train de se profiler à l'horizon. La peur et une vague de colère se mêlent à la souffrance sans que ce soit suffisant pour me faire réagir. Je suis mise au supplice, et celui-ci s'accentue à mesure que le discours de mon ennemi se poursuit.

— Tout ce que je te disais tout à l'heure est vrai, Allan. Je pense que tu peux me faire confiance désormais. Rejoins-moi, retrouve ta place auprès de moi et continuons ensemble à gagner du terrain, à vaincre nos opposants, à faire entendre raison aux indécis. Tu seras libre d'être toi-même, de faire tout ce que tu veux ! Les contraintes que l'on t'a imposées chez Necahual n'existeront plus. Elles ne te freineront plus jamais dans tes desseins, dans nos desseins. Tu seras mon bras droit et j'aurai une confiance absolue en toi... parce que je sais qui tu es réellement et je l'accepte.

Jarlath devient charmeur de serpents, au pouvoir de persuasion et d'hypnose qui soumet à sa volonté. Aussi redoutable que le chant des sirènes des légendes humaines, il vous fait même croire que c'est là votre volonté qui parle et non la sienne. Et Allan semble absorber ses paroles sans broncher.

Pourquoi ne dit-il rien ? Pourquoi ne se rebelle-t-il pas ?

Au prix d'un grand effort, j'essaie de me hisser sur un coude et me tourner de moitié vers leur duo, afin de jauger l'attitude de mon lié. Encore affaiblie, je mets quelques secondes à y parvenir, puis mon regard analyse leur position. Jarlath est devant Allan, les mains pressées sur ses épaules dans un geste de camaraderie, voire d'amitié. L'hybride, lui, scrute intensément son vis-à-vis, l'air aspiré par les iris et la voix du vampire. Il n'y a que lui qui existe, que ce qu'il dit qui compte.

Non...

— Tu serais mon égal, jure encore son interlocuteur. Le monde sera à nos pieds, nos pairs nous suivront et acclameront nos projets. Ils nous serviront, à l'instar des humains. Nous serons les maîtres de cette nouvelle ère et rien ni personne ne pourra nous résister... Tout ce que tu as à faire pour obtenir la réalisation de tes rêves les plus fous, c'est de dire oui et de travailler main dans la main avec moi.

Il joint le geste à la parole en déplaçant l'une de ses paumes. Doigts écartés, la main de Jarlath est quasiment sous le nez d'Allan alors que ce dernier l'observe avec un grand sérieux.

— Viens avec moi, mon ami. Laisse ta vie d'avant derrière toi, ne l'autorise plus à t'influencer, à te brider... Le monde n'attend plus que toi.

Très inspiré, mon ennemi pivote de côté pour m'avoir dans son champ de vision, et le coup d'œil qu'il me décoche me fait frémir.

— Libère-toi de tes anciennes chaînes, conseille-t-il à mon lié sans dévier de moi. Affranchis-toi d'elles avant de débuter cette nouvelle vie. Cette femme pourrait te détourner du droit chemin, elle représente une menace pour toi... Elle n'est pas digne de l'être que tu es. Elle est trop faible... comme son père.

Un sourire torve monte sur ses lèvres à cette comparaison et le monstre de douleur en moi tord mes entrailles entre ses griffes. Je suis broyée de l'intérieur, je sens que cette implosion endort petit à petit ma raison et éveille quelque chose de plus insidieux, de plus sombre. C'est rude, amer et capiteux. Ça se soulève avec langueur, mais avec puissance dans mes veines. Ça me rend plus alerte, moins lourde aussi... Le voile se lève doucement, mais je ne suis pas sûre de savoir ce qui se cache en-dessous. Tout ce que je sais, tout ce que je pressens, c'est que ce sera aussi violent et terrible que la foudre s'abattant sur terre.

Inconscient de ces changements, Jarlath distille encore un peu plus de son venin à l'oreille d'Allan, ses orbes brillants revenus sur lui.

— Si tu t'en débarrasses, tout sera bien plus simple ensuite. Plus de chaînes, plus de limites, plus de doutes. Plus rien ne pourra te vaincre, Allan. Tu seras intouchable.

Le vampire lui cède le passage lorsqu'il effectue quelques pas lents dans ma direction. Son regard acéré se perd dans le mien un long moment. Mon lié ne parle toujours pas, il se contente de me toiser, le corps droit et détendu. Voyant là un signe encourageant, l'homme près de lui se place dans son dos avec un large sourire.

— Occupe-toi d'elle, et ensuite nous pourrons partir d'ici pour rejoindre la deuxième partie de notre armée. Elle attend mes ordres pour agir.

— Où est cette armée ? l'interroge Allan au moment où j'écarquille les yeux de stupeur.

Mon souffle se coupe et ma tête se vide... avant de se remplir à nouveau de pensées et d'images toutes plus éloquentes les unes que les autres.

Jarlath s'est bien joué de nous jusqu'au bout... Il comptait laisser sa chair à canon de prédilection se faire réduire en bouillie avant de s'enfuir en catimini pour retrouver ses troupes les plus expérimentées. Il souhaite lancer l'assaut avec eux sur notre armée affaiblie, ainsi il pourra tuer ceux qui s'opposeront encore à lui et il récupérera ceux qui hésitent et sont ravagés par tous ces combats. Il pourra les faire retourner leur veste, leur promettre prospérité et calme pendant des décennies s'ils s'unissent à ses forces. Le fait que leur chef ait été tué fera aussi pencher la balance...

Jarlath n'attend plus que le soutien d'Allan pour mettre à exécution la totalité de son plan. Le vampire qui aura su dompter le supra hybride et éliminer le chef ennemi le plus redoutable qu'il ait eu à affronter... J'ai envie de vomir rien qu'en imaginant la satisfaction et l'orgueil qu'il en tirera.

Je dois empêcher ça.

— À l'ouest de Redmond, répond mon ennemi, ravi de percevoir l'intérêt d'Allan. Cinq cent guerriers et guerrières qui n'espèrent plus que nous !

— Et il y en aura bientôt plus grâce aux recrues de Necahual en bas, souffle l'hybride en comprenant comme moi les tactiques de Jarlath.

— Exact !

Il exulte de fierté, plus épanoui que jamais. Il est convaincu que tous ses projets vont enfin se concrétiser.

— Nous devrions y aller, à présent, Allan. L'avenir n'attend pas ! rit le vampire en donnant une tape amicale dans le bras de mon lié. Mais tue cette hybride avant.

Un silence de plomb découle de cette ultime sentence proférée sur un ton badin et léger. Allan et moi ne nous lâchons plus des yeux ; la colère et la confusion bataillent dans les miens, tandis que le reflet de ses saphirs reste imperméable. Un sentiment de peur monte aussi en moi à mesure que le flegme de mon lié perdure. Jarlath va-t-il réussir à obtenir de lui ce qu'il veut ? Allan est-il à nouveau sous son emprise et si tel est le cas, y a-t-il quoi que ce soit cette fois que je puisse faire pour lui faire entendre raison ?

J'aimerais ouvrir la bouche et tenter de me défendre, mais je n'y arrive pas. Mes lèvres sont scellées et mes prunelles sont verrouillées aux siennes. Nous nous affrontons ainsi, comme nous l'avons si souvent fait par le passé. Nos corps ne bougent plus, nos respirations semblent se synchroniser... Nous percevons les vibrations ténues de notre lien chanter entre nous sans rien faire pour les amplifier ou les faire taire.

C'est un instant mis sur pause, un arrêt sur image qui me rappelle ceux vécus il y a plusieurs semaines de cela. La seule différence réside dans le fait qu'aujourd'hui, je ne sais pas ce que je dois ressentir devant ce regard. Je ne sais pas ce qu'il augure, je ne comprends pas si c'est là notre dernier échange avant ma mort ou si c'est tout autre chose. Tout à coup, mon être est comme sur pause lui aussi.

Je ne me défendrai pas s'il n'y a pas d'attaque.

Je n'attaquerai pas s'il y n'a pas de menace.

J'attends de voir venir... Et ça ne tarde pas.

— Vous avez raison, Jarlath, déclare Allan sans se retourner vers l'interpellé pour autant.

Je vois du coin de l'œil le vampire hausser un sourcil de curiosité.

— À quel propos, mon ami ?

Mon lié met une seconde avant de pivoter et de lui répondre bien en face.

— Lorsque vous assurez que tout le monde a un jour affaire à plus fort que lui. Pour certains, cela demande plus de temps que pour d'autres, mais... ça finit toujours par arriver.

Bien plus interloqué que curieux désormais, l'ennemi plisse le front.

— Je ne suis pas sûr de bien suivre ton raisonnement, mon cher...

— Je vous rappelle que ce n'est pas le mien. C'est le vôtre.

Je ne peux plus le voir que de dos dorénavant, mais je ne doute pas que toute sa physionomie doit transpirer la même austérité et froideur que sa voix.

— Et je crois que j'ai trouvé qui est plus fort que vous, Jarlath, reprend-il en penchant la tête de côté. Il vous fait face en ce moment même...

Les billes du vampire s'arrondissent à tel point qu'elles pourraient sortir de leurs orbites. Sa bouche s'entrouvre sur des paroles ou des cris de protestation, mais aucun son n'en sort. Allan l'en empêche. Ses membres se raidissent au lieu de chercher à fuir, les tendons dans son cou saillent sous la contrainte que lui impose mentalement mon lié. Il est à la merci de l'hybride, sous l'influence incroyable de ses pouvoirs de télépathe.

— Vous croyez trop en vous, poursuit ce dernier en contemplant son œuvre. Vous vous écoutez trop parler aussi, ce qui vous rend aveugle et sourd à ce qui se passe autour de vous... Moi en revanche, j'écoute et j'observe beaucoup. Je savais donc comment vous atteindre, comment me comporter pour vous faire croire en « mes doutes et incertitudes ».

Le visage de Jarlath n'est plus qu'un masque de terreur et de rage mêlées alors qu'Allan le ridiculise un peu plus.

— Il faut toujours se méfier des apparences, vous savez. Ne croyez pas seulement ce que vous voulez croire. C'est le meilleur moyen pour vous conduire à votre perte...

À ces mots, l'homme se positionne de biais et coule un regard vers moi. Cette fois, je lis sans peine en lui et me lève donc. Mes jambes raidies par la fureur me conduisent jusqu'à lui, et plus loin encore... droit sur ma victime.

— Contemplez le visage que prend votre perte, Jarlath..., chuchote Allan derrière nous.

Un son étranglé monte dans la gorge contractée du concerné. Je me poste à ses devants, le contemple avec férocité. Les battements de mon cœur ne se précipitent pas dans ma poitrine, mais ils restent vigoureux, habités d'une énergie exaltée.

— À genoux, sommé-je d'une voix sourde.

Allan le force à se placer comme je l'entends sur la pierre froide. Je suis avidement sa descente et m'approche derechef de sa silhouette.

— Menton bien haut.

Jarlath essaie de résister à l'emprise de mon lié, mais c'est perdu d'avance. Sa volonté n'est plus, elle est soumise à celle qui refaçonne son esprit, qui étouffe ses pensées. Et ce constat lâche un peu plus la bride à la bête dans mon ventre.

— Bras écartés, ajouté-je pour conclure cette préparation.

Panique et colère n'ont pas déserté les traits figés du vampire, elles paraissent faner le hâle naturel de sa peau. Il adopte déjà l'apparence du cadavre fauché par l'horreur.

Ainsi exposé et le torse bien dégagé, je me penche sur lui et retire le long manteau qu'il porte. Désireuse de faire durer le supplice en notant la lueur épouvantée dans ses orbes, je défais ensuite quelques boutons de son haut. Je ne le quitte pas des yeux, je veux qu'il voie à quel point je suis déterminée. Qu'il comprenne que plus rien ni personne ne pourra lui épargner son châtiment.

— Vous vous souvenez d'Orléans, Jarlath ? l'interrogé-je dans le creux de l'oreille, comme pour mieux enfoncer le clou. Du serment que j'y ai formulé ? De la promesse que je me suis engagée à tenir ?

Il émet un autre son assourdi et je le prends comme une forme d'acquiescement.

— Je tiens toujours mes promesses, murmuré-je sur un ton glacial qui le fait frissonner une dernière fois.

Ma main traverse son sternum nu, brise les côtes sur son passage et s'arrime à son cœur bondissant. Des borborygmes de douleur s'échappent d'entre ses lèvres cimentées alors que mes doigts se resserrent lentement sur son organe. Les pulsations s'affolent, pompent plus vite le sang dans les artères, jusqu'à changer de rythme. Je les force à ralentir à ma convenance et n'hésite pas à serrer plus fort à chaque rebuffade.

La bouche sous mes prunelles incisives commence à bleuir, le corps fléchit sous le coup du manque d'oxygénation. Les forces de Jarlath l'abandonnent tandis que les miennes ne m'ont jamais paru aussi redoutables. Plus mon ennemi agonise dans la souffrance, plus je me sens vivante et grisée.

Je me délecte de ses derniers instants, de cette petite flamme résignée qui brille derrière ses pupilles dilatées. Sa lente agonie s'éternise plusieurs minutes, son cœur déclinant logé dans ma main, et j'y mets fin à ma manière.

Avant que son palpitant lâche, je plante mes dents dans son cou, déchire tout ce qui est à leur portée avec hargne. La tête quitte progressivement son tronc, s'en détache alors que mes doigts tirent d'un coup sec à l'intérieur de sa poitrine. Je libère son cœur poisseux à l'instant où sa tête roule sur le sol, vite rejointe par le reste sanguinolent.

Un silence d'outre-tombe s'abat sur les lieux et je mets quelques secondes avant de me détacher de l'organe dans ma paume et de le faire chuter dans un bruit mat et spongieux.

Des pas hésitants résonnent dans mon dos et je me crispe dès qu'Allan tente d'instaurer un contact entre nous. Je fais volte-face, toujours enragée, et martèle son torse de mes poings souillés.

— Pourquoi tu ne m'es pas venu en aide ? Pourquoi n'as-tu rien fait pour mon père ? crié-je plutôt que de laisser éclater mon chagrin.

— Eleuia...

— Nous aurions pu faire quelque chose ! Toi, moi et Gillian ! Nous aurions pu le sauver !

— Non, Eleuia, réplique-t-il avec douceur et fermeté dans la voix. Ton père... est mort en quelques secondes. C'était insuffisant pour agir.

— Les sorcières m'ont ramenée, elles ont réussi à préserver ma vie ! Nous aurions pu...

— Tu agonisais, me coupe-t-il en se rapprochant. Tu n'étais pas morte et tu avais encore assez de réserves et de forces pour te traîner jusqu'à un arbre. Tu as établi une connexion avec lui pour te sauver, avant même que les sorcières arrivent. Vous aviez plus de temps et des bonnes ressources pour le faire. Pas nous. Là est toute la différence...

Je fuis son regard alors qu'il pose à nouveau ses mains sur moi.

— Au fond de toi, tu sais que j'ai raison. Et j'en suis désolé.

Ses bras m'attirent dans leur étreinte et cette fois je me laisse faire. Ma colère reflue et ma conscience me souffle les mêmes mots que mon lié. Je ne suis pas prête à admettre la vérité, mais je la connais. Je sais que je ne peux pas donner tort à Allan...

— Je suis désolé, susurre-t-il tout bas en me berçant. Tellement désolé, mon amour...

Je respire à fond son odeur et tente d'endiguer la lame de fond qui afflue en moi. Mes mains se pressent avec plus de force que les siennes sur son corps. Elles se raccrochent à lui, comme on se raccroche à une bouée jetée à la mer.

— Tu faisais semblant depuis le début, déclaré-je en repensant à son attitude plutôt qu'à la mort de mon père. Tes doutes, ton hésitation muette... Tu voulais tromper Jarlath.

— Plus il me parlait, moins il s'intéressait à toi. J'ai lu en lui et je savais qu'il souhaitait soit te rallier à sa cause, soit me pousser à te tuer. Mais avec l'arrivée de Necahual, ses choix ont été précipités dans un sens plus que dans l'autre...

J'opine contre son cou. Le meurtre de mon père ne m'aurait jamais fait fléchir, Jarlath en avait conscience. J'étais sa deuxième plus grande menace, selon lui – alors qu'en réalité, j'ai toujours été la première, et de loin, mon père n'étant pas un grand adepte des chasses punitives et vengeresses. Je l'aurais combattu, encore et encore... Et je me serais aussi battue pour ramener Allan auprès de moi. Encore une fois.

La caresse de ses paumes est délicate et langoureuse, elle m'apaise et balaye une partie de ma peine. Je l'accepte quelques secondes supplémentaires, puis mon esprit me ramène à de nouvelles préoccupations.

— Gillian ! m'exclamé-je en me tournant vers sa silhouette, toujours à terre.

— Elle ira bien, m'assure Allan en s'arrêtant auprès d'elle en même temps que moi. Elle s'est reçue un choc sur la tête. Elle a perdu du sang, mais ce n'est pas trop inquiétant. Elle va s'en remettre.

Je le crois sans peine en captant le son rassurant de son cœur et en écoutant sa respiration fluide. Par chance, Jarlath a modéré sa puissance. Elle est assommée, rien de plus. Le soulagement m'étreint et me fait pousser un soupir.

— Il faut que nous sortions d'ici, que nous retrouvions notre armée, indiqué-je tandis que mon lié prend notre amie dans ses bras.

— Ne traînons pas.

J'ai néanmoins un temps d'arrêt en parcourant les lieux.

— Non... Donne-moi Gillian, s'il te plaît, demandé-je à Allan en tendant les bras. Et... prends mon père plutôt. Je ne veux pas le laisser ici...

Il acquiesce, place délicatement notre amie contre moi, puis se dirige vers la dépouille de Necahual. Il l'installe sur son dos et cherche ensuite mon regard.

— Allons-y.

Je hoche la tête, mais avant de lui emboîter le pas, mon attention est attirée vers le coin de la pièce. Mes prunelles survolent l'objet une longue seconde, le temps que je prenne la décision de marcher vers lui et de l'enrouler dans une tenture à proximité. Chargée de ce nouveau fardeau – plus léger que le corps de la sorcière toutefois –, je descends aussi vite que possible les escaliers à la suite de mon lié. Nous progressons de couloir en couloir dans les passages secrets, tous nos sens aux aguets afin de trouver une sortie. Plusieurs minutes s'écoulent, nos foulées résonnant dans les dédales et contre les parois, puis nous finissons par déboucher à l'extérieur. Nous sortons des entrailles de ce QG géant depuis la façade ouest, à l'opposé du champ de bataille improvisé. Nous faisons le tour et sommes accueillis par des cris de soulagement et la course de nos amis.

— Ele, Allan ! Vous êtes vivants, vous n'avez rien !

J'ai un petit sourire à l'entente de l'exclamation joyeuse de Dren et suis tout aussi soulagée que lui de le voir en vie. Onyr et Tia, tout comme d'autres, ne sont pas très loin derrière l'incube, et être face à toutes ces têtes connues et épargnées allège ma poitrine. Les orbes couleur whisky de mon vis-à-vis s'arrondissent de crainte en découvrant Gillian inconsciente dans mes bras.

— Oh bon sang, Gillian !

— Elle a reçu un choc à la tête là-haut, mais ce n'est rien de grave, le rassuré-je tout en la posant doucement par terre. Elle devrait se réveiller bientôt...

— Tu en es sûre ? Et qui est avec...

Dren ne termine pas sa question, car son regard se déplace vers l'arrière, là où est resté Allan. Je le sens s'avancer de quelques pas alors que l'identité de celui qu'il porte saute aux yeux de tous les présents. De nouvelles exclamations s'élèvent parmi eux, mais elles n'ont plus rien à voir avec la joie...

— Necahual...

Je fais un bref signe à mon lié pour qu'il pose notre chef dans l'herbe, puis avise les expressions choquées de nos alliés.

— Qu'est-ce qui s'est passé là-dedans ? nous interroge Richard, l'air dévasté. Comment... ?

Un nœud dans la gorge, je tente de relater les derniers événements auprès de Jarlath. Je leur raconte pour ses plans, l'armée restée en retrait, ses tentatives de manipulation et l'issue qui en a découlé. Quelques minutes de silence succèdent à mes explications, pleines de douleur et de rage contenues. Une poignée d'œillades glisse d'Allan à moi et s'attarde sur mon lié. J'y entrevois un mélange de respect nouveau et de reconnaissance qui m'apaise un court instant. Puis vient mon tour de prendre des nouvelles du front.

— Cela fait une bonne demi-heure que les combats ont cessé, m'explique Cakulha d'une voix morne, sans dévier du corps de mon père. Les derniers soldats de Jarlath encore debout ont fui à travers les bois. Ils se rendent sans doute à Redmond...

— Qu'en est-il de nos pertes personnelles ? m'enquiers-je dans la même posture que lui.

— Une centaine de morts et le double de blessés. Les cas les plus urgents ont déjà été embarqués pour rentrer au domaine.

— Bien...

La main d'Allan glisse et serre fort la mienne alors que je me racle la gorge pour me recentrer. Des mesures doivent être prises, les généraux et moi-même devons nous occuper de ceux et celles qui comptent encore sur nous. Les vivants avant les morts, c'est ce que me serinait mon père à longueur de temps. Défendre les nôtres, défendre les vivants devait être ma priorité, selon lui.

Je m'efforcerai de passer cet objectif au premier plan, désormais. Je te le promets, Pudire.

— J'ai rappelé les hommes que nous avions envoyés vous chercher à l'intérieur, m'apprend le Maya à mes côtés tout en me désignant la petite troupe qui sort effectivement du QG. Je suis désolé qu'ils ne vous aient pas trouvés avant...

— Cette bâtisse est un vrai labyrinthe piégé. Je comprends qu'ils n'y soient pas parvenus, Cakulha, assuré-je avec un geste de la main pour le tranquilliser.

Cependant, un goût amer tapisse mes papilles en pensant que si ces soldats nous avaient rejoints, les choses ne se seraient pas aussi mal passées... Peut-être que mon père serait encore en vie...

Je me tance intérieurement, voyant bien sur quelle mauvaise pente je suis prête à m'engager à penser ainsi, et m'oblige à m'en détourner bien vite.

— Eleuia ?

L'appel d'Helen m'aide pour ce faire. Je pivote vers elle et contemple l'expression préoccupée qu'arborent ses traits.

— Qu'allons-nous faire pour cette histoire d'armée ?

— Nos guerriers et guerrières ne peuvent pas se lancer dans une nouvelle lutte tout de suite, enchaîne Richard sur un ton hésitant. Ils ont tous besoin de se reposer et de reprendre des forces...

— Mais si nos ennemis contre-attaquaient ? s'interroge Tia, nerveuse.

— Nous restons plus nombreux qu'eux, et ils le savent. Ils ne risqueront pas de nous prendre à revers maintenant, le moment n'est pas propice pour eux non plus, avance Cakulha, les sourcils froncés.

— Pouvons-nous en être sûrs, cela dit ?

L'intervention d'Helen sème encore plus le doute dans les esprits alentour. Personne ne sait quoi faire, la marche à suivre ne leur paraît pas claire ni bien définie encore. Mes yeux se perdent sur leurs visages, sur ceux plus loin qui observent notre rassemblée, sur le paysage saccagé à droite à gauche... et ils échouent dans ceux vides, mais toujours ouverts de Necahual à mes pieds.

— Rentrons au domaine, déclaré-je dans un souffle. Richard a raison, nous ne pouvons pas repartir en guerre dès à présent. Nos troupes doivent récupérer et se reposer.

— Et pour les partisans de Jarlath ?

— Assurons-nous de leur laisser un message clair pour le moment où ils viendront par ici, réponds-je avec dureté.

Je lève le bras qui agrippe mon paquet impromptu et sors la tête décapitée de notre ennemi de la tenture tachée. Mes alliés la fixent longuement. Satisfaction et dégoût brillent dans leurs iris.

— Mettons le feu à leur QG. Incendions-le jusqu'à ce qu'il tombe en cendres.

J'accroche le regard mort du crâne devant moi tandis que quelques soldats, accompagnés d'Eleanor et Cakulha partent en direction de la bâtisse.

— Qu'ils contemplent tous leur échec et la menace que nous représentons pour leur vie, complété-je, les doigts resserrés dans la tignasse informe et ensanglantée.

Les minutes suivantes, un départ de feu prend au rez-de-chaussée du QG. La fumée s'échappe par les interstices et devient de plus en plus épaisse et noirâtre à mesure que le brasier croît à l'intérieur. Bientôt, des flammes iridescentes apparaissent devant nos visages graves et concentrés. La structure commence à gémir et grincer sous l'effet de la chaleur, et ces sons me rassurent. Ils me contentent autant qu'avec une simple flambée de cheminée. Les couleurs et les bruits qui s'en dégagent sont hypnotiques, frémissants d'ardeur. Ils me ramènent loin en arrière, à des sensations que mon être n'a jamais oubliées et qui s'éveillent, rallumées par les braises.

Je reviens au jour de ma mort, au jour où j'ai ressuscité, rappelée par la brûlure dévorante du feu. Je reviens à ma renaissance, au doux-amer intense qui me léchait les veines. Et je comprends qu'aujourd'hui se fait l'écho parfait et complet de cette non-mort à vif.

La pression de la paume d'Allan me force à me détacher du crépuscule de feu que nous avons créé. J'observe ses traits sublimés par le rougeoiement des flammes et sens toute la compassion et tout l'amour qu'il éprouve pour moi en cet instant. Ses prunelles limpides dévalent ensuite sur moi puis se suspendent sur mon trophée de guerre. Un geste du menton de sa part me suffit pour comprendre qu'il est temps pour nous de repartir et donc temps pour moi de faire ce qu'il reste à faire.

M'approchant du bâtiment enflammé, je dégaine mon bâton télescopique et le plante sèchement en terre. Puis je m'empare à deux mains de la tête de Jarlath et l'embroche dessus avec autant de rudesse.

Des coulées de sang frais roulent sur la pique alors que je fais demi-tour afin d'aller à la rencontre des miens. Suivis par la détonation du bois s'effondrant sur ses fondations, nous rebroussons chemin en silence, mais nos esprits unis.

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