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Épilogue


— Ele ? Ele, tu m'entends ? m'appelle vivement une voix inquiète.

Je ne peux pas répondre, je suis bien trop occupée à tenter de ravaler mes cris de douleur.

— Accroche-toi, Eleuia. On ne va plus tarder à arriver.

Recroquevillée sur la banquette arrière d'une voiture, je capte les paroles à la fois rassurantes et angoissées de mes amis, mais ne surenchéris pas à ces dernières. Les bras tantôt pressés sur mon ventre, tantôt enserrés sur ma tête, je ferme les paupières sous les assauts répétés de cette douleur inqualifiable. Elle tord mes entrailles, incendie mon crâne, fait vibrer tout mon être d'un supplice que je ne peux pas contrôler... pour la simple et bonne raison que je n'en suis pas la cible principale. Seulement le dommage collatéral.

Allan.

— Ele ? Serre ma main si ça peut t'aider, me somme Gillian en plaçant ses doigts froids entre les miens brûlants.

Je ne résiste pas à cette invite et broie en quelques secondes ses phalanges. La sorcière ne bronche pas, mais si j'avais un aperçu de son visage, je le verrais grimaçant et contracté.

— Sander, accélère encore, réclame-t-elle à notre conducteur.

Et le moteur vrombit plus fort lorsque ce dernier s'exécute sans attendre. Quelques kilomètres supplémentaires sont avalés avant que je parvienne à rouvrir les yeux et à prendre une profonde inspiration pour calmer mes nerfs et muscles mis à rude épreuve. Le tsunami de souffrance ne déferle plus en masse sur moi, ce qui veut dire qu'il ne doit plus infliger les mêmes sévices à Allan. Toutefois, au fond de moi, je ne suis pas dupe : il ne s'agit là que d'une accalmie... Quand et comment la torture va reprendre, je ne sais pas, mais elle reprendra, c'est une certitude. Ils n'en ont pas fini avec lui.

Oh, Allan...

— Ele, tu m'entends ? m'interroge à nouveau ma meilleure amie. Ça va ? Tu tiens le coup ?

Je coasse d'une voix râpeuse en réponse, désireuse de comprendre comment ils ont fait pour arriver aussi vite. Ils n'étaient pas avec nous lors de la mission. Ils étaient censés être au manoir, c'est là que nous nous sommes quittés. En quelques phrases concises, Sander m'explique qu'ils ont rejoint le groupe de Fred après notre départ. Et qu'à l'instant où la situation a dégénéré, Milton leur a envoyé un S.O.S pour les avertir. Ils sont arrivés peu de temps après.

— Tu ne t'en souviens pas ?

— Comment ça ? balbutié-je, surprise.

— Tu... Lorsque l'on est arrivés sur les lieux, tu étais dans une rage folle. Tu avais déjà tué une dizaine d'assaillants et tu étais – tu es toujours d'ailleurs – couverte de sang. Tu les as écharpés, Eleuia.

Le sang et les cris me reviennent en mémoire avec le bref exposé du berserker. Tout n'était que rouge sang, rouge fureur, autour et en moi, une fois que j'ai remarqué la disparition d'Allan.

Je me redresse sur mon siège tout en écoutant la voix grave du conducteur qui me relate mes méfaits et tortures à l'encontre d'un des sbires rescapés de Jarlath. C'est ainsi que j'apprends que je suis parvenue à lui extorquer l'endroit exact où Jarlath comptait accueillir Allan.

Mon cœur frappe à coups redoublés dans ma cage thoracique. Le soulagement m'envahit. J'ai réussi, j'ai au moins fait ça de bien. Une partie du poids imposant qui croule sur mes épaules s'envole. Puis mon regard se fixe dans celui brillant de Sander avant qu'il décrispe les lèvres pour continuer.

— Tu l'as dépecé, morceau après morceau. Il n'avait même plus ses yeux pour pleurer sur la fin !

Cette fois, je m'en souviens nettement. Je me souviens de la tête maculée d'hémoglobine de ma victime ; je me souviens aussi de ses hurlements de douleur avant qu'il finisse par me dire ce que je voulais entendre... et il m'a fallu vingt précieuses minutes pour cela. La seule chose que je regrette, c'est qu'il n'ait pas craqué plus tôt.

— J'ai fait ce que je devais faire, répliqué-je au géant, froide et implacable.

— Bon Dieu, Ele ! C'était une boucherie !

— Et alors ? Il était hors de question que je les laisse filer après ce qu'ils nous ont fait. Après qu'ils ont emmené Allan !

— Je sais que c'est dur pour toi, mais...

Le rugissement suivant sort des tréfonds de mon âme tourmentée. Son écho résonne et implose en moi. C'est un cri du cœur, un cri d'une âme esseulée qui se rend compte avec horreur d'à quel point sa moitié lui manque. Et que ce manque la fait vriller...

— Non tu ne sais rien, putain ! Si je devais perpétuer à nouveau un massacre et user du même sadisme, si je devais tout recommencer pour obtenir cette chance infime de le retrouver, je le referais sans hésiter ! Ne me reproche pas une attitude que tu emploierais le premier si jamais il arrivait malheur à Gillian, Sander. Ne te montre pas hypocrite, pas aujourd'hui.

Mes mots s'entrechoquent avec véhémence dans ma bouche, ce qui assombrit plus encore le regard glacé du Norvégien.

— Ce n'est pas le jour pour une leçon de morale, conclus-je, toujours tendue comme un arc.

Sander bougonne, puis lève ses battoirs, paumes en avant en signe de reddition. Il lâche le morceau.

Avec un soupir, j'enfonce mon crâne dans l'appui-tête et referme mes mains en poings.

— Comment tu te sens ? me sollicite la sorcière, sur un ton doux et sagace que je lui sais gré.

— La douleur est latente pour l'instant, soufflé-je, une main passée sur ma poitrine engourdie. Je me suis évanouie après mon forfait, c'est ça ? Je me suis effondrée sur le sol...

— Oui, acquiesce mon amie. Tu n'es restée inconsciente que quelques minutes, le temps pour nous de te porter dans la voiture. Ensuite, tu ne faisais que hurler... et te tordre de douleur.

Je ne réplique pas, préférant regarder un bref instant le paysage défiler derrière la vitre. C'est notre lien qui fait ça. Je ressens ce qu'il ressent, comme cette fois-là, dans les champs, où j'ai eu l'impression que j'allais devenir folle de chagrin et de colère...

— Est-ce que tu... sens Allan ? hésite Gillian, les traits marqués par l'inquiétude.

— Non, me lamenté-je. Pas vraiment.

— Ça veut dire qu'il est...

— Non, assuré-je avec plus d'aplomb. Je sais qu'il est toujours en vie, notre lien est là... un peu étouffé, comme mis en sourdine, mais il est là.

Je ne précise pas que si Allan était à l'agonie, je serais dans un état aussi lamentable que lui. À deux doigts de la mort et du néant, comme mon lié.

— Est-ce que tu sais s'il s'en sort ? demande Sander en tâchant de garder son sang-froid.

Je ne veux pas répondre à cette question... Si, grâce à la distance, je parviens à reprendre doucement du poil de la bête et si, grâce à ma longévité plus importante, je réussis à compartimenter certains maux, Allan, lui, ne le peut pas. Il est dans la première ligne de mire, c'est son corps qui est aux mains des ennemis. Et il est jeune... Je ne doute pas une seconde toutefois qu'Allan fera preuve d'un grand courage et d'une force mentale admirable, cependant l'épuisement le guettera bien assez tôt... Tout comme l'ambivalence de sa nature.

Et c'est de ma faute.

Mon mutisme alourdit un peu plus l'atmosphère entre nous, alors que je vois tour à tour les visages de mes acolytes se crisper.

— C'est encore loin ? finis-je par formuler, les cuisses raidies par la tension.

— Trois minutes. Armez-vous, répond Sander.

Je ne perds pas de temps pour suivre ses indications et fouille dans les valisettes sur la banquette et dans le coffre. J'attrape mon bâton télescopique, trois flingues, plusieurs séries de balles et de couteaux, et une poignée d'explosifs – juste au cas où.

Gillian, de son côté, s'arme plus légèrement, puis passe ses deux bras en travers du siège conducteur afin de parer le berserker.

— Deux minutes, nous informe-t-il tout en aidant la sorcière à fixer holters et autres sangles pour son arsenal personnel.

— Le comité d'accueil est déjà là, grincé-je, un doigt pointé droit devant nous.

Une vingtaine de soldats, bien équipés et entraînés, sont debout droits comme des I et protègent l'accès à leur QG.

— Un vol plané, ça te tente Ele ? m'apostrophe le géant, un sourcil haussé dans ma direction.

— Seulement si tu leur fonces dessus après, déclaré-je après avoir pris deux secondes pour réfléchir à sa proposition.

— C'est comme si c'était fait !

— Très bien, alors vas-y. Gillian, cramponne-toi.

La sorcière s'exécute et se cale contre le siège passager. Ses bras sont écartés sur les parois au moment où la voiture fait une brusque embardée. Lancée à toute vitesse, elle part sur le côté droit afin que je sois placée pile en face de nos assaillants lorsque je m'expulse, tel un boulet de canon. Éjectée de l'habitacle, je vole quelques secondes dans les airs, le temps de prendre au poing un revolver et mon bâton, puis frappe de plein fouet deux berserkers qui se tenaient trop près l'un de l'autre. Je les achève en un tour de main et me tourne déjà vers d'autres sbires pour leur faire la peau. Les suivants se ruent sur moi, l'air aussi rageur qu'horrifié par mon entrée en scène, mais leurs plans sont vite mis à mal : mes amis nous ont rejoints. Sander et Gillian les abattent dans le dos, tandis que la jeep écrase trois ennemis dans son sillage mortel.

Mon mode combat activé, je cours pour échapper à des tirs de balles, effectue une boucle entre la végétation jusqu'à prendre à revers deux vampires, et leur perfore le crâne avant qu'ils aient eu le temps de répliquer. Sans décélérer, je poursuis ma route, plante trois couteaux dans des bras ennemis afin de les désarmer.

Gillian me sauve d'une tentative de riposte en envoyant une rafale de vent impressionnante sur des adversaires afin de les déséquilibrer. Et c'est finalement Sander qui les achève d'une torsion du cou, avant de se retourner sur un berserker. Ce dernier parvient à mettre deux belles trempes à Sander avant que le guerrier propulse son poing puis son pied dans son thorax. Celui-ci se fracture dans un bruit d'os cassés à faire crisser des dents.

Un poignard, que je n'avais pas vu venir, se plante dans mon bras alors que j'observais Sander arracher le cœur de sa victime. Je fais volte-face, récupère le couteau dans ma chair et le renvoie à l'expéditeur, une vampire au rictus mauvais.

Un combat plus éreintant que les autres s'en suit, durant lequel la vampire et moi nous envoyons coup sur coup, tentons d'enfoncer nos dents dans le cou opposé afin d'étêter l'autre. Un de ses acolytes s'invite dans notre bal sanglant pour m'épuiser un peu plus, griffant ma peau, claquant des mâchoires à un centimètre de ma gorge. Je finis toutefois par venir à bout de ce duo infernal en les attrapant tous deux, puis en les envoyant valdinguer dans le décor... à deux pas d'un cours d'eau. Concentrée sur cet élément, je puise l'énergie suffisante pour l'invoquer et la diriger vers mes cibles. Et, au bout de quelques secondes, l'eau s'infiltre en eux, entre dans leur bouche ouverte sur un cri sourd, imbibe leurs poumons et bronches, remplit la cavité thoracique... jusqu'à ce que leur cœur lâche.

Frémissante, je me retiens à un arbre derrière moi et inspecte les différentes blessures sur mon corps. Certaines commencent déjà à cicatriser, mais d'autres, plus profondes et vicieuses, laissent s'échapper une dose de sang importante hors de mon organisme.

— Ele !

La silhouette massive de Sander court jusqu'à moi ; lui aussi est marqué par la lutte.

— Tu vas bien ? m'interroge-t-il, le regard posé sur mes plaies. Il te faut une compresse pour ton bras, il est salement amoché.

Ce disant, il déchire un bout d'étoffe de son propre haut maculé de terre et de sang pour m'en créer une.

— Les renforts viennent d'arriver. Ils vont nous aider. Toi, tu dois entrer et retrouver Allan. On te suivra dès que l'on pourra.

— Mais Sander...

— Il n'y a aucune protestation qui tienne, me coupe-t-il, ses yeux bleus ancrés dans les miens. Il faut que tu le retrouves et que tu l'aides. Tu es la seule qui puisse le faire. Tu dois le sauver.

Ses paroles sont précipitées, mais sérieuses, aussi graves que les traits de son visage de géant.

— Pars tout de suite pendant qu'on retient et s'occupe de ceux à l'extérieur. Dépêche-toi !

Il me redresse après avoir serré une dernière fois mon bandage, puis plaque une main lourde sur mon dos pour me pousser en avant.

— Pars ! Retrouve-le !

Je pivote pour ne pas le lâcher du regard tandis qu'il marche à reculons, vers là où la guerre des troupes fait rage.

— Sauve mon meilleur ami, s'il te plaît, souffle-t-il, les yeux étincelants. Vas-y !

Alors sur ce dernier cri autoritaire, je bande mes muscles et m'élance droit vers l'entrée sombre du QG. Je cours, et tout ce que j'avais mis en sourdine jusque-là me rattrape.

On va arriver trop tard. Je vais arriver trop tard...

La panique enserre ma poitrine. Mon souffle est heurté, plus à cause d'elle que de l'effort que je fournis.

Cours encore. Ne te retourne pas. Cours plus vite.

L'étau autour de mon cœur se referme encore d'un cran. Toutes mes erreurs, toutes mes hésitations et tous mes doutes l'alimentent, le rendent plus solide. Il est forgé à partir de l'acier le plus indestructible qui soit : la culpabilité.

Comment ai-je pu être aussi bête ? Aussi têtue et stupide ?

Tout est de ma faute.

L'odeur de sang frais et de l'humidité tapisse mes narines et soulève un petit peu plus mon cœur déjà si malmené. Une sueur poisseuse accompagne mes efforts. Le courant d'air que provoque ma cavalcade farouche fouette mon visage, balaye mes cheveux en tous sens.

Tiens bon, s'il te plaît. Tiens bon, j'arrive !

Mais soudain, le vent n'est plus, il est remplacé par la force brute de mes ennemis qui me broient les membres dans leurs serres. Je crie, me débats, sans parvenir à échapper à leur poigne... ni même au spectacle épouvantable qui se joue devant moi.

Non... Non...

C'est intolérable.

Accroche-toi, s'il te plaît. Accroche-toi.

À genoux, à la merci totale de mes ennemis, j'absorbe le malheur qui nous guette à nouveau, Allan et moi. Nos regards brûlants ne peuvent plus se quitter, et tout ce que nous éprouvons passe de l'un à l'autre.

Manque. Regret. Souffrance. Culpabilité. Désir. Détresse. Peur...

... Amour...

La peur domine soudain, annihile toute autre forme de pensée de mon esprit. Je réalise brutalement que je risque de le perdre pour de bon cette fois.

Il m'est vital. Indispensable. Plus précieux que tout autre être au monde.

Je suis tellement désolée. Pardonne-moi...

— Allons-y, s'exclame soudain une voix basse à proximité de mon lié.

À ces mots, la croix bascule en arrière pour se retrouver à l'horizontale, entraînant son supplicié avec elle.

— Arrêtez ! beuglé-je encore, affolée pour de bon. Arrêtez ! Laissez-le !

Je m'époumone par-dessus le cri de douleur de mon lié, incapable de supporter son écho vibrant.

Un rire, plus strident que les autres, éclate quelque part au-dessus de ma tête. Il est vite suivi par le bruit de pas s'approchant de ma carcasse ; des pas légers, presque flottants... comme si la situation n'était pas critique.

— Relevez-la, je vous prie, messieurs-dames.

Mes geôliers s'exécutent promptement. De retour en position debout, je tombe nez à nez avec...

— Jarlath, soufflé-je la mâchoire serrée.

— Ça faisait longtemps, Eleuia, me salue-t-il avec ce sourire débonnaire qui me hérisse toujours les poils. Tu sembles bien te porter... si on omet les bleus et autres blessures qui malheureusement entachent ta beauté légendaire.

— Laissez partir Allan. Sur-le-champ.

— Tu n'es pas vraiment en position d'exiger quoi que ce soit, Eleuia.

Le même rire que tout à l'heure se fait entendre, mais je refuse de tourner la tête pour voir qui l'émet.

— Il n'est pas un sang pur, m'exclamé-je en lançant un regard acéré à mon vis-à-vis. Vous enfreignez vos propres règles et principes. Quel genre de « chef suprême » fait ça ?

— Le genre prêt à tout pour sa réussite, pour obtenir le monde qu'il souhaite.

Jarlath pivote de côté pour jauger l'homme brisé à quelques mètres.

— Il est la meilleure arme que j'aie à ma disposition. Je ne vais pas faire une croix dessus, personne ici ne le ferait d'ailleurs. Nous avons tous conscience de l'atout véritable que représente Allan pour notre cause.

Fulminante, je scrute si férocement le visage ennemi en face de moi que je pourrais presque lui perforer un trou énorme entre les yeux.

— Je suis navré, ma chère, mais notre timing est assez strict, reprend Jarlath avec un coup d'œil au-dessus de son épaule. Et comme il est hors de question d'accéder à ta requête... Je pense pouvoir dire que le sujet est clos.

Il adresse ensuite un geste du menton aux sbires qui me retiennent, ce qui a pour effet de leur faire raffermir leur poigne sur mon corps.

— Mais comme tu es là maintenant, tu pourrais... être aux premières loges pour assister à la suite des événements.

Son rictus joyeux s'étire un peu plus alors que ses prunelles restent froides et lugubres. La seconde suivante, je suis traînée sur le sol, mes gardes enfoncent leurs doigts dans ma peau meurtrie et pincent le bord de mes plaies à vif. D'un seul coup, ils me relâchent, me laissent me vautrer dans la poussière. Seulement je n'en ai rien faire : le visage d'Allan est juste là, à cinquante centimètres, et ses magnifiques orbes bleus s'ancrent dans les miens.

— Allan...

Mes mains montent vers ses joues creuses en même temps que son nom m'échappe dans un souffle lent et torturé. Une chaleur diffuse se répand en moi lorsqu'il s'appuie sur ma paume.

— Je suis tellement désolée, murmuré-je encore, la respiration difficile. Pour tout...

— Ne t'excuse pas, exhale mon lié d'une voix souffreteuse.

— Si. J'ai tout gâché. J'ai été si stupide... Je m'en veux, Allan. Si tu savais comme je m'en veux !

Le public qui ne rate pas une miette de notre échange m'indiffère. Je suis à deux doigts de m'effondrer, dévastée par ma honte et mon désespoir.

— Eleuia... S'il te plaît.

Je presse mes doigts un peu plus fort sur sa figure et remonte mon regard dans ses prunelles lumineuses.

— Je suis heureux de te voir, déclare-t-il sur un ton moins cassé, plus caressant alors que l'éclat tendre de ses iris luit.

Un mélange de rire et de sanglots naît dans ma poitrine. Cette dernière me brûle aussi fort que l'arrière de mes yeux.

— Je pensais que... c'était la dernière fois, dans cet entrepôt.

— Je sais. Mais je suis là, je ne te laisse plus désormais.

Un faible sourire s'esquisse sur les lèvres d'Allan à l'entente de ma détermination farouche.

— Je vais te sortir de là, ajouté-je avec la même conviction. Je ne te lâcherai plus jamais.

— Eleuia, je...

Mon lié n'a pas le temps de finir sa phrase : je suis à nouveau entre les pattes de berserkers et de vampires qui m'éloignent de lui. Je hurle et lutte de toutes mes forces, mais rien n'y fait.

— Le moment est venu, s'exclame Jarlath d'une voix forte et claire. Mila, si tu veux bien te donner la peine...

Alors que la dénommée s'avance, un grand crissement résonne depuis le plafond. Levant la tête, je vois avec stupeur ce dernier s'ouvrir en partie ; la luminosité déclinante du dehors s'infiltre dans la pièce quasi souterraine. Des ombres se profilent sur les parois et au sol, et celle de Mila se dessine sur le corps éreinté d'Allan. Avant même que je puisse faire un geste dans leur direction, mes gardes me compriment contre eux et l'un d'eux plante un objet métallique dans mes reins. Je grogne en sentant mes jambes trembler et de nouvelles traînées de sang se former sur ma peau. La manœuvre va m'immobiliser assez longtemps pour permettre à ces fous d'opérer. Et les autres qui n'arrivent pas encore...

Désespérée, je reporte mon attention sur mon lié, cherche ses prunelles et expire en les trouvant dans l'instant. Mila, quant à elle, se place aux pieds d'Allan et lève les bras et le menton vers la voûte à ciel ouvert. Tout bas, si bas que je ne comprends que la moitié des mots qu'elle profère, elle se met à réciter de vieilles invocations, les paupières closes. C'est une sorcière, une de l'ancien temps qui, pour invoquer les forces de la Nature, psalmodie avec ferveur. Elle se concentre intensément, poursuit ses récitations sans plus s'intéresser au monde autour d'elle... et je sens mon cœur déraper en réaction. Quelques secondes plus tard, l'atmosphère s'épaissit, le vent s'engouffre et mugit à nos oreilles, et la terre et le ciel se chargent en électricité.

Ma bouche s'ouvre sur un cri muet lorsque je comprends ce qui va se passer, lorsque je capte enfin quel est l'ultime recours de Jarlath pour faire d'Allan sa machine à tuer. L'air me manque, la terreur me pousse à essayer et essayer encore de me libérer. Une pointe de pure hystérie se mêle à mes mouvements empressés, mais je reste bloquée et entravée malgré tout.

— Il ne vous obéira pas pour autant, Jarlath ! crié-je à l'interpellé en dernière tentative. Il tuera sans distinction ! Vous, vos hommes, tout le monde !

— Je n'en suis pas si sûr... Vois-tu, Allan et moi avons passé un peu de temps ensemble. Nous avons vécu un genre de moment très privilégié rien que lui et moi..., réplique mon ennemi en se tapotant le bras.

Je reste focalisée sur l'agitation lente de ses doigts et m'empêche de hurler et gémir à la fois quand je comprends. Un échange de sang... Il l'a nourri de son sang pour installer une connexion entre eux... Ça, en plus de la torture et des boniments que ce tortionnaire a dû souffler à mon lié...

Si Allan survit à ce qui va suivre, il va changer. Il ne sera plus que sauvagerie et brutalité. Une arme de destruction massive... contrôlée en partie par Jarlath. La part la plus belle et la plus noble en lui aura disparu, ou au mieux, sera en sommeil. Et qui peut savoir s'il existera un moyen pour le ramener ?

J'émets un geignement accablé, le cœur au bord des lèvres, tandis que le tonnerre se met à gronder près de nous. Des éclairs émergent du ciel sinistre et dévalent en rafale au-dessus de nos têtes. Mila les commande à la perfection, les fait traverser les nuages et atterrir au gré de ses envies.

— Eleuia...

La voix d'Allan n'est qu'un chuchotis en comparaison du bruit tonitruant que projette l'orage, mais je l'entends tout de même. Elle semble s'adresser à cette part en moi qui lui est entièrement dévouée.

— Ne prenez pas de risques inutiles, les autres et toi, m'enjoint-il avec douceur. Fuyez d'ici le plus vite et le plus loin possible.

— Non, Allan !

Un sanglot s'invite sur la fin de ma supplique. Notre lien est en surchauffe, il se met au diapason de l'horrible souffrance qui me vrille soudain la poitrine. Au même moment, je perçois des pas de course précipités dans les couloirs dans mon dos.

— Ne les laisse pas m'approcher, s'il te plaît. Et fais ce qu'il faut, continue mon lié en ayant lui aussi entendu l'arrivée des secours.

— Je ne peux pas t'abandonner, soufflé-je sur un ton brisé, aussi fêlé que mon être alors que les cieux s'ouvrent sur un nouvel éclair puissant.

— Tu es magnifique même lorsque tu es triste... Tu es la plus belle femme au monde, sourit Allan en parcourant mes traits de ses prunelles tendres.

— Allan...

La terre semble s'ouvrir. Elle tremble, tonne et frémit à l'instar de la voûte céleste. Un nouvel éclat de foudre s'abat à proximité de la croix de saint André et marque le sol d'un sceau noir et fumant.

— Eleuia.

Il m'appelle à nouveau, me force à le regarder lui, plutôt que l'entrée de nos amis. Le bleu océan de ses yeux m'engloutit toute entière alors que ses lèvres tressaillent une dernière fois.

Da garout a ran.

[— Je t'aime.]

Plusieurs choses se produisent ensuite : ma respiration meurt, mes larmes jaillissent, mon cœur explose... et un éclair frappe Allan en pleine poitrine.

Mon hurlement et le sien résonnent à l'infini, puis s'encastrent ensemble dans les parois rocheuses. Ils se joignent à l'unisson, plus déchirants que jamais. Arc-bouté sur la croix, le torse d'Allan absorbe l'énergie dévastatrice. Ses yeux sont grands ouverts sur le vide. Quand l'éclair meurt, mon corps s'affaisse en même temps que le sien, aussi inerte et brisé que mon lié. Abattue, je regarde son menton tomber sur sa poitrine fumante et le relâchement angoissant de tous ses muscles.

Rendue aphone par la terreur, je reste prostrée au sol alors même que mes gardes se sont reculés au moment de l'impact. Autour de moi, le silence se fait, plus aucun mot ou geste n'est esquissé. Je ne me retourne pas pour jauger les réactions tant de mes amis que de mes ennemis. Je ne fais que le regarder, lui, et cherche inlassablement un signe de sa part. Un signe... de vie.

Son cœur s'est arrêté à l'instant où la douleur a explosé en lui – en nous –, et depuis il n'est pas reparti...

Il est si immobile, si statique... Aucune mimique ne passe sur ses traits fermés. Aucun de ses membres ne fait mine de tressauter. Et ce cœur qui reste silencieux... si atrocement silencieux...

Mon palpitant, lui, n'a jamais battu aussi vite et aussi fort. Il attend, il redoute et il espère tout à la fois. Mais rien ne vient durant d'interminables secondes. Secondes qui se transforment amèrement en minutes... Puis, au bout d'une éternité de souffrance, un son ténu se fait entendre. Il est lent, rythmé, comme enrobé dans du coton.

Le souffle court et sur le qui-vive, je redresse la tête.

Chaud, épais et fort, le bruit continue à pulser. Sa cadence est toujours la même : lente et méthodique. Rien ne semble pouvoir le faire accélérer. Ce bruit m'attire, me fait soudain... saliver ?

Chaleur, épaisseur et force... Et c'est là que je comprends : c'est un cœur qui bat. Son cœur ! Il repart !

L'intensité de la joie que j'éprouve me prend par surprise, cependant elle n'a pas l'opportunité d'éclater, car un mouvement attire toute mon attention ailleurs.

Tout le monde retient sa respiration lorsque la tête d'Allan se relève. Paupières toujours closes, son crâne se colle sur la surface boisée. Son nez frémit alors qu'il inspire et expire avec maîtrise. Pendant ce temps-là, les blessures et plaies marbrant son corps svelte disparaissent les unes après les autres. La peau couleur ivoire d'Allan retrouve toute sa netteté : plus aucun hématome ou aucune contusion ne la strie. L'espèce de cratère qu'avait laissé l'éclair s'est évaporé, tout comme la tache noirâtre autour. C'est comme si rien ne s'était produit... Comme s'il n'avait jamais souffert.

Il se décide à rouvrir les yeux quelques secondes plus tard. Et peut-être n'aurait-il jamais dû le faire.

Lorsque ses prunelles entrent à nouveau en collision avec le monde, elles ont changé. Leur éclat coutumier, ce mélange de vitalité et de curiosité qui me fait vibrer, a disparu. Les ténèbres l'ont englouti, à l'instar de la couleur si pure de ses iris. Le bleu océan n'est plus ; il a été remplacé par des ombres. L'obscurité l'a gagné tout entier. Son allure, sa posture, son faciès, ses expressions... ont été annihilés, balayés.

Le Allan que j'estime, celui que j'aime et que le destin m'a choisi... n'est plus.

Le monstre est venu et a pris sa place.

L'ombre a entamé la lumière.

Ha lonket eo bet e ene gant e anien don.

[Et son âme a été avalée par sa nature profonde.]


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