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Chapitre 7


— Comment savez-vous cela ? l'interrogé-je, sceptique.

— C'est un aspect propre aux hybrides, tel que vous, Allan. Si vous n'êtes pas dès votre naissance insérés dans notre univers, entourés de représentants de votre espèce, vous vivez une « existence humaine » simple, mécanique.

— Vide, ajoute Conrad sans pouvoir – ou vouloir – s'en empêcher.

— Vous ne vous liez pas beaucoup avec ceux qui habitent votre environnement, rebondit le patriarche en foudroyant le jeune sur place, parce qu'inconsciemment vous êtes à la recherche de vos semblables. Vous nous cherchez sans bien le comprendre et sans bien l'avoir intégré, jusqu'à que vous tombiez enfin sur nous.

— Non... C'est... c'est trop.

— Vous êtes attirés par nous, et nous par vous. Nous nous reconnaissons mutuellement. C'est un peu comme si nous formions...

— Une famille, soufflé-je sans trop y croire.

— Une famille un peu informelle, je vous l'accorde, tempère Necahual avec un sourire doux aux lèvres.

— Vous n'êtes pas sérieux.

— Eh bien, il y a parfois quelques tensions entre nous bien sûr, comme vous pouvez le constater à l'heure actuelle, mais globalement notre fonctionnement ressemble à celui d'une vaste famille recomposée.

Quelques rires chaleureux accueillent ses explications au-dessus de nos têtes. Il sourit franchement et leur envoie un geste de la main en réponse à leur approbation, tandis que je secoue plusieurs fois la tête.

— Le problème reste toutefois inchangé dans mon cas, protesté-je à nouveau. Je ne peux pas disparaître du jour au lendemain. Et je ne peux pas non plus abandonner mon poste comme ça.

Et pourquoi pas ? N'as-tu déjà pas mille fois envisagé d'en démissionner ? N'y pensais-tu pas encore il y a quatre heures de cela ? Cette vie fait partie de ton passé, Allan. Ce qui t'attend ici, c'est ton avenir.

— Tu ne sembles pas saisir la nécessité de te retrouver ici, intervient soudain une femme mûre en se détachant du groupe. Même si Necahual a raison quant à tes capacités hors pair, je doute que tu puisses survivre loin des tiens, comme tu le prévois.

Ses jambes robustes la mènent à quelques centimètres de mon siège, ses prunelles bleu clair, et froides comme la glace, fixées sur moi.

— Notre chair, notre corps, et plus que tout notre sang, appellent à être réunis avec ceux de nos semblables. Nous dépérissons loin d'eux, nous nous affaiblissons. Les moins résistants d'entre nous perdent la tête avant de succomber. Ensemble en revanche, nous nous protégeons, nous soutenons. Nous apprenons des uns des autres. Nous devenons plus forts, plus maîtres de nous-mêmes.

Je ne moufte pas durant son laïus, fasciné par la ferveur qu'elle met dans ses mots. Cette femme croit dur comme fer à ce qu'elle dit, et plusieurs sifflements appréciateurs s'élèvent derrière nous. Je tourne sur moi-même et découvre le même feu, la même témérité se consumer dans chaque être à proximité.

Écoute-les, Allan. Ils savent de quoi ils parlent.

Consterné, je reviens face à Necahual, resté en retrait jusque-là.

— Ce qu'avance Marianne ici présente est vrai, Allan. Nous ne pouvons pas rester trop éloignés les uns des autres, encore moins lorsqu'il est question de « novices ». Vous êtes plus fragiles, plus vulnérables face à vos émotions, à vos changements internes... En plus de nécessiter un accompagnement dans votre acclimatation, vous risquez aussi de... déraper plus facilement.

— Déraper ? relevé-je, alarmé par son air pincé.

— Un euphémisme pour « massacre d'innocents », me répond immédiatement la dénommée Marianne. C'est ce qui arrive chez les non éveillés, ceux qui n'ont pas été élevés parmi nous dès leur naissance et qui ne connaissent donc rien de leurs facultés jusqu'au jour où ils commettent l'irréparable. Des personnes comme toi, jeune Allan.

— Je ne vais pas... Enfin, je ne vais pas me mettre à tuer n'importe qui, c'est ridicule ! Pourqu... pourquoi le ferais-je ?

— Parce que tu ne sauras pas te contrôler. Parce que c'est dans ta nature.

— Comment ça ? Je croyais que vous ne tuiez pas les hum... d'innocents ? m'offusqué-je, les yeux ronds, en butant toutefois sur le mot « humains ».

Marianne ne me répond pas, elle scrute le visage fermé de son chef qui finit par se lever de son séant et nous tourner le dos. Mains jointes, Necahual reprend lentement la parole alors que je bouillonne d'impatience.

— Vous vous rappelez de ce que je vous ai appris sur mes origines, Allan ? Sur les origines des vampires comme moi ? Ce que le sang que nous ingurgitions nous avait permis d'acquérir.

— Oui, très bien.

Trop bien, même...

— C'est le sang qui nous permet de vivre si longtemps et de développer des... pouvoirs qui font rêver les hommes depuis la nuit des temps. Il nous a permis d'évoluer. Mais il est aussi responsable de notre cruauté.

— Quoi ?

— La nature, la vie trouve toujours un équilibre, poursuit-il dans un filet de voix. Ainsi, elle nous a rendus dépendants à cette source de puissance. Nous ne pouvons nous passer de boire du sang désormais. Ce qui n'était que rituel obscur à l'origine s'est retourné contre nous pour se transformer en nécessité.

Mon souffle se perd quelque part entre ma trachée et ma bouche, et une sueur froide coule entre mes omoplates en me figurant que le pire reste encore à venir.

— Bien sûr, nous n'avons pas besoin de tuer les êtres sur lesquels nous nous nourrissons dans l'absolu, cependant le sang... crée une véritable frénésie en nous qu'il est dur d'endiguer par notre seule volonté. Le sang réveille nos plus sombres pulsions, nos plus noirs instincts. Et l'inexpérience et l'absence d'empathie font partie de nos plus grands ennemis lorsqu'il est question de ne pas y céder.

— C'est ce pourquoi il est impératif que tu demeures parmi nous, Allan, embraye la femme à mon côté. Nous t'aiderons à ne pas fléchir devant ces pulsions.

Si je n'étais pas déjà assis, je m'écroulerais très certainement.

— Je... Vous avez dit que vous n'étiez pas sûrs de savoir ce que j'étais, balbutié-je après quelques secondes de flottement. Je ne suis peut-être pas vampire, je ne vais peut-être pas...

— Toute créature surhumaine est soumise à des instincts de mort et de destruction qui la dépasse, me contredit Necahual, une lueur désolée dans ses iris. Ce que vous êtes n'a pas vraiment d'importance concernant ce point spécifique. Vous voudrez tuer, Allan... Et jouir de la souffrance que vous infligerez.

Mon Dieu, c'est un vrai cauchemar. Le pire film d'horreur qui soit. Et je viens tout juste d'intégrer le casting réservé aux monstres hideux et assoiffés de sang. Necahual, Marianne, Conrad... tous n'ont eu de cesse de me le rappeler : je suis comme eux et donc condamné à semer chaos et désespoir autour de moi. Il n'existe aucune forme d'échappatoire. Bientôt, je serai dans une autre ruelle sombre, tard la nuit, mais plus en tant qu'observateur tétanisé, mais bel et bien comme prédateur à l'affût de sa prochaine proie.

Sauf si tu apprends à te contrôler. Sauf si tu restes ici avec eux. Ils t'enseigneront tout ce qu'il y a à savoir sur eux, sur nous. Ils sauront te guider et t'empêcher de commettre l'impardonnable. Il faut juste que tu acceptes leur proposition et que tu leur fasses confiance.

Mes mains tremblent de nouveau sur mes genoux alors que j'écoute attentivement les conseils de ma voix interne. La peur d'être seul pour affronter cette vraie nature est soudain aussi forte, si ce n'est plus, que celle d'être autre chose qu'humain. Ce que je suis et ce dont je suis supposé être capable me terrifie, mais la perspective d'être livré à moi-même, loin de ces quatre murs, m'empêche tout simplement de respirer.

— Ça va aller, Allan ? s'enquiert le patriarche avec sollicitude.

Je ne peux pas répondre avec honnêteté à cette question. Je baisse les yeux sur mes doigts et tente d'en calmer les tremblements incessants, mais la panique bat trop fort dans mes veines. Dieu merci, je garde conscience cette fois – je me suis assez donné en spectacle comme ça...

Contre toute attente, Marianne se penche sur moi, plante son regard franc dans le mien, et attrape mes mains froides entre ses doigts. Elle m'arrime à elle, me transmet un peu de son être, de son histoire, de sa ténacité en un seul échange. Elle perce mes défenses à son tour, s'attendrit un instant sur ma confusion et mes angoisses, puis s'endurcit en captant l'autre part de moi, déjà prête au combat. Sa force de caractère m'épingle sur place, me travaille au corps et finit par me pousser à sortir les mots que je crève d'envie de dire au plus profond de moi.

— Je vais rester. D'accord, je vais rester. Je vais rester avec vous.

Marianne esquisse un sourire satisfait et hoche la tête, tandis que Necahual s'avance jusqu'à moi en souriant plus largement encore.

— Parfait ! Nous sommes ravis de vous accueillir dans notre communauté, Allan. J'espère que vous vous y sentirez comme chez vous.

— Merci, murmuré-je en me levant enfin de mon siège.

— Il est bien trop tard à présent pour que nous vous fassions une visite des lieux en bonne et due forme, cela devra attendre quelques heures. Le temps de vous reposer un peu et de reprendre des forces, continue le chef de clan, une main posée sur mon épaule.

Quelques conversations à mi-voix s'élèvent lorsque nous nous dirigeons vers les escaliers. Les gens aux balcons se désintéressent enfin un peu de nos personnes. La vie semble reprendre son cours normal, certains vont même jusqu'à quitter la cave via les souterrains, sans demander leur reste. Des personnes forment quelques petits groupes informels çà et là, échangent et rient tranquillement, tandis que nous marchons entre eux.

— Durant les premières semaines de votre séjour, vous allez en apprendre un peu plus sur notre fonctionnement, notre histoire et notre rythme de vie, m'explique encore Necahual en saluant de temps en temps quelques têtes connues. Vous allez rencontrer beaucoup de monde ici et découvrir d'anciennes et de nouvelles cultures. Vous allez aussi vous entraîner physiquement et mentalement afin de développer au mieux vos aptitudes. Et vous pourrez faire des recherches sur votre propre histoire, vos origines personnelles, si le cœur vous en dit.

— Je ne saurais même pas par où commencer, confié-je, hésitant. Je ne connais quasiment rien de ma famille.

— Ne vous en faites pas, vous y arriverez à force de persévérance et de patience. Je vais vous affecter quelques guides pour vous accompagner dans tous vos apprentissages. Des personnes de confiance et qui sauront vous plaire, j'en suis certain.

— Oh, c'est gentil de votre part, mais je ne souhaite pas devenir un poids.

— Vous ne serez jamais un poids, Allan, enlevez-vous cette idée saugrenue de la tête ! Vous êtes l'un des nôtres et vous serez traité en tant que tel par tous.

Je lui adresse un pâle sourire, reconnaissant, mais je ne peux être totalement d'accord avec lui. Je connais au moins une personne ici qui ne me voit pas comme son égal, mais bien comme un fardeau. Sa silhouette est d'ailleurs tournée dans notre direction, même si elle fait tout pour nous ignorer.

Mon cœur se contracte, froissé par l'attitude blessante d'Eleuia, et me pousse à prendre une inspiration pour me ressaisir.

Elle ne supporte même pas de me regarder...

Necahual observe lui aussi sa fille, une barre de contrariété ridant son front couleur teck. Je le sens hésiter à aller lui parler, mais soudain son attention est appelée ailleurs. Son regard se déporte sur sa gauche, imité par le mien, et sa bouche forme un sourire réjoui.

— Ah ! Quand on parle du loup...

Un rire amusé résonne sur toutes les parois des souterrains, le plus profond et caverneux que j'ai jamais entendu. Je me mets instinctivement au garde-à-vous, intrigué et confondu par ce son. Mais à l'apparition du propriétaire de ce rire, mon ébahissement dépasse tout entendement. L'homme qui s'avance droit sur moi, les yeux pétillants de malice, est une véritable armoire à glace. Un char d'assaut n'en viendrait pas à bout même s'il était lancé à pleine puissance, tant ce colosse en impose et paraît indestructible.

Massif et musculeux, le poitrail fier et le pas sûr à la limite du martial, le nouvel arrivant détonne dans le décor. Le teint blanc, les cheveux mi-longs ramenés en une petite queue-de-cheval à l'arrière du crâne, il ne semble ressembler à aucun autre ici. Tous ceux qu'il croise sur son passage arrêtent de parler et le dévisagent une seconde, tantôt méfiants, tantôt incrédules devant ce géant. Même s'ils doivent être habitués à lui s'ils vivent vraiment ensemble, une lueur similaire de choc et d'épatement brille dans leurs iris.

La question est de savoir si nous devons nous aussi nous émerveiller ou nous en méfier ?

— Sander ! s'exclame Necahual en donnant l'accolade à l'homme-montagne. Mon ami ! Comment s'est terminée ton excursion avec ton groupe ?

— Bien, nous n'avons connu aucun problème majeur, lui répond-il.

Ils échangent ainsi quelques instants sans plus se préoccuper de moi, me permettant d'observer plus avant le monument-vivant à ma droite. De près, ce Sander est plus impressionnant encore. Sa large mâchoire prononcée dessine un sourire tout aussi grand qu'elle, et lui confère un air simple et amical en total contraste avec sa carrure de mastodonte. Toutefois, la seconde chose qui interpelle après son corps, c'est son regard : ses yeux sont d'un bleu glacé électrique, une couleur froide, déstabilisante et sauvage qui ne manque pas de rappeler ses origines scandinaves. Cela, ajouté à son prénom, ses cheveux clairs et sa stature de lutteur invincible... un Norvégien ou un Suédois, peut-être ? Un homme qui aurait reçu en cadeau de ses ancêtres du sang viking, par exemple.

Ou peut-être a-t-il été lui-même Viking...

Je réprime un frisson, mal à l'aise avec cette idée pourtant très plausible au vu de ce que je viens tout juste d'apprendre, et préfère reporter mon attention sur Necahual.

— Je voudrais te présenter Allan qui rejoint cette nuit notre communauté, me présente-t-il en reposant une main sur moi. Allan, voici Sander, celui qui, s'il accepte, deviendrait l'un de vos guides et mentors ici. J'ai une confiance aveugle en lui et il est l'homme idéal pour ça.

— Le chef tient surtout à me garder quelques temps entre ces murs plutôt que de me voir courir la campagne à tout va, réplique Sander avec un clin d'œil humoristique. Il n'empêche que je serai heureux de t'aider à t'adapter, Allan.

Serein, il me tend l'un de ses battoirs immenses que j'hésite à serrer une seconde. Je crains qu'il brise mes doigts entre les siens. Je m'y résous cependant et l'intense chaleur qui m'enveloppe à son contact me surprend. Là encore, une nouvelle contradiction entre son apparence brute et polaire et le caractère plus rayonnant et attractif qu'il m'offre petit à petit.

— Je suis ravi de te rencontrer, Sander. Merci pour ton futur soutien, dis-je avec un sourire sincère sur le visage.

Il hoche la tête, mouvement profond qui desserre un peu le nœud dans sa tignasse, le regard soudain attiré sur nos mains jointes. Concentré sur ces dernières, il garde la mienne une seconde de trop avant de la relâcher et de relever ses orbes surpris sur moi.

— Impressionnant... Je pense que l'on te l'a déjà fait remarquer, mais tu dégages quelque chose d'étrange et de... familier à la fois, c'est troublant. C'est comme si tu étais un être neuf et ancien en même temps...

Sander penche la tête sur le côté pour mieux m'inspecter, comme l'avait fait Conrad un peu plus tôt, les sens aux aguets.

— Je ne comprends pas bien comment une telle chose est possible, mais c'est ce que je ressens... Personne ne m'avait dit qu'il était si particulier, reproche-t-il soudain à Necahual, les sourcils froncés dans sa direction.

— C'est sans doute parce que personne ne le savait avant de se retrouver confronté à lui, lui réplique ce dernier d'un air espiègle. Excusez Sander, il a un petit côté savant obsessionnel toujours à la recherche de nouvelles énigmes scientifiques.

— Ah ! C'est l'hôpital qui se moque de la charité, là, raille le colosse avec un sourire en coin. Tu es même pire que moi !

Déboussolé par cette joute verbale, je ne relève pas sur le moment et laisse mon regard désarçonné naviguer de l'un à l'autre. Après de nouveaux échanges de réparties piquantes et allusions que je ne capte qu'à moitié, Necahual balaie la salle du regard puis demande à Sander :

— Où est Gillian, mon ami ? Je croyais qu'elle devait arriver avec toi.

— Elle ne doit pas être très loin, elle voulait repasser par sa chambre avant de rencontrer notre nouvelle recrue, le rassure Sander en me décochant un coup joueur dans les côtes.

Par chance, le gaillard n'y est pas allé trop fort et a su se maîtriser. Je tremble rien qu'en m'imaginant les terribles fractures et autres blessures irréparables qu'il est capable d'infliger avec une simple claque...

— La voilà ! s'exclame-t-il, son doigt pointé sur une fine silhouette qui zigzague jusqu'à nous. Elle a dû prendre une douche et se changer, elle paraît moins fatiguée que tout à l'heure.

La femme qui s'avance est grande et élancée, ses cheveux blond pâle assemblés en une tresse gigantesque qui bat le bas de ses reins à chaque mouvement. Ses iris verts, pour l'instant perdus sur les visages alentour, sont sérieux et laissent deviner une forme de sagesse chez elle. Quelque chose proche de la prudence et de la prévoyance aussi. L'expression sur ses traits marqués par la dureté et sa beauté naturelle est préoccupée, comme si elle était confrontée à un dilemme interne sans solution à la clé. Lorsque son regard vague se pose enfin sur moi, elle pile net, ses sourcils fins levés haut sur son front. Elle papillonne des cils, et un étrange éclat s'allume dans ses prunelles.

— Oh... Ne fais pas trop attention, Allan, m'avertit Sander en se postant près de moi. Gillian est, disons, très sensible aux énergies des gens, et le moins que l'on puisse dire c'est que la tienne est étonnante. Voire carrément spectaculaire.

J'ai une énergie spectaculaire, moi ? D'accord, je prends note de cette information-là aussi.

Avec un sourire mi-figue mi-raisin, je regarde Sander interpeller plus ouvertement la fameuse Gillian afin de la sortir de sa transe. Cette dernière reprend enfin sa marche, de manière plus lente et modérée cela dit, puis s'arrête à un mètre de nous.

— Gillian ! C'est un plaisir de te revoir ici, l'accueille Necahual avec un sourire.

— Le plaisir est partagé, lui assure la jeune femme de sa voix douce quoiqu'un brin rocailleuse sur certaines consonnes.

— Permets-moi de te présenter Allan. Comme tu le sais, il vient tout juste d'arriver. Sander et toi pourriez-vous vous charger de son acclimatation ?

— Bien sûr, ce sera un plaisir, assure Gillian avec un hochement de tête.

— Commencez gentiment, d'accord ? Allez-y petit bout par petit bout, mes chers.

Mes futurs guides acquiescent au conseil de Necahual, puis se tournent à nouveau vers moi.

— Ne t'en fais pas, Allan ! Tu ne pouvais pas mieux tomber avec un guide comme moi, se targue Sander avec sa familiarité coutumière qui fait monter un sourire de sympathie sur mes lèvres. Tu vas découvrir tous les petits secrets et histoires sordides de cette demeure et de ses habitants !

— Sordides à quel point ? me risqué-je en plaisantant à moitié.

— Oh, je me garde le plus croustillant pour la troisième semaine d'initiation. Tu n'auras pas l'estomac assez solide et résistant avant ça.

Je m'étouffe presque avec ma salive tandis que Necahual éclate de rire et que Gillian lève les yeux au ciel. Sander me donne une claque bourrue dans le dos qui décolle mes poumons de leur cage.

— Bon, je vois que les choses partent bien entre vous, j'en suis très heureux. Gillian, Sander, que diriez-vous à présent de montrer sa chambre à notre ami afin qu'il s'y repose enfin ?

— Bien sûr. Suis-nous Allan, les chambres sont vraiment très confortables. Je pense que tu apprécieras, m'aborde gentiment Gillian en me désignant l'un des tunnels.

— Merci à vous.

— Oula, ne la vouvoie surtout pas ! Aucun de nous, d'ailleurs, se récrie Sander en secouant la tête en tous sens. Madame est du genre susceptible, qui plus est.

— Ferme-la, crétin.

— Et d'une humeur de chien ce soir. Eh ben, on a le lot complet cette fois !

Son glapissement de douleur feinte, au moment où la blonde lui frappe le bras, résonne fort dans la cave. Une dizaine de personnes nous dévisage, le visage fermé, alors que Necahual m'attrape l'épaule.

— Je vous souhaite une bonne nuit de sommeil, cher Allan. Nous nous reverrons dans la journée de demain.

— D'accord.

— Ça va aller ?

J'avise son regard sombre et soucieux, puis mes nouveaux accompagnateurs en train de se chamailler, et prends le parti de rester le plus zen et ouvert possible.

— Ça va aller, oui. Un peu de repos me fera du bien et me redonnera des forces pour attaquer la suite, comme vous l'avez très bien dit, le rassuré-je avec un petit sourire confiant.

— Très bien, très bien... J'espère sincèrement que vous vous plairez ici, Allan. J'aimerais que cet endroit soit votre nouveau chez-vous.

— Moi aussi, Necahual, réponds-je avec honnêteté en me surprenant à moitié. Moi aussi...

Son sourire s'élargit, fier et satisfait, mais je ne m'attarde pas plus longtemps dessus, appelé ailleurs.

— Tu viens, Allan ? Tu n'es pas le seul à être claqué, tu sais, m'apostrophe Sander, avant d'étouffer un bâillement dans son poing. Nos lits nous appellent.

— Je viens.

Encadré par Gillian et l'homme-montagne, je m'éloigne de la mine réjouie de Necahual pour rallier l'une des galeries qui mènent au manoir. Mais avant que nous puissions l'emprunter, nous sommes interrompus dans notre marche par un cri empressé.

— Gill !

Nous nous retournons d'un seul bloc et mon cœur se resserre dans ma poitrine en découvrant Eleuia dans notre sillage. Ses prunelles de feu percutent une seconde les miennes avant de s'en détourner sèchement et qu'elle fasse un signe de tête à l'intention de Gillian. Accompagnée du soupir exaspéré de Sander, la jeune femme se détache de notre petit groupe pour rejoindre la guerrière, à trente mètres de distance.

— Elles me fatiguent d'avance, marmonne dans sa barbe le géant en les vrillant d'un coup d'œil courroucé.

— De quoi tu... ?

J'oublie toutefois toutes mes interrogations dès lors qu'elles se mettent à parler ensemble. Leurs voix, pures et douces d'ordinaire, se modifient plus rudement sous les intonations et ondulations de sons qu'impose le dialecte qu'elles emploient. Je cligne des yeux, perdu et abasourdi. Elles parlent vite, échangent des répliques rapides et abruptes que je ne comprends pas. Soudain, leurs regards convergent vers ma personne et me dévisagent longuement, comme si j'étais une espèce d'énigme à résoudre.

C'est certainement ce qu'elles sont en train de se dire...

Leur discussion houleuse reprend, marquée par quelques silences mystérieux, tandis que je me penche vers mon guide, affalé contre une des parois rocheuses.

— Sander ? Euh... quelle langue parlent-elles au juste ? Je ne crois pas la connaître.

— C'est du breton, une langue qui s'est développée en Bretagne, une région de France, m'informe-t-il. La Petite, pas la Grande Bretagne. Eleuia et Gill l'ont apprise lorsqu'elles vivaient là-bas il y a près de deux siècles de cela. C'est une langue très chère à leur cœur, elles la parlent couramment entre elles.

— Et... tu comprends ce qu'elles disent ? demandé-je encore, sans relever le mot « siècles » dans ses explications.

— Plus ou moins, oui, admet-il après une courte pause qui me met encore plus la puce à l'oreille. Mais ce n'est pas très important. Des babillages de filles...

C'est définitivement de moi dont elles parlent donc. Sander est juste trop poli et discret pour me l'avouer.

Je meurs encore plus d'envie de comprendre, maintenant.

Je hoche la tête, en accord total avec le désir de ma voix interne. Et le fait que leurs iris agités s'égarent souvent vers moi ne m'aide pas à réfréner cette envie...

Talañ a rez re outañ, se zo kaoz eo re start.

[— Tu luttes trop contre lui, c'est ce pourquoi c'est trop dur.]

Mar plij, Gill. Na grog ket.

[— S'il te plaît, Gill. Ne commence pas.]

Gillian fait soudain la moue tandis que la brune semble la supplier du regard. Après une nouvelle pause entre les deux, la plus petite secoue la tête, ses cheveux blonds fouettant l'air, puis elle reprend leur conversation dans un souffle. Cela dure quelques secondes supplémentaires, durant lesquelles je tends un peu l'oreille afin d'essayer de discerner des syllabes ou des mots, peut-être.

E-pelec'h emaout o vont?

[— Où est-ce que tu vas aller ?]

N'ouzon ket. Pell, sur...

[— Je ne sais pas. Loin, ça c'est sûr...]

Les yeux vert bouteille de la blonde se ternissent, sa bouche va même jusqu'à réfréner une grimace de déception.

N'eo ket an diskoulm, Eleuia. Gouzout a ouzez, neketa?

[— Ce n'est pas la solution, Eleuia. Tu le sais, n'est-ce pas ?]

La combattante plante une nouvelle fois ses yeux sombres dans les miens, alors que son interlocutrice ne la lâche pas et semble attendre une réponse de sa part.

Le cœur battant à tout rompre, j'attends moi aussi, même si je ne comprends pas, même si peu importe ce qu'elle dira ensuite, dans notre langue ou dans une autre, cela ne changera rien à ce qui se passe entre nous. Je le sens au plus profond de moi.

Je n'ai même pas besoin d'aviser les traits crispés de Sander, ou les sourcils froncés de Gillian pour le savoir. Je n'ai même pas besoin qu'Eleuia réponde à l'intervention mystère de son amie.

Son silence s'éternise et est pareil à une chape de plomb sur mes épaules malmenées, prêtes à céder. Les doigts passés dans le revers de sa cape, elle crochète cette dernière, et contracte vivement la mâchoire au moment où un nouvel afflux de sang rugit à mes tympans.

Ya. Gouzout a ouzon. Met ne cheñcho netra.

[— Oui. Je le sais. Mais ça ne changera rien.]

Et sur ces ultimes mots prononcés sur un ton ferme et non équivoque, Eleuia nous tourne le dos, puis s'enfuit à un rythme rapide par l'un des tunnels du fond.

Pas besoin de traduction, le brasier dans mon corps et son attitude me suffisent.

Elle est partie.

Et je pressens qu'elle ne reviendra pas de sitôt, ce qui va définitivement m'achever de l'intérieur... Tôt ou tard.


















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