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Chapitre 6

Non !

Le cri strident de la voix dans ma tête me vrille les tympans et m'empêche de sombrer dans l'inconscient.

C'est hors de question ! Relève-toi sur-le-champ, Allan. Tu m'entends ?

Irrité par ses ordres, je serre davantage les paupières, comme pour m'en soustraire.

Tu te débrouilles pour te remettre sur tes deux jambes. Tu te débrouilles pour te redresser. Mais il hors de question que tu restes avachi sur ce sol, à attendre que la mort te cueille ! Je ne le permettrai pas.

Le ton, plus caverneux, proche de l'aboiement, résonne durement à mes oreilles, comme le ferait un orage pétaradant dans le ciel. Il est évident qu'il ne lâchera pas le morceau. Cette part de moi ne veut rien n'entendre de ma souffrance ou de mon désir d'abandonner. Son emprise infernale rôde dans mes membres et dans mon esprit, tel un vautour à l'affût du moindre signe de faiblesse de sa proie. Elle attend le bon moment pour frapper. Pour reprendre le contrôle. Mais je ne suis pas sûr de vouloir la laisser faire.

Comme si j'allais te laisser le choix !

À bout, je referme mes poings avec force et enfonce mes ongles dans mes paumes. Je n'en peux plus de tout ça. Je ne suis pas prêt à voir mon univers tout entier changer. Je ne suis pas prêt à me voir changer en quelqu'un... ou en quelque chose qui ne sera pas seulement humain.

Je suis secoué par une décharge, tout droit en provenance des tréfonds de mon être, qui équivaudrait à une tape bourrue dans l'épaule. Une tape qui voudrait me faire entendre que, puisque je semble comprendre de quoi il s'agit, je devrais l'accepter et ne pas avoir aussi peur.

Ça fait déjà partie de toi.

Et si je ne voulais pas que ça me submerge ? Si je préférais contrôler cette partie de moi plutôt que l'inverse, hein ? J'en ai assez de ne plus être le seul maître à bord. Ça ne devrait pas se passer ainsi.

Tu n'essaies même pas de m'écouter. Tu te rebiffes à chaque fois.

La réciproque est de mise ! Je ne suis pas non plus écouté. Je suis, nous sommes dans une impasse car personne n'écoute personne, et chacun décide dans son coin ce qui serait le mieux à faire. Mon être ne devrait pas être scindé en deux. Ça n'est pas normal ou acceptable.

Alors écoutons-nous. Travaillons ensemble en commençant par nous redresser. N'abandonnons pas.

Et pour quoi faire ? Pour nous retrouver devant un public avide et inconnu qui, pour d'obscures raisons, me prend pour une bête de foire ? Pour affronter notre destinée ? Pour devenir aussi monstrueux que les autres ? Pour nous relever devant une femme qui sera sans doute si déçue de nous voir le faire qu'elle nous tournera le dos définitivement ? Pour voir briller le dégoût et la colère dans ses yeux à chaque fois qu'ils tomberont sur nous ? Pour qu'elle nous rejette encore une fois alors même qu'on ne se connaît pas ? Toutes ces perspectives ne me disent rien, à moi...

La voix ne trouve rien à répliquer sur la fin. Je me recroqueville un peu plus sur le sol, même lorsqu'une vague de douleur se diffuse depuis ma cage thoracique. Dès qu'il est question d'Eleuia, nous sommes en symbiose l'un avec l'autre : l'âme en peine, l'air aux abois et le cœur brisé. C'est totalement insensé...

Le silence s'installe un peu entre nous après cela, laisse les échos lointains des voix de Necahual et Conrad, et d'autres encore que je n'identifie pas, rebondir par ricochet sur nous. Leurs paroles sont indistinctes pour le moment, espèce de flou dissonant et insaisissable, mais ça n'est pas désagréable. Au contraire, cela me permet de me préserver encore quelques instants de la folie alentour.

Mon répit est de très courte durée cependant, car ma voix interne reprend doucement son plaidoyer dans ma tête.

J'ai conscience que tu passes par des moments difficiles. Et que certains... éléments sont plus perturbants que d'autres. Je comprends, dans une certaine mesure, ton état de lassitude et de peur. Mais j'aimerais que toi, tu comprennes que tout ceci n'est pas la fin. Mais bien le commencement.

Attentif, j'absorbe ses paroles et patiente pour avoir le reste.

Tu ne peux pas abandonner. Pas alors que nous sommes ici, entourés de personnes... comme nous. Des personnes qui peuvent nous aider à faire face et à comprendre tout ce que cette nouvelle vie implique. Il faut que l'on en sache plus, Allan. Ça fait partie de nous, de toi. On ne peut pas renier ce que l'on est.

Dans cet état entre conscience et inconscience, je me sens pousser un profond soupir, à deux doigts de céder. Elle a raison. Tout ce qu'elle avance résonne et vibre au fond de moi.

Redresse-toi, Allan. Et affrontons ensemble la suite.

J'ai envie de la croire. Et j'ai besoin d'avancer en accord avec moi-même.

Je te promets que si nous y mettons chacun du nôtre, nous y arriverons. Lève-toi maintenant.

Mes muscles dorsaux et cervicaux bougent en premier, s'assouplissent puis se bandent légèrement pour me permettre de changer de position à terre. Les sons et paroles s'interrompent au-dessus de moi, me poussant ainsi à poursuivre mes efforts pas à pas. Je ramène mes genoux repliés au niveau de ma tête et rouvre les yeux, le nez enfoui entre eux. Mes poumons se remplissent d'air, puis l'expulsent, une fois, deux fois, avant que je me décide à poser mes bras tendus au sol et à pousser sur mes jambes contractées.

Soutenu par l'élan et la force que je ne considère pas encore comme tout à fait miens, je plante mes pieds dans la poussière et le granit, remonte le buste et les épaules bien droit, et embrasse la salle d'un seul coup d'œil circulaire.

— Pardon pour ce... malaise, déclaré-je le plus posément possible en m'arrêtant sur Necahual. Ça va mieux, maintenant. Je suis prêt à reprendre notre discussion.

J'avise les expressions qui m'entourent et je sens ma voix interne jubiler devant l'étonnement, voire l'ébahissement des uns et des autres. Leur chef a même un grand sourire satisfait dessiné sur sa bouche et les yeux pétillants de fierté, ou quelque chose d'approchant. Alors qu'il fait quelques pas tranquilles pour s'approcher de nouveau de moi, je m'en détache pour mieux chercher Eleuia. Je sais qu'elle est toujours là, aux ondes brûlantes qui me lèchent l'épine dorsale. Je la découvre à plusieurs mètres de distance, enfoncée à moitié dans l'ouverture d'un tunnel, son regard incisif pointé sur moi.

Les poings serrés elle aussi, la belle brune me jauge de haut en bas, une lueur indéchiffrable dans ses iris. Rien ne trahit sa surprise ou son mécontentement de me voir debout et bien portant. Elle reste juste là, sans bouger, plongée dans sa contemplation et ses pensées. Je donnerais très cher pour en connaître la teneur... tout comme je donnerais très cher pour pouvoir la toucher une nouvelle fois, aussi bref soit ce contact.

Mes jambes se raidissent soudain sous moi, comme si elles étaient prêtes à s'élancer droit sur elle. Je me force à les détendre sur le champ, les sourcils froncés, convaincu de la bêtise de cette action.

Mais on en meurt d'envie, toi et moi.

Peut-être, seulement ce n'est pas la chose à faire ! Ce n'est pas parce que son visage n'exprime aucune émotion hostile à mon égard qu'elle ne me réduira pas en charpie à la seconde où je tenterai de la rejoindre. Je sens que chaque pore de son être me rejette en bloc ; cette sensation s'est inscrite dans ma propre chair dès qu'Eleuia s'est écartée de moi dans cette ruelle. Et même si cela me démolit de l'intérieur, j'ai conscience que je ne suis pas en mesure d'y changer quoi que ce soit pour le moment.

Plus tard, donc.

Peut-être. Nous verrons... Là, tout de suite, j'ai d'autres sujets de préoccupation qui requièrent mon attention immédiate. Necahual est arrivé à mon niveau et serre mon épaule avec précaution, ses yeux bridés dans les miens.

— Vous semblez revenir de loin, Allan. Vous ne désirez pas prendre un peu de repos plutôt ?

Sentant ma peau chauffer sous sa paume, je m'arrête un instant dessus, sûr d'y apercevoir de la vapeur ou des braises tant elle irradie et est chaude. Rien n'en sort, bien sûr, mais l'impression est troublante.

— Non, je n'ai pas envie de me reposer tout de suite..., réponds-je, l'air absent.

Je remonte sur le visage de Necahual et le détaille minutieusement cette fois. Son front, ses pommettes, les quelques rides sur ses joues et au coin de ses lèvres... Il paraît vraiment n'avoir qu'une cinquantaine d'années. Mais dès que je me penche sur son regard, sur l'infinie sagacité qui semble y régner, je ne peux que remettre en doute cette première idée. Ce ne sont pas là les prunelles d'un homme aussi « jeune ». L'expérience et les souffrances que j'y vois briller sont bien plus vieilles.

— Comment est-ce possible ? soufflé-je, toujours incrédule, mais plus calme. Comment pouvez-vous être encore en vie ?

Un bref rictus passe sur ses traits à cette question.

— Je viens de vous l'expliquer. Vous savez pourquoi.

— Allez-y plus franco dans ce cas.

— Bien. Si vous insistez, je ne m'y oppose pas.

D'un geste de la main, il m'invite à venir m'asseoir sur l'estrade. Je m'exécute et remercie même l'homme qui amène une chaise dans mon dos, avant que celui-ci disparaisse sans un mot, puis m'installe en face de mon interlocuteur. Les mains bien à plat sur ses accoudoirs et le buste haut, Necahual m'inspecte une dernière fois, songeur, avant de reprendre la parole d'une voix modérée et patiente.

— J'ai conscience que toute cette soirée vous déstabilise. Elle vient remettre en cause votre vision du monde et vos certitudes...

— Je le sais maintenant et je vais m'efforcer de l'accepter.

Je souffle par le nez tandis que Necahual me lance un regard d'excuse, puis ouvre la bouche pour exprimer d'une seule traite les mots les plus fantasques qui soient :

— Vous êtes un vampire. D'autres ici le sont également, comme l'étaient vos anciens acolytes, Marcus et Ezéchiel.

La part la plus rationnelle en moi n'arrive pas à l'intégrer ou à y croire, même si je sais être dans le vrai.

L'air toujours aussi désolé et doux, mon hôte n'abonde pas de suite dans mon sens. Il prend le temps de réunir ses idées avant d'avancer :

— Je suis né humain et j'ai évolué en vampire. Tout à l'heure, je me moquais de mes anciennes croyances et du fanatisme qui en avait résulté. Je ne peux toutefois, encore aujourd'hui, expliquer très clairement ce qui m'a conduit, ce qui nous a tous conduits à ce devenir.

— Essayez quand même, quémandé-je, penché un peu plus vers lui.

— Ces rituels sacrificiels, qui se sont répandus et intensifiés pendant le règne de mon père, ont développé un changement, une mutation... dont ma génération et celles qui l'ont suivie, en ont été le catalyseur. Le sang que nous ingurgitions a eu un réel impact sur nos existences, il nous a transformés.

— Mais comment ? l'interromps-je, ma voix ricochant sur les parois.

— Un pur hasard génétique, un alignement parfait de planètes, une véritable volonté divine... toutes les spéculations sur l'origine même de ce phénomène sont possibles. La réponse, elle, n'a pas encore été trouvée, m'explique Necahual en secouant le menton. L'Homme a évolué à partir d'espèces diverses comme les hominines et les hominidés ; nous autres sommes une nouvelle forme d'évolution qui part des hommes.

— C'est vraiment...

— Je sais, acquiesce-t-il lorsque je ne finis pas ma phrase par manque de mots. Cette absence d'éclaircissements nous fait le même effet. Mais les choses restent ce qu'elles sont. Les faits sont les faits : nous sommes différents du commun des mortels. Nous sommes devenus vampires.

— Vous ne cherchez pas à savoir, à comprendre ?

— Si, bien sûr ! Nous y travaillons depuis des décennies, même. Les avancées scientifiques sont nos meilleurs alliés, assure-t-il avec un sourire entendu.

— Donc il existe des vampires scientifiques ? interrogé-je, l'image d'une de ces créatures en blouse blanche à l'esprit.

Ses yeux pétillent et il rit avant de me répondre.

— Mais oui. Nous occupons toutes sortes d'emplois d'ailleurs. Nous vivons comme n'importe qui !

— À quelques détails près, fais-je toutefois remarquer.

— À quelques détails près, concède mon interlocuteur après s'être un peu calmé. C'est vrai.

— Vous êtes vraiment âgé de dix-huit siècles ?

— Oui, Allan.

— Et la puissance et l'énergie que je sens se dégager de vous ne sont pas des jeux de mon esprit ?

— Je ne pense pas.

Je fais une pause, à moitié rassuré de ne pas être tombé dans la folie furieuse.

Pas à pas, Allan.

J'avale ma salive avant de poursuivre mes interrogations nerveuses.

— Comment... gère-t-on le fait d'être immortel ?

— Nous ne sommes pas immortels, Allan, déclare Necahual avec un sourire. Certes, nous vieillissons bien plus lentement que n'importe quel autre être humain, mais nous mourrons tous un jour.

— Ah bon ?

— Nous ne sommes pas des morts-vivants. Nous n'avons pas dû faire d'échange de sang avec un autre vampire avant d'être tué, puis nous réveiller sous terre en quête d'une victime pour terminer le processus. Anne Rice et Bram Stoker étaient des auteurs remarquables, mais la création vampirique ne marche pas ainsi.

L'amusement sur ses traits ne m'échappe pas, il plisse un peu plus les pattes d'oie sous ses paupières.

— Vous voulez dire que...

— Nous sommes des êtres vivants, Allan. Et comme tout être vivant, nous mourrons un jour... Même si dans notre cas, la mort ne nous visite pas avant plusieurs siècles.

— Incroyable, soufflé-je malgré moi. C'est... incroyable.

Je le fixe une longue minute avec des yeux ronds, ébahi par cette longévité démesurée. Bien vite cependant, mon cerveau revient sur l'un de ses dires.

— Existe-t-il tout de même un processus pour cette « création vampirique » ? Peut-on transformer un humain en vampire ?

Est-ce ce qui m'est arrivé ? Aurais-je été mordu, ensorcelé ou qu'importe la manière pour être changé ?

Absorbé par cette nouvelle vague d'inquiétudes, je capte toutefois un profond soupir agacé derrière moi. Je me retourne et aperçois Conrad, les bras croisés et les yeux au ciel, en train de secouer la tête d'agacement.

— Eh ben, il n'est vraiment pas très fin quand il s'y met !

— Conrad, l'avertit Necahual avec un regard torve.

— Non, mais c'est vrai. À croire qu'il n'a rien écouté depuis le début !

Irrité, l'homme sage ferme les paupières et pince l'arête de son nez. Je me ratatine sur mon siège, soudain honteux d'avoir commis une bévue.

— Je suis désolé si je vous ai énervé, susurré-je, le feu aux joues. Je n'ai peut-être pas été assez attentif...

— Ne vous excusez pas, Allan, je ne suis pas énervé contre vous, me rassure immédiatement mon vis-à-vis. Vous découvrez l'envers du décor après avoir subi un horrible traumatisme, et si certains ici présents semblent l'oublier ou n'en avoir cure, ce n'est pas mon cas.

Sa dernière réplique, plus sèche, est directement adressée à Conrad, accompagnée d'un coup d'œil courroucé. Le patriarche attend un instant pour poursuivre notre conversation, le menton tourné vers la tête basse de Conrad, s'assurant ainsi qu'il n'émettra plus aucune remarque désobligeante à l'avenir.

— Pour en revenir à cette histoire de création, dit-il avec plus de calme, il n'est pas possible de transformer un humain en vampire, non. Le vampirisme n'est ni un virus, ni une « aptitude » qui se transmettrait par un simple échange de sang ou par une morsure. Tout est question de génétique, en fait. Nous avons découvert que la transmission ne pouvait se faire que par les gènes.

— Comme pour certaines maladies ou carences, vous voulez dire ?

— C'est un bon parallèle, oui. Pour essayer d'expliquer le plus simplement possible ce mécanisme, les gènes « surnaturels » peuvent être activés par l'éveil du sang par toutes nos espèces. Le sang est synonyme de vie, de tout temps, de tout âge et dans toute culture. Toutefois, l'activation de ces gènes dépend de la part génétique déjà « disponible ». Si, par exemple, le brassage génétique est trop important, si les ancêtres « surnaturels » sont trop lointains dans l'arbre généalogique, et que la base humaine reprend le dessus, il n'y aura pas d'activation de ces gènes... On en revient donc ici à la question de la dominance et de la récessivité génétique. De surcroît, grâce à ces gènes particuliers, il est possible d'observer une forte augmentation du taux de neurotransmetteurs, de synapses, de molécules, de connexions cérébrales, d'hormones et cætera. D'où un surdéveloppement des facultés cérébrales et l'apparition de nos... aptitudes spécifiques.

Necahual s'arrête, hoche la tête dans le vide en décrochant ses prunelles des miennes, pourtant rondes comme des billes. J'ouvre et je referme la bouche à plusieurs reprises, à nouveau soufflé et dépassé.

— « Toutes nos espèces » ? parviens-je enfin à lâcher, étourdi par les conséquences que ces trois pauvres mots impliquent.

Pourquoi tu t'en étonnes ?

Ignorant la question flegmatique de ma conscience, je balaye d'un œil neuf les environs, détaille avec peur les quelques visages que je réussis à voir.

Tu t'attends à pouvoir les différencier d'un simple coup d'œil ?

Je ne réplique rien, continue mon inspection jusqu'à ce que l'homme puissant devant moi penche la tête dans ma direction.

— Les vampires ne sont pas les seules créatures hors du commun qui soient, cher Allan.

— Com... Combien y en-a-t-il d'autres ? bégayé-je, statufié sur place.

— Quelques-unes. Et certains de leurs représentants sont effectivement présents parmi nous, déclare-t-il en remarquant mes regards alarmés. Cela dit, peut-être que nous devrions aborder cette question plus tard... non ?

Comme depuis le début de cette loufoquerie, les deux parts en moi ne sont pas d'accord sur la réponse à fournir. Cependant, je parviens à m'imposer cette fois-ci et à acquiescer à la suggestion de Necahual. Ce dernier n'ajoute rien, respectant ma décision.

J'étouffe le soupir agacé qui résonne dans ma tête, puis ravale la boule logée dans ma gorge.

— J'aimerais tout de même savoir une chose.

— Quoi donc ?

Mes dents passent avec nervosité sur ma lèvre inférieure, tandis que mes orbes tourmentés plongent dans ceux sages et calmes qui m'épinglent.

— Je veux comprendre ce que je suis, proféré-je en me félicitant par-devers moi de ne pas avoir la voix tremblante ou incertaine. Je veux savoir.

Une nouvelle tension alourdit l'atmosphère ; les visages, inexpressifs jusque-là, se crispent un à un. Seul Necahual ne semble pas habité de la même agitation. D'un geste de la main sur le côté, il réclame le calme et la maîtrise chez ses hôtes. Il les obtient en un dixième de seconde, en véritable chef incontesté.

— C'est une requête plus que compréhensible et raisonnable, Allan, débute-t-il, bien assis dans son siège. Et j'aimerais vraiment y apporter une réponse claire et sans embûche...

Mes sourcils s'arquent haut sur mon front à l'écoute de cette étrange réponse.

— Je ne suis pas sûr de saisir ce que cela veut dire...

— Ça n'est pas très évident à expliquer non plus, argue le chef avec un demi-sourire. Disons que cela tient plus à des sensations qu'à un raisonnement cohérent et ordonné.

— Où vous voulez en venir ? attaqué-je, rendu acide par ses paroles sibyllines.

— Nous ne savons pas précisément ce que vous êtes, Allan. De prime abord, j'estime que vous êtes assez proche de mon espèce, vu l'attrait particulier qu'exerce votre sang sur certains d'entre nous.

— Je vous demande pardon ?

Horrifié, j'agrippe avec force les accoudoirs et y enfonce mes ongles, prêt à bondir au moindre signe ou mouvement suspect autour de moi.

— L'odeur de votre sang et l'arôme de votre peau nous attirent beaucoup, comme le feraient habituellement ceux de nos congénères. Votre empreinte olfactive est similaire à la nôtre, toutefois elle paraît plus exotique, presque plus... épicée ?

— C'est vrai, acquiesce Conrad à quelques pas de là. Ça embaume et donne très vite l'eau à la bouche. Son odeur est plus séduisante encore que celles d'un incube et d'un vampire réunies.

— Je suis d'accord. Il doit forcément avoir des liens avec les incubes aussi... Un hybride à trois sangs mêlés donc ? Humain, vampire et incube.

— Ça en a tout l'air.

Inconscients du malaise grandissant qu'ils font naître en moi, les deux hommes discutent de ma condition, tout à leurs spéculations et impressions dérangeantes. La partie de moi qui est sous le charme de ces créatures, boit leurs paroles, fascinée par leurs théories et les affiliations qu'ils émettent. Alors que de mon côté, je me retiens de hurler ma détresse et de prendre mes jambes à mon cou.

Necahual me regarde sans vraiment me voir, de profonds hochements de tête ponctuant la fin de chaque intervention de Conrad, l'air absorbé par toutes les pensées qui le traversent à mon sujet. Je n'écoute plus ce qui se dit entre eux, bien assez perturbé par les mots « sangs mêlés » et « incube » pour ne pas rajouter de nouvelles sources d'affolement à mon esprit surmené.

— Il y a toutefois quelque chose d'indéfinissable et d'insaisissable chez lui, murmure encore mon interlocuteur. Peut-être que...

Il s'arrête, songeur et en pleine délibération interne semble-t-il, tandis que Conrad derrière lui me jette un nouveau coup d'œil inquisiteur.

— Ne le croyez pas plus extraordinaire que nécessaire, Monsieur, lui fait remarquer le jeune homme avec aplomb. Avoir trois affiliations génétiques sera sans doute le seuil maximal atteignable, beaucoup d'entre nous n'en ont pas autant. Et ceux qui présentent un code génétique hors-norme ne développent pas obligatoirement les particularités dues à ces espèces.

— Tu as raison, Conrad. Cependant, nous ne sommes pas à l'abri de trouver quelque exception à ces règles, réplique Necahual avec un regard éloquent dans ma direction.

— Vous croyez que ce moucheron est un genre de super hybride ? Lui ?

Le dédain transparaît dans son ton de voix, me faisant instantanément oublier la pseudo gentillesse dont il avait fait preuve avec moi à la sortie de la ruelle. Conrad ne m'apprécie pas, il semble même se méfier de moi... Il ne m'accepte pas, et son seul regard condescendant me l'apprend. Je ne sais pas d'où lui viennent ce flegme et cette inimitié à mon encontre, mais il ne s'en cache pas.

On dirait que le mépris des classes sociales existe aussi ici.

Pour un peu, la comparaison grinçante de ma voix interne me ferait presque sourire. Je choisis plutôt de reporter mon attention sur Necahual, qui n'a toujours pas répondu à la pique irrespectueuse du guerrier. Son silence dure quelques autres secondes, secondes qu'il passe ses yeux plantés dans les miens.

— Il pourrait l'être, oui... Qui sait... Mais même si ça n'était pas le cas, il reste l'un des nôtres et nous devons lui offrir asile et protection, s'exclame-t-il en reportant son expression dure sur Conrad. Nous devons l'aider à découvrir son plein potentiel ainsi qu'à s'acclimater à sa nouvelle condition. Ainsi, jeune Allan, proclame-t-il en s'adressant à nouveau à moi, vous êtes le bienvenu entre ces murs. Et nous souhaitons vous apporter soutien et assistance pour cette nouvelle vie qui commence.

Nouvelle vie ?

— Je dois rester ici ? Et mon travail, mon appartement ? paniqué-je.

— Je sais que cela fait beaucoup de choses à la fois, Allan...

— Je ne peux pas rester ici, voyons ! J'ai une vie, des gens qui vont finir par s'inquiéter de ne pas me voir venir au boulot.

— Mais aucune famille et peu d'attaches en dehors de votre emploi, je me trompe ? m'interrompt Necahual, le calme personnifié.

J'ouvre la bouche, mais ne trouve rien à argumenter. Je n'ai effectivement pas de famille ou d'amis proches qui me manqueraient ou à qui je manquerais... Cependant, ce genre d'éléments n'est pas à la disposition du premier venu, encore moins d'un homme que je ne connaissais ni d'Ève ni d'Adam il y a encore quelques heures...





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