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Chapitre 41

Avant même d'avoir ouvert les yeux, je sais que je ne me trouve plus dans l'entrepôt. L'air est tiède, un feu semble brûler non loin de moi, et une odeur de métal et de vieux bois englobe l'atmosphère. L'inconfort de ma couche ne m'échappe pas non plus, au point que je retiens une grimace lorsque je remue légèrement le bassin. Quelque chose m'entrave à ce niveau-là, un lien froid qui pèse sur mes hanches et les meurtrit.

Quand je me mets à ciller, je remarque que des entraves plus petites retiennent mes bras nus en l'air – l'espace d'une seconde, je me demande où est passé mon pull – ainsi que mes chevilles. Elles sont épaisses et solides, faites dans un acier robuste. Si j'avais été dans mon état normal peut-être serais-je parvenu à m'en libérer, mais je sens que des drogues – des tranquillisants – circulent dans mon organisme. Elles sont fortes elles aussi : elles m'alourdissent, je suis à la limite de l'apathie.

Ma respiration est profonde et lente, mes membres gourds... c'est à peine si je réussis à garder les yeux ouverts plus d'une minute. Au prix d'un effort colossal, je tente de focaliser toute mon attention et le peu d'énergie qu'il me reste sur mon audition. Je l'étends le plus loin possible, en quête d'autres bruits que le crépitement des flammes, de n'importe quelle voix qui pourrait me délivrer quelques informations précieuses.

Je sais pertinemment que je suis dans une des antres de Jarlath, mais où se trouve-t-elle ? À quelle distance sommes-nous du domaine exactement ? Et qu'est-il arrivé à mes compagnons ? Qu'est-il arrivé à Eleuia ?

Où sont-ils ?

Où est-elle ?

Mais aucune réponse à ces questions n'est soufflée ou même murmurée. La seule source de bruit que je capte est celle de pas sur la pierre. Ils résonnent et se répercutent dans un espace confiné... un genre de couloir ? Non, le son est plus vibrant que ça... Un tunnel ? Un souterrain ?

Oui c'est ça, je me trouve sous terre. Sans doute dans un complexe très étendu.

Le mouvement se rapproche encore, la personne tourne sur plusieurs angles et chemine d'une démarche assurée. Je m'affaisse et capitule à poursuivre mon investigation une fois certain que l'ennemi se dirige vers moi.

Je ne suis bon à rien dans l'immédiat. Mes paupières s'abaissent encore, et lorsqu'elles se rouvrent, mon regard entre en contact avec une silhouette postée près de la porte.

— Tu parais si inoffensif ainsi, Allan, m'interpelle-t-elle sur un ton doux et vaguement railleur.

Cette voix... je la connais.

Puisant encore dans mes réserves, je m'oblige à faire le point sur le visage de sa propriétaire. Se pourrait-il vraiment... ?

— Tu n'as pas l'air dans ton assiette... Il faut dire aussi que tous ces sédatifs sont très costauds. Ils pourraient même venir à bout d'un éléphant !

Elle rit et contourne la... table ? sur laquelle je repose afin d'atteindre un de mes flancs.

— Ne t'en fais pas, je vais t'injecter un petit requinquant pour que tu puisses suivre la conversation qui va avoir lieu. Les effets ne dureront que quelques instants, le temps de te parler, ensuite tu redeviendras aussi inactif qu'un légume. Il ne faudrait tout de même pas que tu arrives à nous fausser compagnie encore une fois !

Sur ces mots, elle plante une seringue dans ma cuisse, pousse sur le piston pour libérer le liquide, mais c'est à peine si je m'attarde dessus. Parce que cette fois, je l'ai reconnue.

Natalia. Mon ancienne collègue de travail.

Je fais le point sur son visage et écarquille un peu plus les yeux de stupeur face à son sourire.

— Ça faisait longtemps, n'est-ce pas Allan ?

— Natalia...

Ma diction est hachée, ma voix rauque et frêle, mais la concernée a très bien perçu la pointe d'horreur et de choc mêlés dans son nom.

— C'est une sacrée surprise que je te fais là ! s'exclame-t-elle presque joyeusement.

— Tu es une...

— Vampire ? Tu l'as senti ? finit-elle à ma place en constatant que mes cordes vocales n'iront pas plus loin. Ah, je ne me lasse pas de voir tous tes progrès, tu sais. Rends-toi compte : il y a plusieurs mois de cela, tu me prenais pour une simple illustratrice, aussi banale et terne que ces balourds de Craig et Morris. Et aujourd'hui, non seulement tu sais qui je suis en réalité, mais mieux encore, tu sais qui tu es !

Natalia semble se retenir de taper dans ses mains tant elle est... ravie, survoltée par ses conclusions. Moi par contre, j'ai la sensation de me noyer ou de m'être fait renverser par un camion. Je suis perdu, complètement déboussolé, ce que paraît comprendre la vampire.

— Ta tête un peu ahurie me laisse penser que tu as des questions, beaucoup de questions !

Elle pouffe et glousse à la fois, ce qui accentue ma perplexité. Natalia s'est bien jouée de moi dans ma vie d'avant. Elle s'est jouée de tout le monde même en s'inventant un personnage timide, assez taiseux et réservée, au sourire doux et aux intonations tout aussi légères. Désormais le masque n'est plus, la vampire se laisse aller à sa véritable nature, à sa véritable personnalité plus expansive.

— Sois sans crainte, je vais te faire un récit détaillé. Ça fait des mois que j'attends cette opportunité ! affirme mon interlocutrice, une lueur vive et inquiétante dans les yeux. Tu sembles plus éveillé et attentif à présent, donc je peux y aller ! Eh bien, pour commencer, autant t'expliquer ma présence dans cette boîte d'édition. L'une de mes fonctions ici est d'être une sorte d'éclaireur, si tu veux : je m'insère dans une entreprise, de préférence une assez grosse qui brasse des centaines d'employés, et laisse mon flair opérer pour dénicher nos semblables. Plutôt des pas encore éveillés comme toi au début, afin de pouvoir les rallier plus vite à notre cause. C'est un travail qui demande du temps et un excellent développement de notre sensibilité surnaturelle afin de repérer les meilleures recrues possibles. Et je peux t'assurer qu'il y en a des tas dans ton genre !

Natalia s'interrompt pour expulser un rire qui me fait froid dans le dos. Cette fille est toquée.

— Mes collaborateurs et moi avons toutefois des ordres précis : ne pas prendre le premier venu qui atteste de son appartenance surnaturelle. Il faut trouver l'élite de l'élite, ceux et celles susceptibles de nous mener loin dans nos objectifs communs... Ce n'est pas toujours évident, ça nous demande de la patience. On doit aussi user de ruses par moments pour bouger d'un département à un autre dans l'entreprise – une pratique qui étend ainsi notre périmètre de chasse, en quelque sorte. C'est ce que j'ai dû faire pour te trouver enfin, je me suis fait muter dans ton service dès que j'ai senti tout le vrai potentiel qui t'habitait.

Je retiens un hoquet en apprenant à quel point je me suis fait duper. Natalia savait depuis le début ce que j'étais et elle n'a pas tardé à faire part de sa découverte à son maître. Ils savent donc depuis toujours qui je suis... Et ils m'ont chassé, traqué pour se servir de moi.

Les prunelles trop brillantes de la vampire me scrutent. Un air aussi satisfait qu'avide prend possession de ses traits, la transforme non plus en cette jeune femme douce que j'ai toujours cru qu'elle était, mais en un être exalté, à la limite de l'aliénation.

— J'ai parlé de toi à Jarlath peu de temps après et il a exigé que tu sois amené à lui dès que tu aurais atteint tes vingt-cinq ans, moment de ta pleine maturité cérébrale et physiologique. C'est donc trois semaines après ton anniversaire, lors de ce pot dans ce pub, que je devais agir pour te ramener dans notre repaire et t'initier au monde surnaturel et aux objectifs de Jarlath. Mais tu ne t'es pas laissé faire.

Un éclat de contrariété incrédule remplace une seconde son expression extatique.

— Alors, j'ai dû te suivre dans les rues et mettre au point un autre plan pour t'attirer, reprend l'usurpatrice sur un ton plus rude, comme si tout cela se déroulait aujourd'hui. Sauf que là encore, tu as tenté de te sauver et tu as atterri dans cette fameuse ruelle sordide. Je pensais pouvoir te rattraper avant que tu te fasses massacrer, mais les vampires avaient laissé un autre corps quelques rues plus loin, un corps encore suffisamment chaud et alléchant...

Son regard trop intense me sonde encore. Et alors qu'elle me paraît de plus en plus affamée, Natalia avance dans ma direction, jusqu'à se pencher sur mon visage contracté.

— Je ne sais pas comment tes « amis » parviennent à rester aussi calmes en ta présence, chuchote-t-elle à deux centimètres à peine. Déjà à l'époque, passer autant de temps auprès de toi et de ton odeur divine était un véritable défi... mais maintenant que tu es éveillé et que tu t'es formé et développé, c'est un supplice de ne pas te goûter.

Je déglutis et le mouvement de ma pomme d'Adam attire toute l'attention de Natalia sur ma gorge et mon pouls filant.

— Il y en a tout de même une qui a pu te tester. Cette petite salope a dû bien en profiter... Quelle chanceuse !

Je me tends et serre fort les poings en m'imaginant la cogner avec. Elle est secouée d'un nouveau rire sardonique.

— Tu ne sembles pas apprécier qu'on l'insulte, pourtant c'est bien ce qu'elle est ! Une chienne qui se donne des allures de sainte nitouche ! Elle me débecte... Elle ne méritait pas l'honneur que tu lui as fait, Allan. Crois-moi, c'était un gâchis, une erreur de ta part...

La vampire secoue la tête, affligée par ma conduite. Ses iris sont toujours aussi fous, lui confèrent un air d'illuminée qui accélère malgré moi les battements de mon cœur. Un gémissement sourd remonte dans sa gorge lorsqu'elle perçoit mon rythme cardiaque.

— Dire que ça aurait pu être moi... J'ai joué de malchance sur ce coup-là.

Natalia soupire puis caresse la peau frémissante de peur de ma gorge.

— Mais peut-être que tout n'est pas perdu, murmure-t-elle, la tête inclinée sur le côté pour m'observer sous un autre angle.

Quoi ?

De nouveaux frissons me gagnent et les muscles de mes cuisses se raidissent à l'extrême.

— J'avais extrêmement faim, ce soir-là, déclare Natalia en reprenant le fil de ses explications. Je me suis laissé distraire en somme, ce que j'ai payé plus tard, en revenant bredouille auprès de Jarlath.

C'est à son tour d'avoir un frisson.

— Après cette soirée donc, j'ai perdu ta trace pendant quelques temps, dit-elle encore après s'être raclée la gorge. Tu t'étais évaporé peu de minutes après que tu sois entré dans cette ruelle, et la piste olfactive que tu avais laissée n'allait pas au-delà de celle-ci. J'ai supposé à raison, sans trouver ton corps exsangue, que d'autres personnes t'avaient pris sous leur aile avant moi. J'étais... tellement en colère ! J'avais peur de ne plus jamais mettre la main sur toi, que tout ce travail n'allait servir à rien !

Mon ennemie passe ses deux mains sur son visage et tire dessus, aussi dépassée et dévastée qu'au moment des faits.

— J'ai fait surveiller ton appartement sous la directive de Jarlath, continue-t-elle d'une manière saccadée, marquée par sa colère rentrée. Et pendant des jours, rien ne s'est passé. Plus aucune trace de Allan Ford ! Puis un matin, un homme, un géant s'est présenté à l'immeuble avec tes clés. Un berserker évidemment, un de ceux à la solde de Necahual... Il ne nous en a pas fallu plus pour comprendre que tu étais dans le camp opposé, toutefois impossible de savoir sur l'instant dans quel clan au juste. Les groupes de Necahual sont très étendus, autant que les nôtres, il y en a aux quatre coins des États-Unis.

La vampire pousse un profond soupir, une main balayant les longues mèches de cheveux qui tombent devant ses prunelles contrariées.

— Tu aurais très bien pu être à Atlanta ou Manhattan... Alors j'ai encore patienté un peu, et envoyé de-ci de-là quelques-unes de nos troupes massacrer les alliés de Necahual, afin de faire bonne mesure – j'étais passablement énervée par cet échec. Et un autre jour, enfin, ma patience a été récompensée ! Le même berserker est revenu à ton appartement, et comme j'étais présente cette fois-là, je l'ai reconnu. C'était l'un des bras droits de Necahual : ainsi, tu te trouvais dans le quartier général du vieux Maya, à quelques kilomètres de Seattle.

Le contentement prend la place de la contrariété sur ses traits fins à cette annonce.

— Hélas, il était hors de question de prendre le domaine d'assaut, temporise Natalia par la suite. Trop d'ennemis sur les lieux, territoire trop étendu et inconnu, et cætera. De ce fait, il a fallu remanier encore une fois nos plans et redoubler de patience... Nos attaques se sont multipliées, afin de distiller peur et rage dans les troupes adverses et aussi afin de te faire peut-être sortir de ton trou le moment venu.

Son regard se repose sur moi à l'instant où son buste s'incline à quelques centimètres du mien.

— Je savais à quel point tu pouvais être spécial et que je ne pouvais pas, que nous ne pouvions pas passer à côté de toi, me confesse-t-elle encore dans un murmure qu'elle espère intime. Je devais te récupérer pour Jarlath et faire de toi le soldat parfait pour notre armée.

L'œillade qu'elle me jette me donne autant envie de trembler d'effroi que de cracher de dégoût. Elle est complètement folle.

— Je ne l'ai su que bien plus tard, mais tu nous as échappé une première fois à San Francisco ; ça a été une véritable surprise d'apprendre après coup que tu te trouvais chez World Community. La seconde fois, c'était quelques semaines plus tard, dans cette maison close. Nous savions que tu y étais et nous nous pensions bien mieux organisés ce coup-ci pour arriver à nos fins. Nous étions persuadés que nous allions réussir à te cueillir, seulement nous avons sous-estimé ta force et ta ruse. Et quel fabuleux massacre tu as perpétré ! Ah, j'en ai encore des frissons !

Si j'en avais la force, j'écarquillerais davantage les yeux et lui balancerais une ou deux insultes bien senties, mais la torpeur assommante qui court dans mes veines est bien trop puissante.

— Mais aujourd'hui, tout est enfin rentré dans l'ordre ! Tu es là, prêt à devenir notre arme ! conclut Natalia, aux anges.

Un sourire de démente lui mange le bas du visage, et l'une de ses mains vient caresser mon bras. Dans l'impossibilité de me dérober à son contact, je serre les dents dans une furieuse envie de crier et bande les muscles sous ses doigts pour lui faire comprendre ma répulsion. Évidemment, Natalia s'en moque. Sa paume remonte même sur mon triceps, longe mon deltoïde, frôle ma clavicule et finit par s'arrêter sur l'encolure de mon tee-shirt. Ses doigts passent et repassent dessus, comme captivés par la texture sous leur pulpe.

— Si tu savais à quel point je suis contente que tu sois là... Je te voulais à plus d'un titre dans nos rangs.

Une bile âcre se loge dans ma gorge alors que Natalia franchit la barrière de tissu. Rebuté, je tourne la tête de côté pour fuir ses prunelles folles et voraces.

— Jarlath m'a promis une récompense pour tous les efforts que j'ai développés pour te ramener ici, fredonne la vampire en palpant avec langueur mes pectoraux contractés. J'en rêve depuis des mois.

— Pas avant qu'il soit complètement des nôtres, Natalia, tu le sais, l'interrompt une voix de baryton dans son dos.

Trop absorbés, moi par ma répugnance à son égard, et elle par sa concupiscence, nous n'avons pas perçu l'arrivée de l'homme qui se tient à côté de la porte. La vampire sursaute et se décale de moi, la tête basse.

— Pardon, Maître... Je n'ai pas su résister, chuchote-t-elle tandis que je respire mieux, soustrait à son contact et à son regard sur moi.

— Donne-lui une autre dose de stimulant, veux-tu Natalia ? Notre ami ici présent aura besoin d'énergie pour ce qui va suivre. Ce serait fâcheux qu'il s'endorme dans les cinq minutes.

La disciple s'exécute, une nouvelle injection est envoyée dans le muscle de ma cuisse. Le brouillard qui m'embrumait s'évapore, et je parviens à observer Jarlath, le « maître » autant des lieux que de Natalia.

L'homme est de taille moyenne, assez trapu. Une longue crinière châtaine dévale ses épaules, et quelques mèches libres encadrent un visage ferme aux traits marqués par l'austérité. Sa bouche ronde et pulpeuse est la seule touche de douceur sur cette figure. Elle étonne d'ailleurs, car ses lèvres pleines sont moins communes chez la gent masculine. Le contraste avec ses yeux froids et ternis par la soif de pouvoir est saisissant. Si le bas du visage donne une impression de chaleur et d'accessibilité, le haut, lui, fait bien comprendre qu'un sourire ne vaut rien s'il ne se reflète pas dans le regard.

Je parcours lentement des yeux mon ennemi, celui qui a décimé des centaines de mes pairs à travers les âges, et je ressens une vague de haine mêlée à une crainte légitime m'envahir. L'aura qui l'englobe m'apprend l'essentiel de ce que je dois savoir sur son compte, et tout comme Necahual, cet être-ci est vieux et hautement dangereux.

— Vous êtes un vampire. Presque aussi vieux que Necahual, lâché-je d'une voix creuse.

— C'est exact, acquiesce-t-il sans s'émouvoir. Vos amis ne vous l'avaient pas dit ?

— Je n'ai jamais posé la question non plus, argué-je sur le même ton que lui. J'avais des informations sur vous plus importantes à traiter que celle de votre nature.

— De quel genre d'informations s'agissait-il donc ?

— Celles qui vous dépeignent comme un mégalomane tortionnaire, imbu de sa personne, aux mœurs et idéaux réactionnaires au possible, répliqué-je en le vrillant du regard.

Un franc sourire prend naissance sur ses lèvres charnues tandis que son aliénée préférée pouffe d'un rire vibrant.

— Necahual et ses pairs ne semblent pas nourrir une haute estime à mon égard, constate le chef ennemi sans relâcher ses zygomatiques.

— À raison. Je peux en attester moi aussi, désormais. Votre aura est la plus sombre qu'il m'ait été donné de lire... Vous avez causé nombre de morts et de souffrance autour de vous. Et vous en êtes fier.

Je conclus sur une grimace écœurée qui paraît beaucoup ravir mon interlocuteur.

— Est-ce là tout ce que vous apprend mon aura ou encore mon esprit ?

— Je connais vos idéaux et vos plans, réponds-je sans soutenir ses orbes inquisiteurs cette fois. Vous voulez asservir ou détruire tous ceux qui ne vous suivent pas. Vous voulez établir un nouvel ordre sur Terre en tant que seul maître à bord. Vous voulez dominer l'Homme en imposant votre suprématie sur son monde. Vous voulez créer l'élite de l'élite dans vos rangs et la voir engendrer cette nouvelle ère pour vous.

Nos regards se verrouillent l'un à l'autre alors que je reprends mon souffle.

— Vous êtes un despote. Un de ces tyrans qui ont tenté de faire tourner le monde en fonction de leurs desiderata. Un de ces monstres qui croient que le seul équilibre valable, c'est celui qu'ils auront créé de toutes pièces et qui n'existe pas. Parce qu'il n'y a pas d'équilibre entre chaos et destruction. Parce qu'il n'y a pas d'équilibre là où on ne fait que tuer et non pas vivre.

Un silence suit ma déclaration. Mon cœur bat plus vite sous l'effet de la colère et mes poings serrés font grincer le bois sous eux. Ma force revient, malheureusement elle n'est pas encore suffisante pour me libérer.

— Vous êtes un être assez remarquable, je dois bien l'admettre, déclare Jarlath après cette pause.

— Je ne marcherai jamais dans vos pas, lui annoncé-je, toute ma conviction et ma révolte dans mes mots.

— C'est bien dommage, c'est sûr... Mais ce n'est pas non plus nécessaire, révèle mon vis-à-vis sans être ni contrarié ni embêté. Ça viendra peut-être avec le temps, qui sait...

— Je ne comprends pas, articulé-je, le front plissé.

— Je veux faire de vous une arme, Allan. Celle qui m'aidera à obtenir tout ce que je désire dans un premier temps. Et les armes ne pensent pas, ne ressentent pas.

J'écarquille les yeux. Une franche panique m'envahit désormais.

— Vous allez être une machine de guerre, aussi redoutable et hermétique qu'un tank, poursuit Jarlath en avançant vers moi. Vous éliminerez les cibles que je vous désignerai sans état d'âme. J'ai de beaux projets pour vous, Allan... et pour les mener à bien, ils doivent s'initier dès à présent.

Mon cri de protestation meurt dans ma poitrine comprimée. La terreur me submerge dès l'instant où je comprends vers quoi vont me conduire ses projets : la mort. Celle d'innocents. Celle de mes amis. Celle de ma famille.

Je vais les tuer.

Je me débats alors, rue en tous sens et tente de faire ployer mes liens d'acier. Quelques crissements se font entendre, mais mes tortionnaires interviennent avant que je puisse faire s'écraser au sol la ferraille. Natalia monte à califourchon sur moi, enserre mes mains dans sa poigne redoutable, déchire mon tee-shirt et le jette au loin. Un autre subalterne se précipite dans la pièce avec d'autres fers. Une seconde plus tard, je suis garrotté, ligoté sur la table, dans l'incapacité totale de bouger cette fois. Les étaux sur mon corps me compriment, me brûlent même tant ils se moulent à ma peau nue.

Aussi enragé qu'affolé, je décoche une œillade à Jarlath, qui est resté les bras ballants tout du long et le sourire aux lèvres. Il se poste aux côtés de Natalia, à quelques centimètres de moi, et tend le bras vers une sorte de chariot que je n'avais pas remarqué jusque-là. Cependant, lorsque je découvre les instruments qui reposent dessus, je ne peux m'empêcher de penser que j'aurais préféré ne pas les voir...

— Qu'est-ce que vous allez faire ? parviens-je à formuler en laissant mes iris faire la navette entre le chef ennemi et les ustensiles en inox et autres alliages.

— Vous révéler à vous-même, répond l'hybride, le même rictus en coin vissé sur sa bouche. La douleur est la sensation la plus élémentaire qui soit. C'est elle qui nous maintient en vie, car si nous la ressentons, nous ne sommes pas morts et puisons dans nos réserves, dans notre énergie pour la combattre. Et c'est ce combat que nous visons, Allan.

— Quoi ? balbutié-je, perdu et le cœur en déroute.

— Vous êtes un être exceptionnel, votre seuil de résistance à la douleur est donc bien plus élevé que la moyenne. Mais une fois que votre niveau maximal de souffrance sera atteint, une fois que vous serez à la merci totale de votre douleur, vous allez tenter de la combattre. Et pour ce faire...

Il fait une pause dans son discours afin de s'emparer d'un objet, une espèce de fourche à deux têtes qu'il attache à mon cou. L'une des extrémités est placée sous mon menton, et la seconde broche, elle, sur mon sternum. La fourche m'oblige à lever haut la tête et à la garder dans cette position inconfortable. Si je baisse le menton, mon visage finira embroché.

Rien que le fait de déglutir fait râper la pique métallique sur ma pomme d'Adam.

— ... Vous aurez besoin de la part la plus sombre en vous. Car c'est la seule qui est en mesure de vous sauver, de vous libérer, poursuit mon bourreau en appuyant sur le dernier mot.

De la sueur dégringole depuis le sommet de mon crâne et se forme sur mon poitrail, mais Jarlath ne se formalise pas de mon horreur manifeste.

— Le moment venu, ce sera instinctif, aussi nécessaire et évident que de respirer. Vous verrez...

Un mouvement sur le côté détourne une partie de mon attention de mon actuel supplice. Mes prunelles épouvantées se braquent sur Natalia qui, les traits soudain impassibles, s'est retournée pour attraper un tisonnier chauffé à blanc dans la cheminée avant de me refaire face. La seconde suivante, Jarlath se penche sur mon torse et manipule l'instrument de torture qu'il a installé.

— En attendant, je vous prie de m'excuser pour les moments pénibles qui vont suivre, déballe-t-il au moment où il enclenche un mécanisme sur la fourche. J'ai conscience que cela va être... insupportable pour vous.

Je respire de plus en plus fort à mesure que les broches bougent, la première se rétractant sur mon cou. Je bouge, me débats, et du sang coule déjà sur mon torse. Un premier cri de surprise et de douleur franchit ma gorge malmenée, alors que la perforation continue et gagne en amplitude.

— Mais vous me remercierez plus tard pour ça, conclut mon ennemi.

Il fait un signe à Natalia, et une atroce chaleur se répand plus bas sur mon corps. Je hurle à pleins poumons. Le tisonnier se presse sur moi, déchire ma chair par endroits avant que le processus de cicatrisation opère, puis revient à la charge encore et encore. Mes cris se succèdent, incohérents et précipités, quand bien même leur puissance est bloquée par la fourche dans mon cou et par le sang qui remonte dans ma bouche.

Tout se colore de rouge devant mes yeux vitreux et révulsés. Le son de mes rugissements à l'agonie est le seul qui m'atteint et crève mes tympans. Mon cerveau explose sous la douleur, mon corps prisonnier vibre, bouillonne et convulse.

C'est intolérable. Insupportable. Intenable.

L'Enfer existe et il se propage dans mes veines, dans mon cœur pour le briser, l'étriper. Il me ravage et de nouveaux fléaux s'ajoutent bien vite aux précédents. Alors je disjoncte, j'enraye mes cordes vocales et je sens des larmes incontrôlables se mêler aux traînées de mon sang.

C'est un gouffre sans fond, aussi noir que le charbon qui m'attend. C'est un supplice au camaïeu de rouge qui m'étreint.

Et ça ne fait que commencer...


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