Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 4



Le véhicule s'arrête dans un crissement de pneus discret, aux abords du domaine. D'après ce que je vois, nous nous trouvons à l'extérieur d'anciennes écuries reconverties en garage spacieux. Bien que les larges portes de ces dernières soient ouvertes, Eleuia n'a pas pris la peine d'y entrer, préférant se garer dans le sens de la marche, comme pour pouvoir repartir plus vite très bientôt. Perspective qui libère une vague de stress malvenue dans mon organisme. Je dois faire un véritable effort pour ne pas hyper ventiler bêtement dans le froid nocturne.

Les portières claquent lorsque nous sortons de l'habitacle et des volutes de buée blanchâtres montent dans le ciel à chacune de nos expirations. Stupéfait, je tourne plusieurs fois sur moi-même afin d'inspecter les alentours. Je ne vois pas grand-chose au-delà de cinq mètres de distance avec le manque de luminosité, mais je devine de grands champs ainsi que diverses bâtisses appartenant sans doute à cette propriété.

— Où... où sommes-nous ? interrogé-je faiblement.

— Toujours dans le comté du King, mais à une centaine de kilomètres de Renton, m'informe Conrad, resté de l'autre côté du break. C'est un coin assez reculé, suffisamment éloigné des plus curieux, sans pour autant être coupé du monde moderne grâce à la 90 qui passe un peu plus au nord... Ici, nous sommes à l'arrière du bâtiment principal. Le manoir et ses dépendances secondaires occupent deux hectares de la propriété à eux seuls. Je te laisse imaginer l'étendue totale...

Fier de m'avoir impressionné, Conrad sourit de toutes ses dents puis s'avance vers moi. Il se stoppe à un mètre – suis-je obligé de noter – et m'offre de le suivre jusqu'à l'avant du manoir, là où nous attendent « les autres ».

Incapable de m'en empêcher, je m'assure de la présence d'Eleuia dans mon dos et suis soulagé de l'y trouver, bien qu'elle n'ait toujours pas ouvert la bouche. Nous suivons donc la silhouette sombre de Conrad, longeons les murs imposants du bâtiment, pour finir par retrouver les lumières projetées par les larges et hautes fenêtres. Le perron en pierre brute est ainsi illuminé, tout comme une partie de la façade. Massif et cossu, je n'en saurais dater l'architecture tant le manoir paraît ancien et pourtant bien conservé. À mon avis, il s'apparente davantage à un château qu'à un « simple » manoir. Et bien qu'il semble outrageusement grand et riche, je pressens qu'il s'insère très bien dans le panorama environnant.

Une construction sublime dans une nature sublime. Et quelque chose me dit que je ne dois pas être encore au bout de mes surprises.

Nous franchissons le seuil, moi avec prudence, les autres avec assurance en pivotant déjà sur la droite pour s'engouffrer dans un long corridor. Je leur emboîte le pas après un temps. Mes yeux vagabondent de ci de là, attirés par l'encadrement ouvragé des portes qui jalonnent le couloir, les renfoncements de pierres dans les murs bruts et froids, les torchères et autres candélabres peaufinés aux détails près et éclatants de richesses nobles. Je ne suis pas incollable en Histoire, mais il me semble que certaines pièces rappellent les codes de la Renaissance, d'autres du Moyen-Âge. Le mélange des matériaux et des tons est éclectique, surprenant même par moments... mais très agréable et chaleureux à regarder.

Mes compagnons, eux, en véritables habitués des lieux, ne s'arrêtent pas sur les quelques peintures exposées sur les murs, ou encore sur les tentures ocres et bordeaux camouflant certaines ouvertures. Leurs pas francs et sûrs ne ralentissent pas devant les collections d'armes et de protections présentes dans des vitrines ou accrochées aux cloisons. L'écho de leur démarche ricoche sur les parois plus lointaines de la bâtisse, et me fait enfin réaliser une chose qui m'avait échappée jusqu'à présent : nous sommes seuls. Personne n'a pointé le bout de son nez depuis que nous avons émergé de la voiture.

Déstabilisé, je tourne la tête de droite à gauche, de plus en plus vite, inspecte avec plus de précision les nombreuses galeries raccordées à la principale. Mais toujours rien. Pas un bruit, pas un mouvement. L'absence évidente d'âme qui vive ne paraît pourtant pas perturber les personnes devant moi. Le regard fixe, elles poursuivent leur route, nous font passer sous une arche spectaculaire, avant de pivoter dans un autre boyau. Arrivés à l'extrémité de celui-ci, nous empruntons un escalier tournant, le descendons, et échouons dans une sorte de vestibule haut de plafond, où l'humidité ambiante s'avère plus prononcée qu'à l'étage supérieur. J'ai soudain l'impression de me tenir dans les caves du domaine.

Au bout de quelques minutes supplémentaires, Eleuia et Conrad stoppent devant une double porte faite d'acier et de bois, plus massive encore que celle de l'entrée. Un bourdonnement indistinct me parvient de l'intérieur, des voix étouffées par l'épaisseur des matériaux. Ma nervosité remonte en flèche tout à coup, alerte et aux aguets.

Conrad pivote vers moi et me dévisage une seconde avant de m'interpeller.

— Comment tu te sens ?

— Mieux. La douleur... a presque disparu.

Surprenant mais vrai : je suis passé d'un état d'agonie lente et souffreteuse, à un état quasi normal, en dehors de quelques courbatures et élancements dans la poitrine. Et cela en l'espace d'une poignée d'heures à peine. Ça tient presque du miracle tant ma « guérison » est époustouflante et irrationnelle.

Il m'est avis qu'aucune, absolument aucune, intervention divine n'est responsable de tout ça... Dans notre monde, les miracles n'existent pas.

Conrad hoche la tête, tout en passant en revue mon corps de ses yeux perçants. Il me scanne, comme s'il était à la recherche de blessures qui nous auraient échappées jusqu'à alors, puis remonte ses prunelles calmes et réfléchies dans les miennes.

— Bien. À présent, tu vas rencontrer nos dirigeants et quelques-unes des personnes qui vivent entre ces murs. Des présentations plus complètes sont de rigueur, je crois.

Il coule un regard énigmatique du côté d'Eleuia, cependant la jeune femme ne dit mot et garde son regard rivé sur les larges verrous qui entravent la porte. L'homme revient vers moi, un fin sourire amusé sur ses lèvres.

— L'heure des réjouissances est arrivée, Allan. Cette nuit, tout change pour toi. Ta vie ne sera plus jamais la même désormais.

— Et... ce changement est censé être en bien... ou en mal ? osé-je demander, sans arrêter d'observer nerveusement tantôt mes vis-à-vis, tantôt le battant verrouillé.

Les épaules d'Eleuia se crispent une seconde à l'entente de ma question, toutefois elle préfère laisser son acolyte répondre pour elle.

— Les deux, Hybride. Les deux. Tu vas prendre la plus grande leçon de ton existence ici... Ne l'oublie pas.

Incertain, j'acquiesce tout de même de la tête à ses propos, et récolte ainsi une œillade satisfaite. Le souffle court, je regarde la guerrière tirer sur les loquets, desserrer les verrous, tourner poignée sur poignée jusqu'à arriver à la plus grande de toutes qu'elle pousse vers la droite. Elle libère une expiration plus longue que les précédentes avant d'enfin attirer les lourds battants jusqu'à elle, laissant un nouveau puits de lumière ténu se refléter sur nous. Je me décale sur la gauche et jette un coup d'œil à la fois curieux et inquiet à l'intérieur... et ce que je vois me laisse bouche bée.

La salle toute en pierre est gigantesque. Son agencement rappelle celui d'un théâtre inversé : l'estrade surélevée pouvant faire office de scène, est surplombée par des balcons taillés dans la roche et desservis par un grossier escalier sur la droite. Des colonnes, aussi larges que des troncs d'arbres centenaires, permettent de maintenir l'ensemble, leurs socles lourds rivés dans le sol poussiéreux. La lumière naturelle des rayons de la lune frappe l'intérieur de la fosse dans laquelle nous avançons. En hauteur, il doit il y avoir des ouvertures et lucarnes pour la laisser passer. Je ne discerne d'ailleurs pas ces dernières, tant le sommet de ce sous-sol est hors de vue. Nous devons nous trouver plus profondément sous terre que ce que je croyais. L'existence d'un réseau sous terrain ralliant cet endroit au reste du pays ne m'étonnerait même pas.

Alors que nous progressons à faible allure, quelques torches s'allument à l'avant des balustrades de balcons, et encadrent ainsi la structure rocailleuse d'un halo vibrant qui atténue bien la sensation de froidure. Mes accompagnateurs s'arrêtent à cinq bons mètres de la scène. J'en fais de même trois pas derrière eux et glisse des œillades furtives sur les côtés. Mon regard erre sur les cavités sombres, les gravures étrangères sur les saillies des murs, le jeu d'ombres entre deux pics escarpés... tout plutôt que l'impressionnant comité d'accueil qui ne pipe plus mot depuis notre entrée dans les caves.

Je ne saurais estimer leur nombre sur un seul coup d'œil effrayé et rapide. Peut-être une petite trentaine de personnes, ou un peu plus. Au bas mot, autant de paires d'yeux qui, je les sens peser sur moi, inspectent avec minutie le moindre de mes faits et gestes. Et le déplacement soudain de mes deux escortes sur le côté n'arrange rien à l'affaire. Je suis dans leur ligne de mire immédiate. Aucune raison de paniquer, en somme.

Un fin nuage de buée s'échappe dans un tremblement lorsque j'expire l'air froid et moite du site. La tête basse, j'écoute et guette la suite des événements, ma salive restée coincée dans le fond de la gorge... mais les secondes s'écoulent sans que rien ne se produise.

Qu'est-ce qu'ils attendent ?

Dans l'expectative, je recherche le regard d'Eleuia, debout à un mètre de distance désormais, mais comme bien souvent, elle me le refuse. Les traits inexpressifs, elle garde la tête relevée vers la plateforme, ses yeux vagabondent paresseusement sur certains des visages qui lui font face. Je refoule un soupir et me tourne vers Conrad pour le découvrir dans la même position, à ceci près que lui, tantôt sourit, tantôt salue d'un profond hochement de tête ses homologues.

Enfin, les prunelles de la guerrière s'animent et se fixent sur le champ droit de la scène, vite imitées par les autres. Intrigué, je plisse les paupières, tente d'apercevoir ce qui les attire autant, mais rien n'est encore visible.

Alors pourquoi se tournent-ils tous dans cette direction ?

Ce n'est que quelques secondes plus tard que je comprends. Dans l'un des boyaux à mon côté, se répercute le son de pas tranquilles, dont l'écho me laisse toutefois deviner que leur propriétaire se trouve à une distance encore toute relative de notre position. J'écarquille les yeux d'effarement. L'acoustique de cette espèce de caverne nous aide à capter ces échos éloignés, cependant il est humainement impossible de les entendre si tôt. Il s'est passé un trop long laps de temps entre le moment où ils ont perçu en premier ces bruits et celui où je les ai entendus... Ce n'est pas normal. Ce n'est pas possible. Vraiment pas.

Ne panique pas et respire.

Suivant les conseils de la voix, je me recentre et vois donc apparaître un homme aux longs cheveux gris et à la barbe taillée s'arrêter à l'entrée du tunnel. La peau mate, le corps robuste bien que vieillissant et les yeux foncés, le patriarche lève la tête sur les balustrades, la tourne vers l'estrade, puis vers la fosse, avant de rejoindre le plateau central. En chemin, sa bouche se fend d'un sourire tendre et rassuré pour Eleuia, et l'une de ses mains s'empare de celle que la jeune fille lui tend.

— Je suis heureux de te revoir, maia gijia*, souffle le quinquagénaire en serrant affectueusement les phalanges bronzées.

— Moi aussi, maio pudire*.

Quelques autres paroles sont échangées entre eux, certaines m'étant incompréhensibles à cause de l'emploi de cette langue étrange, mélange bigarré de sonorités espagnoles ou portugaises. Leur entretien ne s'éternise pas longtemps, mais assez pour que je note le plaisir et l'attendrissement sur les traits délicats d'Eleuia. Cet homme est important pour elle, et avant qu'une pernicieuse vague de jalousie monte en moi, je remarque les ressemblances équivoques entre les deux. La forme de leurs yeux notamment est identique, tout comme la ligne de leurs mâchoires. Père et fille semblent se retrouver enfin après une séparation qui leur a pesé.

— Bienvenue à toi aussi, Conrad, s'exclame le meneur en pivotant vers le guerrier. Je suis ravi de te retrouver en parfaite santé.

— Merci, Monsieur. J'espère que tout s'est bien passé ici en notre absence.

— Très bien. Nous n'avons rien à déplorer, heureusement.

Mon guide s'incline humblement une fois ces quelques civilités échangées. Le père d'Eleuia sourit une dernière fois à sa fille, puis termine son ascension jusqu'au plateau, où il salue la dizaine de personnes qui l'y attend.

Je le suis du regard, captivé par la force et l'énergie brutes qu'il dégage, alors qu'il ne fait rien d'autre que déambuler sur la scène pour l'instant.

Il est puissant. Très puissant.

Une femme blonde avance un siège à quelques centimètres du bord, tandis que trois autres personnes installent des bancs et autres assises en demi-cercle autour de lui. L'homme aux cheveux poivre et sel remercie les installateurs avant de s'asseoir au centre, à l'instar de ses condisciples. Les murmures qu'a engendrés son arrivée se tarissent dès lors qu'il lève la main pour réclamer le silence, le visage détendu et serein. Après une nouvelle seconde d'attente, le maître des lieux – puisqu'il ne peut s'agir que de lui, au regard de la déférence qu'on lui témoigne – plonge ses iris noirs dans les miens, et déclare :

— Je vous souhaite la bienvenue dans ce manoir, Allan. Pardonnez la grandeur de cette assemblée, je sais qu'elle peut paraître intimidante, mais dès que nous avons su que vous arriviez, beaucoup d'entre nous ont souhaité faire votre connaissance au plus vite, plutôt que d'attendre demain.

L'assemblée en question concentre toutes ses prunelles acérées sur moi, désireuse de m'entendre m'exprimer pour la première fois. Nerveux, je déglutis et ose faire un pas en avant vers mon auditoire.

— Je... Merci pour votre accueil et votre sollicitude, dis-je avec hésitation, mon regard se perdant sur tous les faciès présents.

— J'espère que vous vous sentez mieux depuis votre arrivée ici, formule poliment mon vis-à-vis, un petit sourire confiant aux lèvres. Je suis navré pour les désagréments que vous avez connus sur le trajet. Et avant cela, aussi... Nombre d'entre nous sont déjà passés par vos tourments, nous compatissons à votre douleur.

— Oui, je... je vais mieux. Même si je ne comprends pas pourquoi. Tout comme ce qui m'arrive.

Un rire convulsif s'étrangle dans ma gorge et mes mains se serrent en poings pour tenter de faire redescendre la pression.

— Pour tout dire, je ne suis pas sûr d'avoir bien fait de venir ici. J'aurais... j'aurais peut-être dû rester dans cette ruelle.

— Vous alliez mourir dans cette ruelle, jeune Allan. Je ne vois pas en quoi il aurait été plus judicieux que vous y restiez, remarque le chef, les sourcils froncés.

— Parce que j'ai des chances de survivre ici ? interrogé-je, réellement surpris.

— Comment ça « des chances » ? Pourquoi seriez-vous là sinon ?

L'homme m'observe avec la même incrédulité sur ses traits que sur les miens. Je cligne plusieurs fois des yeux en inspectant tour à tour les figures de mon vaste public, et termine par celle d'Eleuia. Ses lèvres pleines sont pincées, comme si elle se retenait d'intervenir, et ses prunelles brillent d'une lueur à la fois courroucée et décontenancée.

Désorienté, je me focalise à nouveau sur son père et amorce des explications bancales.

— J'ai vu ce qu'ont fait ces... monstres à la jeune femme, là-bas. Ils l'ont mutilée, ils se sont... nourris d'elle, comme le feraient des... des...

Vampires.

Je n'ajoute plus rien durant de longues minutes, incapable de prononcer ce mot surréaliste. Mon silence n'est pas troublé par de quelconques protestations ou murmures ; telle une statue de pierre, l'assistance ne bouge pas, elle ne semble même pas ciller. Un énième frisson remonte ma colonne au moment où je rouvre la bouche.

— Comme ma survie semblait assez importante aux yeux de vos amis, je pensais que c'était parce que vous vouliez joindre l'utile à l'agréable en somme, en...

— Vous mangeant. Ainsi, nous vous tuons et nous assurons votre silence éternel, tout en profitant de votre chair et votre sang.

Un spasme violent parcourt mes jambes et menace de me faire tomber au sol, à l'entente de ces conclusions – mes conclusions – formulées sur un ton froid et plat. Mon cœur fait une embardée mal venue dans ma poitrine, ce qui me vaut quelques coups d'œil et plissements de paupières plus insistants alentour.

— C'est ça, haleté-je, tendu.

Le quinquagénaire soupire et se renfonce dans son siège, la tête levée sur les crêtes et aspérités du décor.

— Sachez, jeune Allan, que nous déplorons tous ce qui est arrivé à cette malheureuse, souffle-t-il après une longue pause. Vous apprendrez bien vite qu'ici, nous avons des règles et des codes moraux à respecter et à appliquer, qui que nous soyons. Tuer pour son plaisir personnel ou tuer pour faire souffrir autrui n'en fait pas partie. Nous désapprouvons ces comportements et les punissons sévèrement.

— C'étaient pourtant deux des vôtres qui l'ont massacrée, si j'ai bien compris.

— Nous avons cru que Marcus et Ezéchiel partageaient les mêmes idéaux et visions des choses que nous. Nous nous sommes trompés, hélas... Et cette femme a payé le prix de notre erreur de jugement. Cela ne nous était plus arrivé depuis très, très longtemps...

— Que va-t-elle devenir ? demandé-je en me remémorant la douleur sur le visage crayeux de la morte.

— Conrad a appelé la police afin de leur signaler l'emplacement du corps. Ils ont dû débarquer sur les lieux peu de temps après votre départ. Caleb et Bree iront du côté de la morgue et du commissariat demain, pour voir si la famille de la victime a pu l'identifier et lui offrir des funérailles décentes. Dans le cas contraire, nous nous en chargerons.

— C'est très... gentil de votre part, réponds-je avec surprise et hébétude.

— Notre faute, notre responsabilité. C'est tout ce que l'on peut faire dans l'état actuel des choses.

Je ressens une pointe de compassion pour cet homme fatigué, à la voix si triste et monocorde soudain. Il paraît réellement souffrir et se préoccuper de la situation. Je hoche la tête à son adresse, en signe de remerciement implicite pour la sollicitude dont il témoigne.

Un nouvel instant de silence se déploie, silence que je finis par rompre en posant les questions qui me brûlent les lèvres depuis mon entrevue déplorable dans la ruelle.

— Alors je n'ai pas rêvé, ces Marcus et Ezéchiel étaient bien des monstres ? Ils l'ont dévorée ? Ce n'étaient pas juste des cannibales, ils étaient trop... étranges, trop forts et... rapides pour l'être. Ils étaient autre chose.

Mes yeux se perdent un instant dans le vague, mon esprit accaparé par les images fantasques et dignes du meilleur film d'horreur qui soit. Absorbé, je vire naturellement du côté d'Eleuia et revois son corps gracile se mouvoir dans la nuit, l'épée au poing et du sang frais sur ses bottes.

— Vous êtes tous autre chose, assuré-je à mi-voix en captant enfin le noir abyssal de ses iris.

Cependant, rien ne passe sur son minois juvénile. Elle n'exprime ni colère, ni surprise, ni désappointement, les seules émotions que je semble pourtant lui inspirer. Là, maintenant, alors qu'elle me regarde... elle est une coquille vide. Elle ne souhaite pas m'expliquer et continue à forger un mur infranchissable entre elle et moi.

Son père, lui, se montre plus loquace et ne rechigne pas à la tâche.

— C'est exact, Allan. Et vous savez déjà ce que nous sommes. Votre instinct n'a pas arrêté de vous le hurler. Il a même très certainement dû vous pousser à comprendre certaines autres choses avant cette nuit, concernant le monde... Et vous concernant vous.

Une secousse involontaire me lance de l'intérieur à ces mots et se répercute dans mon crâne, comme si la nouvelle part en moi voulait acquiescer violemment à cette idée.

— Vous n'étiez pas prêt à l'entendre avant, mais tout a changé pour vous aujourd'hui, n'est-ce pas ? C'est ce qui vous a poussé à nous rejoindre. Votre corps et une partie de votre esprit voulaient venir jusqu'à nous... et ils ont fini par nous trouver, m'explique le patriarche avec calme.

— Ça ne devrait pas être possible, chuchoté-je presque pour moi-même.

— Ça ne le serait certainement pas si tu étais humain, commente Conrad en faisant un pas en avant.

— Doucement, Conrad. Ne le brusque pas non plus.

— Sauf votre respect Monsieur, je ne crois pas que tourner trop longtemps autour du pot soit plus judicieux. Cet hybride s'est accroché envers et contre tout à la vie, et il ne se rend même pas compte de l'exploit qu'il est parvenu à réaliser dans cette voiture.

Le jeune soldat secoue la tête, presque déçu par mon manque de clairvoyance.

— Même si une partie de lui résiste encore, nous pouvons tous sentir dans cette salle qu'il bouillonne de l'intérieur. Il doit et veut être confronté à la réalité.

Moi, bouillonner de l'intérieur ? Et tout le monde peut le sentir ? Je me donne plutôt l'impression d'être un moucheron prisonnier d'une toile d'araignée, apeuré et perdu, plutôt que celle d'un homme empressé et impatient.

— Sans vouloir te manquer de respect à mon tour, mon cher Conrad, tu n'as jamais vraiment su faire preuve de tact et de délicatesse, le morigène son vis-à-vis, les yeux levés au ciel. Il serait peut-être temps d'apprendre cet art et d'en témoigner à l'occasion.

Conrad se renfrogne, blessé, et s'avachit sur l'élévation rocheuse, tournant ainsi le dos à son délateur.

— Pardonnez l'impulsivité de notre compagnon, Allan, m'apostrophe ce dernier avec un sourire d'excuse. Il est vrai que nous avons bien des explications à vous fournir, explications que vous êtes en droit d'entendre et de réclamer, mais je ne voudrais pas vous effrayer outre mesure. Les événements du jour doivent être assez traumatisants comme cela, je ne souhaiterais pas mal m'y prendre et risquer d'aggraver votre état.

— Non, je... je comprends. Et je crois... que je veux entendre ce que vous avez à me dire.

— En êtes-vous sûr ?

Ma peur panique mène un véritable combat contre ma soif de réponses, elles s'entrechoquent toutes deux à grands coups d'arguments délétères et ravageurs pour mon organisme. Un instant terrassé par l'angoisse prégnante de voir mon univers entier basculer sur ses fondations, la seconde qui suit, je balaye cette dernière et la soumets à ma volonté de connaître plus, d'aller plus loin et d'évoluer enfin.

Cède. Arrête d'être une mauviette. Cède à ce que l'on veut tous les deux.

Ma tête pivote encore une fois vers Eleuia à la fin de cette pensée, soumis à la force d'attraction qui me domine depuis notre rencontre. Mutique, la guerrière brune me retourne un regard lointain et énigmatique que je ne parviens toujours pas à interpréter. Une nouvelle vague de chaleur monte en moi, lèche mes veines et fait vibrer mon cœur sous mes côtes. Chaque cellule de mon être cherche à se rapprocher encore et toujours d'elle, tandis que ma voix interne poursuit sa litanie de suppliques. Et plus je soutiens mon observation, plus l'empressement que décrivait Conrad tout à l'heure se fait sentir dans mes membres et ma poitrine. Cette femme est la raison principale qui me retient ici, plus que mon désir de savoir, je crois. Tout en moi me hurle de ne jamais plus la laisser, de ne pas tenter de lui tourner le dos, quand bien même elle n'est pas disposée à m'accepter pour le moment.

Repartir en l'abandonnant après moi serait comme m'arracher cœur et tripes, une perspective qui rend fébriles et désespérés les deux parts distincts en moi. Eleuia nous... rassemble, nous force à œuvrer main dans la main, malgré nos différends. Plongé dans ses prunelles d'onyx, je me rends compte de l'importance capitale qu'elle représente pour moi. Pour nous.

Alors je fais ce que nous voulons. Malgré mes doutes, malgré ma profonde confusion. Je cède.

— Oui. J'en suis sûr. Dites-moi tout.


*« Ma fille » En maya dans le texte

*« Mon père »En maya dans le texte



Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro