Chapitre 34
Une bonne heure s'est écoulée depuis mon altercation avec Conrad, durant laquelle je me suis échiné à transporter toujours plus de meubles. Un travail plus physique que mental, qui a tout de même eu le mérite d'apaiser l'échauffement de mon esprit. La brûlure dérangeante qui enfumait mes pensées s'est déplacée à mes muscles. Mon corps ressent les premiers signes de fatigue, de courbature. Lâchant le canapé d'angle que je soulevais jusque-là, je pose mes mains sur mes reins avant de m'arc-bouter vers l'arrière. Mon dos craque, mes vertèbres demandent grâce, hélas, je ne peux pas m'arrêter tout de suite. Sander et Gillian m'ont à l'œil.
Je soupire tout en me détournant de mes geôliers. Depuis que l'homme-montagne a raconté ma « folie passagère » à la sorcière, tous deux veillent au grain et à ce que je fasse mes corvées dans le plus grand calme. J'ai ployé devant leur regard inquisiteur et abandonné toute attitude revêche pour leur faciliter la vie... Au moins le temps que je me consacre à ces frivolités sous leur surveillance. Ensuite, je me ferai un plaisir de retourner dans ma chambre, seul avec mes pensées troubles et mon humeur massacrante.
Mon allure apathique et maussade, qui me tient toujours compagnie en société, est de retour. Elle dessine une moue tombante sur mes lèvres et m'octroie un regard vitreux et lointain, que rien ne saurait y rallumer une flammèche d'intérêt.
La tête baissée sur le chargement brunâtre et en cuir, je m'apprête à le reprendre sur mon dos, lorsque j'entends à l'étage inférieur, dans l'entrée, des bruits de pas et de premiers murmures de discussion. Vaguement intrigué, je me redresse, me tourne vers l'escalier menant au vestibule et tends l'oreille. Des sacs sont déchargés, quelques soupirs de lassitude sont poussés, et une voix, aux accents bruts qui me transpercent de part en part, s'élève et donne quelques recommandations à ses compagnons.
Cette voix...
Cela fait plus de neuf jours que je ne l'ai pas entendue. Neuf jours de souffrance, de languissement, d'attente, de torture... Et il me suffit du lointain écho de son ton clair et maîtrisé pour qu'ils soient balayés d'un simple revers de main. À leur place, il n'y a plus qu'impatience, empressement, joie, et cette brûlure, toujours cette brûlure qui prend racine dans ma poitrine puis s'étend à tout mon être. Notre lien a ressenti sa présence et s'est réactivé en un claquement de doigts. Il grandit et se déploie à vitesse grand V, aussi véloce que le sont mes pieds à l'instant même, alors qu'ils foulent à peine le sol pour la rejoindre.
Arrivé aux abords de l'entrée, je m'arrête pour laisser passer deux des acolytes d'Eleuia – ils sont tellement épuisés que c'est à peine s'ils remarquent ma présence d'ailleurs –, puis je me poste dans l'embrasure du large vestibule, le cœur battant à tout rompre. Elle est là.
Dos à moi, ma liée semble absorbée par ses réflexions. Elle ne prête pas attention au départ de ses derniers compagnons, qui se glissent dans un dédale adjacent. La respiration posée et les bras ramenés sur ses hanches, la belle brune ne bouge pas, perdue dans quelque contemplation interne. Elle sursaute seulement au moment où je viens me nicher contre elle et passer mes propres bras autour de sa taille.
— Allan..., m'accueille-t-elle en inspirant en profondeur. C'est toi.
Le haut de son corps se laisse aller et se presse contre mon buste. Ses paupières s'abaissent lorsqu'elle coule l'arrière de sa tête contre mon cou. Et ses mains remontent sur moi jusqu'à se déposer sur ma nuque, qu'elles caressent presque tendrement tandis que j'embrasse l'épiderme chaud sous ses longs cheveux.
— Je ne t'ai pas entendu arriver.
— J'ai cru comprendre, oui, acquiescé-je, non sans savourer sa douceur sous mes lèvres. Tu vas bien ?
— Oui. La délégation a été épuisante et plus longue que ce que je pensais... Mais nous sommes parvenus à faire changer d'avis Griffin. Lui et les siens devraient se présenter au domaine d'ici quelques heures, me répond-elle, installée plus confortablement contre moi.
— Bien. Tu n'es pas partie pour rien au moins, soufflé-je tout près de son lobe.
Eleuia se retourne dans mes bras, permettant ainsi à mes paumes de descendre sur ses reins et à ma bouche de baiser sa joue, puis sa mâchoire. Ses yeux noirs et brillants me scrutent de sous ses longs cils recourbés.
— Je t'ai manqué tant que ça ? croit-elle me taquiner avec une moue espiègle et joueuse.
— Et plus encore, affirmé-je du tac au tac, le plus sérieusement du monde.
Son air frivole s'évapore de ses traits. Le sérieux la gagne à son tour, et son rythme cardiaque s'emballe délicieusement quand mon visage se rapproche encore du sien. Son menton pointe sans hésitation pour que sa bouche rencontre plus vite la mienne dans un baiser profond, et de plus en plus urgent à mesure qu'il s'éternise.
Ma langue s'insinue entre ses lèvres, l'oblige à ouvrir la bouche. Elle caresse la sienne, l'enlace et la serre avec dévotion, comme le font mes mains le long de sa colonne vertébrale. C'est pressant, rempli d'une fièvre qui monte et monte encore dans nos chairs. J'embrasse Eleuia avec fougue, laquelle pousse un long soupir en réponse. Comme à chaque fois que nous nous retrouvons aussi proches, nous nous abandonnons l'un à l'autre, réclamant toujours plus d'étreinte, toujours plus de passion, toujours plus d'électricité. Ça court, ça circule entre et en nous, ça nous démange la peau, nous rend plus fébriles.
Ses doigts graciles vont et viennent partout sur moi, comme s'ils ne savaient pas où se poser, où me toucher. Puis finalement, ils s'accrochent à mes cheveux et poussent ma nuque en avant. J'émets un râle qui est avalé dans sa bouche et redouble d'ardeur dans mes baisers afin de récolter ses sons de gorge que j'aime tant. Ça ne loupe pas : éperdue de plaisir, l'hybride gémit et s'appuie sur moi, faisant se frôler d'un peu plus près nos poitrines aux mouvements saccadés.
La seconde suivante toutefois, je dérive vers son cou, repars sur sa mâchoire pour y déposer des baisers enflammés et rapides. Mes dents s'ajoutent à la partie et viennent mordiller les veines alléchantes qui battent dans sa gorge délicate. L'excitation est à son comble, le souffle de ma liée se tarit brièvement pour repartir plus hachuré et désordonné l'instant d'après.
Je la veux, je n'ai fait que rêver de ce moment pendant neuf jours... mais avant d'aller plus loin, il reste un point que je tiens à éclaircir. Et vu l'état de la jeune femme entre mes bras, l'absence de contrôle et le profond sentiment de débauche qui l'assaillent, elle ne pourra pas se défiler.
— Je ne suis toutefois pas le seul à qui tu as manqué, chuchoté-je à son oreille avant de la mordre avec douceur.
— Quoi ?
Un simple halètement distrait, qui n'est pas parvenu à percer la brume d'endorphines qui l'enveloppe. Je souris fugacement, me délecte de l'effet que je lui procure, puis repars à l'assaut de sa peau sensible.
— Tu as beaucoup manqué à Conrad aussi. Il semblait aussi perdu et abattu que moi, clarifié-je entre deux baisers langoureux au creux de son cou.
— Pardon ?
Cette fois, j'ai attiré son attention. Sa tête part un peu en arrière et ses prunelles dilatées se plantent dans les miennes. Un air surpris apparaît sur ses traits, son front se plisse alors que la couleur plus foncée de ses joues créé un contraste saisissant entre sa perplexité et son euphorie sensuelle. Je passe mon pouce sur ses rougeurs, fasciné par la chaleur qui s'en dégage, puis reprends avec une désinvolture que je suis loin de ressentir.
— Ton amant avait besoin de s'épancher, il m'a fait part de l'intolérable manque de toi qui le taraudait... au point de s'être précipité à tes pieds et de ne plus réfréner son besoin de toi, deux jours plus tôt.
Eleuia est perplexe et pétrifiée sur ses longues jambes fuselées. Elle se décale d'un pas en arrière et ramène ses mains sur mes avant-bras pour mieux m'observer.
— Conrad... t'a parlé ? s'enquiert-elle avec hésitation, comme si elle ne croyait pas elle-même en sa phrase.
— Sur le moment, il ne se rendait pas compte qu'il avait autant à dire... mais ça a fini par sortir tout seul.
— Tu as lu en lui, déclare la Maya après une courte pause, les yeux écarquillés et la bouche ronde. Tu as vu...
— Oui, j'ai tout vu, confirmé-je avec un geste pour rejeter en arrière ses longues mèches folles.
— Tu t'es mis très en colère quand tu l'as découvert ? chuchote-t-elle en perdant un peu de ses belles couleurs rosées.
— Pourquoi ? Tu as peur ? Tu t'inquiètes pour lui ? demandé-je tout en laissant mes doigts dériver sur son doux profil.
— Je ne veux pas que tu attentes à sa vie.
Ce nuancement dans sa réponse me déplaît. Je retiens une grimace de mécontentement et me penche plus près d'elle, de sa chaleur divine.
— Pourquoi ? répété-je plus fermement et sans ciller.
— Parce que ça ne rimerait à rien. Parce qu'il n'est pas une menace. Et tu le sais, embraye Eleuia avec un regard plein de franchise. Tu m'as vu mettre un terme à notre relation. Tu m'as vu lui dire de repartir et de ne plus rien attendre de moi.
— C'est vrai... J'ai aussi vu ça.
Elle soupire et agrippe mes membres.
— Donc tu ne l'as pas tué...
Son soulagement est audible. Et je le trouve aussi déchirant que son inquiétude. Après une autre seconde à savourer cette bonne nouvelle, ma liée redresse la tête et s'ancre à mes iris indéchiffrables.
— Qu'est-ce que tu lui as fait, au juste ?
Je hausse négligemment les épaules, ce qui la fait tiquer.
— Une simple mise au point. Tu pourras obtenir de plus amples détails auprès de Sander ou de Conrad, si tu le souhaites, l'informé-je pour tuer toute forme de protestation dans l'œuf. Là, j'ai moi aussi des questions à te poser.
— Lesquelles ? réclame la guerrière, les sourcils un peu froncés par l'incompréhension.
Sans crier gare, je la pousse dans le renfoncement de mur à quelques pas derrière nous, puis l'épingle à la paroi fraîche. Je me rapproche d'elle jusqu'à ce qu'aucun espace ne vienne séparer nos deux corps connectés. Malgré notre discussion houleuse, la chaleur circule entre nous. Notre lien a repris tous ses droits et nous attire comme des aimants l'un sur l'autre.
Ma liée frémit et abaisse une fraction de seconde les paupières, avant de reprendre ses moyens et de m'affronter.
— Tu tiens toujours à lui ? soufflé-je à deux centimètres de son visage, sur un ton de voix plus fébrile.
Il n'y a pas qu'à elle que notre proximité fait de l'effet.
— Pas comme tu le penses.
— C'est-à-dire ?
— Je n'entretiens plus de relations charnelles avec lui, mais il reste l'un de mes lieutenants. J'ai confiance en lui.
Je hoche le menton pour lui montrer que j'ai compris et que j'en prends note. Mes phalanges montent sur sa joue et la caressent, appâtées par le soyeux et la pureté de son derme. La tête d'Eleuia s'incline sur mes doigts pour prolonger ce contact simple qui nous procure pourtant des sensations tout sauf sages...
— Tu sais qu'il est amoureux de toi ? poursuis-je sans la quitter des yeux.
— Je n'éprouve pas ce genre de sentiments pour lui, réplique-t-elle aussi lentement que moi.
Nous sommes autant hypnotisés l'un que l'autre par notre proximité retrouvée. Cette séparation a été une torture insupportable pour tous les deux, je le vois dans les prunelles d'onyx de ma liée. Nos respirations s'emballent de plus belle, et une tension familière vibre dans l'air et l'espace étriqué des lieux.
— Pourquoi tu ne veux plus de lui comme amant ? reprends-je mon interrogatoire, sans réussir à contrôler les frémissements empressés de mes lèvres.
— Tu sais pourquoi, élude la jeune femme avant d'essayer d'apposer sa bouche sur ma peau échauffée.
— Non. Dis-le-moi.
— Allan...
Je m'éloigne de quelques centimètres et l'empêche de me rejoindre en la maintenant par les épaules. Eleuia grogne, dépitée, et étouffe un juron.
— Dis-le-moi, exigé-je encore, mes mains désormais en coupe autour de sa mâchoire rigide.
— Je te veux toi. Seulement toi. Tout le temps, tous les jours, finit-elle par lâcher avec précipitation.
Soulagé et satisfait, je dépose mon front contre le sien et respire à pleins poumons sa fragrance.
— Ce que tu peux être têtue, parfois, dis-je en baisant son front puis sa tempe.
— Tu peux parler, me fait-elle remarquer avec un demi-sourire sur les lèvres.
Puis elle miaule lorsque ma bouche atteint sa pommette et s'y attarde plus que de raison.
— C'est fini les questions, maintenant ? s'enquiert la combattante, à deux doigts de mollir et de voir ses jambes céder sous son poids.
— Presque...
— Allan !
Je souris et refoule à grande peine le pic d'excitation que me provoque sa complainte. Sa voix est à la fois torturée et empreinte de désir, comme lorsqu'elle est prête à jouir. Je suis déjà dans tous mes états et la bosse qui s'est formée dans mon pantalon n'a pas non plus échappé à Eleuia. La friction de nos hanches s'intensifie lorsqu'elle ramène son bassin vers l'avant. Ses dents mordent sa lèvre inférieure tandis que je râle tout bas et réponds très légèrement à son mouvement d'invitation. L'air siffle entre ses lèvres lorsqu'elle l'aspire plus fort.
— Allan..., redit ma liée dans un halètement qui me rend dingue. S'il te plaît...
— Est-ce que moi, je t'ai manqué ?
Ma voix a encore baissé d'une octave, elle est plus profonde et fait courir une chair de poule délicieuse sur son décolleté. Sa poitrine monte et descend plus vite dans le corset bien ficelé qui l'entrave. Captivé par cette vision, je ne résiste pas à son appel et me penche dessus afin de promener mon nez puis mes lèvres sur cette parcelle de peau délicate et gonflée. Eleuia geint plus fort au-dessus de moi et plante ses ongles dans les manches de mon pull fin.
— Allan.
— Est-ce que je t'ai manqué, Eleuia ? Je veux savoir.
— Oui ! Oui, tu m'as manqué ! assure-t-elle avec ferveur et urgence alors que j'embrasse sa clavicule.
— Beaucoup ?
— Beaucoup !
— Mais encore ? m'amusé-je à la tourmenter en laissant se perdre mon rictus de salaud sur sa gorge palpitante.
— Je n'ai pas arrêté de penser à toi, admet ma liée, suffocante, et la tête rejetée en arrière pour savourer mes baisers. À ton odeur, à ton goût, à ton corps.
Je m'imprègne de ses mots, de son désespoir passé, et approfondis les marques que je laisse sur elle en mordillant de ci, en suçotant de là. Ses mains un peu tremblantes reviennent d'autorité contre ma nuque et passent dans mes mèches courtes comme pour mieux s'arrimer à moi. Les miennes dévalent ses courbes jusqu'à s'arrêter à l'orée de la boucle de son pantalon. Avec légèreté et rapidité, elles le déboutonnent et l'entrouvrent un peu.
— Tu m'as imaginé plusieurs fois en train de te faire l'amour ? la questionné-je encore, rivant son attention sur ma bouche qui continue de la cajoler, plutôt que sur mes doigts plus bas.
— Oui.
— Tu voulais que je te prenne avec douceur ? avec brutalité ?
— Oui. Les deux.
— Et toi, comment voulais-tu me prendre ?
— De la même façon, pantèle Eleuia sans plus aucun filtre pour la contenir.
— Tu t'es touchée en pensant à moi ? vérifié-je après avoir dégluti.
— Oui...
— Combien de fois ?
— Deux ou trois.
— Et tu le faisais... comme ça ? la relancé-je, mon index et mon majeur en crochet dans sa féminité.
La jeune femme glapit et retient son souffle. Ses parois humides se referment sur mes doigts et accueillent mes mouvements de haut en bas. Son bassin décolle du mur où je la tenais prisonnière, et oscille de lui-même contre moi. J'abaisse un peu plus son sous-vêtement sur ses cuisses pour avoir un meilleur accès à sa moiteur et accentue mes va-et-vient en elle.
— Oui, encore...
Mon pouce roule sur son clitoris gonflé, le stimule plus fort que mes autres doigts plus loin, ce qui entraîne de nouveaux gémissements d'extase chez ma liée. Ses hanches accélèrent, cherchent plus de friction. Je dépose de légers baisers mouillés dans son cou, puis n'y tenant plus, je remonte vers ses lèvres et plonge enfin ma langue dans sa bouche.
Nous gémissons ensemble, affamés et affolés par la puissance de notre désir. Je ne réfléchis plus, je ne pense plus qu'à l'intense délectation que je ressens à la sentir contre moi, à la posséder de mes doigts et à accompagner ses allers-retours avec mes hanches. Je la prends avec ma main, je la rends folle grâce à mes baisers, je capture tous ses sons déroutants dans ma bouche... mais de nous deux, c'est toujours moi le plus éprouvé et bouleversé par nos jeux de rapprochement.
J'ai affreusement envie d'elle et elle en a conscience, car une seconde plus tard, ses lèvres se décrochent des miennes.
— On ne peut pas faire ça ici... On pourrait nous surprendre, chuchote-t-elle de sa voix rauque et suave.
— Tu avais moins de scrupules la première fois. Tu étais prête à le faire dans le salon à côté, lui répliqué-je avec un sourire sardonique qui la fait rougir.
— Je sais, mais...
— Tu tiens vraiment à ce que je m'arrête maintenant ? la coupé-je en la pénétrant encore et encore, jusqu'à l'entendre retenir son souffle.
Ce n'est pas très fair-play, je le sais bien, mais j'ai trop envie de m'enfoncer définitivement en elle. Je suis autant au supplice qu'elle, mon sexe est douloureux et parcouru des mêmes pulsations que son clitoris. Je n'en peux plus.
Alors je repars à l'assaut de ses lèvres, de son cou ; je mets plus d'ardeur dans chacun de mes baisers, dans chacun de mes touchers intimes. Son corps me répond, m'enjoint à continuer même si une partie de son esprit tente de rester à la surface et de m'échapper. C'est d'ailleurs celle-ci qui lui ordonne de se décrocher de ma bouche pour parler.
— Tu as... vraiment changé, affirme-t-elle dans un souffle erratique. Parfois, je te reconnais à peine.
— Est-ce une si mauvaise chose ?
— Je ne sais pas.
Interpellé par son ton plus distant et incertain, je quitte le sommet de sa poitrine pour river mon regard au sien. Je lis dans ses prunelles la confusion qu'elle ressent, cette même forme d'ébahissement qui l'avait saisie lors de notre confrontation nocturne, après la bataille de L'Emprise. Elle ne sait plus bien quoi penser du retrait de ma réserve passée et de l'affirmation constante de mon assurance d'hybride. Ma liée a du mal à savoir comment réagir – et elle est loin d'être la seule dans mon entourage à se poser cette interrogation –, et l'audace dont je fais preuve encore aujourd'hui ne l'aide pas vraiment.
Moi, de mon côté, ma religion est toute faite : tous ces changements en moi sont les bienvenus. Ils me montrent qui je suis au plus profond de moi et me guident pour me fortifier. Avant d'arriver au manoir, j'étais quelqu'un d'effacé, toujours dans la retenue et l'hésitation. Ces derniers mois de ma vie m'ont révélé, m'ont fait découvrir que je n'étais pas si discret et renfermé. Qu'il y avait une autre facette qui attendait son heure pour faire son apparition.
Désormais, je sais être fort, stratège, combatif, vif, hardi, fougueux. J'ai une utilité, un but précis, une appartenance vraie qui trouve un équilibre entre le monde des hommes et le monde des surnaturels. Je le constate, le vois et le ressens dans toutes les fibres de mon être.
Je n'ai pas peur. Je n'ai plus peur... Je m'accepte.
Avec un sourire, je replonge sur les lèvres entrouvertes d'Eleuia et l'embrasse. Ma bouche se presse contre la sienne avec douceur et volupté, comme lors de notre premier baiser. Les mains de ma guerrière se resserrent sur moi, et un soupir vibrant lui échappe. Quand je me détache d'elle quelques minutes plus tard, l'expression de ses iris s'est modifiée : elle semble plus émerveillée et comblée, bien que la surprise ne l'ait pas encore désertée.
— Je suis juste plus moi, Eleuia, reprends-je avec une caresse affectueuse sur sa joue. Et lorsque je suis avec toi, c'est encore plus puissant... Tu me donnes envie d'être totalement moi-même.
Elle déglutit tout en replaçant ses doigts dans mes cheveux courts.
— Ça te déplaît ?
Cette fois, sa réponse n'est pas longue à venir et est beaucoup plus assurée.
— Non. Ça me surprend, c'est tout.
— Je suis un homme plein de surprises, lui affirmé-je avec un grand sourire joueur. Tu ne risques pas de t'ennuyer avec moi.
Ses lèvres esquissent un même rictus, puis se portent sur la commissure de mes lèvres.
— J'avais cru comprendre, en te rencontrant, qu'effectivement l'ennui et l'oisiveté étaient proscrits...
Je ris, mon buste collé au sien, ce qui lui déclenche un frisson ténu. Je la plaque plus encore contre la paroi rocheuse et me coule davantage contre ses formes tentatrices, ma bouche ramenée sur la sienne.
— Tu n'as pas répondu à ma dernière question, Eleuia, lui rappelé-je en savourant les nouveaux sons gutturaux qu'elle émet inconsciemment. Désires-tu que je m'arrête maintenant ?
La respiration haletante, elle me regarde droit dans les yeux et fait un signe négatif de la tête. Enfin muni de son assentiment, je ne m'arrête donc plus. Mes bras encerclent sa taille et la hisse plus haut contre le mur afin que ses jambes s'enroulent dans mon dos. Je tire sur ses vêtements du bas, puis défais mon propre pantalon que je laisse choir sur mes chevilles, accompagné par mon caleçon. Mon sexe tendu effleure son ventre dénudé, tandis que je mords sa lèvre inférieure tremblotante.
— Tu me rends fou, lui soufflé-je d'une voix rendue rauque par mon désir trop longtemps contenu.
Eleuia soupire, en écho avec ma plainte, et m'attire à elle pour mieux me sentir sur toute ma longueur. Ses yeux se révulsent dans leurs orbites lorsque ma verge taquine son entrée, capte son humidité. Puis c'est un râle bas qui franchit la barrière de sa gorge à l'instant où je la pénètre pour de bon. Mes va-et-vient commencent, adoptent dès le début un rythme soutenu qui fait se cambrer ma liée. Elle m'accueille et ondule son bassin au diapason du mien. Eleuia est aussi impatiente que moi, aussi sauvage et désespérément prête pour moi.
Tous ses muscles sont durs et contractés, liés aux miens. Sa peau est brûlante, consumée par le même feu ravageur qui croît dans nos poitrines. Nous gémissons de plaisir et intensifions nos mouvements, nos lèvres scellées dans un baiser sulfureux. Mais ça n'est pas assez, ça ne sera jamais assez pour moi. J'en veux plus. Alors je remonte mes mains sur son corps pour trouver les siennes plantées dans mes épaules, et dresse nos doigts entremêlés au-dessus de nos têtes. Je les plaque fermement au mur. L'équilibre de mes jambes et la position des siennes autour de moi sont les seules choses qui nous font tenir désormais.
Le regard brillant et étonné d'Eleuia se plante dans le mien, plein d'interrogations muettes.
— Laisse-toi faire, chuchoté-je sans stopper mes coups de reins en elle ni mes baisers enflammés.
Ses orbes ne me quittent pas, ne flanchent pas même lorsque je vais plus loin en elle. Elle nous observe nous mouvoir dans cette nouvelle position, les pupilles dilatées et le souffle de plus en plus court à mesure que l'extase se rapproche. Je halète tout contre ses lèvres, hypnotisé par notre fougue commune, et sans réfléchir, je retire une de mes mains de leur enchevêtrement pour la guider sur la naissance des fesses de ma liée. Paume bien à plat dessus, j'accentue la cambrure de son corps et change l'angle de mes poussées en elle.
Les effets ne se font pas attendre. Paupières à nouveau closes, la belle brune rejette la tête en arrière en miaulant. Sa respiration se coupe, puis reprend plus sifflante que jamais dès qu'elle encaisse un nouvel assaut de ma part. Je gagne en vigueur, transporté par la plus large ouverture que m'offre cette position, et l'emplis plus brutalement encore. Son corps tremble contre le mien, s'agrippe et se maintient à la seule force de ses cuisses chauffées par nos efforts.
J'avance d'un seul coup mes hanches et nous retenons un même cri en chœur. Nous nous étranglons dans notre propre plaisir. C'est trop et pas assez à la fois. Nous ne pourrions être plus proches qu'en cet instant, et pourtant... pourtant, mon être tout entier recherche un moyen pour se fondre parfaitement dans le sien, pour ne faire plus qu'un avec elle.
Le manque, la distance, la peur, la colère, la jalousie, l'amour, le désir... tout se mêle soudain dans mon esprit et dans mon cœur alors que mes yeux tombent sur ceux brillants de ma liée. L'énergie et la vigueur de notre étreinte n'ont jamais été aussi puissantes et intenses ; elles m'ébranlent, me rendent plus brutal encore, comme pour être sûr de marquer à jamais la femme magnifique qui succombe devant moi.
Je la fais mienne, la laisse me faire sien en conjurant mon nom, encore et encore. Je la pilonne, insatiable, et récolte ses halètements hachés contre mes lèvres. Eleuia se contracte, ses cuisses se raidissent autour de ma taille, et les battements de son cœur deviennent effrénés. Elle y est.
— Tu n'es comme ça qu'avec moi. Tu ne veux que moi, martelé-je à voix haute sans faiblir dans mes mouvements.
La guerrière chuchote un « oui » à peine audible tout en assimilant la déferlante de sensations qui la saisit. Mes dents attrapent sa lèvre inférieure et tirent dessus avec sensualité, avant de lécher les petites morsures que j'y ai formées.
— Je suis le seul à te faire vibrer. À te faire ressentir ce que tu ressens.
— Oui !
— Tu as oublié tous les autres. Ils ne comptent plus.
— Oui !
Mes coups de boutoir lui arrachent ces cris autant que mes paroles directes. Tout tremble en nous et autour de nous. De la poussière chute depuis la paroi qui nous soutient ; j'ai l'impression que si nous ne jouissons pas très vite, le mur pourrait s'effondrer. Je gémis aussi fort qu'elle, incapable de me retenir... ne désirant pas me retenir.
— Tu es à moi, soufflé-je encore, éperdu. Et je suis à toi.
— Oui !
Je prends une profonde inspiration et pousse un même cri sourd lorsque l'orgasme nous fauche. La jouissance parcourt ma colonne vertébrale, excite toutes mes terminaisons nerveuses, et des spasmes violents s'étendent d'elle à moi et de moi à elle. Je suis défait et comblé. Mes muscles se détendent d'un coup, me font m'écraser contre la poitrine frémissante d'Eleuia.
Je contemple son visage rougi et rayonnant, ses prunelles fauves et un peu voilées. Elle est magnifique. Son odeur unique, mélangée aux effluves du sexe, m'enveloppe et se répand sur ma langue. Dans un état second, je relâche ses mains et plonge les miennes dans ses cheveux longs afin de lui redresser la tête.
— Ne repars plus jamais sans moi, la sermonné-je en ponctuant ma phrase de baisers sur sa mâchoire.
— Oui... C'est promis, m'assure-t-elle d'une voix éthérée, ses doigts graciles en train de caresser mes omoplates.
Soulagé, je ferme les yeux et l'embrasse tendrement sur les lèvres. Je me retire sans qu'elle ne lâche ma bouche chaude et enflée. Je souris tout contre ma liée, envahi par un sentiment de bien-être qui m'était devenu étranger ces neuf derniers jours, et lui rends son baiser. Puis, nous nous aidons à nous rhabiller avant de sortir de notre cachette pas si discrète que ça.
Le regard d'Eleuia balaye les lieux et semble rassuré de ne voir personne traîner dans les parages. Je ne réagis pas, secrètement déçu de mon côté. Mon instinct primal et possessif aurait aimé savoir que nous avions été surpris et entendus par d'autres... mais surtout par Conrad. Si, par le plus pur des hasards, il s'était trouvé dans cette galerie, il n'aurait pas pu échapper à nos gémissements et cris de plaisir. Ça aurait été là la preuve ultime et parfaite pour lui de comprendre que toutes ses chances de séduire à nouveau Eleuia étaient réduites à néant. Très cruellement, j'aurais aimé qu'il la voit s'abandonner à moi, qu'il capte la lueur de sauvagerie et de désir mêlés qui illumine son regard au moment où elle crie mon nom. De cette manière, le soldat n'aurait plus jamais convoité ce qui m'appartient.
Je chasse toutefois bien vite ces pensées peu charitables et me tourne vers ma liée en lui caressant le bras de haut en bas afin d'attirer son attention.
— Tu es fatiguée ?
— Un peu, oui, me dit-elle avec un demi-sourire.
— Ton séjour a été éreintant. Et mon accueil n'a pas été de tout repos non plus.
J'ai du mal à réfréner le rictus salace qui monte sur mes lèvres à cette dernière remarque. La Maya fronce les sourcils et m'envoie une tape rude sur le bras. Je laisse libre cours à ma joie en réponse et agrippe à nouveau sa taille fine. Je plante ensuite un autre baiser tendre sur sa joue rosée.
— Tu n'es qu'un idiot, Allan Ford, déclare-t-elle, les yeux levés au ciel. Je vais monter maintenant.
— Bien, fais-je en laissant mes lèvres s'attarder sur sa peau soyeuse. Si tu as besoin d'aide pour te border, n'hésite pas.
— Ça suffit, me gronde la jeune femme, avec un sourire toutefois. Tu es irrécupérable !
Je ris et la serre plus fort contre moi avant de la relâcher et de la regarder s'engager dans les escaliers menant à ses appartements. Elle n'a pas monté trois marches qu'elle s'arrête déjà et fait volte-face.
— Allan ? Je...
Elle s'interrompt et semble chercher ses mots quelques secondes, l'air troublée et peu sûre d'elle. Interloqué, je gravis les quelques marches qui nous séparent et me plante devant elle. Je porte une main à son visage pour en écarter quelques mèches rebelles et plonge mon regard dans le sien.
— Qu'y a-t-il, Eleuia ?
— Il m'est venu une idée, durant mon séjour..., débute-t-elle avec une pointe d'hésitation dans la voix. Et j'aurais aimé te la soumettre et voir ce que tu en penses.
— Quel genre d'idée ?
Son cœur dans sa poitrine s'emballe un peu plus alors que ses dents mordillent sa lèvre inférieure. Devant son trouble évident, j'effleure du revers de la main sa pommette chaude.
— Eh bien... accepterais-tu de... dîner avec moi ?
Il me faut quelques secondes pour réaliser le sens de sa question. Mais ensuite, mon sang s'embrase dans mes veines et un son de bonheur pur s'étrangle dans ma gorge. Elle nous fait avancer. Eleuia oublie ses réserves, sa volonté de ne pas s'ouvrir à moi, et nous fait avancer dans la direction tant convoitée : celle qui mène droit à son cœur.
Plus légère qu'un effleurement, ma bouche prend la place de mes doigts sur son visage rougi, tandis que mon regard brûlant s'arrime au sien.
— Un dîner en tête à tête ? C'est ça l'idée qui t'a traversé l'esprit ?
— Oui...
Ses paupières s'abaissent brièvement, et son souffle se bloque dans ses poumons. Un court silence tombe entre nous, durant lequel nos corps se cherchent, se frôlent dans cette tension lourde. Ses mains délicates, mais fermes rejoignent mes hanches puis mes avant-bras pour se soutenir.
— J'aimerais passer du temps avec toi et en profiter pour... parler. Mieux nous connaître, explicite-t-elle, ses yeux d'obsidienne plongés dans les miens.
Je suis fébrile. Nerveux et transporté tout à la fois. L'allégresse m'envahit, ainsi que l'amour considérable que j'éprouve pour cette créature de rêve. Mes bras la serrent contre moi, et mon cœur menace d'exploser alors que je me penche sur ses lèvres pour lui chuchoter :
— Ce serait un honneur, Eleuia... J'accepte avec joie.
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