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Chapitre 28


Au moment de poser nos pieds sur le sol pierreux du hall d'entrée, un même soupir de soulagement et de fatigue mêlés nous échappe. Nous voilà de retour au domaine. Tout est calme et silencieux autour de nous, l'heure très tardive expliquant l'absence des autres habitants dans les parages. Très éreintés, Darcy, Brett et Zola s'affalent immédiatement sur les premières marches du grand escalier. Leurs yeux se ferment d'eux-mêmes et leur souffle devient plus léger, ils sont aux portes du sommeil.

D'un commun accord, Eleuia et Sander décrètent qu'ils doivent être accompagnés dans leur chambre au plus vite. Un passage à l'infirmerie ne serait pas du luxe aussi, afin de juger de leur état général.

Alors que Brett, le moins fatigué des trois, et Joris prêtent main forte aux filles pour se déplacer, le reste du groupe atterrit dans l'un des salons attenants et s'écroule sur les fauteuils.

Le silence entre nous, qui a été notre compagnon phare durant tout le trajet, est toujours écrasant. Personne n'est d'humeur à le rompre, les épreuves de cette nuit et les états d'âme de chacun nous rendent plus taciturnes que jamais. Peter va jusqu'à remplir des verres de bourbon qu'il tend à mon mentor pour les faire circuler entre nous. Le tableau de la morosité est complet cette fois.

Je décline l'offre, peu désireux de m'enivrer. Les autres portent à leurs lèvres le breuvage, le savourent quelques longues secondes, puis comme un déclic, des conversations à voix basse s'élèvent entre eux. Les personnes présentes sont des habitués des excursions et missions de ce genre : sans doute est-ce là un rituel qu'ils pérennisent à leur retour et qui leur permet de se décoincer et de libérer la parole.

Adossé à l'un des pans de la cheminée, je ne prends pas part aux discussions, j'y prête à peine attention. Je suis happé par mes propres pensées, par les images de cette nuit... Je devrais peut-être être effrayé comme mes amis par ce qu'il s'est passé, ou par toutes les choses affreuses que j'ai accomplies, mais ce n'est pas le cas. J'ai fait ce que j'avais à faire pour survivre et veiller à la survie de mes camarades. Agir autrement n'était pas envisageable. M'enfuir, comme me l'a ordonné Eleuia, n'était pas une option.

Je suis un hybride. Je suis devenu un soldat. Je suis capable de me défendre et de les défendre. Et tant pis si je laisse de côté une part de mon humanité dans ces moments-là. Si je dois me montrer cruel et sans pitié pour nous sauver... alors je le referai sans hésitation.

La terreur qui m'habitait à l'idée de devenir un monstre sanguinaire a transmuté, elle s'est changée en quelque chose avec lequel je suis plus en phase. Cette monstruosité est en moi, quoi que je dise, quoi que je fasse ; c'est l'une des premières choses que l'on m'a apprises ici. Et dans ce bordel, j'ai su la mettre au service d'une cause qui me tenait à cœur, à mon seul et unique service. Je l'ai employée comme on emploie une arme ou un bouclier pour se battre. Elle m'a envahi mais pas dépassé, elle n'a pas pris le contrôle de mon corps. C'est moi qui avais le contrôle sur elle.

Je ne suis plus le jeune apprenti qui ne savait pas se maîtriser ou gérer ses pouvoirs ou sa force, comme ça avait été le cas avec Onyr. De jour en jour, je m'approche d'un équilibre dans ma nature. De jour en jour, je suis plus en accord avec celui que je suis – en témoigne d'ailleurs l'absence de plus en plus fréquente de ma voix interne : elle n'a plus besoin de se manifester pour que je m'écoute pleinement, elle ne réclame plus à cor et à cri ce que je suis disposé à me donner. Mes actes de cette nuit sont une étape supplémentaire vers cette symbiose parfaite. La part bestiale en moi s'en est délectée, et celle plus rationnelle a su achever mes ennemis et protéger mes amis.

C'est l'équilibre qui s'impose dans le monde dans lequel je vis. Et l'accepter est une délivrance.

Des pas légers sur le tapis me détournent de mes réflexions internes. Mon regard pensif croise celui vert émeraude de Gillian. La jeune femme blonde a l'air préoccupée alors qu'elle se poste devant moi.

— Tu n'as pas dit un mot depuis que l'on est rentré, Allan. Tu vas bien ?

Elle penche un peu la tête de côté pour m'analyser sous un autre angle et déterminer mon état d'esprit.

— Ça va bien, Gillian. Ne t'en fais pas, lui réponds-je sur un ton pondéré qui j'espère la contentera.

Ses sourcils se froncent sous son front délicat.

— Tu n'es pas... éprouvé par cette soirée ?

— Pas vraiment, dis-je laconiquement.

Je suis fatigué, mais pas autant qu'eux, c'est assez singulier. Disons que mon esprit l'est mais mon corps, lui, me paraît bien éveillé. Rasséréné. Je pourrais aisément courir un marathon.

Une pause s'instaure durant laquelle la sorcière semble surprise. Elle finit par embrayer en s'inclinant vers moi :

— Tu devrais peut-être te nourrir un peu. Tout ce sang et cette chair ont dû être difficiles à gérer...

À cette évocation, les flots d'hémoglobine qui se déversaient hors des corps passent devant mes yeux. Cela m'avait tenté, beaucoup tenté même, mais là aussi j'ai su faire preuve de retenue. C'est ce qui me pousse à mentir à mon amie en lui assurant que je n'ai pas faim. Évidemment, ma réponse l'étonne.

— Tu en es vraiment sûr, Allan ?

J'acquiesce et ignore le crépitement du manque brûler dans mes veines. Je meurs de faim, de soif surtout, j'ai l'impression que mon être entier s'assèche de seconde en seconde... toutefois je n'arrive pas à me résoudre à me sustenter à l'aide d'une poche de sang ou d'un morceau de chair fraîche. En réalité, même si j'en ressens aussitôt les bienfaits, je déteste en passer par là. Ça ne me plaît pas et ne me convient pas totalement. Boire du sang me revigore sans me rassasier...

Par chance, mon improbable nature d'hybride fait qu'il est rare que je me nourrisse de cette manière peu ragoûtante. J'aurais pourtant pensé que ce serait le contraire, mais très vite je me suis rendu compte que si l'appel du sang ou de la chair me rend aussi fébrile que mes semblables, combler son besoin n'a pas à être régulier.

Bien souvent, la communion et les échanges de flux avec les éléments de la Nature m'aident à tenir le coup et à ne pas me montrer trop... gourmand.

— Ne t'en fais pas pour moi, Gill. Je ne me laisserai pas mourir de faim non plus, lui assuré-je avec plus de conviction encore.

— Bien, si tu le dis...

Elle n'est pas convaincue, mais elle n'a pas le temps de protester davantage. L'apparition de Sander l'en empêche.

— On n'a pas eu le temps de se parler après... les attaques, débute l'homme-montagne en se plaçant près de Gillian, comme pour faire front commun. Pourtant j'ai deux choses très importantes à te dire, Allan.

— Je t'écoute, dis-je en expirant le plus calmement possible.

Je pressens déjà que ce qui va suivre ne va pas me plaire tout du long...

— Tout d'abord, je tiens à te remercier pour ce que tu as fait. Tu as défendu Gill, tu n'as pas laissé ces crétins s'en prendre à elle..., déclare mon ami sur un ton reconnaissant et respectueux qui me touche. Tu nous as défendus, nous aussi. Tu as aidé les tiens, tu t'es comporté comme un véritable frère.

Sa large main s'abat sur mon épaule et nous rapproche l'un de l'autre. Son front cogne contre le mien et ses prunelles glacées, ancrées dans les miennes, brillent d'une lueur de fierté.

— Alors merci, mon frère. Merci d'avoir sauvé les membres de notre famille. Tu es un homme courageux et droit.

Je m'arrime à ce que dégage son regard, ému au point de sentir une boule se former dans ma gorge. J'attrape moi aussi son épaule et m'accroche un long moment à lui, à ce qu'il m'offre en cet instant qui me revigore de l'intérieur.

Sander est mon mentor, mon meilleur ami... mon frère. Celui que j'ai pris pour modèle à mon arrivée, celui à qui je voudrais ressembler. Il est le premier à m'avoir accueilli et offert son affection ici.

Je respire fort, soutenu par le meilleur homme qui soit... puis je lâche un glapissement de surprise et de douleur au moment où ses doigts bourrus frappent l'arrière de mon crâne.

— Mais tu es aussi un sacré imbécile. Tu peux m'expliquer ce qui t'est passé par la tête, bon sang !

Notre moment de fraternité s'achève trop tôt à mon goût. Soudain, le berserker s'éloigne et croise les bras sur son torse en me vrillant d'un regard enragé.

— Tu es fou ou inconscient, ou peut-être même les deux ! Te lancer comme ça dans la fosse aux lions !

Les reproches, que je devinais arriver, sont salés. Sander me les balance au visage de sa voix la plus courroucée. Son aura est chargée en électricité ; sa foudre va bientôt la déchirer en deux, si je ne parviens pas à l'apaiser.

— Sander..., tenté-je tout en frottant l'endroit où sa baffe a échoué.

— Non, n'essaie même pas de m'interrompre, Allan ! Tu as agi comme le dernier des idiots.

— Sander...

— Tu aurais pu y rester ! Tu n'as pas l'habitude des combats, des vrais combats à mort où les deux partis ne sont pas sûrs de se relever ! continue-t-il d'éructer sans m'écouter.

— Sander...

— Est-ce que tu as pensé une seconde aux risques que tu prenais ? Ou bien tu as juste foncé bêtement dans le tas ?

— Bien sûr que j'ai pensé aux risques ! Je n'ai fait que penser à ça d'ailleurs, parviens-je à crier à mon tour, ce qui l'arrête dans ses invectives. J'ai fait tout ce que tu m'as appris, Sander. J'ai évalué les forces de nos ennemis, leurs faiblesses, leur nombre, leur position, leur façon de combattre... Je n'ai pas agi sur un coup de tête.

Je m'interromps une seconde, la main agrippée à mes cheveux pour ne pas me laisser dépasser par le venin de la colère qui se répand en moi.

— Tu t'affirmes et deviens plus sûr de toi de jour en jour, s'interpose Gillian avec un regard dur. Mais j'ai peur que tu sois allé trop vite ou trop loin, cette fois.

— C'est faux.

— Non, Gill a raison, Allan ! Je pense vraiment que tu as été trop loin, assène encore le géant.

— Non. Si j'ai agi comme je l'ai fait, c'est parce que j'ai intégré l'autre facette de la pièce, maintenant !

Je riposte sans dévier mon regard franc de mon mentor. Celui-ci fronce les sourcils, sans tout de suite comprendre ce à quoi je fais allusion, puis une lueur passe dans ses iris glacés. Il se souvient, il se rappelle de ses propres mots, ceux qu'il a choisis pour me décrire, lors de ce premier matin au manoir.

« Tu es les deux versants d'une pièce de monnaie à la fois. Indissociables, mais jamais réellement en phase l'une avec l'autre... »

Aujourd'hui, les deux versants n'existent plus. Ils ne forment plus qu'un, car je sais enfin qui je suis et ce que je dois faire. Ce que j'ai déjà commencé à faire.

— Même si je n'ai pas beaucoup d'expérience en la matière, je me devais de lutter à vos côtés, reprends-je en voyant que mon guide n'a plus les mots pour me contredire, cette fois. Et j'ai bien fait car, grâce à moi, une dizaine de nos adversaires sont morts. Quand j'ai été le seul à capter leur ascension sur la façade du bâtiment, je m'en suis débarrassé et ai empêché qu'ils soient en surnombre pour vous attaquer.

Le silence accueille ma déclaration, alors j'en profite pour continuer :

— Je suis un hybride qui a été entraîné par vos soins. Je ne vais pas m'excuser d'avoir appliqué vos leçons à la lettre et de vous avoir aidés. Si c'était à refaire, je le referais de la même façon et sans hésiter.

Je conclus avec assurance et imite la posture de Sander, les bras croisés devant moi. J'attends de voir ce qu'ils comptent répondre à mon plaidoyer.

Au début, rien ne vient. Ils ne s'attendaient pas à ce que j'avance tous ces arguments et semblent tous assez abasourdis. Puis, je vois mes meilleurs amis papillonner plusieurs fois des yeux et, une fois qu'ils ont rassemblé leurs idées, leur bouche s'ouvre pour protester à nouveau...

Mais aucun des deux ne s'exclame. Ils sont coupés par la voix dure et autoritaire d'Eleuia.

— Sortez.

Toutes les têtes se tournent vers elle et la découvrent dans une pose rigide, les épaules raidies par une fureur innommable. Les traits fermés, elle lance un regard qui fait froid dans le dos à notre assemblée.

— Sortez. Tous. J'ai à parler seule à seul avec Allan.

Ses mots ont la consistance de la glace tant ils sortent de manière abrupte et hostile. Ses prunelles noires font un nouveau tour d'horizon pour marquer le sérieux et l'irréfutabilité de son ordre, ce qui porte immédiatement ses fruits avec Peter et Owen. Les deux hommes posent leur verre et quittent les lieux sans un mot et d'un pas rapide.

Évidemment, Sander et Gillian hésitent à mes côtés, ils s'interrogent sur le bien-fondé de cette requête... Toutefois, la Maya ne leur laisse pas le choix : en plus d'être leur amie de longue date, elle est le bras droit de leur chef. Elle les commande aussi, ses consignes doivent être respectées.

— Partez, leur répète-t-elle avec un signe vers la sortie. Et veillez à fermer derrière vous.

Ils échangent tous les trois un long regard, mes deux guides la suppliant silencieusement de garder son calme, puis le géant attrape la main de la sorcière et marche avec elle jusqu'à la porte. Arrivés à l'extérieur de la salle, ils me sondent, m'envoient leurs encouragements muets, puis font ce que leur a demandé la vampire : ils referment la porte derrière eux et nous laissent tous les deux à la merci de l'autre.

Statufiés, nous nous observons en chiens de faïence sans plus bouger, enveloppés par la froideur qui s'est abattue sur nous. La température a chuté de plusieurs degrés dès l'instant où nos camarades sont partis. Tout est gelé, à commencer par notre façon de nous dévisager.

L'explosion de colère tarde à se déclencher cependant. Nous sommes en suspens l'un comme l'autre, même si au fond de moi et malgré l'aigreur qui me traverse, je préférerais me trouver loin d'elle en ce moment. Ironique, n'est-ce pas ? Quand on sait à quel point auparavant j'ai souvent rêvé et désiré une discussion franche avec Eleuia, un de ces échanges où l'on aurait pu tout se dire et réussir à aplanir les choses entre nous...

De plus en plus agacé par son silence pesant, je me branche sur ses pensées, cherche à en comprendre la tournure, – après tout, c'est elle qui souhaite cette discussion –, mais la jeune femme a dressé des barrières mentales solides. Je ne perçois que des bribes confuses et indistinctes qui ne m'apprennent rien.

Je souffle par le nez, ne comprenant pas ce mutisme prolongé. Si j'osais, je porterais mon poignet sans montre jusqu'à mon nez et ferais semblant de regarder le temps défiler. Sérieusement, qu'est-ce qu'elle attend ?

Et comme si ça ne suffisait pas, je sens la chaleur caractéristique de notre lien impossible monter du tréfonds de mes entrailles ; ce lien a une volonté bien à part de la mienne et ne peut résister à notre proximité. Il est toutefois hors de question que je le laisse faire ! Je ne suis pas d'humeur pour ça.

Je suis à cran désormais, et c'est au moment où je me sens atteindre ma limite qu'Eleuia se décide enfin à parler.

— Alors comme ça tu ne regrettes rien ? Tu estimes avoir fait ce que tu devais faire ? me balance-t-elle avec autant d'amertume que de cynisme dans la voix.

Ma mâchoire se contracte devant cette attaque éhontée.

— C'est exactement ça, craché-je sans vergogne. Je n'ai rien fait de mal. Plus encore, je vous ai sauvé la mise.

Ses iris brillants se plissent un peu plus sous l'effet de la colère.

— Tu n'es qu'un idiot... Un véritable imbécile.

— Et pourquoi donc ? Quel est le problème exactement, Eleuia ? m'énervé-je en la vrillant d'un coup d'œil aussi sombre que le sien. Qu'est-ce qui t'est le plus insupportable ? Le fait que tu t'es imaginée que mon inexpérience allait engendrer un fiasco total et qu'il n'en a rien été au final, que tu t'es donc trompée ? Ou bien est-ce le fait que ce n'est pas toi, la grande guerrière, qui nous as sortis de ce traquenard, mais moi, le pauvre petit hybride fraîchement débarqué qui ne connaît rien à rien ?

Elle reste stupéfaite, la bouche ouverte sur une syllabe de protestation muette. Elle ne s'attendait pas à une rebuffade de ma part, moi qui ai toujours été si réservé et si prudent avec elle.

Notre manière de marcher sur des œufs l'un avec l'autre est morte ce soir ; nous nous éveillons, nous nous révélons dans notre honnêteté la plus crue et acerbe. Oubliée la timidité. Balayée la distance calculée. Cette nuit, nous nous affrontons enfin.

Je jubile de la trouver si incapable de me répondre. Cela me procure la même joie perverse que celle de cette nuit, lorsque j'ai défié ouvertement son autorité. J'enchaîne donc avec vigueur :

— Non, je sais ce qui te dérange le plus. Je viens de m'en souvenir à l'instant. Tu m'en veux de ne pas avoir exécuté tes ordres à la lettre. Tu ne supportes pas « l'affront » que je t'ai porté en refusant de m'enfuir comme tu l'avais exigé. C'est ça, Eleuia ? C'est ça qui te gêne tant ?

— Sander a raison : tu es aussi fou qu'inconscient ! Tu es aussi plus stupide que ce que je pensais ! crie-t-elle à son tour. Bon sang, mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?

Je ne comprends pas le sens de son dernier rugissement, mais elle ne me laisse pas la possibilité d'y réfléchir plus avant ou même d'y répliquer. Le ton continue à monter entre nous, l'un reprochant à l'autre sa bêtise et son entêtement. Nos hurlements de rage sont couverts par intermittence par le fracas du tonnerre au-dessus de nos têtes, alors nous nous égosillons plus fort, ayant cure de réveiller toute la bâtisse.

— Tu es un impulsif doublé d'un imprudent ! Ce n'était qu'un coup de chance cette nuit, s'il y avait eu ne serait-ce que deux opposants de plus, tu te serais fait dépecer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! gronde la vampire en même temps que l'orage dehors.

— Mais ça ne s'est pas produit ! Et ça ne serait pas arrivé parce que j'avais le contrôle sur la situation !

— Le contrôle ? Parce qu'étriper ses victimes ou leur envoyer des éclairs dans la gueule, c'est avoir le contrôle sur la situation ?

— Tu es vraiment en train de me reprocher de les avoir tués, là ? Toi qui as sans doute dû faire preuve d'autant de cruauté pour arracher leur cœur ou les planter avec ton arme ?

J'émets un rire narquois sans quitter son visage furibond des yeux. Non, mais on croit rêver !

— Tu n'es qu'une hypocrite, Eleuia ! Arrête tout de suite ce petit numéro avant de t'enfoncer davantage, la préviens-je en avançant vers elle.

La guerrière ne se laisse pas démonter et bientôt, ses pas rageurs se joignent aux miens et la font se camper bien droite sous mon nez.

— Moi, je fais un numéro ? Mais c'est l'hôpital qui se fout de la charité, là ! vocifère-t-elle, un bras en l'air. Et toi alors, ce matin, dans les champs du domaine, tu ne nous en faisais pas un peut-être ? Un grand classique, il me semble : celui de l'homme éconduit pour la énième fois qui ne sait pas gérer son ego blessé !

Je reste sans voix devant cette pique horrible qui se loge directement dans mon plexus solaire et m'ébouillante de l'intérieur. Elle n'a pas osé... ?

Meurtri, la douleur soudaine me met en furie ; je vois plus rouge que jamais. J'agrippe sa main levée et m'en sers pour la projeter en arrière, contre le mur près de la porte. La vampire grimace en me l'arrachant brutalement, mais elle ne parvient pas à se déloger de là où je l'ai acculée. Mon corps plus massif la garde à ma merci, ce qui la fait encore plus sortir de ses gonds.

— Mais avoue-le ! crache-t-elle avec violence. Avoue qu'au-delà de ton désir de jouer les héros, tu as perçu à quel point j'étais en rage de te voir prendre part au combat et que tu as voulu me contrarier ! Juste parce que je t'avais encore repoussé. Avoue que c'est ton orgueil qui a parlé !

— Je me demande bien pourquoi tu étais si en colère, grincé-je, non sans retenir un nouvel éclat acide. Toi qui n'en as rien à faire de moi !

— Je n'en ai pas rien à faire de toi ! C'est tout le contraire, merde !

Ses mains bien à plat sur mon poitrail me bousculent, tentent de la libérer, sauf qu'elle n'a pas assez d'espace pour manœuvrer. J'attrape l'une de ses paumes au vol avant qu'elle s'abatte à nouveau sur moi, et la regarde bien en face, sourcils froncés.

— Tu peux répéter ?

— Quoi ? Que tu es le dernier des imbéciles ? Ou que tu es un inconscient ? fulmine Eleuia en cherchant à récupérer son membre. Ça n'était pas très clair tout à l'heure ? Eh bien, tu es un inconscient et le dernier des imbéciles !

— Arrête de t'agiter et de faire l'idiote, la sermonné-je, mes doigts remontés sur ses poignets pour l'entraver. Maintenant, réponds-moi : qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Comment ça, tu n'en as pas rien à faire de moi ?

— Lâche-moi !

— Réponds !

— Lâche-moi ou je vais être obligée de te démolir, argue-t-elle sur un ton venimeux.

Sa jambe se plie et se lève entre nous, mais j'esquive son attaque et cloue fermement son corps sous le mien. Je la surplombe et sens ses muscles se contracter dans un nouvel effort de ruade.

— Ça suffit, assez ! éructé-je en la plaquant rudement contre le mur. Arrête de te débattre et parle, bon sang ! Qu'est-ce que tu as voulu dire ? Explique-toi.

— Tu es un idiot !

— Ça, tu l'as déjà dit.

— Tu sais quoi ? Tu n'as qu'à continuer à te mettre en danger, s'emporte la jeune femme, ses yeux emplis de courroux. Je m'en fiche. Meurs, si ça te chante.

— Tu recommences, l'avertis-je en resserrant mon étreinte sur ses poignets.

— Je n'y peux rien si ce que je dis lorsque je m'explique ne te plaît pas ! C'est pourtant la vérité : j'en ai plus qu'assez de toi. La prochaine fois que tu chercheras à être preux et courageux, quitte à y rester pour de bon, je n'en aurai rien à faire. Et si tu y passes par la même occasion... bon débarras.

Son regard plus dur que le silex plongé dans le mien, je sens sa poitrine se lever et s'abaisser rapidement sous l'effet de son ire. Son souffle est haletant, son corps rigide et déterminé à repasser à l'offensive d'une seconde à l'autre... et pourtant, je ne crois pas un seul de ses mots.

Son ressentiment baigne dans ses prunelles, sa tempête interne n'est pas loin de se déchaîner plus efficacement que celle à l'extérieur, mais il y a trop de violence dans ses intentions pour que j'y crois. C'est un raisonnement qui peut paraître stupide, mais je sens que c'est le bon. Et ce n'est pas tout : ce raisonnement, qui tient plus de la simple sensation, de cette espèce de sixième sens si compliqué à expliquer, est accompagné par le souvenir de la supplique d'Eleuia, plus tôt aujourd'hui, de l'air désespéré qu'elle arborait alors... Cet écart, cette incohérence dans ses attitudes me pousse à croire qu'elle n'est pas sincère, qu'elle me cache quelque chose d'essentiel derrière ses barrières mentales et ses vociférations haineuses.

Alors, après une bonne inspiration, je décide de le vérifier.

— Tu mens, lâché-je sur un ton bas, mais puissant.

Elle se pétrifie, déconcertée, mais se reprend très vite malgré la surprise.

— Non, assure-t-elle, le menton relevé.

— Si. Tu mens. Et très mal.

Sa mâchoire se contracte, émet un petit craquement sec que nous ignorons tous les deux. Le feu de ses iris me pénètre, cherche à incendier et réduire à l'état de cendres tout ce qui me compose, toutefois je ne me laisse pas faire. Je n'écoute pas cette colère sourde qui gronde en elle. Je n'y pense même plus. Je ne vois que ses mensonges écrits sur son visage et respire enfin.

— Tu mens, répété-je encore une fois, ma tête penchée vers la sienne. Tu dissimules la vérité sous une couche d'agressivité et de fureur.

— Tu dis n'importe quoi.

— Mais la question que je me pose maintenant, enchaîné-je sans m'arrêter sur sa protestation, c'est de savoir quelle est cette vérité précisément.

— Va te faire voir !

Son bras jaillit, déterminé à me mettre une claque retentissante sur la joue, mais je l'intercepte et le ramène contre son flanc. Un instant de flottement nous saisit après cela, durant lequel nous ne quittons pas nos prunelles. Lentement, je me rapproche de son corps, capte l'inspiration brusque qui joint une longue seconde nos bustes, puis m'arrête. Un pas nous sépare désormais.

— Tu voulais parler, tu as demandé à être seule avec moi pour le faire et je suis sûr que ce n'était pas juste pour échanger des insultes, reprends-je sans la lâcher du regard. Alors, vas-y, parle et fais-le franchement.

Ses obsidiennes me jaugent avec agressivité. Notre proximité l'incommode beaucoup, mais je ne ferai rien pour y remédier. Elle serait encore capable de chercher à détaler. Alors à un souffle d'elle, j'attends qu'elle se recentre sur autre chose que son envie de me frapper. J'attends qu'elle m'explique les choses... Et ça ne tarde pas.

— J'étais furieuse... tellement furieuse après toi, débute Eleuia d'une voix qui transpire encore l'agacement. Je le suis toujours d'ailleurs. Tu ne pouvais tout simplement pas faire ce que je te demandais ? Il a fallu que tu n'en fasses qu'à ta tête et que tu te jettes dans la gueule du loup.

Elle souffle et lève les yeux au ciel, l'air profondément affligée par mes choix.

— Je te rappelle que je l'ai fait pour vous aider. Sans moi, il y aurait peut-être eu plus de dégâts. Peut-être même des blessés graves.

— On a appris à les gérer, les dégâts et les blessés graves ! On sait ce qu'il faut faire dans ces moments-là !

Je hausse un sourcil, à la limite de la consternation. Elle est vraiment en train de dire que ça n'aurait pas été si dramatique s'il y avait eu des blessés ?

Eleuia semble comprendre mon effarement interne, car elle pousse un autre soupir en baissant les yeux.

— Je me suis mal exprimée. Je n'aurais pas dû dire ça..., s'excuse mon interlocutrice sans plus me regarder. C'est juste que...

Elle s'interrompt, et je crois la voir se mordre la lèvre inférieure. Ce simple geste réveille une myriade de fourmillements sous ma peau, cela me distrait une seconde du cœur de notre discussion. Je dois me reprendre et me retenir.

Faisant abstraction autant que possible de ces sensations douces-amères, je presse le haut de l'une de ses mains pour la forcer à relever le visage.

— C'est juste que quoi ? murmuré-je sur un ton plus doux pour l'inciter à aller jusqu'au bout de sa pensée.

Je l'observe hésiter, ravaler le début d'une phrase avant même qu'elle la formule et regarder nerveusement autour de nous. Je souffle son nom, désireux de l'apaiser un peu, puis resserre ma prise sur les manches de son haut. Un dilemme confus semble se jouer dans son esprit – tout est embrouillé là-dedans, les vagues fragments que je captais tout à l'heure sont soudain chaotiques, sans queue ni tête. Jamais je n'avais vu la guerrière dans un état pareil.

Je suis à deux doigts d'abandonner, de laisser tomber cette discussion invraisemblable et qui la malmène tant, lorsque des mots heurtés fusent d'un coup d'entre ses lèvres.

— J'ai eu peur ! C'est juste que j'ai eu peur... pour toi.

Ses prunelles brillent d'un éclat torturé après cette déclaration qui me coupe le souffle. Je ne respire plus, ne tente même plus de trouver de l'air. Je reste là, à la scruter, à enregistrer ses paroles improbables... qui font crépiter une flamme rougeoyante dans ma poitrine.

— Quoi... ?

Mon cœur recommence à pulser dans mes tempes. Je ne suis même pas certain d'avoir prononcé cette seule syllabe. La jeune femme, elle, paraît m'avoir entendu cependant, et ses orbes incertains me jettent de brefs coups d'œil durant la suite de son discours.

— Je ne voulais pas que tu t'immisces dans la lutte parce que j'avais peur pour toi. Je ne voulais pas qu'il t'arrive quelque chose... de grave. J'étais effrayée à l'idée que tu sois blessé, ou pire encore.

Elle retient un frisson, réellement horrifiée par cette perspective.

— J'ai tout fait pour te rejoindre, pour t'écarter du champ de bataille, mais dès que je me débarrassais d'un ennemi, un autre apparaissait dans la seconde. Ça m'a rendue plus folle de rage...

Eleuia fronce les sourcils à ce souvenir. Alors qu'elle replante son regard dans le mien, une nouvelle lueur le traverse et son expression change.

— Allan... Ce que je t'ai dit ce matin, les excuses que je t'ai présentées par rapport à mon attitude de la semaine passée... C'était vrai. Je suis profondément désolée. Tellement désolée...

Ma flamme interne est attisée par cette réminiscence, ce qui entraîne une pointe au cœur familière. Mes doigts relâchent ses poignets alors que j'effectue une petite marche arrière, comme pour laisser plus d'espace à ma souffrance. Mes traits fermés attirent une grimace attristée sur ceux de la Maya.

— Je t'ai fait du mal et de la peine... Tu ne peux pas savoir à quel point je me suis sentie misérable toute cette semaine. J'en étais malade. Je n'aurais jamais dû partir comme une voleuse... comme une lâche, déclare-t-elle sur un ton piteux. C'est tellement bas et honteux comme comportement.

— Ce n'est...

— Non, ne dis pas ça, me coupe la vampire en secouant énergiquement la tête. N'essaie pas de me défendre. Je ne le mérite pas.

Je referme la bouche, une partie de moi d'accord avec ses propos. Une courte pause s'installe alors, durant laquelle le visage d'Eleuia devient plus tourmenté que jamais. De nouvelles barrières tombent entre nous.

— Toi comme moi, nous n'avons pas choisi ce qui nous arrive... ce qui tente de nous rapprocher, reprend-elle après avoir inspiré un long moment. Et pourtant, j'ai voulu te le faire payer à travers mon silence, ma distance et ma froideur. Je ne voulais pas de ce lien alors j'ai reporté toute la faute et cette frustration sur toi.

Ses yeux se ternissent sous le poids de son affliction réelle.

— De nous deux, c'est moi la plus grande idiote, ajoute-t-elle de sa voix basse tandis que ses jambes se meuvent vers moi.

— Eleuia...

— Parce que, même si j'ai pris conscience de ma bêtise il y a de cela des semaines déjà, mais que j'ai tout fait pour nier l'évidence, ce qui s'est passé ce matin dans les champs m'a ouvert les yeux...

Nous revoilà dans notre position de départ, à converser accolés au mur, mais cette fois c'est elle qui semble dominer la situation. C'est elle qui me retient captif de l'intensité de son regard et de la ferveur de sa voix.

— Je suis rentrée plus tôt et je n'étais pas loin, aux abords du domaine, lorsque tu... lorsque ça s'est produit. Et je les ai senties : ta colère, ta déception... ta souffrance. Je sais que tu peux toi aussi ressentir certaines de mes émotions, mais cette fois-là a été très différente des autres pour moi. Elles se sont incrustées sous ma peau, se sont infiltrées dans mon souffle. Elles se sont enfoncées trop profondément en moi pour que ça ne soit pas différent. Elles sont devenues miennes, aujourd'hui. J'ai ressenti ce que tu ressentais... et ça m'a ébranlée.

Encore une barrière érigée qui s'effondre. Ses yeux brillent, reflètent les larmes qui les humidifient, et c'est à mon tour d'être ébranlé. Cette femme n'est pas censée être aussi mal et vulnérable. Elle est tenace, intrépide, elle ferait ployer n'importe qui grâce à sa force de caractère. Eleuia ne peut pas être atteinte par quelque chose d'aussi... futile que mes états d'âme. Ce n'est pas possible, je suis sans doute en train d'imaginer ses dires.

Ma chimère se poursuit sous mes prunelles écarquillées et elle va plus loin encore dans l'absurde.

— Ça a sans doute été l'un des moments les plus intenses de toute mon existence, et il a fallu qu'il soit empli de noirceur et de douleur... par ma faute.

Le sommet de sa tête, avec ses boucles brunes qui cascadent très bas, est la seule chose qui m'est visible lorsqu'elle abaisse son visage vers le sol.

— Toutes les excuses que je pourrais te présenter n'y changeront rien, à présent, mais... je tiens à te les réitérer. J'ai commis une grave erreur. Je t'ai laissé souffrir sans tenter quoi que ce soit pour te soulager. Je suis navrée...

— Est-ce seulement ta pitié et ta culpabilité qui parlent en ce moment ? l'interrogé-je après un long moment de silence où j'ai dû lutter contre mon hébétude pour retrouver ma langue.

Eleuia redresse la tête pour me faire face et fronce les sourcils.

— Ma pitié ? Allan, je n'ai pas pitié de toi. Certes, je me sens coupable – comment pourrait-il en être autrement après ce que je t'ai fait d'ailleurs – mais je n'ai jamais eu pitié de toi.

— Je suis dépassé par tout ce que tu me dis là. Je ne suis pas sûr de bien saisir..., avoué-je, hésitant et plus perdu que jamais.

La combattante pousse un soupir et secoue le menton.

— Je crains de n'être pas aussi claire que je l'escomptais...

Elle se replonge dans le silence, en quête de nouvelles paroles, et tout ce temps je sens mon cœur battre douloureusement dans ma poitrine. Et ses pulsations deviennent plus incoercibles quand Eleuia plaque mes mains ballantes en-dessous de ses clavicules et qu'un autre pas nous rapproche encore. Le bas de nos corps s'effleure, la chaleur de sa peau m'enrobe à chaque nouveau souffle qu'elle libère.

— Ce que j'essaie de te dire avec si peu de réussite, c'est que je ne supporte plus ta souffrance. Je ne supporte pas non plus l'idée de te voir disparaître... de te perdre.

Ma respiration se bloque. Mes membres tremblent soudain d'un mélange de peur... et d'espoir ; ce sentiment que je croyais avoir enterré la semaine dernière.

— Et que j'en ai assez de te fuir, ajoute Eleuia dans un murmure fervent. J'arrête.

Nouvelle barrière qui s'échoue à nos pieds. Le feu de mon être redouble d'ardeur, devient plus puissant au contact de sa chaleur à elle. Son regard d'onyx descend puis remonte sur mes traits abasourdis, et décide finalement de se focaliser sur ma bouche entrouverte. Son propre rythme cardiaque accélère tandis qu'elle se dresse à ma hauteur, sans relâcher son attention sur mes lèvres sèches.

— Je n'aurais jamais dû le faire, de toute façon...

Mais ses mots meurent à la seconde où nos bouches entrent en collision et se goûtent pour la première fois.

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