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Chapitre 24



Les jours enneigés et glacials ont cédé la place à ceux pluvieux digne d'un début de printemps placé sous les pires auspices. La pluie grinçante s'abat sur la bâtisse solide du domaine, plus virulente et acharnée de semaine en semaine. Le vent qui l'accompagne érafle les arbres alentour, leur font perdre leurs précieuses branches et feuilles, indispensables pourtant pour le renouveau de cette nouvelle année.

La terre fertile faiblit face à l'air courroucé, l'eau triomphe sur la chaleur du soleil... Et aujourd'hui, j'ai décidé de contribuer à ce déchaînement de la Nature.

Le déluge qui sévit abat ses trombes d'eau sur moi, alors que je me tiens dehors, au beau milieu des champs entourant le domaine. Nez levé vers les cieux enragés, j'observe la menace noire qui réside au-dessus de ma tête. Tout n'est plus que ténèbres et grisaille partout. Le vent fouette mon visage trempé, cinglant, et emporte tout ce qui est à sa portée dans son sillage.

— Allan !

Je suis étonné de réussir à entendre ce cri au milieu de cette agitation. L'averse est si forte, j'aurais cru que rien n'aurait pu venir troubler cette pluie torrentielle... Mais c'était sans compter sur la voix tonitruante de Sander.

— Allan !

Il est à un petit kilomètre de moi. Il ne lui faudra qu'une poignée de secondes pour me rejoindre, même si le temps est hautement mauvais et dangereux.

Je reporte toute mon attention sur les nuages oppressants qui me surplombent et les analyse, concentré. Tranquillement, ma main droite s'élève au niveau de mon poitrail tandis que mes paupières s'abaissent. Je prends une courte inspiration et visualise par la pensée le ciel entravé, l'eau sévère, les bourrasques sifflantes...

Mes doigts bougent, font tourner mon poignet plusieurs fois sur lui-même, et le résultat ne se fait pas attendre plus longtemps. Comme pour imiter mon mouvement souple, quelques nuages tourbillonnent sur eux-mêmes, grossissent encore et créent un vortex en leur sein. La vitesse de ma paume accélère à l'instar de la tempête. Des éclairs éclatent dans le ciel, le tonnerre gronde et vrombit dans l'air saturé d'électricité... et une tornade aux teintes de l'enfer prend racine dans les terres malmenées devant moi.

Le vent nourrit ce tourbillon et le pousse à avancer dans la direction que je lui indique. Mon contrôle est entier et dévoué à la tourmente que je répands, du ciel à la terre. L'averse redouble d'intensité, le souffle de l'air devient ouragan et l'orage fait trembler les champs.

— Allan !

Cette fois, mon guide m'a rejoint et s'arrête brutalement à mon côté. Son regard azuré s'écarquille devant le spectacle infernal qui se joue, puis ses mains agrippent mes épaules.

— Allan ! Qu'est-ce qui te prend ? hurle-t-il par-dessus l'écho sinistre de la tornade. Arrête ça !

Je réfléchis à ses propos sans lâcher mon emprise sur les éléments. Ce que je fais ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je ne le sais plus depuis des jours déjà. Depuis qu'Eleuia m'a abandonné une nouvelle fois.

— S'il te plaît, Allan, arrête ça et parlons !

Pour dire quoi de plus ? À quoi rimerait une nouvelle discussion sur l'attitude de cette femme ?

Huit jours. Cela fait huit jours qu'elle s'est éclipsée en me laissant comme un minable, seul et le cœur brisé dans les souterrains. Et en huit jours, ce que j'ai à dire sur ce qui s'est passé n'a pas changé : Eleuia a refusé de m'embrasser. Eleuia m'a fui. Eleuia ne veut pas de moi.

Eleuia ne m'aime pas.

Un éclair vibrant s'abat à deux cents mètres de nous et laisse une trace de brûlure énorme qui dévaste toute la verdure dans son rayon. Un juron s'échappe de la bouche béante de mon ami au moment de l'impact. Sa tête pivote sèchement dans ma direction.

— Tu veux nous tuer ou quoi ? Bon sang, Allan !

Ses yeux vont et viennent entre moi et le ciel éventré par le cataclysme. J'observe distraitement sa gorge monter et descendre lorsqu'il déglutit, inquiété par les grondements et craquements lugubres. Pendant ce temps, mes doigts s'agitent encore, mus par une volonté sourde et exigeante que je veux laisser parler. Qu'elle s'exprime. Qu'elle lâche tout ce qu'elle a en réserve. Qu'elle me libère, si une telle chose est encore envisageable.

Sander passe en revue les premiers dégâts que j'ai causés, ma main déterminée et mes paupières qui se referment pour faciliter ma concentration. Une lueur de réelle panique refait surface dans ses prunelles de glace.

— Allan...

Je sens ses doigts gourds se poser sur mes épaules. Son souffle brisé caresse par intervalles irréguliers mon visage presque apaisé.

— Je sais que tu souffres, lâche Sander sur un ton à la fois doux et suppliant. Je ne peux même pas envisager l'intensité de la douleur qui te fauche... Je ne peux pas me représenter à quel point ça te déchire de l'intérieur.

Il fait une courte pause pour inspirer longuement.

— Quand je m'imagine perdre Gillian, si ça devait arriver... Je suis sûr que je me sentirais vide et brisé. J'aurais la sensation que plus rien ni personne ne pourrait jamais me rendre heureux, souffle sa voix torturée. Et je ne suis même pas lié à elle...

Les cieux s'ouvrent à nouveau pour laisser passer un éclair et le vent mugit plus violemment encore. Ses paroles libèrent un peu plus le poison qui court dans mes veines, qui asphyxie mon âme et broie mon cœur.

— Je ne vais pas te mentir, je ne sais pas si, au cas où elle continuerait de te fuir, tu pourras t'en remettre. Je ne sais pas si tu iras mieux. Je ne sais pas si elle va enfin changer d'attitude. Je ne sais plus...

Mon mentor semble soudain aussi perdu et déboussolé que moi. Ces perspectives et incertitudes l'inquiètent réellement. Il a conscience, tout comme moi, qu'il n'a aucune emprise là-dessus.

— J'aimerais pouvoir être plus optimiste et avoir de bonnes raisons de l'être... Mais même en lui passant tous les savons possibles et inimaginables, elle reste une sacrée tête de mule, grogne Sander en grinçant des dents.

Je fronce les sourcils.

Non. Ils ne doivent pas l'engueuler ou chercher à la faire changer d'avis. Ça doit venir d'elle et seulement d'elle. Si elle ne veut pas de moi... personne ne doit l'y forcer. Ça ne rimerait à rien.

— Tu dois rester fort, Allan, reprend le Norvégien en serrant sa poigne sur moi. Je sais que tu ne le veux pas, que tu t'en as plus les ressources, mais il le faut pourtant.

En réponse, la tempête se rebelle, comme pour noyer ses directives insensées.

— S'il te plaît, Allan ! Ne dévaste pas tout. Ne te dévaste pas toi-même. Tu dois tenir !

Le tonnerre roule, plus puissant que jamais ; la tornade tourne à grande vitesse ; la terre fume là où la foudre tombe.

— Allan !

Mais je ne veux plus l'écouter. Je ne veux plus non plus entendre le rugissement de la douleur qui me dévore à petit feu. C'est trop insupportable... Alors j'augmente le volume des catastrophes que je déchaîne. J'étouffe presque tout le reste ainsi.

Les éclairs jaillissent à tout va, embrasent autant le ciel que les champs brûlés. Mes paupières ne sont pas une barrière suffisante à leur dévastatrice clarté ; ils frappent, et frappent encore la terre à des kilomètres d'ici comme celle à nos pieds. Chaque impulsion de ma colère, chaque fibre de ma douleur est une nouvelle strie lumineuse qui pourfend les ténèbres et les abysses que j'ai créés.

Cependant Sander n'a pas dit son dernier mot.

— Regarde-moi, Allan !

Peine perdue. Je refuse de le faire.

Je sens sa tête se pencher un peu plus près sur mon visage, réclamer ainsi toute mon attention. Quand il rouvre la bouche, je ne peux pas assourdir le ton vibrant qu'il emploie.

— Allan... Ne perds pas le contrôle.

Ces cinq mots sont un véritable électrochoc. Je me fige sur place, cesse tout mouvement de la main. Mon regard troublé rencontre ses orbes francs et sérieux, qui me communiquent un message que je ne peux ignorer.

Non... Perdre le contrôle, je ne peux pas. Je n'en ai pas le droit. C'est la pire chose qui pourrait arriver...

Tout autour de nous, la Nature se calme peu à peu. Le vent s'apaise, le déluge tempère ses ardeurs, la tornade se délie lentement, ne devenant plus qu'un vague souvenir. Seul l'orage persiste et se déplace vers d'autres contrées. Son bourdonnement s'échappe, perd en intensité alors que je continue à fixer mon ami dans les yeux.

— Ne perds pas le contrôle, répète-t-il comme un mantra. Tu es plus fort que ça.

— Ne pas perdre le contrôle, chuchoté-je à mon tour. Je ne dois... pas perdre le contrôle.

Il acquiesce d'un mouvement souple du menton, puis son nez se lève pour inspecter le ciel. Les nuages de pluie sont toujours là et ils déversent leur eau froide en de fines gouttelettes. Un courant d'air vif sévit encore sur le domaine, mais il n'est plus dangereux. Tout est redevenu normal.

Le son de l'averse est le seul qui vient troubler le silence qui s'est installé entre nous. Les traits et les cheveux dégoulinants, Sander me scrute longuement, évalue ma capacité à tenir le coup. Puis il pousse un court soupir.

— Viens, me dit-il, un bras réconfortant autour de moi. Rentrons maintenant.

∞ ∞ ∞ ∞

Après m'avoir raccompagné dans ma chambre et fait couler un bain pour me revigorer, Sander m'a laissé seul une bonne heure et demie dans la baignoire. Il tenait à ce que je me détende, à ce que je ne pense plus à rien un petit moment, le temps pour moi de reprendre des forces.

Les vapeurs d'eau chaude s'élèvent au niveau de mes narines et apportent avec elles l'odeur fraîche et parfumée du bain. Depuis mon entrée dans la salle de bain, j'essaie de respirer à fond ce parfum pour me calmer et appliquer les directives de mon guide... Mais ça ne porte pas vraiment ses fruits. Avec un soupir, je sors de l'eau et me sèche.

La seule chose qui obnubile mon esprit, c'est mon attitude dans le champ. J'ai été d'une bêtise monstre... Toute cette souffrance, toute cette rage, toute cette colère qui s'est déchargée en véritable début d'apocalypse sur Terre... C'était dangereux, stupide et ridicule.

Si je n'avais pas su le contrôler, si j'avais laissé mes émotions néfastes me dépasser et me submerger entièrement, j'aurais causé de très, très gros dégâts. Je m'en serais pris à tout ce qui était sur mon passage, sans distinction aucune. J'aurais eu des morts sur la conscience, et très certainement parmi eux, la mort de mes proches.

Je ne dois jamais perdre le contrôle ! Je suis un être trop instable et mortel pour me le permettre. La vision de cauchemar d'un moi difforme et monstrueux me revient en pleine face et se placarde en première ligne dans mes pensées. Ce moi qui hante parfois mes rêves ne doit jamais voir le jour.

Je ne peux pas me laisser aller à mon désespoir : il causerait ma perte et celle des gens auxquels je tiens. La fureur et la tristesse qui m'habitent doivent elles aussi être refoulées. Je n'ai d'autre choix que de les tenir éloignées.

Tout ça parce que j'aime une femme qui ne veut pas de moi...

Dans un geste rageur, je propulse une brosse contre le mur devant moi, au moment où la porte s'ouvre dans mon dos. Sander est de retour et hausse un sourcil en regardant l'objet brisé sur le sol. Nous nous dévisageons quelques longues secondes, puis dans un soupir, je lui présente des excuses et ajoute :

— Je te promets que c'est la dernière fois que je perds mon sang-froid.

Le berserker approche sans un mot et prend un tabouret sur lequel il s'installe. Il semble fatigué, harassé depuis quelques temps. Je me mords l'intérieur de la joue en réalisant que ma comédie de tout à l'heure n'a pas dû l'aider.

— Tu es jeune, Allan. Tu sauras mieux te maîtriser au fil du temps, répète-t-il pour la énième fois cette sorte de doctrine qui me rassure autant qu'elle m'agace.

Je pousse un nouveau soupir, vite suivi par celui de mon acolyte.

— Comment te sens-tu ?

— Ça va...

Hormis l'immense honte que je ressens, ça va.

— Tu te trouves plus calme ?

— Oui.

— Bien. Parce qu'il faut que l'on aille dans la salle à manger, maintenant, m'annonce-t-il.

— Pourquoi ?

— De nouvelles attaques ont eu lieu ce matin, chez des amis plus à l'est.

Je me rembrunis immédiatement. Dans la semaine écoulée, trois assauts ont été menés à l'encontre de groupes alliés, laissant derrière eux plusieurs victimes. Si on compte cette attaque en plus, c'est la quatrième donc, et au vu de l'expression fermée de mon mentor, le nombre de morts est tout aussi conséquent là encore.

— Il y a déjà eu une réunion ce midi pour en parler, mais celle de ce soir a pour but d'accueillir de nouvelles troupes avant leur départ en direction du sud. Ils bougent très vite et cherchent à nous affaiblir par tous les moyens.

Les sourcils du berserker se froncent et creusent un pli au-dessus de son nez. Il s'inquiète beaucoup et regrette de ne pas être sur le terrain. Son esprit m'est de plus en plus limpide et ces derniers jours, c'est tout ce qui prédomine ses pensées. Sander est un guerrier, il a toujours eu sa place dans les combats et batailles. Il se demande donc quand l'on fera appel à lui, où il sera affecté, etc. Il a peur, il a hâte, il rechigne à nous laisser derrière, Gillian et moi, il se tient prêt... il attend et se blinde jour après jour.

Je ne commente pas le maelström de sensations et réflexions confuses qui l'habite, et ravale la boule d'angoisse qui se forme dans ma gorge en l'imaginant partir au front et ne jamais en revenir. Je ne dois pas penser à ça maintenant...

— Pourquoi le sud ? demandé-je plutôt après m'être éclairci la voix.

— C'est vers là qu'ils semblent se diriger, d'après certains de nos hommes. Les autres fois, nous n'avions pas pu les suivre à la trace, ils paraissaient s'envoler tout de suite après, sans aucune piste dans leur sillage. Mais aujourd'hui, la donne a changé : des soldats, qui arrivaient sur les lieux, juste après le massacre, sont parvenus à les retrouver. Ils nous envoient des rapports toutes les deux heures.

— C'est formidable, dis-je avec un sourire plus confiant.

— Oui. Un bataillon est déjà sur place, prêt à les cueillir, mais deux-trois troupes en plus ne seront pas de trop.

Sander écarte son siège lorsqu'il se remet debout à la fin de ses explications.

— Allez, viens, il faut que l'on se tienne informés le plus possible de tout ce qui se passe.

— J'arrive, acquiescé-je, prêt à attraper mes vêtements pour m'habiller.

— Allan ? Je... Il y a de grandes chances qu'elle soit présente, souffle mon ami, une lueur d'appréhension dans le regard.

Mes mains, qui enserraient déjà la serviette autour de ma taille, raffermissent leur prise. Je ferme les paupières. J'ai été bête de ne pas y penser plus tôt...

Yeux clos, j'inspire lentement par le nez, absorbe en silence l'uppercut de douleur qui tord mes entrailles. J'expire une fois, inspire une deuxième fois, puis plante un regard dur et déterminé dans celui de Sander.

— J'enfile rapidement des vêtements et je te rejoins devant ma chambre dans cinq minutes.

Abasourdi, il acquiesce tout de même puis quitte la salle de bain. Comme un automate, je me débarrasse de ma serviette, attrape le jean et le pull qui traînent près de mon lit pour les mettre. Et durant les cinq minutes que me prennent ces opérations, j'étouffe le mal qui me ronge, déglutis la cendre dans ma bouche et me redresse droit comme un piquet, décidé à affronter ce qui m'attend dans cette salle à manger.

Le trajet jusque là-bas se déroule dans le silence total. Sander et moi avançons, d'un pas sûr et décidé, chacun plongé dans ses pensées... plus houleuses que notre démarche. Je respire à fond, tente de me concentrer plutôt sur les déroulé et contenu de la réunion qui va suivre. Je dois tout faire pour me blinder, pour ne pas flancher.

— On a sans doute du retard, m'informe mon mentor lorsqu'il s'arrête et tend l'oreille devant la double porte. Ils ont déjà commencé.

Sans perdre plus de temps, il enclenche la poignée et entre, moi sur ses talons. Beaucoup de gens sont rassemblés et les discussions sont animées entre eux. Nous nous asseyons sur un bout de table du fond, qui a été laissé vacant, et écoutons attentivement les décisions qui sont prises. Je fais un véritable effort pour rester focalisé là-dessus et ne pas me mettre à fouiller les lieux pour capter l'emplacement exact d'Eleuia. J'ai su qu'elle était ici à l'instant où je suis entré : comme toujours, sa présence – et maintenant quelques-unes de ses pensées – m'ont frappé de plein fouet.

Reste concentré, Allan. Ils parlent des ennemis et de l'offensive qu'ils pensent mener contre eux.

Les chefs de guerre des groupes alliés veulent scinder le plus possible les troupes pour les renvoyer dans les régions qui ont été attaquées. Il reste des survivants qui ont préféré demeurer sur place, sur leurs terres : il faut donc pouvoir les protéger et les rapatrier en cas de nouveaux assauts. Des attaques qui risquent fort de se reproduire aux mêmes endroits car, comme l'avance justement l'un des meneurs, le but ultime de Jarlath est d'éradiquer tous ses ennemis : à un moment ou à un autre, il reviendra donc tuer les survivants en sursis.

Les leaders choisissent aussi de laisser une garnison importante ici, au domaine. Les troupes de Jarlath ne nous ont pas encore rendu de visite, mais là encore ça ne saurait tarder. À force d'accueillir de nouveaux groupes et plusieurs réfugiés, nous devenons une menace très sérieuse à éliminer au plus vite. Néanmoins, nos adversaires ont besoin de trouver autant d'adhérents que nous, ce qui demande un peu de temps.

J'apprends – comme d'autres dans la salle, à l'entente de quelques hoquets surpris – que leur maison mère se trouve à une centaine de kilomètres de la nôtre, elle aussi perdue dans un vaste espace difficile à dénicher. Et à l'instar de la demeure de Necahual, elle se solidifie, se fortifie de soldats en tout genre pour nous affronter. Ainsi, les deux pôles principaux sont en stand-by pour l'instant et chacun attend les premiers mouvements offensifs de l'autre pour agir.

Pour résumer, le gros du plan est donc de lutter sur des zones plus petites et aux dommages moindres car déjà dévastées/dépeuplées en partie ; de s'assurer que l'ensemble de nos troupes avance uniformément et fasse des rapports réguliers sur les événements ; de protéger les maisons alliées toujours debout comme la nôtre, et qui mettent à l'abri de nouveaux êtres surnaturels ; de devenir plus nombreux encore pour gagner le combat ; et enfin, de garder la tête froide et les nerfs solides.

Et aussi étrange que cela puisse paraître, c'est le dernier point qui est le moins simple à mettre en pratique.

L'ambiance dans cette salle est étouffée par la tension, la peur, la colère. Les hommes et femmes plus aguerris se contiennent mieux, mais dans l'ensemble, l'humeur n'est pas au beau fixe.

— Bien, je pense que tout le monde ici sait ce qu'il a à faire, s'exclame un homme blond d'une trentaine d'années en nous observant tous. Ceux qui peuvent encore se reposer, profitez-en et retournez dans vos chambres. Pour les autres : nos départs respectifs sont prévus pour dans une heure, alors allez préparer vos paquetages, mangez un morceau, et rendez-vous dans la cour arrière.

Des acquiescements s'élèvent dans la pièce, puis la communauté se disperse petit à petit. Sander et moi restons assis à nos places, et au passage de certains de nos camarades, mon ami échange quelques mots avec eux, désireux de connaître leurs affectations respectives. Quelques minutes s'écoulent ainsi avant que notre sorcière préférée nous rejoigne, un sourire timide et hésitant aux lèvres.

— Salut, lui soufflé-je avec un hochement de tête.

— Salut... Comment te sens-tu ?

Ses orbes scrutent prudemment mon visage. Toute la semaine, Gillian a marché sur des œufs avec moi et je ne doute pas qu'elle ait eu connaissance de mon acte de folie du jour... Elle cherche à lire en moi, à déceler les nuances de mon aura, et ce qu'elle découvre lui fait pincer la bouche de tristesse.

— Je suis vraiment désolée, Allan...

— Ne t'excuse pas, tu n'y es pour rien. Et je me sens mieux maintenant.

Elle ne répond pas, mais je vois bien qu'elle ne me croit pas. Cependant, elle comme moi allons devoir nous contenter de cela pour l'heure, car Necahual m'interpelle soudain.

— Allan ! Je vous cherchais.

— Bonsoir, Necahual, le salué-je au moment où il s'arrête devant moi.

— Cela fait bien une bonne semaine que nous ne nous sommes pas vus. Comment allez-vous ?

Je ne lui réponds pas tout de suite, attiré par les silhouettes qui se rapprochent de lui, dans son sillage... dont une qui m'est très familière.

— Je vais bien, dis-je avec automatisme en échangeant une œillade morne avec Eleuia.

— Auriez-vous un moment à nous accorder ? me demande mon hôte avec un geste du bras pour les ombres qui le talonnent.

— Bien sûr.

Aimanté à son regard bien malgré moi, je reviens sur Eleuia. Ses prunelles brillent alors que le reste de son visage semble éteint. Un drôle d'éclat les habite, assez proche de celui qui grésille à l'intérieur de moi et qui me surprend donc : de la douleur. Elle brûle au fond de ses yeux, se mêle aux ténèbres qui la retient, et même lorsque son père se tourne vers elle pour reprendre la parole, cette émotion ne disparaît pas complètement. Elle est atténuée, mais pas inexistante.

— Voilà, hier soir, j'ai reçu un appel d'une de mes connaissances incubes qui souhaitait avancer votre rencontre avec lui et ses autres amis. Initialement, vous le savez, ce rendez-vous était prévu pour la semaine suivante, m'explique le patriarche, mais cette personne a très envie de vous voir.

— Ah ? fais-je en haussant un sourcil surpris.

— Ses amis aussi, d'ailleurs. Ils ont beaucoup entendu parler de vous.

À l'instar de mon guide, je fronce les sourcils à cette annonce. Comment ont-ils bien pu entendre parler de moi ? Mon existence, en dehors de ces murs, est quasi secrète, nous y avons veillé. Ce que je suis ne doit pas s'ébruiter, les avertissements d'Amada et de Necahual, il y a des mois de cela, ont été claires : des personnes mal intentionnées, comme Jarlath, pourraient vouloir me mettre la main dessus et m'exploiter comme arme. Je dois rester discret donc et ceux qui me connaissant doivent l'être tout autant.

— L'établissement où résident cette connaissance et ses amis est assez populaire, et certains de nos hôtes y ont leurs habitudes, continue encore Necahual. Ils ont sans doute évoqué vos capacités hors norme devant ces incubes et succubes...

Sur la fin, mon interlocuteur pivote vers une table derrière lui, où sont installés quelques hommes, et les foudroie du regard. Ces derniers, qui épiaient avec nervosité notre conversation, baissent la tête, les joues cramoisies, et font mine de boire à grands traits leur verre.

Une vague de colère monte en moi et mes poings se serrent durement pour la contenir au mieux.

— Je vois, répliqué-je avec sècheresse. Et à quand a été avancé ce rendez-vous ?

— À demain, minuit. Ils ont lourdement insisté..., souffle mon chef avec un air d'excuse.

Je soupire et passe une main dans mes cheveux, tout en hochant la tête. Je n'ai pas la possibilité de refuser ou de reporter, de toute façon...

— Pour plus de sécurité, vous serez accompagné d'une escorte. Les personnes que voici, en plus de vos compagnons habituels, bien sûr.

Six hommes et femmes, sans compter Sander, Gillian et Eleuia. Je hausse un sourcil devant ce nombre.

— Ce n'est pas trop ?

— Je ne prendrai plus aucun risque désormais. Ce qui s'est passé la dernière fois aurait pu très mal finir... Si vous deviez subir une attaque, je veux être sûr que vous serez assez nombreux pour vous défendre et vous échapper efficacement.

Le ton de sa voix est sans appel. La situation actuelle met les nerfs de Necahual à rude épreuve. Il est fou d'inquiétude et de colère, même s'il tend à les contenir. Ses prunelles couleur d'automne me fixent et s'assurent que le message est bien passé. Le patriarche est le seul à ne pas trouver gênant ou intrusif de me voir capter les méandres de ses pensées : aujourd'hui même, il trouve cela nécessaire et primordial pour que je comprenne les enjeux et dispositions du moment.

À nouveau, j'acquiesce en silence, et satisfait, Necahual reprend pour tout le monde.

— Vous partirez deux bonnes heures avant, les voitures sont déjà prêtes pour vous. L'établissement se situe dans la périphérie nord-est de Seattle.

— Nous nous rendons sur un lieu de travail donc ? Un travail de nuit ?

— Si l'on veut, me répond-il avec un sourire énigmatique.

— Quel genre d'établissement est-ce au juste ? insisté-je un peu, vaguement inquiété par cette réponse évasive.

— Un genre qui va vous étonner je pense, cher Allan ! s'esclaffe-t-il doucement.

Un bruit sourd s'élève derrière lui et nous pousse à nous tourner dans sa direction pour découvrir le visage fermé et la mâchoire verrouillée d'Eleuia. C'est elle qui a... feulé ?

De plus en plus perplexe, je reviens sur les traits amusés de son père et ne comprends décidément rien à ce qui se passe.

— Je vous abandonne, mes amis, j'ai d'autres personnes sur le départ à aller voir. Reposez-vous bien, et bonne chance pour demain !

Necahual prend donc congé de nous, avec un dernier clin d'œil pour la route. Et déjà son esprit s'est détourné de notre conversation, m'empêchant donc de le fouiller plus avant pour comprendre ses paroles sibyllines. Comme un fait exprès... Qu'est-ce que ça veut dire ?

Resté en retrait jusque-là, Sander s'approche de l'un des hommes de l'escorte pour régler de menus détails pour demain, puis une fois cela fait, nous commençons à nous disperser.

— Allan !

C'était toutefois sans compter sur Eleuia qui, au lieu de tourner les talons, a fait un pas vers moi et arbore une expression tourmentée.

— Je pourrais te dire un mot, s'il te plaît ? quémande-t-elle.

J'inspire longuement, ravale l'intense brûlure que me cause le simple son de sa voix, et m'écarte de mon meilleur ami.

— Je te rejoins plus tard, lui lancé-je en croisant son regard grave. Prends les devants.

Il opine, muet, puis franchit les portes doubles accompagné par Gillian. La salle à manger est quasi déserte maintenant que la réunion est terminée ; seules deux tables, assez éloignées de nous, sont encore occupées.

Plus austère que jamais, je me poste droit devant elle et attends qu'elle s'exprime. Le grand vide qui s'est installé cette dernière semaine dans ma poitrine a au moins le mérite de me faire paraître imperturbable et froid.

La guerrière, l'air mal à l'aise, ne sait pas par où commencer et mordille sa lèvre inférieure. En quête d'inspiration, elle pose un regard terne sur moi et j'aperçois à nouveau cette étrange lueur à l'intérieur.

— Je... Je ne saurais pas te dire à quel point je suis désolée. Et démunie...

Ses paroles sont hésitantes, l'équivalent d'un souffle aussi léger et fragile qu'une brise d'été.

— Ce qui s'est passé la semaine dernière...

— Nous n'avons pas à en reparler, la coupé-je en ne la voyant pas poursuivre. Je pense même qu'il n'y a rien à dire de plus là-dessus.

Les prunelles obsidiennes se gorgent de surprise et de chagrin mêlés que je peine à comprendre et même à accepter. Elle n'a pas le droit d'être triste. Elle m'a rejeté à de multiples reprises, c'est ce qu'elle voulait. C'était son choix, pas le mien.

— Allan... Je regrette, je ne voulais pas te blesser...

Chaque fois que mon nom roule dans sa bouche, je me consume un peu plus. Le feu me déchire, m'éventre, plante férocement ses griffes au niveau de mon cœur pour l'écharper.

« Je ne voulais pas te blesser » ... Si j'en avais la force, je rirais. Le simple fait de la regarder me blesse. Le fait de respirer le même air qu'elle me blesse. Le fait de ne pas pouvoir la toucher me blesse.

Et le fait qu'elle ne veuille pas m'aimer m'anéantit.

Je ferme brièvement les paupières pour me calmer, puis les rouvre sur le désappointement qui l'habite.

— Oublie ça, murmuré-je sans grande conviction au fond, mais avec une voix ferme pour la convaincre. Ça n'a pas d'importance. Nous avons d'autres chats à fouetter en ce moment, alors mieux vaut se concentrer là-dessus.

— Mais...

— Nous n'avons plus de temps à perdre. Et tu as très certainement d'autres choses plus urgentes à faire, là tout de suite.

— Allan...

— On se retrouve demain, dans les garages. À dix heures.

Et sur ce, sans plus lui accorder un regard, je pivote et me dirige vers la sortie. Eleuia m'appelle une seconde fois, plus pressante cette fois, mais je ne l'écoute pas. J'accélère le pas, tente de réguler ma respiration chaotique et secoue mes bras tremblants.

J'essaie d'effacer de mon esprit l'air affligé d'Eleuia, mais la douleur, elle, ne l'oublie pas. Elle s'en sert pour se nourrir un peu plus et menace de me faire sombrer dans la folie et le désespoir, tant elle me consume encore.

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