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Chapitre 20

Dur. Mort. Fièvre.

— Eh bah... sacré bâtiment !

Nez en l'air, Sander scrute l'immense building de l'autre côté de cette rue animée. Un petit sifflement s'échappe d'entre ses lèvres à mesure qu'il penche loin la tête en arrière.

Sang. Entrailles. Feu.

— Oui, sacré bâtiment, vraiment !

Le soleil de Californie illumine ses cheveux de reflets plus clairs et fait briller ses yeux bleus d'une nuance proche du turquoise que l'on voit très peu.

— Ça fait combien de temps que l'on n'est pas revenus ici, Gilly ? Huit ans ?

— Plutôt onze, je dirais.

— Onze ans... Les villes changent si vite.

Son regard balaie les alentours, rêveur, puis se tourne vers la combattante brune qui elle aussi inspecte les lieux, mais clairement pas dans un but récréatif.

— Ele, on devrait faire un tour en ville plus tard, une fois qu'on...

— Nous ne sommes pas ici pour faire du tourisme, le coupe-t-elle sans abandonner son poste de vigie. Nous devons rencontrer Amada puis reprendre l'avion dans trois heures. C'est tout.

— Quelle rabat-joie tu fais..., bougonne l'homme-montagne. Un peu de lèche-vitrine n'a jamais tué personne.

Tuer. Détruire. Briser.

Le cou de la vampire craque sèchement lorsqu'elle décide de foudroyer sur place le Norvégien.

— Dois-je te rappeler que les temps sont incertains et que nombre de nos compagnons ont subi des attaques à travers le pays ? Que pas plus tard qu'il y a deux semaines, un groupe d'opposants était dans cette ville même, disposé à massacrer tous les surnaturels qu'il croiserait ?

Sander pince les lèvres, ne trouvant rien à répliquer.

— Quand je dis que l'heure n'est pas au shopping, je ne plaisante pas. Nous avons une mission, veillons à ce qu'elle se passe au mieux et sans incident si possible.

Elle s'interrompt une minute, son regard sombre déviant vers moi, plus en retrait durant ce laps de temps.

— D'autant plus que je doute fort que ton ami supporte très longtemps notre escapade..., ajoute l'hybride avec un signe de menton pointé vers moi.

Douleur. Douleur. Douleur.

— Ça va Allan, tu tiens le coup ? me sollicite la sorcière, un bras secourable passé dans mon dos.

La respiration trop sifflante, je me contente d'un hochement de tête rapide pour la rassurer. Je sens plus que je ne vois son scepticisme réagir à ma pitoyable tentative : la sorcière resserre sa prise, comme si elle avait peur que je ne tienne plus debout d'ici quelques secondes.

Et si je suis parfaitement honnête, c'est bien possible que cela arrive...

Souffrance. Souffrance. Souffrance.

Je presse mes mains sur mon abdomen en feu et tente de contenir l'infâme sensation que mes boyaux se tordent dans tous les sens. Ma gorge, elle, est sèche, aussi effritée que du papier de verre, au point que j'ai préféré me tenir éloigné d'Eleuia, ma première tentation, depuis notre arrivée sur le sol californien.

Le voyage a déjà été compliqué, en soi : le jet n'était pas assez grand pour m'éviter d'être subjugué par l'odeur de l'hybride. Il semblerait que plus nous passons de temps ensemble, plus ma soif d'elle s'accroît et devient disproportionnelle. Sauf que ma soif ne se restreint pas qu'à la jeune femme : maintenant qu'elle est éveillée et bien stimulée, la voilà qui me prend à la gorge et me rend obsédé par le sang. Alors, autant dire que le débarquement dans un aéroport blindé puis dans les rues grouillantes de San Francisco ne m'a pas calmé.

Ma part la plus bestiale et sauvage s'est focalisée sur chaque pulsation cardiaque à portée d'oreille, sur chaque veine gonflée par la chaleur de l'infrastructure, sur chaque corps luisant de sueur, sur chaque parcelle de peau découverte... Les gens autour de moi m'ont donné faim. Une faim de chair qui n'a jamais connu commune mesure avant aujourd'hui. Elle s'est mélangée à ma soif de sang, toutes deux sont devenues de véritables tentations. Des obsessions dont je me retrouve incapable de me débarrasser.

Boire. Manger. Se rassasier.

Elles se sont immiscées trop profondément dans mon être, cette fois. Elles me supplient de les assouvir enfin, et elles me punissent à chaque fois que je m'y refuse, que je lutte contre, en déchirant un peu plus fort mes organes. Un incendie ravage mon crâne, m'oblige à garder la tête baissée et les yeux le plus souvent fermés... Ce qui n'est pas plus mal dans le fond, ainsi je suis moins obnubilé par les chairs séductrices, pourtant peu découvertes, la température dehors n'excédant pas quinze degrés.

J'ai déjà été tenté par l'odeur de certains habitants du domaine, qu'ils soient vampires, berserkers ou sorciers. Plus d'une fois, j'ai ressenti cette envie d'étancher ma soif au détour d'un couloir, dans le réfectoire bondé, ou pendant quelques réunions. Depuis mon arrivée, beaucoup d'hôtes de Necahual m'ont paru alléchants, mais je n'ai jamais sauté le pas avec eux ou avec une poche de sang. C'était une sensation désagréable, mais pas insoutenable pour autant. Elle ne tient pas la comparaison avec ce que je ressens à côté d'Eleuia par exemple... Ou avec ce que j'endure là, tout de suite.

Sang. Sang. Sang.

— Respire profondément, Allan, me somme la voix compatissante de Gillian. Tu vas y arriver. Tu l'as déjà fait, il y a quelques semaines, tu t'en souviens ?

Si je ne serrais pas autant les dents, je rirais jaune. Elle parle de cette pauvre immersion dans un bar, à peine rempli, en plein milieu de la nuit ? Cette espèce de test gentillet pour que je me retrouve confronté à des humains et des humains seulement, afin de juger de mon self contrôle ? Ce n'était rien ça, rien qu'un petit bain de foule. Là, il s'agit d'une véritable piscine olympique. Un océan de personnes alléchantes qui dégagent des parfums plus entêtants les uns que les autres.

Je n'étais pas englué dans toutes ces odeurs et phéromones alors. Je n'étais pas réellement entouré d'attroupements de gens. Je n'étais même pas aussi « proche » d'Eleuia ! Notre lien était en sommeil comparé à la force brute qui l'habite désormais et me pousse à rechercher une distance – un comble quand on pense à tous ces jours que j'ai passés à souhaiter me rapprocher d'elle...

Je ne peux même plus me tenir à moins de cinq mètres d'elle sans éprouver... sans désirer ardemment...

Je ne suis même pas sûr de bien savoir ce que je lui ferais si jamais nous étions si proches. Ma soif, mon désir et mes sentiments pour Eleuia sont trop entremêlés pour que je voie clair dans mes intentions. Alors je ne tente pas le sort : je reste à l'écart et ne lui adresse même plus la parole. Une situation dont elle semble s'accommoder, au demeurant. Notre hésitante complicité de ces derniers temps en a pris un sacré coup ; depuis hier, depuis l'apparition de ma télépathie, c'est à peine si nous nous sommes adressés un mot ou nous sommes regardés plus d'une seconde. Je pourrais m'en désespérer si je ne souffrais pas déjà autant le martyr.

Si je ne meurs pas dans les prochaines heures – minutes –, je le ferai sans doute...

Chair. Carnage. Satiété.

— Allan ? Il faut que nous avancions, Allan. Le siège d'Amada est juste en face, intervient la voix grave de mon mentor. Tu peux le faire, tu peux lutter. Je sais que tu le peux.

— Peux... Pas... Crever...

— Tu peux et dois le faire. Tu as réussi à tenir jusque-là, tu ne vas pas abandonner si près du but !

Les paroles d'encouragement du géant me donnent autant envie de lui faire plaisir que d'écraser sa large tête sur le bitume. Je me déchire de l'intérieur. Un goût de rouille ou de sang amer envahit mon palais. L'impression de devenir fou et de me scinder en deux est si saisissante qu'elle m'empêche de respirer ou de déglutir ce relent poisseux. Je suffoque, j'exalte la violence rentrée par tous les pores, et je sens ma fièvre destructrice monter encore et encore...

Tuez-moi avant que je fasse un massacre.

C'est la seule pensée sensée qui parvient à percer le marasme perfide de mes envies de meurtre. Hélas, je ne trouve plus ma bouche pour l'exprimer tout haut. Elle s'est perdue dans l'horrible douleur qui me perclus aussi bien l'âme que le corps. Actuellement, je regrette d'être le seul de notre groupe capable d'entendre les pensées ; car, si leur profonde inquiétude s'immisce par à-coups dans mon esprit en déroute, eux sont malheureusement hermétiques à mes avertissements muets...

Faites-le. Tuez-moi. Tuez-moi avant que je vous tue. Tuez-moi !

— Allan ?

Je suis sourd à leurs cris. Mes doigts se plantent avec rage dans mes côtes pour réfréner mes pulsions.

— Allan !

Calcination. Poison. Ruines.

Mes mains m'enserrent, s'enfoncent dans ma chair comme pour extirper le mal purulent à sa racine. Elles creusent pour atteindre mon cœur, pour atteindre mon âme et les éjecter de mon être. Je ne vais pas tenir encore très longtemps. Si je ne parviens pas à faire ce qui doit être fait, je commencerai par arracher la tête de mes amis, boire leur sang, me nourrir de leurs entrailles, avant de poursuivre ce dessein macabre avec d'autres victimes.

Je leur briserai les os un à un. J'éventrerai leurs corps pour observer leurs viscères se disperser à mes pieds. Je déchiquetterai leurs chairs tendres.

Encore. Encore. Encore !

Je les écorcherai. Les écartèlerai. Les désosserai, les...

— Allan.

Je cesse tout mouvement et ne cherche même plus mon souffle. Tout se suspend autour et à l'intérieur de moi. Tout s'arrête. Mon esprit se fige. La douleur et la folie sont toujours là à répandre leur poison à mon oreille, mais je ne les écoute plus, je ne les entends plus. La voix d'Eleuia est la seule chose qui résonne et prend sens dans ma tête.

La jeune femme n'a pas bougé elle non plus, je le sens. Elle ne s'est pas approchée de moi, et pourtant sa voix fervente était aussi claire et vibrante que si elle s'était tenue juste devant moi.

Mes yeux fatigués se rouvrent sur le sol sale puis pivotent laborieusement vers la silhouette de la guerrière afin de m'ancrer aux siens. Elle ne fuit pas mon contact cette fois, elle l'affronte durant un long moment au contraire. Ses prunelles, aussi noires que les ténèbres qui m'enveloppent, me jaugent, m'examinent, pour finir par me raccrocher à elle, et à elle seule.

C'est le seul être qui compte dans mon entourage dépeuplé, la seule préoccupation de mon esprit embrumé, le seul moteur de mon existence vaine. Elle le sait, je le sais et nous l'acceptons ensemble, peut-être pour la toute première fois...

— Redresse-toi maintenant, souffle l'hybride sur un ton doux et chaleureux que je lui connais peu.

Je m'exécute avec lenteur, teste ma stabilité et mes résistances précaires. L'un comme l'autre hypnotisés, nous ne nous lâchons plus du regard, évaluant avec respect et admiration la tournure que vient de prendre notre relation.

Nous ne comprenons pas toute sa portée, nous ne savons même pas s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise chose... mais quoi qu'il arrive, un changement vient de s'opérer aujourd'hui et ses effets ne vont pas s'effacer de sitôt.

— Nous devrions... y aller, à présent.

Eleuia ravale sa salive après cette courte phrase hésitante, puis rompt notre lien visuel. Je me détourne également et me retrouve nez à nez avec l'expression coite du géant. Son regard de glace fait des allers-retours ébahis entre nous et finit par s'arrêter sur moi.

— Comment tu te sens ? Ça va ? Tu penses que tu peux marcher ?

J'acquiesce à cette dernière question tout en effectuant un premier pas prudent vers l'avant. Rien de dramatique ne se passe, les vibrations acérées dans mon crâne semblent même s'apaiser, aussi je réitère mon geste. La main de Gillian se tend vers mon bras pour m'offrir un soutien, mais je ne m'en saisis pas et continue d'avancer jusqu'à me positionner à deux petits mètres de la combattante.

Visiblement mal à l'aise, cette dernière serre la mâchoire et jette des coups d'œil furtifs de tous côtés pour éviter de croiser mon regard. La chaleur de nos corps se percute et me procure une sensation de paix et de bien-être qui achève de me remettre les idées en place.

— Merci... pour ce que tu as fait, lui dis-je le plus bas possible. Tu m'as sauvé, je crois.

— Je n'ai rien fait du tout. Tu as trouvé seul comment te reprendre et résister, me contredit-elle avec aplomb et témérité.

Toutefois, je vois passer dans ses yeux un éclair d'incompréhension et de nervosité qui fait écho à ce que je ressens. Elle aussi ne sait pas ce qu'il s'est produit, ce qu'elle a fait exactement. Ça la laisse perplexe comme moi et clairement dépassée. Et s'il y a bien une chose que ne supporte pas Eleuia, c'est bien de ne pas maîtriser ce qui lui arrive. Mon entrée dans sa vie étant sa bête noire absolue.

— C'est toi qui l'as fait, nous le savons tous les deux, reprends-je en secouant la tête. Sans ton intervention, je ne sais pas ce que j'aurais fait... Enfin si, rien que je ne puisse tolérer et me pardonner, c'est bien ma seule certitude.

Son regard sombre revient sur mon visage honteux et abattu, brièvement habité par un élan de compassion et de tristesse à mon égard qui fait chanter mon sang dans mes veines. Elle sait de quoi je parle, je n'ai pas besoin d'aller plus loin dans mes explications et ça la chagrine. Sincèrement.

Mais très vite, ses traits se figent à nouveau dans une expression plus neutre et ses jambes font un pas en arrière.

— Si tu es un peu plus en forme maintenant, on va pouvoir monter. Amada nous attend.

— Très bien... Je te suis, abdiqué-je avec un geste mou pour désigner l'autre côté de la rue.

Elle effectue un ample mouvement du menton puis se met en route sans prévenir. Je retiens un soupir lorsque la présence imposante de Sander se poste sur ma droite.

— Tu es sûr que ça va aller ? vérifie-t-il une énième fois.

— Oui. Je me sens mieux.

— Et... tes pulsions ? hésite mon ami en m'inspectant du coin de l'œil.

Je prends un instant pour évaluer sa demande et lui répondre.

— C'est supportable pour l'instant. Je peux tenir encore un peu, le temps de ce rendez-vous.

Quoi qu'ait fait Eleuia, ça ne durera pas éternellement. J'ai mes limites et l'énorme brûlure qui ne quitte pas mes entrailles est là pour me le rappeler.

— Comment vont tes mains ? s'enquiert mon voisin après une courte pause.

Je suis son regard soucieux et découvre avec étonnement des traces de sang sous mes ongles. Aussitôt, je dérive vers mon buste et remarque des marques rouges sous ma veste, au niveau de mes côtes maltraitées. Je soulève mon haut et passe mes doigts sur les endroits encore sensibles : la guérison a déjà commencé, il n'y aura plus aucun signe de mutilation d'ici quelques minutes.

— Tu n'y es pas allé de main morte, commente Sander alors que je remets mon tee-shirt – foutu – en place.

— Je ne me contrôlais pas vraiment...

— Je sais. Tu es sûr de vouloir y aller maintenant ?

— Oui. Je ne vais pas abandonner aussi près du but, ajouté-je, un demi-sourire aux lèvres.

Sa bouche se pare du même sourire tandis qu'il hoche sa large tête. Nous nous écartons du trottoir ensemble pour rejoindre celui d'en face. Bridant le plus possible mes sens durant la traversée, afin de conserver le relatif contrôle que m'a octroyé Eleuia, je souffle par la bouche une fois passé les portes en verre de l'entreprise. Peu de personnes se tiennent dans le hall d'accueil. J'avise le bureau de la réception, où les filles se trouvent déjà, et suis encore plus soulagé lorsque Gillian nous enjoint de rester là où nous sommes d'un simple coup d'œil.

Elles n'ont pas besoin de nous pour le moment et c'est une très bonne chose. L'air frais près de l'entrée finit de faire disparaître la pellicule de sueur sur mon front et a l'autre mérite de porter des odeurs neutres jusqu'à moi. Au fil des secondes, je parviens à me ressaisir et à regagner des forces. Une légère vérification sous ma veste m'informe que mes plaies aux côtes se sont refermées. Je dois juste veiller à garder mon par-dessus bien zippé pour que les taches de sang ne soient pas apparentes.

Revigoré, je me tiens droit lorsque l'hybride et la sorcière nous rejoignent, accompagnées par l'hôtesse d'accueil.

— Bienvenue chez World Community ! nous lance-t-elle en souriant. Mademoiselle Lynch vous attend dans son bureau. Les ascenseurs sont par ici.

Sa main parfaitement manucurée désigne un couloir clair sur notre gauche. Nous nous remettons tous en marche, laissons la jeune femme mener la danse et nous guider. Curieux, mes comparses et moi-même inspectons les lieux tandis que notre guide progresse d'un pas souple dans les dédales vitrés. Les timides rayons du soleil californien se répercutent sur les immenses carreaux qui composent cette espèce de verrière géante, ravivant les couleurs claires et épurées qui habillent les murs autour de nous. Le design intérieur suit cette tendance moderne à travers des meubles en fer forgé et en bois blanc. Quelques rares touches plus sombres se fondent dans le décor toutefois, sous la forme de canapés ou fauteuils relax, ou encore de meubles de rangement.

Mon œil d'artiste juge l'ensemble très soigné, cadré, presque austère, et je me demande bien à quel genre de personnages nous allons avoir à faire. Cette Amada sera-t-elle conforme à l'image de ce bâtiment ? Est-ce que toutes les personnes y travaillant le sont aussi ?

L'hôtesse s'arrête enfin devant une porte gris pâle avant d'y frapper deux coups francs. Sans attendre de réponse, elle nous invite à entrer d'un aimable signe de tête, puis fait demi-tour.

D'un seul mouvement, nous nous tournons à nouveau vers le bureau en entendant du mouvement à l'intérieur, et jaugeons la silhouette gracile qui s'approche sur des talons aiguilles.

— Bonjour. Amada Lynch. Vous devez être les envoyés de Necahual.

La femme qui vient de parler est grande et blonde vénitienne. Ses yeux gris orageux naviguent sur nos visages surpris tandis que sa poigne assurée entre en contact avec les nôtres.

— Ravie de vous rencontrer, ajoute-t-elle sous le cliquetis de ses bracelets. Je vous en prie, installez-vous.

Sitôt cette invitation formulée sur un ton direct, notre hôte regagne son siège imposant et lisse son tailleur immaculé avant de s'y asseoir. Nous nous exécutons une seconde après elle, toujours un peu sous le choc de la prestance et de l'assurance que dégage la sirène. Eleuia est toutefois la première à retrouver sa langue et à prendre la parole d'une voix calme et vide de toute nervosité.

— Merci pour votre accueil et le temps que vous prenez pour nous. Vous êtes une femme très occupée, nous savons que cela n'a pas été chose facile de caler cet entretien.

Au moment où la guerrière finit sa phrase, le téléphone portable d'Amada sonne sur la table, comme pour lui donner raison. Sans même regarder le numéro d'entrée, la sirène coupe la sonnerie et retourne l'appareil.

— En effet, je suis quelqu'un de très pris, asserte la PDG. Mais j'étais curieuse de connaître les raisons de votre empressement à me rencontrer. Et je dois bien admettre... que je ne suis pas déçue.

Sa tête penche légèrement sur le côté alors qu'elle nous inspecte avec minutie. Je cille lorsque ses orbes reviennent sur moi et ne se délogent plus des miens. C'est comme si j'étais un véritable livre ouvert qu'elle feuillèterait allégrement, et lorsque je me rappelle ce que sa nature extraordinaire implique, je réalise soudain que je ne dois pas être si loin de la vérité.

— Intéressant..., murmure sa voix songeuse sans me quitter du regard. Vous avez une tête à faire peur, cher ami. Je vois que votre immersion dans le monde ne s'est pas excellemment bien déroulée.

J'aurais pu rire de cet euphémisme, mais je suis trop scotché par l'étendue de ses pouvoirs. Cette femme n'a pas besoin de nous toucher pour lire en nous et la base de données à laquelle elle doit avoir accès est très certainement illimitée. La manière dont Amada nous sonde, comme si elle nous aspirait à travers ses prunelles, ne me trompe pas : en à peine cinq minutes de temps, la sirène doit avoir pris connaissance de dizaines d'informations nous concernant.

— Je suppose qu'il est superflu de nous présenter, reprend l'hybride à l'intention de notre hôte, l'air sur la même longueur d'onde que moi.

— C'est effectivement loin d'être nécessaire, acquiesce Amada. Je sais déjà tout ce que je dois savoir.

Ma voisine se tend un peu à ses mots et son regard s'obscurcit davantage. Aucun doute que cette situation l'embarrasse beaucoup. Eleuia ne supporte pas que son esprit soit livré en pâture à qui que ce soit, encore moins à une inconnue. Pour son plus grand bonheur, la grande majorité du temps ses pensées me sont inaccessibles, il n'y a que quelques bribes de phrases qui me parviennent parfois. Le manque d'expérience, de pratique, et la prime fraîcheur de mon don expliquent sans doute ces... défaillances. Et comme il est hors de question d'envisager un quelconque contact physique pour me permettre de mieux la comprendre...

Mais Amada n'est pas du tout de la même trempe. Cette sirène est âgée, très âgée même, et ses pouvoirs sont redoutables. Elle semble comme branchée sur nos cerveaux, lisant ou visionnant à sa guise l'ensemble de nos souvenirs, de nos pensées intimes, sans qu'elle n'ait à fournir le moindre effort. C'est une créature incroyable, mais dangereuse...

— Vos conclusions sont exactes, Allan Ford, lâche-t-elle avec un sourire froid. Vous vous appuyez davantage sur vos impressions que sur vos dons de télépathe pour les déduire – sans doute votre côté sorcier qui ressort –, mais vous n'en restez pas moins doué.

Je ne réponds rien, bien que je sente les prunelles curieuses de mes compagnons se déporter sur moi. Ils sont perdus devant ce dialogue qui n'en est pas vraiment un. Face à la perplexité grandissante de ses invités, la businesswoman sourit plus largement encore, même si son rictus n'atteint pas ses yeux.

Ses bras croisés sur la table, Amada se penche vers nous, cette même expression réfrigérante sur le visage.

— Bien, que diriez-vous si nous entrions dans le vif du sujet, à présent ? Vous vous interrogez donc sur vos nouvelles aptitudes et leur potentielle évolution, si j'ai bien compris.

Cette dernière remarque m'est directement adressée. J'opine donc et retrouve l'usage de la parole pour m'expliquer.

— Croyez-vous qu'elles puissent changer ? Pour le moment, l'ensemble est assez aléatoire et ne fonctionne pas toujours même lorsque je me concentre, mais...

— Vous n'en êtes qu'aux balbutiements, bien sûr que votre télépathie va se développer ! N'en a-t-il pas été de même pour tous vos autres dons, cher Allan ?

Le ton quasi narquois qu'emploie mon interlocutrice m'empêche de répondre à cette question, complètement rhétorique au demeurant.

— Si je ne l'avais pas vu de moi-même, relance la sirène en désignant vaguement son front, j'aurais eu quelques difficultés à croire en votre existence. Les cinq espèces surnaturelles présentes et révélées chez un seul homme... C'est prodigieux. Vous allez faire des envieux autour de vous.

— Comment ça ? répliqué-je sans bien comprendre.

— Vous êtes une arme dangereuse et mortelle, Allan Ford. Que vous le vouliez ou non, c'est la réalité. Plus d'une personne serait prête à tout pour vous compter dans ses rangs, m'explique-t-elle, comme si elle dispensait une leçon à un enfant. Vous avez visiblement choisi la cause que vous désirez défendre, et c'est tout à votre honneur. Mais si vous tombiez entre des mains moins propres et pures que vos acolytes, comme celles de nos nouveaux amis terroristes, je ne donnerais pas cher de vous.

— Vous voulez dire qu'ils me tueraient ? tenté-je d'éclaircir alors que mon cœur s'emballe dans ma poitrine.

— Eh bien... vous ne serez plus le Allan que nous connaissons, on peut donc apparenter cela à la mort dans un sens...

Ses lèvres se plissent en une moue songeuse, puis elles reprennent leur aspect pincé du début lorsque leur propriétaire se fixe à nouveau sur moi.

— Vous seriez entièrement aspiré par ces êtres, Allan. Ils vous emploieraient, vous retourneraient contre vos proches et vos valeurs pour que vous serviez leurs intérêts. Vous seriez le char d'assaut qu'ils lanceraient sur leurs ennemis, le poing vengeur qui ratatinerait tout sur son passage... S'ils savaient que vous existiez, ils détruiraient l'homme que vous êtes pour créer à la place une machine, un...

— ... Monstre, conclus-je à sa place, horrifié.

Le rêve de ma première nuit au domaine remonte à la surface et se rejoue avec une clarté effrayante dans mon esprit. Ma difformité, mes dents acérées, mes yeux noirs, abyssaux, sans trace d'humanité à l'intérieur...

N'était-ce qu'un rêve dans le fond ? Ou bien était-ce une mise en garde, un avertissement prémonitoire de mon subconscient ?

Amada a raison : si les ennemis de ma nouvelle famille me découvrent, ils feront de moi leur instrument de mort... Je me transformerai en cet être de cauchemar et massacrerai tout et tous autour de moi.

Jusqu'à semer des os et des cendres dans notre sillage...

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