Chapitre 1 - L'entretien
Cela faisait maintenant deux semaines que je travaillais pour Gabriel Agreste. Enfin travailler... que je collaborais avec lui. L'opportunité avait été trop belle. Notre professeur d'art graphique nous avait prévenu que lors des journées portes ouvertes, de nombreuses personnes du milieu viendraient et que c'était un bon moyen de nous faire remarquer.
Avec ma chasse aux akumatisés, j'avais pris énormément de retard sur mon projet et j'ai fini par improviser une maquette de la nouvelle collection Agreste, que j'avais remarquée dans un magazine traînant dans ma chambre. À vrai dire, je n'en espérais pas grand-chose, mais bizarrement j'étais toujours inspirée quand il s'agissait du travail de Mr Agreste. Même si le personnage en lui-même ne m'inspirait guère de la sympathie, il fallait bien reconnaître que son talent était incontestable. Enfin...
Le jour de cette fameuse porte ouverte, j'attendais simplement que le temps passe. Mon esprit obnubilé par la recherche de celui qui se faisait appeler le Papillon. J'actualisais le Ladyblog fébrile, attendant qu'on annonce un nouvel akumatisé, mais rien. Et alors que je soupirais au moins pour la centième fois de la journée, une voix me sortit de mes pensées.
- C'est une approche plutôt intéressante.
Alors que je levais les yeux pour savoir qui avait bien pu s'arrêter devant un projet à l'arrache comme le mien, je manquai de tomber à la renverse. Devant moi se tenait Gabriel Agreste : ou du moins sa tête. Je mis quelques secondes à me rendre compte qu'il s'agissait en fait d'une tablette, tenue par ce qui semblait être un genre de secrétaire.
- Je- Enchantée, Mr Agreste...
- De même. Expliquez-moi votre démarche. La collection étant relativement récente, vous avez dû réagir vite ! Toute idée étant toujours bonne à prendre.
J'avoue qu'il m'avait un peu prise au dépourvue. Lui et sa secrétaire avec un regard des plus glacial, me fixaient maintenant, attendant une quelconque explication de ma part.
- J'ai voulu faire quelque chose de très épuré, mais tout en gardant cette touche asiatique qui transpire de chaque tenue.
- Hmm... et comment expliquez-vous l'utilisation de ce matériel ?
Je savais qu'il me testait. Impossible que quelqu'un travaillant dans la mode, et qui plus est sur une collection japonisante, ne saurait dire ce qu'est un washi. Nous avons débattu pendant bien quinze, vingt minutes sur les couleurs, la police du texte, la mise en avant de la collection. J'ai bien cru que les bras de la nana allaient finir par tomber.
- Bien, je dois admettre que malgré le côté simpliste de la chose, vos idées ne sont pas dénuées de sens.
J'admettais que j'avais effectivement réalisé cette maquette au dernier moment, de là à me dire que c'était simpliste. Si j'avais déjà été confrontée à la critique de mes professeurs et autres intervenants, une critique venant de quelqu'un du milieu paraissait toujours plus cinglante. Et encore plus quand il s'agissait de quelqu'un dont le travail ne vous laisse pas indifférent, mais qui vous déplaît fortement en tant que personne.
Gabriel Agreste : Styliste de renom. Marié à Émilie Agreste, ils ont un fils Adrien, mannequin officiel de la firme. Sur le papier c'était une famille plutôt modèle. Lui, styliste, elle, actrice et lui, future égérie en devenir, franchement, c'était la belle vie. Jusqu'au drame de l'an dernier. Émilie Agreste a été mystérieusement frappée d'une maladie rare. Les médecins étaient totalement désemparés, et malgré tous les efforts de Mr Agreste, rien n'y a fait. Les obsèques sont restées privées, et pendant plus de 6 mois aucune nouvelle de la famille Agreste. La presse a même parlé d'un suicide familial pendant un temps. Puis un jour, sans prévenir, il sortit une collection incroyable, clairement inspirée de l'Inde. Je me souviens encore de la robe inspirée du Paon qui avait clôturé le défilé. Sublime.
Cependant il refusa toute interview, commença à prendre les médias et les autres créateurs de haut, et finit par se couper quasi totalement du monde, travaillant uniquement à domicile, ou justement via la fameuse femme à la tablette. Quel job de merde sérieusement.
- Nathalie veuillez donner une carte à... Mademoiselle ?
- Sasha Maille, monsieur, articulai-je sèchement
- Mademoiselle Maille, votre approche est assez intéressante mais soyons honnête, mériterait d'être approfondie. J'ai besoin d'un œil nouveau sur cette collection.
A cet instant, je ne savais pas vraiment quoi penser. Un profond sentiment de malaise s'immisça en moi. Je ne comprenais pas vraiment ce qui m'arrivait. Gabriel.Ipad Agreste, était en train de louer (enfin, en partie) mon travail et me donnait une carte de visite ? Où était le piège ?
- J'ai peur de ne pas bien comprendre ce que vous attendez de moi, je suis juste une étudiante, pas une designer de renom ou je ne sais quel autre prodige du milieu de la mode.
- C'est simple, je reconnais le talent quand je le vois. Vous semblez être quelqu'un de talentueux et j'aimerais mettre cela à profit.
- Dois-je comprendre que vous me proposez un travail ?
- N'allons pas jusque-là. Disons que dans le cadre de votre projet d'étude, j'accepte de vous prendre en entretien.
Si je m'y attendais. En fait il était encore plus exécrable que ce que je m'étais imaginé. Qui lui a demandé son aide ? Est-ce-que j'avais l'air de galérer autant que ça ? Surtout qu'encore une fois, ce projet n'était clairement pas ce que je comptais rendre à la fin de l'année. Je voyais plutôt quelques choses de plus violet ... Oh oui, depuis quelques temps le violet était clairement devenu ma nouvelle couleur favorite, et elle titillait mon inspiration au plus haut point.
- Je crois que vous vous-
- Gabriel ! Quel plaisir de te recevoir !
- Mr. le directeur. Je vois que le niveau des élèves est toujours aussi haut.
- On tâche d'être à la hauteur de nos anciens, tu sais. Le projet de mademoiselle Maille t'intéresse ?
Le directeur était quelqu'un d'assez jovial, qui prenait un malin plaisir à toujours se mêler de ce qui ne le regardait pas. Je n'avais su dire s'il était arrivé au pire ou au meilleur moment, jusqu'à ce qu'il commence à vanter mes louanges à Gabriel.
- Sasha est une élève très impliquée, tu sais. Ce n'est pas la première fois qu'elle présente quelque chose en rapport avec ton travail !
- Vraiment ? Je comptais justement lui proposer de venir passer un entretien au manoir, je pense que cela pourrait également être bénéfique pour ses études, non ?
- Mais ce serait formidable ! C'est une opportunité à ne pas manquer, vous entendez ça, Sasha ?
- Oui je... c'est que je ne vois pas ce que je ferais chez quelqu'un comme vous. Je suis en dernière année et le projet sur lequel je travaille me demande beaucoup de temps et ...
- Je comprends bien votre étonnement. Néanmoins, si jamais l'envie vous venait de pousser un peu plus votre raisonnement, je serais ravi de vous accueillir. Sur ce...
La jeune femme m'avait laissé une carte sur la table, tandis qu'elle tournait les talons, emportant avec elle l'homme-tablette. À ce moment-là, je ne savais pas si je devais être heureuse, me sentir humiliée ou justement encore plus motivée. Encore une fois, l'opportunité était trop belle. Je crois que le mot « trop » n'a jamais été autant de rigueur.
Trop belle. C'est aussi la première remarque que je me suis faite en arrivant devant la grande bâtisse, une semaine plus tard. En réalité, venir travailler chez monsieur Agreste pourrait m'apporter plus d'avantages que je ne le pensais. Ces derniers jours, je m'étais mise en tête de trouver les Akumas à la source, les trouver avant qu'il n'akumatise les gens. Et comme le Papillon semblait d'humeur en ce moment, ce n'était pas les akumatisés qui manquaient. En recoupant toutes les apparitions d'Akumas que j'avais réussi à suivre, j'avais peu à peu réduit ma zone de recherche, et la demeure Agreste s'y trouvait justement. Même si la quête de mon âme sœur restait ma priorité, je me devais de saisir toute opportunité, alors quoi de mieux que de combiner les deux.
J'avais beau avoir fait la fière devant une tablette, savoir que j'allais rencontrer le vrai Gabriel Agreste ne me laissait pas autant de marbre. Le stresse commençait à monter alors que j'entrais dans l'entrée. J'aurais aimé m'extasier sur les détails un peu plus, mais si ce n'était la grandeur de la pièce, la sobriété de celle-ci était déconcertante. Froide. Vide. Finalement, ça ne me surprenait pas. C'est exactement l'image que j'avais de l'homme qui vivait en ces lieux. Même si une pointe d'excentricité aurait été la bienvenue.
La jeune femme que j'avais rencontrée aux portes ouvertes, sortit alors de ce qui semblait être un bureau et m'invita à m'asseoir dans un salon annexe. Elle avait toujours ce même air glacial.
- Mr Agreste vous recevra dans quelques instants, souhaitez-vous un quelconque rafraîchissement ?
- Non merci, ça ira... par contre savoir exactement ce que je fais ici m'aiderait beaucoup. Après tout, je suis venue sans vraiment savoir à quoi m'attendre.
Pendant quelques secondes je crus presque déceler un sourire sur le coin de ses lèvres. J'imagine que son attitude ne devait être qu'une façade. Pauvre femme... Finalement les milieux guindés ce n'était vraiment pas mon truc. Mais ce n'était pas non plus mon genre de rester là, à attendre sans rien faire.
- Vous travaillez ici depuis longtemps ?
- Excusez-moi ?
- Si on doit attendre que votre patron se pointe, je préférerais qu'on fasse la conversation. Le silence ça me stresse.
- Mon patron est quelqu'un de très occupé et –
- Je n'en doute pas, mais ça ne vous force pas à attendre à côté de la porte le temps qu'il arrive, si ?
Elle soupira, manifestement elle avait compris que je n'étais pas du genre à lâcher le morceau et finit par s'asseoir dans le canapé d'en face.
- Bien, je suis assise.
- C'est quoi votre nom ? Si on est amenées à se voir dans le futur, mieux vaut faire connaissance.
- Pour vous, ce sera Mademoiselle Sancoeur.
- Mademoiselle ? Pas de Monsieur à l'horizon ?
- En effet. D'ailleurs, si vous me permettez la question, j'espère qu'aucune distraction de ce type ne fait partie de votre quotidien, n'est-ce pas ?
- Je vous demande pardon ?
- Mr Agreste ne travaille qu'avec des personnes sérieuses et qui ont le travail dans le sang. J'ose espérer que si vous restez parmi nous durant un certain temps, votre talent sera à notre entière disposition.
Je ne pus m'empêcher de tiquer. Ce n'est pas comme si j'avais un petit copain dans les pattes, mais disons que j'avais besoin d'un minimum de temps libre. Si je voulais trouver Papillon au plus vite, ce n'était pas en restant enfermée entre les cours et le boulot que j'allais y arriver.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, il n'y pas d'homme dans ma vie pour le moment. Je suis trop occupée pour ça.
- Je vois.
Je sentis qu'elle avait l'air plutôt tendue tout à coup. Je n'avais pourtant rien dit de mal. C'est ce moment-là que choisit Mr Agreste pour entrer dans la pièce, faisant immédiatement se lever Mademoiselle Sancoeur.
- Nathalie, veuillez raccompagner Tsurugi-san. Mademoiselle Maille, veuillez me suivre.
- Tout de suite, monsieur.
Alors qu'elle sortait de la pièce, je sentis un regard lourd. Mr Agreste me fixait, attendant probablement que je le suive. C'est vrai qu'il avait une certaine prestance, en même temps pour quelqu'un de sa trempe il valait mieux. Je me décidais à le suivre sans faire d'histoire, il n'était pas non plus question de faire mauvaise impression. J'entrais alors enfin dans l'atelier du célèbre styliste. Enfin atelier, c'était vite dit : cela ressemblait surtout à un immense bureau vide. Le sol était pavé d'un damier noir et blanc et les murs, revêtis de tapisserie noire. Au centre de la pièce trônait une estrade, probablement dédiée au mannequin. Un immense cadre doré ornait le mur de droite, avec un nombre impressionnant de photo du fils Agreste. Enfin, il m'était impossible de ne pas remarquer l'imposant tableau à la Gustav Klimt, représentant la regrettée Émilie Agreste. Pour un atelier de stylisme, je devais avouer que la pièce manquait drôlement de vie.
Il me montra une chaise derrière un bureau en verre. Toujours aussi aimable. Je m'y installai avec mon book ne sachant pas vraiment à quel genre d'entretien je devais m'attendre. Devrais-je réaliser un croquis sur un thème précis ? Le convaincre par mes anciens projets ?
- Aimez-vous les super héros, Sasha ?
- Pardon ?
J'avoue que je m'attendais à tout, sauf à cette question. Je sentis Takko remuer dans le fond de ma poche, mais je n'y prêtai guère attention. Mr Agreste était derrière son pupitre, fixant l'écran, semblant attendre une réponse.
- Alors ?
- Disons que je ne les déteste pas. Il sauve la ville après tout.
- Je vois.
- Et vous ?
- Il est vrai que ce sont les protecteurs de Paris, comment ne pas les apprécier. D'autant plus, qu'ils sont de plus en plus nombreux ces derniers temps.
Je sentis son regard poser sur moi. Je déglutis. Pouvait-il y avoir un quelconque rapport avec ma venue ici ? Impossible. Je savais très bien quand je me sentais soupçonnée, et je n'avais jamais rencontré Mr Agreste auparavant.
- C'est un peu vague comme question pour un entretien.
- Un entretien ? m'avait-il regardé, perplexe
- Oui, c'est bien pour cela que je suis là non ?
- Je crois qu'il y a méprise. Si vous êtes là, ce n'est certainement pas pour passer un entretien, je ne perds pas mon temps avec ces choses-là. La tendance est au super-héroïsme, et la collection traditionnelle, bien qu'ayant du succès, sera déjà passée de mode bien avant la prochaine Fashion Week. La nouvelle collection se devra d'être éclatante, moderne et novatrice. Si je vous ai fait venir ici, c'est pour que vous vous mettiez au travail immédiatement.
- J'ai du mal à saisir... Vous me proposez de travailler avec vous sans entretien ?
Il soupira. En même temps, qui trouverait ça normal ? Rencontrer un grand créateur de mode qui vous propose du jour au lendemain de venir travailler pour lui, ça cache forcément quelque chose, non ?
- Où est le piège ?
- Le piège, c'est que si la proposition ne vous intéresse pas, vous pouvez toujours continuer à chercher un stage ailleurs, mais je doute que personne ne vous prenne, en sachant que vous avez refusé de travailler pour nous.
- Touché.
- Vous avez du talent, certes, du caractère je n'en doute pas, mais êtes-vous certaine d'être stupide ?
Mon sang bouillonnait dans mes veines. Comment pouvait-on prendre quelqu'un d'aussi haut sans sourciller ? Je mourrais d'envie de lui faire ravaler sa dernière phrase. Oh que j'en mourrais d'envie. Mais il avait raison. Trouver un autre stage après avoir refusé de travailler pour la maison Agreste risquait d'être difficile : on pourrait mettre ça sur le dos de mon arrogance ou de mes exigences, et les autres maisons pourraient clairement ne pas vouloir de moi. Sans compter que la maison était en plein cœur de ma zone de recherche. Il n'y avait qu'une seule réponse à donner.
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