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───CHAPITRE v : engelures───
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Oups.
Une craquelure se traçait à présent entre ses pieds. Le lac n'était en fin de compte pas aussi solide que ce qu'il avait cru. Vite, il fallait revenir sur la terre ferme.
À peine eut-il pensé ceci qu'une forme bougea dans le coin de sa vision. Jack tourna la tête.
Deux yeux aussi noirs que l'encre le mangeaient déjà du regard, en attendant que les crocs, bien visibles sous des babines retroussées, ne le dévorent pour de vrai.
L'animal avait faim de viande de chérubin. L'enfant sentit ses poils se hérisser, non pas de froid mais d'appréhension. Il avait peur. Si seulement il avait été un homme, alors peut-être aurait-il bravé cette peur. Peut-être aurait-il sauté sur le rivage, combattu ce loup assoiffé de sang et serait rentré chez sa petite femme. Elle lui aurait alors soigné une énième cicatrice attestant de son courage de grande personne.
Mais il n'avait eu jusque-là dans sa vie qu'une seule cicatrice, lorsqu'il s'était brûlé le dos de la main contre le poêle, la veille de Noël.
Le canidé s'impatientait. Ce petit humain n'allait-il donc jamais venir à lui ? Non, il semblait reculer au contraire. Devait-il lui-même aller le chercher ? L'animal risqua une patte sur la glace.
Alors les loups suicidaires existaient réellement ? Se dit Jack. Il semblait que son esprit se soit déjà envolé, laissant son corps sans défense, debout sur la neige, au milieu des craquelures et à portée de dents de l'animal féroce.
La surface céda enfin après moult hésitations, les corps tombèrent dans l'eau. Le loup se débattit, nagea et remonta rapidement sur le rivage qui n'était pas très loin de lui. Puis, une fois sauf, il secoua ses puces gelées et observa son repas se noyer lentement dans le désespoir. Ce petit ne survivrait pas.
Sous l'eau, l'oxygène manquait à l'appel. Le froid se faisait plus mordant que jamais. Peut-être aurait-ce même été mieux de se faire dévorer par le loup plutôt que par les eaux glacées. Il se sentait partir, comme s'il sombrait dans un désagréable sommeil. Ses dernières pensées bullèrent vers la surface comme d'invisibles boules à neige. Il revit en songe sa mère et son grand-père, rien qu'une dernière fois.
« Bon Dieu, qu'on se les caille ici », « ne devient jamais un homme, mon ange ».
Dans les herbes blanches, au bord de ce lac tragiquement redevenu liquide, une traînée multicolore s'échappait du cuir usé. Maman lui avait pourtant bien dit de penser à refermer correctement la boîte de crayons après usage. Maintenant que la neige fondait, l'eau s'infiltrait dans les fournitures. Les crayons se diluaient lentement, faisant naître un triste arc-en-ciel sur le sol encore blanc.
Quel gâchis.
Sur la sacoche, tracé à la pointe de compas dans le cuir, une inscription était à moitié recouverte par la neige colorée : Jack Victor Frost. Pas de doute, les flocons, alors qu'ils terminaient de cacher ce nom damné, trouvaient cette histoire bien triste. Mais quoiqu'il en soit, la neige ne pleurait pas ses morts.
Fin.
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