Je lève la main pour toquer à la porte et entends rapidement des pas derrière celle-ci. Je suis rentrée seule en Amérique avec Michael car Devil venait tout juste de se remettre. Mais le jeune militaire a l'air plus que nerveux depuis qu'on a quitté l'aéroport et je sens qu'il me cache quelque chose. Gabriel ouvre la porte et me sourit chaleureusement, mais quand il voit Michael il perd rapidement son sourire : oulah, je sens les conflits arriver. Personne ne parle et le silence commence à être pesant alors je sors le grimoire et le secoue devant le nez de Gabriel.

Il ouvre grand les yeux et me force à rentrer dans l'appartement.

- Crie le sous tous les toits aussi tant que tu y es, il me réprimande.

Il essaye de prendre un air sérieux mais il se met à sourire rapidement avant de tendre la main pour prendre le livre. Je lui fais une petite courbette et lui tends en lui murmurant un « votre altesse », ce qui me vaut une grimace de sa part. Je rigole en voyant sa tête et nous nous dirigeons tous les trois vers le salon. Gabriel s'assoit alors que le livre se déverrouille dans sa main et il commence à le lire.

Michael se balade dans l'appartement en inspectant chaque chose sur le mur. Il a mis des habits de civils et ses ailes ont disparus quand il a quitté le Jardin d'Eden : il a l'air d'un parfait citoyen américain mais sa posture et sa carrure trahissent de son côté militaire. Il soupire avant de s'adresser à Gabriel.

- Alors c'est pour un appartement de bourges que tu es resté sur Terre ?

- Michael... Pas maintenant, s'il te plait, interrompt Gabriel.

- Et quand est-ce qu'on va devoir en parler ? Tu as laissé ton frère dans la merde pendant vingt ans et tu n'as même pas levé un seul orteil pour pouvoir le sauver ! il aura fallu que ta nièce se rende compte de tout ça pour que tu t'inquiètes pour ta famille ?

Je n'ose pas réagir et à vrai dire, je ne sais pas ce qu'il s'est passé pour qu'il se déteste autant. Gabriel ne le regarde même pas : il a fermé le livre et il fixe la table basse alors que Michael fait les cent pas. Pendant quelques secondes de silence où personne n'ose émettre un son ; je n'ai pas envie de me mêler de ce qu'il ne me regarde pas pour une fois et j'ai presque envie de les laisser discuter tous les deux.

- J'étais jeune, et tu le sais. J'étais pas préparé à assumer toutes ses conneries, répond impudemment Gabriel.

- Et tu crois que j'étais prêt à assumer ton absence, moi ?

Je retiens mon souffle, ne sachant pas comment réagir à ce qui se passe devant moi, tandis que Gabriel lui lance un juron. Il se lève et passe sa main dans ses cheveux blancs qui sont toujours autant en bataille. Il se dirige vers une commode présente dans l'entrée et en sort un cadre. Il le regarde pendant quelques secondes en souriant bêtement avant de s'avancer vers Michael et de lui mettre dans les mains d'un geste sec.

- Tu n'es pas le seul à voir souffert dans cette histoire, Michael. Loin de là.

Gabriel va dans la cuisine et sort trois bières du frigidaire. Je me sens tellement pas à ma place ici, je me sens de trop entre eux deux. Michael s'approche de nous et s'assoit en face de Gabriel ; je me rends compte que je suis restée debout tout ce temps. Je peux voir la photo présente dans le cadre : Michael et Gabriel jeunes avec un diplôme dans la main, bras dessus bras dessous. Michael se racle la gorge tout en fixant la photo.

- Le jour de la remise de notre diplôme angélique.

- Deux jours avant que la guerre ne soit déclarée, complète Gabriel qui a les yeux rivés sur sa bière.

- Je n'ai jamais pu te dire ce que je ressentais, s'excuse Michael.

Gabriel lève les yeux et passe sa main sur son cou avant de le fixer.

- Tu n'avais pas à me le dire, j'avais compris depuis bien des années.

Je regarde à travers la baie vitrée et me rappelle de ce que Gabriel m'avait demandé. Je me tourne vers lui et vois que le retour de Michael dans sa vie lui a totalement fait oublier ce qu'il m'avait demandé avant que l'on parte au jardin.

- J'ai pu voir Kallias, je lâche en plein milieu d'un silence.

Gabriel lève le regard rapidement vers moi et me fixe avec attention : on dirait qu'il a attendu ce moment depuis des années. Il me souffle un « alors ? », ce qui me rend mal à l'aise : je n'ai pas envie de lui dire dans quel état est son frère mais en même temps, je n'ai pas envie de lui mentir.

- Le Vénérable Loïd l'a enfermé pour haute trahison juste après la guerre. Ils ont altéré sa mémoire pour qu'il oublie qu'il est en prison depuis vingt ans. Il ne se souvenait même pas de moi...

- Souvenait ? Souffle Gabriel, de la peur dans la voix.

- Clara a fait un rituel des liens du sang et elle a pu discuter avec Kallias, le vrai, explique Michael avec un peu plus d'assurance. Pas celui qu'il est devenu après toutes ces années.

- Il a dit que ce grimoire était la clé de toute cette histoire, je continue. Mais je n'ai pas eu l'enseignement nécessaire pour déchiffrer ce qui est dit. Vu que tu es de sang royal, on s'est dit que tu étais la meilleure personne pour le faire.

Il sourit tout en se reconcentrant sur le livre. Je me mets à poser des questions à Michael sur comment se passait la vie sur le Jardin avant toute cette histoire, alors il me raconte des anecdotes sur leur scolarité avec Gabriel.

- C'était un vrai petit insolent, il se croyait tout permis parce qu'il était le prince mais son père ne voulait pas faire de différence entre son fils et les autres anges, alors il a été envoyé à l'école comme tout le monde. C'est là-bas qu'on s'est rencontrés. Ses parents pensaient qu'avec le temps, sa grosse tête passerait mais elle est toujours présente à ce que je vois.

Le concerné se met à sourire quand d'un coup il fronce les sourcils. On lui demande ce qu'il se passe alors il nous montre le grimoire et on peut voir qu'une page manque.

- Le rituel de passation a été arraché du livre.