§ Chapitre 38 §
17 avril 2023
France
« Louis ?
- Je suis dans le sous-sol ! Lui répondit son crush, sa voix lui semblant très lointaine alors qu'il tournait la tête vers la porte dudit sous-sol de la maison de Charlie. »
Après une douce semaine passée chez sa maman, Harry revenait chez Charlie pour vider sa maison, clef en poche et souvenirs en tête. Il avait appréhendé cette session de déménagement post-mortem toute la semaine précédente, et quand il entra dans la bâtisse, les larmes lui montèrent directement aux yeux, parce qu'il sentit l'odeur qui y planait encore. Une semaine n'avait clairement pas été suffisante pour faire son deuil, apparemment.
« Ah, salut Harry, comment tu vas ? Lui sourit Louis quand il fut descendu au bas de l'escalier du sous-sol, débouchant sur une grande pièce aux murs recouverts de mousses insonorisantes et meublée de poufs, d'un canapé, d'une stéréo et d'une table basse. Tu as passé une bonne semaine ? »
Harry s'approcha de lui pour lui faire la bise, remarquant que les petits objets qui devaient traîner ici auparavant avaient été rangés dans des cartons proches du fauteuil de Louis.
« Oui, ça m'a fait du bien de rentrer, sourit-il en retour. Ça fait longtemps que tu es là ?
- Oh, on a dû arriver il y a une heure avec Thomas à peu près, on a fait le tour de la maison pour évaluer ce qu'on va emmener chez nous ou empaqueter pour les ouvriers qui prendront tout à la rentrée, et Thomas m'a descendu ici avant d'aller faire un tour. Je crois que lui non plus ne se remet pas bien, soupira le châtain tristement. »
Harry ne commenta pas. Il comprenait.
« Donc ça se passe comment ? On prend les trucs et on les range dans ces cartons-là ? Demanda-t-il en montrant une pile de cartons pliés dans le coin de la pièce.
- C'est ça. Les meubles seront emportés directement, mais les petits meubles, s'ils rentrent dans des cartons, on les y met quand même, ce sera plus simple pour le camion. J'ai fait une partie de cette pièce déjà, mais il me reste la petite salle à côté. »
La petite salle ?
Harry se déplaça dans la direction que Louis avait indiquée et repéra une ouverture dans le mur, qui menait sur une sorte de petit cagibi fourre-tout. Il soupira d'avance en voyant les montagnes de poussière qu'on distinguait au fond de la petite pièce.
« J'ai pas pris l'option ménage, envoya-t-il à Louis, qui ricana.
- Elle ne le faisait absolument jamais, si tu te poses la question. »
Oh misère.
« Bon bah, j'imagine que je prends un carton et que je me débrouille pour foutre tout ça dedans ?
- C'est ça. Si tu trouves des choses qui t'appartiennent ou que tu aimerais garder, ne te gêne pas !
- C'est pas du vol ?
- Ce qu'on laissera au camion sera soit donné soit vendu, t'inquiète. J'ai demandé à Brannan, et elle m'a dit que ça se passerait comme ça. Elle est déjà passée pour prendre ce qu'elle voulait garder en souvenir de Charlie, alors on a le champ libre. »
Harry fut rassuré. Mais même si la propriétaire de la maison était morte, il avait quand même un peu l'impression de commettre un crime.
Eh bien allons-on, soupira-t-il à nouveau, commençant à rentrer dans le petit cagibi pour en extraire un maximum de trucs.
Et 'trucs' était le mot ; un quart d'heure plus tard, il avait sorti de là un sac de golf sans clubs, un skate cassé, trois balais, des papiers de bonbons, une table de ping-pong, qui lui avait été offerte pour son dix-neuvième anniversaire selon Louis, des revues datant de l'année 2000, un costume de castor poilu sans la tête, des cadavres de valises, une tente miteuse, des cartons vides - dont Harry se resservirait sans doute plus tard -, un brasero, et un sac poubelle vide de cinq-cent litres.
« Mais que de trésors ! S'amusa Louis lorsqu'il le rejoignit. Je t'emballe ça et tu continues de sortir ce qui reste ?
- Vendu, souffla Harry, qui était honnêtement déjà épuisé, mais tellement dynamisé par cette sensation de faire de l'urbex ! »
Il trouva ainsi plein de nouvelles choses, comme des vases, des tonnes de partitions, les clubs du sac de tout à l'heure, une poupée en porcelaine au visage manquant - il avait crié d'une manière pas du tout virile en le découvrant -, ou encore des cahiers scolaires, sur lesquels il s'attarda.
« Tu savais qu'elle était insupportable au collège ? Demanda-t-il à son compère en lisant un carnet de liaison tiré de la pile d'affaires scolaires.
- T'as quelle année, là ? »
Il regarda sur la couverture. Année 2013-2014. Elle devait être en cinquième, non ?
« Cinquième.
- Ah, ouais, c'était sa dernière année en collège voyant. Elle a changé d'établissement après.
- Elle a été virée ?
- Ouais. »
Ce n'était pas étonnant. Le carnet de liaison multipliait les entrevues parent-professeur, les notifications d'insultes ou d'insolence. Par contre, aucun retard ni absence.
Elle a toujours détesté ne pas arriver à l'heure.
« Tu n'as plus rien, là ? Lui demanda Louis en terminant d'emballer les trucs qu'Harry avait sortis de la petite pièce.
- Que ses cahiers, quoi. Je te passe ça. »
Harry entreprit de porter la pile, mais face à son poids démentiel, il dut transporter la chose en plusieurs fois.
« Elle avait des bonnes notes partout, ou c'est comment ? S'étonna Harry en voyant une évaluation sur le dessus de l'une de ses petites piles, lors du troisième voyage. Elle a sauté combien de classes ?
- Elle n'en a pas sauté, mais elle a fait ses études sup en même temps que son lycée à cause de son avance. C'est pour ça qu'elle a eu son bac tôt et son doctorat dans la foulée. »
Harry n'en doutait pas en voyant le profil, mais franchement, c'était assez extraordinaire.
« Eh bien je crois qu'on a fini cette partie, conclut Louis en mettant du gaffeur sur le dernier carton de cahiers. Ce sous-sol m'a toujours effrayé, mais maintenant qu'il est vide je le trouve pas si mal.
- Il t'effrayait ? Pourquoi ? »
Harry ne voyait pas trop de raisons de le craindre ; la moquette crème et les poufs colorés moelleux étaient plutôt à son goût, et les mousses acoustiques sur les murs rendaient l'atmosphère agréable.
« Dis-toi qu'on a dû rallumer les fusibles de cette pièce-là pour y voir quelque chose, lui expliqua Louis. Elle n'allumait jamais la lumière, et si on éteint, là, il ferait noir comme dans un four, sachant que le son est complètement absorbé. Ici, dans le noir, en silence, c'est la vision que je me fais de la mort. »
Harry comprit ce que Louis voulait dire. Pourtant, il n'avait jamais vu Charlie descendre ici. Bien qu'il soit longtemps passé devant cette porte sous l'escalier, il ne s'était jamais dit que ça pouvait être une pièce vivable.
« Elle venait souvent ici ?
- Elle y passait ses soirées, avec Ludwig en général. »
Louis ne s'étendit pas plus et se dirigea vers l'escalier.
« Tu viens ? On a le reste de la maison à faire.
- Et je suis censé te porter jusqu'en haut ? »
Bon sang, Harry se voyait déjà mourir, ayant péri sous les roues du fauteuil de Louis après avoir trébuché dans l'escalier.
« Euuuuuuuuuh oui. Mais Thomas devrait bientôt revenir, si tu ne veux pas le faire seul.
- Alors on va attendre Thomas. Il t'a sérieusement descendu ici sans aide ?
- À sa décharge, la descente est plus facile que la montée, mais oui. »
Harry hocha la tête en signe de respect. Thomas était donc un surhomme. Puisque, pour des raisons évidentes qu'il n'est pas nécessaire d'énoncer, vous n'avez jamais vu le fauteuil de Louis, vous ne pouvez pas imaginer à quel point son attirail est lourd et encombrant. Et déjà, le faire passer dans un sens dans cet escalier semblait impossible au plus jeune - du moins, impossible à partir du moment où on ne pouvait pas le porter comme on le voulait si on ne voulait pas faire passer son passager par-dessus bord.
« Il arrive, lut Louis sur son téléphone. Je pense qu'il serait plus pratique de me remonter d'abord et de monter le fauteuil après, ça vous gênera moins. »
Décidément, tu lis dans mes pensées.
« Bonne idée, tu viens ? »
Ils se servirent du canapé comme lieu de transfert, et Harry eut l'immense prestige de pouvoir porter sa dulcinée contre son cœur dans l'escalier, allant le déposer dans le canapé du salon - lieu stratégique, puisque beaucoup de petits objets nuls se trouvent en général dans ce périmètre précis d'une maison.
« Je suis là, lança Thomas en entrant peu après qu'Harry soit redescendu au sous-sol pour faire un jeu de regards avec le fauteuil de la mort. Tu n'as pas ton fauteuil, Louis ?
- Il est en bas, Harry t'attend pour le remonter, répondit Louis - le plus jeune ne les entendait que vaguement, faute aux mousses qui couvraient les murs. Ça ne te dérange pas ?
- Si, mais je suppose qu'on n'a pas le choix non plus. À toute. »
Il a l'air maussade, se dit Harry en entendant derechef le pas pesant du pianiste dans l'escalier.
Pianiste qui soupira bruyamment la seconde d'après en se retrouvant face à l'objet de tant de soucis.
« La flemme, sérieusement, râla-t-il comme jamais Harry ne l'avait vu le faire, grimaçant largement.
- Mauvaise journée ? Devina Harry en se mettant en position pour porter la chose, Thomas faisant la même chose de l'autre côté.
- Romane m'a quitté, dit-il de but en blanc. Elle trouvait que je n'avais pas à pleurer pour tu sais quoi, et de la bouderie injustifiée on est passés à de la jalousie encore plus injustifiée, parce que Charlie est morte - il dit ce mot avec une amertume plus présente que pour le reste de sa phrase - et que qui est jaloux de quelqu'un qui est mort, putain de merde ?! Donc en plus d'avoir perdu ma cheffe de chœur, cheffe d'orchestre et amie précieuse, je perds ma copine ! Putain ! »
Harry se mordit les lèvres. Ouais. Mauvaise journée. Il roula les épaules pour mieux répartir le poids du fauteuil sur ses bras, alors qu'ils approchaient de l'arrondi de l'escalier.
« Tu crois que c'est réversible, pour Roxane ? Demanda-t-il, histoire d'essayer d'arranger les choses - ce qui était un peu impossible, mais l'espoir fait vivre. »
Thomas soupira, et pas seulement parce qu'il supportait cinquante kilos sur chaque bras.
« Je sais pas. Ça fait plusieurs mois qu'elle me soule à chaque fois que je parle à une fille quelconque, et Charlie était la personne qui la faisait la plus chier, parce que je la voyais plus souvent qu'elle dans la semaine. Mais là, le fait que je pleure constamment à chaque fois qu'on en parle, elle le prend super mal, parce qu'elle se dit que si elle elle mourait, je pleurerais pas comme ça.
- Et c'est vrai comme supposition, ça ? »
Thomas croisa son regard.
« Disons que plus elle m'engueule par jalousie pure et simple alors que je démens systématiquement, plus je me dis qu'en effet, je pleurerai moins sa mort que celle de Charlie. Mais dis-toi bien qu'on ne parle pas de la même personne, que ma relation avec Roxane n'a jamais été et ne sera jamais comme celle que j'avais avec Charlie, et qu'il y a de l'eau dans le vin dans notre couple depuis un moment.
- Est-ce que tu l'aimes, Roxane ? S'enquit Harry alors qu'ils posaient les roues du fauteuil sur le plancher des vaches. »
Son ami lui sourit tristement.
« Oui. Mais plus autant qu'avant.
- Et elle ? »
Son cœur battit plus vite. Roxane n'était pas méchante, il ne voulait pas qu'elle ait le cœur brisé. Thomas non plus d'ailleurs.
« Je crois que je suis plus un objet et une oreille attentive qu'un vrai petit-ami, à ses yeux, soupira Thomas en s'appuyant sur le fauteuil. Je lui fais à manger, je m'occupe d'elle et je la réconforte quand elle a mal, mais... Entre nous, je sens que de son côté, je ne suis qu'un coloc' serviable. Elle attend de me jeter depuis un moment. »
Harry fut triste pour son ami. Thomas avait l'air fatigué, accablé par autant de mauvaises nouvelles, et lorsqu'il promena ses yeux sur le séjour, ses yeux s'emplirent aussitôt de larmes, et il serra la mâchoire - geste qu'Harry répéta, puisque ses propres yeux s'étaient dits qu'ils allaient faire comme ceux de Thomas à partir de maintenant.
« Oh non pardon merde, bégaya Thomas dès qu'il vit qu'Harry pleurait aussi. Je- désolé, je contrôle pas-
- Ça va, murmura Harry en retour, pressant son épaule en allant rejoindre Louis dans le salon pour lui rendre son fauteuil et continuer à tout emballer. Ça va. »
Le salon était en fait l'une des pièces avec le moins de petits objets, au grand dam d'Harry qui pensait que ce serait l'inverse ; l'espace était dégagé, et hormis le poinçon de Charlie qui traînait sous la table, quelques feuilles cartonnées et la télécommande de la chaîne Hi-Fi, il n'y avait rien d'accessible depuis le canapé. Et la déco était très sobre au niveau des murs, évidemment, pour ne pas qu'elle se les prenne en marchant dans son salon.
« Il me semble qu'elle a des couvertures ici... Marmonnait Louis lorsqu'ils arrivèrent et qu'ils le virent en train d'essayer de se reculer assez pour ne pas gêner l'ouverture du compartiment sous le canapé, mais pas trop non plus pour qu'il puisse l'ouvrir. »
En un mot : il galérait. Oui, ça en fait deux, mais vous savez, Harry n'a pas pris maths cette année.
« Tu veux de l'aide ? S'intéressa Thomas en arrivant à son niveau. Ou tu veux un carton ?
- Je veux bien un carton vide, ouais, sourit le paraplégique en soulevant le siège du canapé et dévoilant au grand jour une armada de couvertures. Je vais les remporter chez moi, expliqua-t-il à son ami, qui toisa sans trop comprendre le carton que Louis avait déjà à côté de lui. Dans le tas, il y a la moitié des miennes, et l'autre moitié j'ai juste envie de la garder. »
Harry sourit pour lui-même, prenant plusieurs cartons pour aller dans la cuisine, bientôt suivi par Thomas, qui grimaça en voyant la quantité phénoménale de petits objets, ustensiles et appareils électroménagers qui attendaient là.
« Mais elle ne cuisinait même pas tant que ça, râla-t-il en ouvrant tous les placards et découvrant toujours plus de vaisselle. Louis, on a du papier bulle ?
- Bien sûr, c'est dans le garage.
- Parfait, attends-moi là Harry, je reviens. Quoique, reprit-il en stoppant le pas qu'il était en train de faire, se figeant ainsi dans une position marrante. Monte avant moi et commence à ranger sa salle de bains et sa chambre, commence par où tu veux, et moi et Louis on te rejoint quand on a fini ici.
- Aeuuuuuh, la salle de bains ? Rougit Harry immédiatement. Il n'y a pas une salle de sport plutôt, ou un conservatoire ? »
Le regard blasé par en-dessous de Thomas le fit se sentir comme une merde. Mais quoi, il n'allait quand même pas vider les tiroirs à sous-vêtements de sa cheffe de chœur !
« Harry, je peux m'en charger si ça te gêne, se reprit Thomas en considérant que peut-être qu'Harry ne supportait pas ce genre de tâches. Mais du coup il faut que tu fasses la cuisine. »
Harry s'apprêta a accepter ce job, puisqu'après tout il n'avait vraiment pas envie de découvrir des choses bizarres à l'étage, mais il se souvint tout à coup de la clef qui pesait lourd dans sa poche. Clef qui ne demandait qu'à ouvrir quelque chose, qui s'il était caché - il l'était à coup sûr - devait être à l'étage, puisqu'ils avaient vidé le sous-sol.
« Non, c'est bon, je vais à l'étage, se résigna-t-il en frissonnant d'avance mais ne pouvant ignorer cette putain de clef et tout ce qu'elle lui promettait. »
Thomas le regarda bizarrement à nouveau, et Harry soupira. Son comportement ne devait pas avoir beaucoup de sens.
« Désolé, c'est que Charlie m'a offert une clef qui ouvre quelque chose ici, à Noël, et je cherche ce que c'est. »
Il n'avait pas envie de cacher quelque chose d'aussi nul à Thomas, ça lui ferait douter de sa confiance ou quoi, et ce n'était pas souhaitable, surtout qu'il avait une vie vachement dure en ce moment. Cependant, le regard de Thomas s'éclaira.
« Ah, c'est toi qui l'as ! Je sais où est le coffre. »
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