§ Chapitre 34 §
8 avril 2023
France
« Je vous rappelle les règles de sécurité qui ont été mises en place pour ce soir, les interpela l'un des membres de l'équipe de surveillance alors qu'ils s'apprêtaient à aller se placer sur scène, dix minutes avant le début des discours. Les portes coupe-feu sont fermées, et ne seront ouvertes qu'en cas d'urgence, vous devrez donc pour toute la représentation passer par la porte par laquelle vous êtes passés toute la journée, même quand la représentation sera terminée. Quand vous êtes dans les couloirs, ne courez pas, restez calmes s'il se passe quelque chose d'anormal, et venez tout de suite nous alerter. La salle est très grande et il y a beaucoup d'endroits où nous patrouillerons, mais vous pourrez nous voir grâce à nos brassards, montra-t-il en levant bien haut son brassard orange fluo pour que tout le monde le voie. Si vous remarquez quelque chose alors que vous êtes sur scène, faites-le savoir à mademoiselle Brannan, elle a de quoi nous contacter pendant la représentation - Harry eut du mal à retenir un sourire en entendant le ''mademoiselle'' attribué à Charlie. Et n'oubliez pas de voyager au moins à deux quand vous allez quelque part. Je crois que c'est tout. »
Moi je trouve que c'est pas mal déjà.
« Très bien, merci mon cher, je crois qu'on peut y aller si on n'a rien oublié. Vérifiez que vous avez tous vos partitions, vos cachets, votre gourde, votre bippeur également, et vos accessoires si vous avez des instruments. Je n'ai pas envie que ces dix prochaines minutes soient des allers-retours sans fin entre ici et la scène. Tout le monde a tout ? »
Une approbation générale se répandit dans les rangs, et ils se mirent enfin en route vers la scène, Harry vérifiant en catimini qu'il n'ait rien oublié dans ses partitions - parce qu'il avait fait comme si, mais en vrai il ne savait pas trop.
Pour une fois, ils avaient été autorisés, et même obligés, à avoir leur téléphone avec eux pour la représentation - l'un des ordres qui avaient fait le plus grincer des dents à leur cheffe de chœur -, mais Charlie n'avait accepté qu'à la condition qu'ils soient en mode vibreur léger et que l'appareil soit ainsi proche de leur peau, de manière à faire le moins de bruit possible pour les micros. Harry avait donc son téléphone dans sa poche, et redoutait un peu de le sentir vibrer, parce qu'alors il ne savait pas comment il ferait pour décrocher.
Ils traversèrent tranquillement les quelques couloirs qui les séparaient de la scène, mais bientôt Harry ne put plus ignorer le bruit monstre que faisaient les gens qui parlaient dans la salle, et il se souvint tout à coup que les gens seraient cinq mille. Cinq. Mille.
« Oh Will, je crois que je stresse, dit-il à son ami à côté de lui.
- C'est marrant, moi aussi, gloussa le jeune homme. L'équipe de sécurité m'interpelle toutes les dix minutes pour me rappeler que si quelque chose se passe mal il y a une chance que ça me retombe dessus, alors tu imagines bien ! »
Harry regarda son ami un peu plus en détail. Les membres de l'orchestre pouvaient s'habiller comme ils le voulaient du moment que c'était sombre et dans des tons bleus foncés, alors le master arborait un pantalon à pinces noir avec une chemise de la même couleur, sur laquelle était porté un gilet bleu marine chatoyant et une cravate d'un bleu très profond. Comme à son habitude, ses cheveux n'étaient coiffés qu'en décoiffé, et ses mains tremblaient, pour une fois.
Harry ne voulait pas froisser sa tenue ni lui prendre directement les mains parce que dans ce contexte ce serait un peu étrange, mais il voulait quand même lui manifester son soutien ; il lui prit donc l'un des poignets et le serra doucement, pour qu'il arrête de trembler.
« Ne stresse pas. Tout va bien se passer. La sécurité est là s'il y a la moindre menace interne, les gens ont été fouillés en arrivant, et en plus la sécurité n'a rien trouvé sur eux, donc relax. Ne pense qu'à la musique. »
Wilhelm avait l'air d'avoir atteint un tout nouveau stade de stress. Ses yeux étaient joyeux mais agités, se plissant comme l'aurait fait un masque heureux au théâtre.
« Harry, je ne sais pas si ce qui monte en moi est du stress ou un pressentiment désagréable. Ça me met vraiment mal à l'aise. »
Le garçon aurait aimé lui assurer encore une fois que tout se passerait bien, mais il n'en était pas sûr en réalité. Il se contenta donc de changer de sujet - enfin, pas tant que ça, en fin de compte.
« Quelles étaient les menaces qui t'ont été envoyées à propos de Charlie ? »
Ils approchaient de la scène, les gens faisaient un vacarme assourdissant ; les deux amis pouvaient donc se parler à voix basse sans craindre de se faire entendre. Wilhelm choisit pourtant de lui répondre du bout des lèvres, après un rapide temps de réflexion.
« Ils l'ont accusée de meurtre. Beaucoup, quasiment tous. Ça parlait de ce Zayn, qu'elle l'avait tué lui aussi. Et ils disaient qu'elle aurait dû brûler avec lui, avec eux, qu'ils l'avaient retrouvée. »
La voix de Wilhelm était quasiment inaudible, mais les mots qui sortaient de sa bouche brisaient le cœur d'Harry en mille. Il l'entendait presque s'éclater au sol.
« C'était- c'était si violent Harry, j'ai- j'ai eu beaucoup de mal à ne pas vomir les premières fois. J'ai vraiment peur de ce soir. »
Alors Harry comprit que c'était bien plus grave que ce qu'il avait pensé au début. Et que peut-être que tout ne se passerait pas bien, finalement.
• § •
Ils étaient tous en place, quelques chants avaient déjà empli la salle et fait applaudir le mastodonte de personnes assis face à eux - que les choristes ne pouvaient pas voir parce qu'ils avaient les lights dans la gueule, mais qu'ils entendaient très bien lors des applaudissements, et autant de bruit était étourdissant -, et ils s'approchaient maintenant de Les Berceaux, un chant soprane-alto qui avait la particularité de faire chavirer le cœur d'Harry à chaque fois qu'il l'entendait.
Alors que Thomas jouait l'intro et que quelques instruments de l'orchestre ajoutés par Charlie le rejoignaient, Harry essaya de voir dans le public un quelconque affolement ou comportement suspect, mais à cause des lumières il était impossible de voir quoi que ce soit, et seuls les instruments se faisaient entendre dans la grande salle. Il se fit un rapide check tympans, mais rien à signaler de ce côté-là non plus - tout se portait merveilleusement bien au niveau de son acoustique depuis un moment, et le constater à nouveau lui mit du baume au cœur.
Les Berceaux - Gabriel Fauré
Le long du quai
Les grands vaisseaux
Que la houle incline en silence
Ne prennent pas garde
Aux berceaux
Que la main des femmes balance
Mais viendra le jour des adieux
Car il faut que les femmes pleurent
Et que les hommes
Curieux
Tentent les horizons
Qui leurrent - high note super belle
Et ce jour-là
Les grands vaisseaux
Fuyant le port qui diminue
Sentent leur masse retenue
Par l'âme
Des lointains
Berceaux
Par l'âme des lointains
Berceaux...
Harry ne savait pas trop si c'était la polyphonie qui l'émouvait, les paroles, ou les deux, mais il avait une boule dans la gorge à chaque fois qu'il entendait ce chant. La dernière note le laissait toujours très vide.
Ensuite venait Tantum Ergo, de Jessica French, que Charlie avait pensé mettre pendant l'une des messes de la Semaine Sainte mais ça n'avait pas logé alors elle l'avait mis là. C'était joli, mais pas de quoi casser trois pattes à un canard du point de vue d'Harry.
Le chant passa rapidement, et ensuite vinrent plusieurs pieces d'Ola Gjeilo, dont The Rose et Ubi Caritas - oui, ils avaient bien fini par le chanter (cf Chapitre 1) - et In the Shining Darkness, un chant sans paroles, que des voyelles chantées, mais avec un art de la mélodie fabuleux. Puis deux pièces plus dynamiques, avec Cantate Domino de Mark Hayes, et O filii et filiæ, un chant en latin arrangé en quatre voix, et c'était si rapide qu'on n'avait clairement pas le temps de souffler, mais le public applaudit plus fort que jamais.
Ensuite, encore quelques pièces soprane-alto - non, Harry ne les comptait plus -, des reprises du Carnaval des Animaux par l'orchestre et quelques pièces connues ou méconnues, mais si dynamiques qu'Harry se demanda plusieurs fois comment il avait jamais pu penser qu'un orchestre puisse être ennuyeux. Puis vint l'entracte, et pour les mêmes raisons de sécurité qui les empêchaient de vivre comme ils l'entendaient, les chanteurs et les musiciens durent rester sur scène, ou partir par petits groupes sur des intervalles de temps stricts, pour ne perdre personne d'ici la reprise et ne pas créer de cohue.
Charlie n'appréciait pas vraiment ces contraintes imposées par-dessus son commandement, mais profita de ce moment pour donner quelques instructions encore à l'orchestre, qui avait eu moins de répétitions que la chorale ces derniers temps. Wilhelm en prit particulièrement pour son grade et retira le micro de son violon quelques instants pour s'entraîner sur des passages fragiles. Harry fut ravi de l'écouter pour l'aider, et l'entracte passa ainsi rapidement, avec les choristes qui patientaient assis à leur place ou au fond de la scène.
Leurs placements étaient pour une fois un peu farfelus ; ils étaient toujours rangés par voix, évidemment, mais étaient debout sur une petite estrade derrière les musiciens en une longue file, dont une partie des chanteurs était au milieu même des musiciens parce que sinon le rendu n'était pas joli - dans les spectacles, beaucoup de décisions sont trouvées avec un sens de la débrouille pur et sans conservateurs. Le tout donnait l'impression de petits groupes d'instruments veinés de chanteurs - et comme les chanteurs avaient pour couleur maîtresse le vert sombre, le tout était joli.
« On se remet en place, ça va reprendre, les appela Charlie alors que Wilhelm répétait son solo sur l'Été de Vivaldi - parce que oui, ils le faisaient, et il était désespéré de n'avoir pas pu le travailler davantage chez lui, ça et l'Hiver, soient les deux seules saisons de Vivaldi dignes d'intêret aux yeux de Charlie.
- Je suis pas prêt, putain de pas prêt, marmonna Wilhelm après avoir raté pour la énième fois sa montée ultra rapide de la mort sur l'une des deux pièces, prostré dans une position de stress ultime sur sa chaise, le pouce et l'index posés sur le haut de son nez de manière à fermer ses yeux, son violon posé à la verticale sur son genou en attendant d'être rechargé de son micro, et son archet tremblotant au bout de ses doigts.
- Wilhelm, les gens ne le savent pas, lui assura Harry - ce qui est très souvent vrai -, et tes milliards d'années de pratique de violon vont faire en sorte que même si tu fais de la merde, ce sera incroyable. »
Le violoniste n'avait pas l'air d'être touché par ses paroles. C'était normal ; à sa place, Harry ne serait pas touché non plus. Il se pencha donc de manière à pouvoir serrer le haut du torse de Will contre le sien et lui mettre des tapes dans le dos.
« Tu. Es. Putain. De. Beau. Et. Talentueux. Répète après moi pour voir ? »
Wilhelm gloussa de stress.
« Charlie sera là pour te donner la pulsation Will, tu n'as rien à craindre, vraiment. Les autres aussi vont te porter par-derrière, et tu vas te souvenir de la mélodie de ce que tu dois jouer, et comme tu connais tes cordes comme tu connais les douze commandement du parfait choriste de renom, tu sauras jouer tout ce qu'il faut au bon moment. Maintenant, chuchota-t-il dans son oreille, remets immédiatement ton micro parce que Charlie et le régisseur vont faire une syncope. »
Cette nouvelle source de stress tendit le dos du jeune homme, qui s'empressa de rechausser le micro de son violon sur son manche. Harry courut à sa place, derrière les flûtes traversières, et une minute plus tard, le rideau s'ouvrait.
Cette seconde partie était davantage consacrée à l'orchestre, mais de manière symétrique à la première, quelques pièces du chœur étaient intercalées avec celles de l'orchestre, plutôt douces et calmes, pour ne pas briser l'atmosphère qui s'installait dans la salle.
Harry s'en rendait d'autant plus compte que son expérience musicale grandissait, mais l'orchestre du campus était vraiment très doué. Il n'avait de mémoire jamais entendu de reprise aussi propre des saisons de Vivaldi et des autres pièces jouées, dont il ne connaissait pas les noms, mais pas besoin de ça pour les trouver magnifiques - il fallait avouer que se tenir debout au milieu des instruments même avait quelque chose d'enchanteur, qui le plongeait tout de suite plus dans la musique qu'une bête vidéo sur un écran.
Cependant, alors que l'orchestre jouait un énième morceau, Harry, qui avait ses mains croisées dans son dos, sentit une main essayer de fourrer un truc dans sa paume. Il serra le truc, la main partit ; c'était un bout de papier plié.
Il envoya un rapide regard derrière lui, et c'était Julien qui lui avait fait passer le papier, comme Louis derrière lui avait dû le lui faire passer. Il avait l'air inquiet, mais se forçait à sourire. Harry fronça les sourcils devant cette attitude, et déplia le papier. Une écriture inconnue s'étendait là.
Un incendie s'est déclaré dans une zone interdite au public du bâtiment et normalement vide. Nous sommes partis là-bas pour éteindre l'incendie et vérifier que personne ne soit enfermé. Deux gardes sont encore avec vous, mais restez aussi vigilants que possible tant que nous ne serons pas revenus.
L'équipe de sécurité.
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