27 août 2022
France 

Harry releva les yeux à ce moment, rencontrant ceux, bleu ciel, dudit Louis. Il fut intérieurement surpris de le voir en fauteuil roulant, avant de se souvenir bêtement qu'ils étaient dans un centre pour handicapés.

Ses cheveux étaient châtains, légèrement trop longs et tombaient en bataille sur sa tête, formant un petit casque enfantin sur son crâne éclairé de lèvres fines courbées en un grand sourire, entourées d'un léger cercle barbu qui lui allait bien et rehaussées par ses pommettes hautes et sa mâchoire marquée. Ses bras recouverts d'un sweat à capuche large reposaient sur ses genoux comiquement croisés, comme s'il était une jeune diva, sa tête se relevant un peu pour pouvoir faire face à son interlocuteur assis face à lui. Ses yeux rieurs aux coins ornés de petites pattes d'oies déridèrent Harry instantanément, qui lui offrit un faible sourire en retour, cependant insuffisant pour dévoiler les fossettes cachées dans ses joues. 

« Salut, moi c'est Louis, salua-t-il bien bas avec force mouvements de bras, effleurant le sol du bout des doigts. Madame Brannan ne t'avait pas prévenu que je serais là, je parie même qu'elle n'a pas prononcé la moindre parole à mon sujet, soupira-t-il dramatiquement, sa voix aiguë un peu cassée rendant le tout d'autant plus ridicule, faisant même sourire la dame assise contre son bureau. Je suis ici pour représenter Charlie, tu te souviens de sa fonction parmi les masters ? »

Le jeune homme fit tourner ses méninges un instant, avant de brusquement se rappeler que c'était le seul nom qu'il avait retenu parmi les quatre. 

« C'est la cheffe de chœur... Elle est malade ? S'inquiéta-t-il aussitôt, déçu de ne pas pouvoir la rencontrer directement. 

- Non, mais elle a beaucoup de travail avec la rentrée qui approche, comme elle doit s'occuper de toutes les partitions, de l'organisation du spectacle de début d'année, et encore d'autres trucs dont je n'ai pas connaissance. Et même si je sais que notre chère et tendre directrice dit qu'ici il n'y a pas d'handicapés, continua le jeune homme avec un regard en coin à Madame Brannan, son problème à elle est assez... prenant dans son rôle. Ça la ralentit, mais elle ne veut pas d'aide, alors elle est assez lente, chuchota-t-il en cachant sa bouche derrière sa main, comme si l'intéressée allait l'entendre. »

La directrice soupira discrètement mais ne le contredit pas. 

« Bref, reprit-il en s'installant normalement sur son siège et reprenant son sourire, je m'appelle Louis, je fais partie des chanteurs de la chorale, je suis paraplégique et je sens mes membres jusqu'à mi-cuisses, j'ai dix-neuf ans, je vais passer ma seconde année de médecine ici pour devenir dentiste, et je suis accessoirement le meilleur ami de Charlie, finit-il dans un sourire fier. Comme elle a tendance à être assez spéciale tu pourras me poser toutes les questions que tu voudras sur elle, même les plus stupides - il lui fit un petit clin d'œil à ces mots, se reculant un peu dans son siège pour signaler qu'il avait fini sa présentation. 

- Que veux-tu dire quand tu dis qu'elle est spéciale ? S'enquit Harry, curieux même s'il avait intérieurement compris le choix de l'adjectif. 

- Tu verras, tu sauras quand tu seras en face d'elle, pouffa Louis sans paraître s'agacer. C'est difficile de la rater parce qu'elle a beaucoup de prestance et que tout le monde lui tourne autour, mais si tu as un doute viens aux répétitions du chœur ou de l'orchestre, tu seras le bienvenu, même si elle te dit le contraire.

- J'adorerais venir, souffla Harry en perdant son regard dans le vide, ayant encore en tête son concert raté de la semaine précédente. Quel est ton avis sur le talent de la chorale ? Se reprit-il peu après. Puisque tu y es, tu dois- Je ne doute pas de votre jugement Madame, s'excusa-t-il précipitamment auprès de la directrice, mais l'avis peut être plus objectif venant de- Enfin-

- J'ai compris Harry, pas d'inquiétude, rit celle-ci en acquiesçant, écoutant attentivement la petite conversation, tout comme les trois masters silencieux, qui détaillaient Harry quand il parlait.

- Eh bien... Réfléchit Louis en perdant légèrement son sourire, concentré. Comme dans tout chœur, il y a quelques chanteurs un peu bancals, mais... Charlie est vraiment une bonne dirigeante, son travail est remarquable, tout comme l'application avec laquelle elle choisit nos chants. Elle aura beau dire le contraire, elle a un rôle clef dans ce campus, je ne sais réellement pas ce qu'on ferait sans elle et son talent. Rien que pour jouer de la musique elle est douée en tout, je ne comprendrai jamais comment elle fait.

- Elle joue d'un instrument en particulier ?

- Elle joue de tout, tu n'as qu'à mettre un instrument quelconque entre ses mains et elle te sortira une mélodie digne des plus grands, sourit le châtain avec un clin d'œil léger. Elle a l'oreille absolue*, je suis sûr que ça aide. »

Le chanteur le salua une seconde fois avant de se reculer pour de bon en mimant faiblement le son d'un camion à reculons, laissant la place à une petite rousse qui fit quelques pas vers Harry timidement.

« Alors, toi tu es Sasha c'est ça ? Déduisit le brun en voyant que c'était la seule fille présente, et se souvenant accessoirement qu'il n'y avait que deux masters féminines - comme de masculins d'ailleurs. »

Elle acquiesça doucement avec un air doux qui ne devait pas la quitter souvent.

Pas très grande, une taille un peu ronde à côté de Louis qui paraissait presque chétif, tout petit dans son fauteuil, ses courts cheveux roux lisses lui faisaient une frange cachant ses sourcils et le haut de ses yeux bruns, une partie étant retenue par une barrette droite. Quelques taches de rousseur parsemaient son nez et ses joues rondes, ses longs cils les effleurant à chaque clignement d'yeux. Sa bouche révélait de petites dents blanches quand elle souriait, mais elle ne l'ouvrit cependant pas pour lui répondre, faisant à la place quelques signes avec ses mains. Harry eut un temps d'arrêt, puis demanda stupidement : 

« Tu es muette ? »

Elle hocha la tête avec un sourire triste, consciente qu'il ne pourrait pas la comprendre tant qu'il n'apprendrait pas la langue des signes française. 

« Je vais te traduire, arrangea Louis en comprenant son malaise et s'avançant près de lui pour faire face à la jeune fille, qui commença à bouger ses mains dans des sens improbables. »

Fasciné, Harry suivit chacun de ses mouvements en écoutant Louis d'une oreille distraite - lui-même parlait assurément une langue des signes, mais pas celle-là, car sa famille handicapée n'était pas française.

« Je m'appelle Sasha, j'ai dix-huit ans, je vis ici depuis trois ans maintenant et je suis en études de droit. Je m'occupe des gestions d'appartenance à l'étudiant, comprenant les classes, appartements, colocations, associations, parfois les assurances pour dépanner. Je pense qu'on se croisera peu, signa-t-elle en souriant d'un air contrit, mais si tu as un problème avec ta coloc' ou tes études tu pourras venir me voir, j'ai pas mal de temps libre. 

- Merci Sasha, la remercia Harry en inclinant la tête quand elle arrêta de signer et se recula. »

Elle sourit plus grandement, cachant ses joues un peu roses dans ses cheveux et liant ses mains derrière son dos. Ce fut ensuite un jeune homme blond qui s'avança, incarnant le parfait look du surfeur.

Sa silhouette longue et élancée trahissait le fait qu'il allait régulièrement à la salle, ses cheveux formaient de longues mèches blondes savamment ébouriffées, retombant élégamment sur son visage, dont les traits fins devaient en faire baver plus d'une. Ses sourcils étaient droits et sérieux, mais ses yeux d'un bleu clair joyeux montraient qu'il était bon vivant, éclairés d'un large sourire narquois qui étirait ses joues un peu creuses et imberbes. Ses vêtements se résumaient à un bermuda large et une chemise fantaisiste relativement corrects, et ses chaussures n'étaient autres que des sandalettes en cuir, une paire de lunettes de soleil reposant sur sa coiffure très travaillée pour compléter son allure.

« Je vois que tu détailles à chacun notre apparence alors je te préviens tout de suite : je suis rentré de vacances il y a vingt minutes, Madame Brannan m'a appelé à la rescousse aussitôt que j'ai déposé ma valise sur le sol de ma chambre, désamorça le jeune homme en détectant sur lui le regard scrutateur du plus jeune. 

- Ne fais pas comme si tu ne t'habillais pas comme ça au quotidien Wilhelm, railla le dernier master derrière lui, qu'Harry désigna donc comme Liam, si sa mémoire ne lui jouait pas de tours - ce qui ne serait pas si improbable.

- Chut, il n'est pas encore au courant, marmonna le blond de sa voix grave sans aucune discrétion, plaçant négligemment ses mains dans ses poches. Donc moi c'est Wilhelm, responsable des activités extra-scolaires et des fêtes, et ce n'est pas parce que je tiens ce rôle que j'assiste à toutes les beuveries de cet endroit, désamorça-t-il à nouveau quand il vit le regard échangé entre Harry et sa mère. 

- Hem, toussota Sasha dans son coude. 

- Je t'ai entendue Sasha, soupira Wilhelm en levant les yeux au ciel. Quand je dis que je suis responsable des fêtes, reprit-il pour les invités, c'est pas les petites fêtes du jeudi soir chez un étudiant, parce que ces événements-là ne se prévoient pas des mois à l'avance, mais plutôt les grosses fêtes, comme les spectacles pendant l'année, Halloween, Noël, Pâques ; je m'occupe également des activités, donc ça va être organiser une semaine de voyage dans un lieu, ou de gros projets du genre. 

- Vous vous êtes déjà déplacés en grand nombre ? Demanda Anne, curieuse. 

- Oui Madame, l'année dernière nous sommes allés à la canonisation d'un saint au Vatican, à la demande d'un élève du lycée affilié à CUHA - on a bien sûr été aidés par les parents d'élèves parce que c'était une classe de secondes -, et pour les étudiants on s'est prévu une semaine dans une station de ski pendant les vacances de Noël, pour faire voir du pays à ceux qui étaient obligés de rester ici. C'était génial. Évidemment, comme ce sont de grosses dépenses on n'en fait pas régulièrement, mais c'est amusant de se le permettre de temps en temps, sourit Wilhelm en inclinant la tête. Ai-je répondu à votre question ? 

- Oui, merci beaucoup jeune homme, remercia Anne en hochant la tête. Vous vous appelez donc Wilhelm ? Reprit-elle l'instant d'après d'un ton mi-intéressé, mi-amusé face à ce nom peu commun.

- Hélas oui, mes parents voulaient que je laisse ma trace dans le monde médiatique, et je suis maintenant condamné à être pris pour un prince britannique, quoiqu'ils l'ont peut-être fait parce qu'ils se croyaient drôles, soupira-t-il en levant les yeux au ciel. Sans vouloir étaler ma vie, ils m'ont jeté hors de la maison en apprenant mon handicap, donc maintenant je vis sans eux et c'est très bien. 

- Euh, quel est ton- enfin- Bafouilla Harry, ne sachant comment s'y prendre. 

- Mon âge ? Oh c'est vrai j'oubliais : je suis actuellement âgé de vingt ans, une autre question ? Sourit grandement le jeune homme, parfaitement conscient du trouble du plus jeune. 

- Oui, c'est que- pourquoi-

- Pourquoi je suis là alors que je suis aussi vieux ? Je pense que tu souhaites parler de mes études fort longues ; je suis en marketing et commerce, je finirai bientôt mon cursus. Mais dis-moi, tu sembles embarrassé ? Coupa-t-il Harry une seconde fois. 

- Wilhelm, posa Harry en soufflant, seul dans sa panique interne puisque tout le monde avait compris son interrogation sauf le principal concerné qui faisait l'imbécile. 

- Oui ? 

- Quel est ton handicap s'il te plaît ? Demanda-t-il finalement en serrant les dents, craignant de se faire envoyer bouler.

- Déstresse, lui souffla Louis alors que Wilhelm prenait une pose dramatique. On est ouverts sur le sujet, il n'y a pas de honte à avoir.

- MOI, commença fortement le blond en mimant la tristesse et l'émoi, MOI PAUVRE ENFANT DIAGNOSTIQUÉ D'UN CANCER DU POUMON GAUCHE-

- Arrête de crier, marmonna Liam derrière lui, alors qu'Harry n'osait pas le faire lui-même, ayant tiré une légère grimace que seul le plus discret semblait avoir remarquée. 

- Pardon mon chaton. MOI, reprit-il encore plus fort de sa voix un peu déraillée, récoltant un regard incendiaire de la personne derrière lui sans remarquer la figure crispée d'Harry, bon d'accord j'arrête. En fait, j'ai eu des cellules cancéreuses détectées dans mon poumon gauche pendant mon enfance, expliqua-t-il plus calmement, j'ai été opéré par la suite assez rapidement donc il n'y a plus eu de danger immédiat, mais les cellules sont revenues l'année de mes quinze ans, et comme on les a détectées tard je n'avais pas grandes chances de survie, quelle émotion. Enfin, on m'a tout bonnement retiré le poumon fautif et on a voulu le remplacer par un autre mais j'étais intolérant alors je vis avec un seul. Ça m'handicape dans pas mal de situations mais ça ne m'empêche pas d'entretenir mon physique de beau gosse alors c'est pas grave. Ah et j'oubliais : je fais partie de l'orchestre, je sais jouer de la trompette mais pour une raison plutôt logique j'ai dû me reconvertir dans le violon. Et je laisse ma place à notre daron à tous, plaisanta-t-il en se courbant bien bas, passant le relais à son ami qui s'avança, les bras croisés et la mine un peu taciturne. »

Tout en restant grand, Liam possédait des traits un peu plus ronds que ceux de Wilhelm, sa peau métissée relevant ses yeux chauds et ses cheveux bruns courts, accompagnés d'une fine barbe de trois jours. Ses lèvres s'écartèrent pour sourire à son ami qui faisait l'andouille à côté de lui, son nez et ses yeux se plissant un peu. Sa posture était bien différente de celle du blond, et Harry compris pourquoi celui-ci le traitait de ''daron'' quand il le vit croiser discrètement ses mains derrière son dos lorsqu'il se plaça devant lui, son jean droit et sa chemise aux manches repliées au niveau des coudes lui donnant un air avenant.

« Bonjour Harry, salua-t-il simplement en s'inclinant légèrement. Comme Madame Brannan a pu te le dire, je suis Liam, responsable de la vie sociale étudiante et lycéenne, et je gère l'administration en compagnie de Sasha, étant donné que nos fonctions sont similaires. J'ai vingt-six ans et je suis ici depuis quelques années, depuis l'ouverture en fait, sourit-il en perdant son regard dans le décor autour de lui ; je m'en vais dès que j'ai terminé ma thèse d'aéronautique et obtenu mon doctorat.

- Et il paie les factures comme un bon papa, n'est-ce pas Daddy ? Lança Wilhelm du fond de la pièce, où il conversait avec Sasha. »

Harry manqua s'étouffer sous le regard curieux de Liam, qui ne fit pas de commentaire autre que ''il s'entraîne à parler anglais, laisse-le ''. Le bouclé ne sut vraiment s'il le faisait exprès ou pas, en tout cas Wilhelm n'ajouta rien de plus, ayant simplement un sourire en coin en continuant de parler à la rousse. 

« À part ça, as-tu des questions sur moi ou mon parcours ? Reprit l'adulte en se concentrant sur son interlocuteur, semblant éclipser la directrice, Anne et Louis, qui observaient Harry. 

- Quel est ton handicap s'il te plaît ? »

Liam sourit et retira sa chemise, assurant auparavant qu'il portait un T-shirt en dessous, pour laisser voir une prothèse de bras apparaissant juste à la naissance de son épaule. 

« J'ai également une surdité partielle, palliée par des implants auditifs, et une cécité légère corrigée par des lentilles ou des lunettes, ça n'est pas vraiment un handicap, sourit le jeune homme en remettant sa chemise devant un Harry devenu muet. 

- Est-ce de naissance ? Demanda Anne à sa place, surprise d'apprendre qu'il en avait autant. 

- Non, j'ai eu un accident de voiture quand j'étais enfant, répondit négligemment Liam en haussant les épaules. 

- Et moi et Sasha c'est de naissance, compléta Louis, ayant deviné l'interrogation non formulée d'Harry. Tu veux te présenter à ton tour maintenant ? Ce n'est pas une obligation. »

Harry baissa le regard vers ses chaussures, pour ne pas croiser ceux des personnes en face de lui. Il ne savait pas s'il voulait se présenter.

Certes, ces gens avaient l'air merveilleux et gentils, mais si les autres ne l'étaient pas ? Et puis, en plus du fait qu'aucun parmi eux n'avait son âge, il n'avait aucune chance de les croiser sur le campus un jour. Il avait encore le souvenir de la maquette derrière le bureau, et ce qu'il pouvait en dire, c'est qu'il était très vaste. Non, il ne reverrait sans doute jamais ces gens qui se chamaillaient en face de lui, même s'ils étaient les fameux masters du campus que tout le monde rêvait peut-être de rencontrer. Mais pourquoi est-ce que malgré ça, il avait envie de les connaître ? Sans qu'il ne puisse réellement se l'expliquer, il se sentait poussé vers eux, vers cet endroit, ce futur qui lui paraissait à la fois si proche et si inaccessible. S'il se présentait à eux, il avouait publiquement qu'il sentait avoir sa place ici. Ce dont il n'était toujours pas sûr, en réalité.

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Lexique

Oreille absolue
Quand tu sais précisément quelle note est jouée juste en l'écoutant - les chefs d'orchestre professionnels sont toujours dotés de l'oreille absolue pour pouvoir gérer tous les instruments correctement, et ça ne s'acquiert pas, on naît avec. Quelqu'un doté de l'oreille absolue peut retranscrire une partition à l'oreille - la réécrire sans prendre le modèle original. Petite pensée à Mozart qui a fait sa fête au Miserere d'Allegri, comprenant neuf voix différentes simultanées.