§ Chapitre 2 §
22 août 2022
France
Quand il pénétra dans le bâtiment en s'inclinant respectueusement devant l'autel tout au fond - il ne croyait pas mais était conscient qu'il n'était pas dans un parc d'attractions -, ses yeux rencontrèrent le joyeux bazar qu'avaient déjà mis les chanteurs en arrivant, leurs sacs négligemment posés sur les bancs de bois et leurs partitions éparpillées dans la nef. Il souffla doucement du nez en retirant son casque, appréciant l'odeur du lieu et son effet apaisant, presque cotonneux. Il avait déjà pensé à laisser tomber ses protections dans un endroit tel que celui-là - il pensait à les retirer plus qu'il ne voulait bien se l'avouer -, calme et reposant, personne n'osant véritablement crier dans les lieux de culte, mais avait été presque agressé par les micros grésillants et les lumières vibrantes de l'endroit, ces sons horripilants résonnant contre les murs de pierre, se faufilant entre les parois de son crâne pour les écarter le plus possible et tenter de faire imploser sa cervelle en éjectant ses yeux de leurs orbites, dressant ses poils sur ses bras et son dos et faisant grincer ses dents. Depuis cette expérience très désagréable, il se contentait de simplement enlever son casque, eu égard des regards outrés que lui lançaient les petites vieilles qui venaient voir les concerts quand il le portait, et également pour des raisons pratiques de satisfaction auditive - un concert oreilles couvertes est moins appréciable qu'un concert tout court.
Machinalement, son regard se porta dans l'espace au-devant de lui, mais si leurs affaires étaient là, les membres du chœur avaient l'air d'être sortis, drôle de choix selon lui puisque la température de l'église était bien plus supportable que celle de l'extérieur, et s'il se fiait au son de leurs voix chahutant dans le vent, ils prenaient leur goûter avant la répétition de l'après-midi. Il profita de cet instant de sérénité intérieure en parcourant le déambulatoire, contemplant les statues et lisant les écriteaux disséminés dans le couloir qui faisait le tour du chœur - le lieu, pas les chanteurs. Quand il entendit les voix des adultes dehors commencer à réunir les affaires pour rentrer, son cœur accéléra la cadence, excité à l'idée de pouvoir écouter de la musique à nouveau.
Il se montra donc aux premiers arrivés en souriant doucement, craignant de les effrayer en leur montrant l'ampleur de sa joie de les voir - il ne voulait pas passer pour un psychopathe -, et les salua d'un geste de la main. Ils cessèrent leurs conversations, surpris de voir quelqu'un dans l'église, les fidèles s'éloignant souvent pendant les heures de répétitions des chœurs. Une jeune fille s'avança en souriant elle aussi, pour ne pas laisser Harry parler tout seul devant la contemplation muette des plus jeunes.
« Bonjour monsieur ! Vous êtes venu nous voir chanter ?
- Oui, mais tu peux me tutoyer, répondit doucement le garçon, l'incitant de cette manière à parler moins fort. Quelle voix es-tu dis-moi ? Je parierais sur une soprane*, mais le petit grain de ton timbre m'incite plutôt à dire alto* ?
- Je suis bien une atlo, s'étonna la jeune fille, surprise. Vous êtes chef de chœur ?
- Non, j'aime simplement beaucoup écouter de la musique chorale, mais où est le ou la vôtre s'il te plaît ? »
Il préférait passer sous silence le fait qu'il était monstrueux et n'avait que ce moyen pour écouter de la musique, pour des raisons logiques qu'il n'est pas nécessaire d'évoquer.
« Elle est là-bas, lui répondit un petit garçon en regardant ses pieds, intimidé par la taille et la profondeur du ton d'Harry, en désignant une femme au fond de l'église du doigt. »
Le brun le remercia en passant gentiment sa main dans ses cheveux et s'éloigna vers la femme indiquée, apparemment âgée d'une cinquantaine d'années, laissant derrière lui des enfants pleins d'admiration et de chuchotements. Il préféra ne pas s'attarder sur cet effet qu'il avait sur eux, et engagea une petite conversation avec ladite cheffe de chœur, pour se présenter et lui faire part de son souhait, en général exaucé : chanter sans micros ni enceintes, et possiblement sans lumières, même si c'était moins simple pour lui de les convaincre. La condition des enceintes passait toujours difficilement, étant donné que beaucoup de chœurs emportaient leurs instruments, électriques, avec eux, et avaient besoin de ces caisses émettrices pour les entendre, mais il n'avait pas vraiment de souci à se faire pour cette fois, étant donné que c'étaient des chants a capella* qui allaient être interprétés. Restait également la question des lumières, et il espérait que le soleil puisse se montrer clément et ne parte pas se cacher derrière les nuages, car il comptait profiter de sa lumière pour éclairer le groupe, puisque les projecteurs avaient la fâcheuse manie de, quelquefois, émettre de petites explosions pendant leur activité, et complètement déconcentrer le garçon, qui n'entendait plus que ça.
Il avait bien sûr conscience qu'il était égoïste d'imposer ainsi ses conditions à un chœur et un public innocent, mais était-ce trop demander que d'aller voir un concert dans un environnement silencieux pour l'apprécier correctement ?
Je suis vraiment un connard.
« Bonjour madame ? Murmura-t-il alors qu'elle feuilletait ses partitions. »
Elle leva ses yeux bruns vers lui, réhaussant ses lunettes sur le bout de son nez. Au moins, elle n'avait pas l'air méchante.
« Oui ?
- Excusez-moi de vous demander ça, mais est-ce que cela vous dérangerait de faire le concert sans micros, ni enceintes, ni lumières ce soir ? »
Il ne voulait pas perdre pas de temps à s'expliquer - il ne voulait pas que l'on s'apitoie sur son sort - mais il regretta un peu d'y être allé aussi franchement, parce que le regard de la femme se fronça d'un coup. Il craignit subitement de devoir donner des arguments, et la dernière altercation qu'il avait eue avec un chef de chœur bourru lui revint en mémoire : la fois où, après avoir expliqué son cas, il avait reçu des insultes et des ''va te faire interner'' assez peu agréables. CUHA lui repassa devant les yeux à ce souvenir, mais il le renvoya bien loin dans sa tête. Il ne voulait pas gâcher sa soirée avec ça.
« Excusez-moi jeune homme, pouvez-vous répéter ?
- Je- En fait, on a eu de sérieux problèmes d'électricité dans cette église hier soir, rien de bien grave, mais l'office du soir a été annulé et le courant n'a été remis qu'il y a quelques heures. On n'a pas jugé important de vous prévenir sur le moment puisque ça devait être remis de toute façon pour l'heure du concert, seulement c'est fragile, et ça risque de sauter pendant la représentation, donc je vous demande si c'est grave de faire sans appareils électriques ce soir ?
- Je... Murmura la cheffe de chœur, recevant le mensonge du garçon, un peu dépassée. Vous êtes de l'équipe liturgique de cette paroisse ?
- Oui, excusez-moi de ne pas vous avoir prévenus, mentit-il encore une fois, affichant une moue désolée. »
Elle prit le temps de réfléchir un instant, portant son regard sur ses chanteurs qui s'installaient sur les marches devant l'autel avec leurs partitions, puis à nouveau sur Harry qui se liquéfiait intérieurement de mentir aussi éhontément à une dame qu'il ne connaissait même pas.
« C'est vrai que c'est un peu inattendu, mais... vous êtes bien sûr que c'est inutilisable ?
- J'ai réessayé peu avant que vous n'arriviez, je suis navré. Mais n'avez-vous pas des pièces a capella ?
- Si, bien sûr, c'est l'ensemble de notre répertoire d'ailleurs, mais... et nos lumières ? Nous ne pouvons pas chanter dans le noir.
- Si ce n'est que ça, ne vous inquiétez pas, le soleil se couche tard et les vitraux diffusent parfaitement sa lumière, assura Harry avec un sourire rassurant. »
Il pouvait d'ores et déjà affirmer qu'elle se plierait à ces conditions strictes et complètement imposées, son regard voltigeant entre les vitraux et son chœur, qui l'attendait, commençant les échauffements.
« Eh bien nous ferons avec, monsieur...? Déclara-t-elle finalement en reportant ses yeux sur lui, faisant un petit sourire rassurant mais pincé.
- Harry, membre de l'équipe liturgique de cette paroisse, groupe technique. »
Cette réponse improvisée sembla lui plaire, puisqu'elle le salua rapidement et retourna vers les chanteurs. Lui se dirigea vers la mezzanine arrière en en fermant l'entrée derrière lui, s'asseyant près de l'orgue pour avoir un meilleur rendu et s'assurer d'être seul, et avoir enfin la possibilité de légèrement démettre ses bouchons d'oreilles.
En écoutant distraitement les bribes de sons qu'émettaient les chanteurs pour s'échauffer, son esprit s'égara une nouvelle fois vers le sujet qui lui prenait la tête depuis que Karen l'avait remis sur le tapis : CUHA. Il en avait déjà reçu des brochures plusieurs fois, mais il ne se sentait pas d'y aller, alors même que ça avait l'air adapté pour lui, pour les mêmes raisons qu'ont les personnes âgées qui ne veulent pas aller en maison de retraite. L'envoyer dans ce centre spécialisé, ce serait comme se débarrasser de lui, se décharger d'un fardeau inutile sur la route.
Il savait bien que sa mère et Karen ne pensaient pas à mal, et voulaient véritablement son bien en lui proposant cette issue, car de leurs points de vue cela sonnait comme le paradis ; il aurait des cours dans un environnement stable, adapté à ses besoins et exigences quotidiennes, entouré de jeunes comme lui, il pourrait aussi y obtenir un métier et l'exercer dans les lieux dédiés, qui se rempliraient années après années d'adultes et de familles... d'handicapés. Un campus entièrement rempli d'handicapés et de médecins qui les assistaient, voilà ce que c'était que CUHA, un immense dépotoir de problèmes physiques et mentaux, juste à côté des villes de personnes ''saines'' - c'était en tout cas son point de vue, qui avait tendance à ternir les belles paroles des deux femmes de sa vie.
Ah, la vraie répétition commence, sourit le brun en entendant les premières notes et feuilletages de partitions, éclipsant ses pensées, se concentrant uniquement sur la musique qui commençait à s'élever dans l'église.
Selon sa mémoire, la première œuvre chantée serait Ubi Caritas de Ola Gjeilo, un compositeur contemporain dont il avait déjà entendu plusieurs œuvres. Celle-ci, il l'avait déjà entendue quelque part, d'un chœur anglais qu'il était allé voir en voyage scolaire, et il l'avait d'ailleurs assez appréciée, bien qu'il lui semblât qu'à la réflexion, ce n'était originellement pas une pièce a capella.
La cheffe de chœur se mit lentement en mouvement, instaurant un rythme lent pour le début du passage des sopranes*, qui ratèrent leur démarrage en sentant le regard du garçon sur elles, depuis le fond de l'église. Elles se reprirent sous le petit signe d'agacement de leur dirigeante, et prirent leur départ correctement au second essai, tremblotant légèrement en chantant les premières phrases.
Ubi Caritas -- Ola Gjeilo
Ubi Caritas et amor, Deus ibi est
Congregavit nos in unum, Christi Amor.
Harry attendit que les voix d'hommes reprennent pour la suite, mais elles ne vinrent pas, et le chant s'interrompit une seconde fois dans un soupir las de la dirigeante. Il soupira silencieusement en rouvrant les yeux, parce qu'ils n'auraient jamais le temps de tout répéter s'ils s'arrêtaient à chaque phrase, mais quand il porta les yeux sur l'arrière du chœur, à l'emplacement des voix masculines, celles-ci n'étaient... plus là.
Les regards des enfants se tournèrent tous vers la sacristie en constatant leur départ, et Harry se sentit mal quand il entendit l'un des garçons, de son âge en plus, dire : ''il faisait trop sombre donc on a allumé les lumières, on peut reprendre''. Ses tympans le rappelèrent à l'ordre instantanément et il remit ses protections en quatrième vitesse, sous les grésillements insupportables des vieilles ampoules suspendues aux rares lustres au plafond, non loin de lui à cause de sa position. Il put pratiquement aussi entendre la cheffe de chœur qui s'étonnait, évidemment, et se tournait vers lui, mais il était déjà parti par la sortie du fond, ne tenant pas à se faire enguirlander par une personne en colère de s'être fait duper, de toute façon elle ne comprendrait pas.
Ce sera un non pour ce soir, soupira Harry intérieurement, marchant rapidement dans la rue pour rentrer chez lui.
Son écoute avait duré moins de dix minutes, il avait rarement fait de temps aussi mauvais. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait, bien sûr, mais il était déçu que ce soit arrivé aussi tôt : il n'avait même pas pu écouter un chant en entier. Le prochain concert en date ne serait qu'à la rentrée ; c'était en effet rare pour lui de pouvoir écouter des chœurs à l'approche de la fin des vacances d'été, car il y en avait en général davantage au début.
Et alors qu'il pensait à ce qu'il ferait en attendant le prochain concert, il s'évada à nouveau, pour la troisième fois de son court après-midi, vers CUHA. Encore et toujours. Avec du recul, peut-être qu'il avait envie d'être pris en charge, d'avoir la possibilité d'entendre à nouveau de la musique et d'être autonome, avec des gens comme lui. Et peut-être qu'il culpabilisait bien trop d'être un poids pour sa mère, qui n'avait que son maigre salaire pour eux deux et son handicap. Et peut-être aussi qu'il voulait se sentir normal. Mais vraiment, si il y allait, il ne voulait pas s'éterniser là-bas, car si Karen pouvait prendre le risque de dire que son ouïe deviendrait normale, il ne pouvait pas lui-même dire que cela se réaliserait. Après tout, qui aurait pu prévoir que de sourd de naissance, il passerait à trop bien entendant ? Les chances que son ouïe redescende étaient tellement réduites à ses yeux qu'il avait envie d'y croire, quelque part. Mais ce risque de rester dans cet endroit pendant des années pour un but improbable, est-ce qu'il était réellement prêt à le prendre ? Il était incapable de le dire.
« Maman, je suis rentré, annonça le garçon en passant la porte de sa cuisine, respirant l'odeur familière qui y planait. Pizza ? Devina-t-il ensuite avec un sourire, alors que son regard passait sur les boites fermées et encore chaudes.
- Coucou mon amour, murmura Anne en l'enlaçant, passant une main dans son cuir chevelu pour le caresser doucement. Comment s'est passé ton rendez-vous ?
- Bien... Karen a rapporté CUHA sur la table, elle compte m'y inscrire bientôt je crois. Elle te passe le bonjour, d'ailleurs. »
Sa mère hocha la tête doucement, fatiguée. Lui ne lui renvoya pas la question, il savait que son travail n'avait pas changé par rapport à d'habitude.
Anne Styles, veuve de son mari depuis quinze ans, était caissière dans un supermarché miteux et les faisait vivre tous les deux avec sa maigre pension. Avant et peu après cet incident, elle avait été une femme pleine de vie, qui souriait, faisait des blagues, cuisinait, et parlait sur tous les sujets. Mais depuis quelques temps, elle devenait de plus en plus passive, regardait des points imaginaires pendant des heures, tentait de rire avec Harry alors que sa voix sonnait juste comme un souffle égaré dans le vide ; elle commandait à manger à tous les repas, et avait quelques rares gestes d'affection envers son fils, qui à cause de son handicap l'avait habituée à vivre dans un silence qu'elle ne supportait que peu, sans appareils électriques superflus et sans gaieté, d'une certaine manière. Lui se sentait mal de lui faire vivre cette vie, qu'il n'avait pas choisie mais lui imposait, de par le fait qu'il habitait chez elle.
Est-ce que CUHA n'aurait pas son utilité, en fin de compte ? Se demanda le garçon en réalisant que s'il partait, sa mère irait bien mieux.
Cette idée le tourmenta longtemps encore dans la soirée avant qu'il ne trouve le sommeil.
• § •
23 août 2022
France
« Bonjour Karen, salua le jeune homme en entrant dans la même pièce qu'il avait quittée la veille de très mauvaise humeur, faisant face à son insupportable bruit de fond qu'il avait désormais presque l'habitude d'entendre. On va parler de CUHA aujourd'hui, je te préviens, coupa-t-il quand elle ouvrit la bouche pour parler. »
Il savait qu'elle voulait remettre le sujet sur la table, et était même obligée de le faire à cause des bilans auditifs mensuels du garçon, proprement catastrophiques, mais il savait également qu'elle risquait de tourner autour du pot pendant de longues minutes qui ne feraient que l'énerver. Et ce matin-là, il n'avait vraiment pas envie de devenir exécrable, parce que sa mère était présente à ce rendez-vous avec lui, et il ne voulait pas lui montrer cette image défavorable de son nouveau caractère, pour ne pas rajouter le mauvais comportement d'un fils à sa peine.
« Très bien, acquiesça donc Karen en se pinçant les lèvres, détestant par-dessus tout qu'on lui coupe la parole. Y a-t-il une raison à ce changement d'avis ?
- Il n'est toujours pas favorable, mais tu peux essayer de me convaincre, soupira Harry en jetant un coup d'œil en biais à sa mère, qui n'avait pas trop l'air absente, pour une fois.
- Heureuse de t'entendre dire ça. Alors, je vais devoir remplir un petit questionnaire, commença l'aide-soignante en tirant quelques feuilles du paquet qui couvrait son bureau, pour être bien sûre que tu es dans les clous pour pouvoir y entrer. Je veux que tu répondes sans réfléchir. Première question : est-ce que tu considères ton problème comme un handicap ?
- Oui - ça lui arracha la langue mais il ne pouvait plus mentir.
- Pourquoi ?
- Je dois répondre sans réfléchir là aussi ou j'élabore ? Ironisa le garçon, mais il se ravisa en voyant le regard sévère de Karen. Eh bien, je pars du principe que si ça prend une place aussi importante qu'il en prend en ce moment dans ma vie et mon quotidien, c'est que c'est un handicap. »
Il avait passé la nuit à se répéter ce genre d'arguments, pour se convaincre et arrêter de freiner des quatre fers à chaque fois qu'on abordait le sujet. Il fallait qu'il avance, et qu'il accepte sa condition, même si ça ne lui faisait pas plaisir de retourner à cet état d'infirme après quatre-cinq ans de normalité.
« Ça te gêne donc dans ta vie de tous les jours ?
- Oui. »
L'infirmière étant littéralement en train de cocher des petites croix sur sa feuille, Harry se sentit comme répondant à un test stupide sur le métier qu'il voudrait faire plus tard, ou ceux sur les paquets de céréales qu'il lui arrivait de lire quand il s'ennuyait, et faisait en cachette dans sa chambre.
« As-tu une idée fixe du métier que tu souhaiterais exercer, ou ton handicap t'a fermé la porte que tu désirais ?
- Je n'avais pas d'idée précise avant mon handicap et je n'en ai toujours pas.
- Quels sont tes plans pour les années à venir ?
- Le chômage ?
- Te vois-tu vivre comme tu le fais à présent jusqu'à tes trente ans et après ?
- Clairement pas.
- CUHA te paraît-il accueillant dans l'idée ?
- Oui.
- Serais-tu pour autant prêt à y aller ? »
Silence.
« Pourquoi ? »
Toujours rien.
Si le garçon ne répondait pas, c'est parce qu'il ne savait pas s'il voulait y aller ou non : il ne savait pas s'il avait besoin ou pas, s'il rejetait ou pas. Il n'avait tout simplement pas - plus - d'avis, mais il pressentait que cette case ne serait pas sur le questionnaire. Pourtant, Karen ne se démonta pas, et continua ses questions en ignorant celle qui posait problème.
« Qu'est-ce qui te gêne dans ton handicap, dans ta vie de tous les jours ?
- Je- Le garçon reprit sa respiration et se racla la gorge de s'être légèrement absenté, j'entends les faibles fréquences des objets électriques depuis un peu plus de quatre mois, et des objets non silencieux discrets... depuis plus longtemps. Comme ta bordel de clim' Karen, qui fait un boucan pas possible. »
Elle leva les yeux vers ladite climatisation, mais ne fit pas de commentaire.
« Et sinon, s'il n'y a pas d'appareils électriques ou d'appareils tout court autour de toi, comment te sens-tu ?
- Ça n'existe pas ce genre de situation-
- Réponds. »
Il lui fit les gros yeux, et elle leva les siens au ciel, pas intimidée pour deux sous.
« J'entends ''juste'' tout bien plus fort et plus détaillé. Un grain dans une voix, un caillou sous une chaussure, une main sur un tissu, des conversations au loin...
- Questionnaire terminé, j'ai le plaisir de t'annoncer que tu as le droit d'accéder à CUHA l'année prochaine. Je comprends que le concept te paraisse bien mais que tu hésites encore, après tout ce n'est pour l'instant pour toi qu'une destination écrite sur un bout de papier ; c'est pourquoi je te propose d'aller le visiter, ou du moins passer sur le campus, pour te rendre compte par toi-même de ce que c'est et exprimer ensuite ton désir d'y entrer ou pas, lui sourit Karen d'un air qui se voulait rassurant. Tu as techniquement les conditions pour y accéder, et ta recherche de métier n'est pas dérangeante, beaucoup de jeunes sont encore indécis comme toi à ton âge. Enfin, ce n'est pas mon travail de te dire ce genre de choses, se coupa l'aide-soignante elle-même en se frottant le front, agitant doucement son bracelet. Aller y passer quelques heures te tenterait ? »
Le jeune homme réfléchit, mais pas longtemps, car ayant déjà vachement envie de visiter cet endroit apparemment merveilleux pour les gens comme lui, handicapés.
« Oui, s'il te plaît. »
Et c'est en voyant le sourire étincelant de sa mère, qui n'avait pas du tout participé à cette petite entrevue mais tout écouté - du moins il l'espérait -, qu'il sut qu'il avait fait le bon choix.
• § •
Lexique
A capella
Littéralement ''à la chapelle'', appellation donnée dans les Xe siècles aux chants chantés à La Chapelle Sixtine, qui ne comportait pas d'instruments ; les chants sans instruments sont donc aujourd'hui désignés comme chants ''a capella''.
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