Sans
Harry s'assoit par terre, sur le pont. Louis aussi. Ils ne se touchent presque pas, juste leurs genoux, leurs épaules. Ils regardent la rivière qui s'étend en face d'eux, qui part vers l'infini.
Louis demande :
-Si nous ne nous étions pas vu dans le tramway, est-ce que tu serais venu me parler ?
-Probablement pas.
C'est douloureux. Cette façon de se dire des choses comme si tout était perdu d'avance, alors que tout pourrait être recommencé.
Louis a mal. Il a souvent eu mal durant ces années sans Harry. Une douleur lancinante, une douleur lassive, une douleur qui se terrait sous un coin de sa peau, et qui parfois lui lacérait le cœur en pleine nuit. Souvent. Mais jamais une douleur pareille à celle-ci. Jamais la douleur de savoir Harry à ses côtés et qu'il soit comme... Perdu à tout jamais.
Pourtant, il demande encore :
-Est-ce que tu pensais à moi, quand tu étais là-bas ?
Harry a un petit rire désabusé. Il tend la main, et il vient chercher celle de Louis. Ses doigts sont froids contre les siens, presque tièdes. Il a envie d'embrasser la paume de sa main. Il faisait ça avant, il s'en souvient. Il adorait les mains de Louis, petites et délicates. Maintenant... Il ne sait plus. Elles sont un peu plus rêches. Un peu plus âbimées. Par le temps.
-Presque tous les jours. Tu étais dans un coin de mon esprit.
-Pourtant, tu as du rencontrer des tonnes de gens.
Harry sourit.
-Londres est une grande ville.
-Tu es tombé amoureux ?
-Non, jamais. Pas comme avec toi. C'était plus... Pour s'amuser. Ou passer le temps. Je ne sais pas trop...
-D'accord.
-Tu as peur ?
-De ?
-Qu'il y ait quelqu'un d'autre que toi.
-Non. Tu as le droit. Je veux dire... Ca fait cinq ans. Je pensais même que tu avais fait ta vie, que tu reviendrais avec un gosse. J'en sais rien. J'imaginais... Je ne te voyais pas rentrer seul comme ça. Je ne te voyais pas me tenir encore la main et avoir les mêmes fossettes sur les joues.
Harry se met à rire. Et puis il porte la main de Louis contre sa bouche. Il embrasse ses doigts. Louis sent son cœur s'accélérer lentement au contact de cette chaleur. Harry murmure contre ses phalanges.
-Louis. Il y a cinq ans de ça tu m'as bousillé le cœur. Il est toujours âbimé, ne t'inquiète pas. Toujours le même vide que tu y as creusé. Je ne peux pas réparer ça. Ce sera toujours là.
Louis ferme les yeux. La bouche de Harry est douce et glisse le long de ses doigts rougis par le froid. Il murmure, des mots un peu étranglés :
-Je n'avais pas le choix.
-Je sais. Tu disais ça. Et de toute façon, j'ai cessé de t'en vouloir.
Louis tourne son visage vers Harry. Celui-ci se redresse légèrement, pour pouvoir le regarder dans les yeux. C'est fou comme les yeux de Louis sont clairs et limpides. Harry avait oublié ça, qu'un simple regard pouvait renfermer le monde entier. Louis souffle :
-J'avais peur Harry.
-Et maintenant ?
Il porte à nouveau la main de Louis à sa bouche mais cette fois il embrasse sa paume. Et lentement, il y pose sa langue, comme pour en redessiner chacunes des lignes creuses.
Louis a les lèvres qui tremblent.
-Maintenant je n'ai peur que de toi.
*
« C'est quoi ta plus grande peur, à toi ? »
« Je crois que c'est de tomber amoureux. C'est terrifiant. »
*
-C'est toujours pareil.
Louis allume la lumière. Le disjoncteur retentit avec un petit clac et le couloir s'éclaire. La tapisserie est vert bouteille. Louis ajoute :
-Aussi moche je veux dire.
Harry le suit dans le petit salon. Il est un peu intimidé et c'est stupide parce qu'il est venu tant de fois ici mais c'est juste que... Absolument rien n'a changé de place. Tout est identique, comme si le temps n'avait pas eu d'emprise sur l'appartement de Louis. Comme si, depuis son départ, tout était resté figé comme dans un conte de fée. Et c'est assez... Troublant.
Harry s'assoit sur le canapé. A cette même place, il y a cinq ans, il faisait l'amour avec Louis. Si il fermait les yeux, il sentirait encore l'ombre de ses cuisses enserrant les siennes. Mais il ne le fait pas. Il se concentre. Louis est debout et il lui sourit gentiment.
-Tu veux boire quelque chose ? Un thé ?
-Je veux bien s'il te plaît.
Louis hoche la tête. Il va vers la cuisine, et Harry remarque qu'il a enlevé son manteau. Maintenant il est en chemise blanche, une chemise mal repassée. Harry sourit un peu. Il se sent léger. Presque heureux d'être ici, dans cet appartement qui a vu se dérouler les plus beaux moments de la fin de son adolescence. Les pires aussi, sûrement. Mais est-ce que tout ce qui s'est passé avec Louis n'était pas juste sublime et violent à la fois ? Parfois, Harry se demande si il arrivera à nouveau à vivre avec autant de passion que lorsqu'il était dans les bras de Louis, il y a cinq ans de ça.
Louis revient avec du thé
Il s'assoit à côté de Harry sur le canapé, en tailleur.
-Tiens. C'est un peu chaud.
-Hmhm.
La tasse est brûlante en fait. Mais Harry la serre fort entre ses deux mains.
-Tout va bien au Centre ?
Louis a un petit rire. Il hausse les épaules avant de répondre doucement :
-Je ne sais pas si on peut dire que « tout va bien » mais en ce moment il n'y a pas trop d'incidents. Les gamins sont adorables. Je travaille avec les plus petits maintenant d'ailleurs.
-Pourquoi ?
-J'ai demandé.
-Je vois.
Louis lève un sourcil. Sa bouche se pince en une ligne droite et Harry sourit légèrement. Il connait cette expression, l'expression de Louis lorsqu'il se vexe.
-Tu ne vois rien du tout. Tu n'étais pas là.
-Certes.
Louis pose sa tasse sur la table basse et il se lève. Il marche jusqu'à la fenêtre, les bras croisés sur sa poitrine.
-Tais-toi Harry. Tais-toi. Si tu savais... Peut-être que tu m'as haï mais moi je me suis détesté. Tous les jours de ma putain de vie sans toi. Alors non, je ne pouvais plus... J'arrivais plus à être dans les mêmes locaux que ceux où tu avais marché. Je ne pouvais plus arriver au travail, et voir ton image se dessiner dans les couloirs. Je ne pouvais plus ouvrir la porte de ton ancienne chambre et me rappeler que si tu avais encore été là, tu m'aurais enfermé avec toi pour m'embrasser quelques minutes.
-Louis...
-TAIS-TOI... Je m'en suis... Tellement tellement voulu et je n'ai jamais eu le courage de t'envoyer un seul putain de message pour te dire de rentrer ou pour te demander ton adresse et courir te voir. Jamais eu ce courage là et ces cinq ans, c'est de ma faute... Tout ce temps perdu... Alors que tu es la seule personne à mes yeux.
-Même si tu m'avais téléphoné je ne serais pas rentré Louis. Et je ne t'aurais jamais donné mon adresse.
Louis pose son front contre la vitre. Il est presque entouré par les rideux gris translucides, les épaules secouées par le chagrin. Il a mal au ventre, envie de se jeter sur Harry et de l'étrangler avec ses propres mains ou alors le couvrir de baiser et mordre sa bouche, peu importe, mais quelque chose qui le fasse pleurer à son tour.
Harry se tait. Il finit lentement sa tasse et puis la repose sur la table. Louis n'a pas bougé. Harry se demande si ils arriveront à s'aimer à nouveau, comme avant, dans l'innocence de leur jeunesse, ou si tout a été anéanti par cinq ans d'absence et de ressentiment. Si maintenant, la seule chose dont ils seront capables, c'est de se faire du mal.
Il s'allonge sur le canapé, les genoux un peu repliés. Il attend. La pièce est éclairé par la lumière du soleil d'hiver. Il ferme les yeux. L'odeur... Partout la même. C'est celle de Louis. Louis qui renifle à quelques mètres. Louis... Si loin et si prêt à la fois. Harry a envie de lui dire qu'il l'aime toujours, et que ce sera sûrement à jamais le cas. Il a envie de lui dire de le déshabiller sur ce canapé là, dans la lumière, comme avant, et de lui faire l'amour pour tout réparer. Il y pense très fort. Il pense aux mains de Louis sur son ventre, ses petites mains. Il pense aux mains de Louis sur ses cuisses. Il pense à la bouche de Louis sur la sienne. A sa langue.
Le Louis d'avant aimait tellement l'embrasser.
Est-ce que le Louis du présent le touchera à nouveau ?
*
« Je sais qu'un jour tu partiras. Alors parfois j'ai envie de te mordre si fort qu'il te restera la marque de mes dents sur ta peau. Et tu te souviendras toujours de moi. »
*
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