Chapitre 6- Dégouline, petite goutte
La dense ville s'échappait de la vision du petit garçon posté à la vitre arrière de sa voiture. Il apercevait de plus en plus d'arbres aux feuilles brunes qui luttaient pour garder leur mûre couleur d'été.
La Twingo bleue voguait sur la route perdue dans le paysage bordé de plaines et de quelques champs. Elle roulait, descendait des pentes et remontait les côtes quand elle arrivait vers la montagne. C'était certes une petite montagne, mais elle formait le pilier majeur du climat doux de la région. De ce mont coulait la seule rivière à proximité. Elle avait un lit presque invisible et grandissait en s'approchant des espaces urbains.
Kuro habitait une petite ville assez éloigné des grandes agglomérations.
Il y était né et rattachait tous ses souvenirs à cette charmante ville : un lieu non très peuplée, mais accueillant et calme. Elle bordait la montagne ainsi que le fleuve qui la traversait dans toute sa longueur.
Dans le silence ébruité par les murmures de la nature, Kuro sentait qu'il approchait de sa ville, son monde merveilleux en toutes saisons, vers son terrain d'exploration.
Il savait l'excitation montée en lui, trépignant d'impatience.
Sachant qu'il n'y avait pas d'hôpital dans sa campagne, il avait été déporté vers l'établissement le plus proche, un espace lointain où se trouvaient les équipements adapté à ses besoins. Comparé à son petit paradis, l'autre ville était une métropole ! Kuro ne saisissait pas le charme des villes saturées.
Ils firent donc vingt kilomètres en peu de temps, mais assez pour émerveiller l'enfant qui redécouvrait la campagne où il avait vécu, sous son manteau d'automne.
Kuro s'attardait à observer une goutte d'eau en suspension sur la vitre de sa portière : Curieusement, elle ne glissait pas comme les autres, mais s'accrochait de toutes ses forces pour tenir bon malgré les virages. L'enfant la contemplait en songeant : « Dégouline petite goutte ! » Il avait l'intime conviction qu'en lâchant prise, la perle d'eau se sentirait mieux. Kuro se souvint qu'il avait aussi lâché prise, quelque part... dans un sombre désert. Mais n'avait plus les détails en tête, embrouillé.
Doucement, la famille entra dans la ville paraissant déserte. Leur véhicule tourna après avoir traversé un petit pont puis une ruelle grimpante. Le fond de la voie était peint d'une forêt sauvage. Il reconnut sa rue même si elle reflétait un léger air différant d'à son habitude. Le véhicule se gara dans la ruelle près d'un portillon noir et le moteur se coupa.
L'allée donnait sur une maison modeste mais élégante, blanche au toit bleu-gris. On comptait un étage et un petit jardin négligeable.
Le garçonnet était soulagé de savoir sa maison inchangée depuis son départ.
Quand le véhicule s'immobilisa, Kuro trépignait d'impatience, le nez collé à la vitre, tout en regardant devant lui la barrière fermée. Finalement, la gouttelette avait cédé à la force du vent et l'avait délaissé.
Dès que sa mère lui ouvrit la voie, il s'élança à toute allure dans sur son terrain. Même ralenti par ces béquilles, l'enfant ne se décourageait pas pour faire preuve d'enthousiasme. Il remarqua au passage que le potager fut laissé à l'abandon et qu'il n'avait pas été cultivé cet été.
Ce fait lui serra le cœur : la tristesse qu'il avait causée à sa mère fut si intense, qu'elle n'eut pas le courage de reprendre le jardinage. D'habitude, Shisaki aimait pratiquer avec son fils, de bons moments d'amusements, refoula-t-il plein de sentiments contradictoires.
Il ne fit rien remarquer à ce propos car il concevait que sa mère souffrait déjà assez comme ça...
Le petit attendit que sa maman lui ouvre la porte sagement, devant le pied de l'entrée. Quand ce fut ouvert, il découvrit une maison vide : le couloir toujours aussi étroit avec de nouvelles paires de chaussons sur le tapis. Il se demandait pourquoi il y en avait une paire pour homme, qui ne correspondait pas à sa pointure.
Il passa ce détail, convaincu que ce n'était pas important.
Shisaki lui retira ses baskets aux pieds et accrocha son manteau au cintre, qui se couvrait d'une fine couche de poussière.
Lumières allumées, Kuro s'assit sur son canapé pour reprendre des forces. Attentif, il observait sa mère déposer le sachet de médicaments sur une étagère de la cuisine, ouverte sur le salon.
Elle l'appela pour avaler ses produits, selon les instructions de l'ordonnance qu'elle lisait avec avertissement. Il fit de gros efforts pour ne pas fuir ni cracher les comprimés. Le garçonnet les considérait comme des bouts de caoutchouc, ou quelque chose de proche, avec un goût amer.
Par la suite, elle l'envoya se reposer dans sa chambre : Pièce qu'elle avait régulièrement nettoyée depuis son départ. Le fils fut content de pouvoir retrouver son lit douillet et ses jouets. Il s'y allongea fatigué d'avoir gravit la pente des escaliers en béquilles, et contempla son plafond : ce qu'il faisait tous les soirs auparavant. L'enfant convalescent ferma ses yeux sans s'en rendre compte et somnola quelques minutes avant de reprendre conscience. Cette pause lui garantit la plus grande des satisfactions.
Soudain, Kuro ressenti une vague d'ennui, encore une fois. Il se dit qu'il n'aurait rien à faire durant les quatre prochains jours qui s'annonçaient à lui. Il s'activa à préparer son sac d'école et d'autres bricoles pour se débarrasser de ses obligations, puis redevint inactif.
Pour se divertir, le petit pataugeait debout, les pieds s'enfonçant dans sa couverture pour atteindre son velux incrusté dans le toit, qui lui servait de plafond. Il passa la tête à travers la fenêtre et étudia la vue qu'il avait de son étage : le concentré nota des lignes de symétrie entre les routes et les arbres, des tons de couleurs variées et un soleil formant des ombres virevoltantes. L'astre illuminait toujours les mêmes angles, Kuro commençait à comprendre les règles du jeu qu'exerçaient les lumières naturelles sur son quartier.
Il fut surprit de savoir distinguer autant de détails et encore plus d'avoir un sens aigu de l'analyse. Cela lui donna l'envie de reproduire ce qu'il voyait. Il fouilla son bureau pour piocher un paquet de feuille et des crayons plus ou moins colorés, et traça quelques lignes obliques. En trente secondes, le garçon reconnut sa rue prise en plongée. Même sans réelles couleurs, on délimitait sans difficultés les plans, ombres et la perspective très bien réalisée.
Était-ce lui qui avait produit cela ?
Il était seul dans sa chambre, apparemment, personne d'autre que lui ne l'aurait fait.
D'où avait-il la capacité de dessiner aussi bien ?
Il n'avait jamais appris de techniques liées à la pratique du dessin. L'enfant ne dessinait quasiment jamais, la logique lui échappait.
Avait-il toujours sût dessiner de cette manière ?
Kuro ne s'en souvenait plus...
Décidément sans explications, le perplexe remit sa conquête de réponses à plus tard, quand il se rappellerait de son passé à ce sujet.
Ce blocage ne sembla pas perturber l'artiste, qui avait trouvé de quoi passer le temps. Au fur et à mesure, l'âme créative prenait goût à gribouiller ce qui lui passait par la tête. Depuis qu'il allait mieux, plus rien n'avait d'importance : il avait la sensation de vivre un rêve éveillé.
Pour se tester, l'altruiste laissa sa main tracer ce qu'elle voulut, sans se concentrer. Il en obtenu un joli rendu : mais en regardant de plus près il revit la chambre de l'hôpital qu'il avait occupé. Avec son lit, les rideaux et les pots de fleurs au fond, le dessin avait tous les traits de son souvenir. Kuro fut fasciné par le dessin qu'il fixait, absorbé. Une étrange attraction l'incitait à admirer la pièce jusqu'à se fondre dedans.
Il décida d'accrocher la feuille au mur devant lui, faite traits pour traits avec son souvenir, qu'il illustra le plus fidèlement possible. La feuille devait se sentir seule, accroché au pied du mur vierge. De là, d'autres illustrations vinrent peupler les environs.
Étalé sur son parquet, il se dit qu'il était amusant de pouvoir tout ancrer sur le papier.
Le jeune s'empara sans prévenir de son crayon et sorti une autre feuille vierge. Il retrouva les traits du visage endormi de la fille aux longs cheveux noirs. Il tenait à la revoir, même si ce n'était qu'un dessin. L'enfant ne savait rien de sa camarade, mais c'était précisément ce qui le passionnait. Ainsi, il pouvait lui imaginer une vie, une histoire et plein d'autres caractéristiques. Peu importe ce que Kuro supposait, combien il tentait de se rapprocher d'elle, la patiente restait inaccessible. Elle semblait si réelle, si sauvage...
Fasciné, il refit un dessin de la fillette. Mais cette fois, il essaya de lui faire ouvrir ses délicats yeux dont il ignorait la couleur. Kuro en refit une, plutôt debout, ou même une souriante. À chaque nouvel essai, il s'efforçait de perfectionner sa source d'inspiration. Le jeune rêvait de revoir son visage, avec le maximum de détails qu'il pouvait retenir.
Dans un élan fougue, il dessina sa muse dans toutes les positions qu'il put, y passant sa fin d'après-midi.
Il rangea tout le bazar de papier quand sa mère l'appela pour manger. Ce soir, il dégustait un poisson frit, très tôt, encore aux aurores. Le malheureux dut ré-affronter l'affect goût de quelques médicaments sous toutes les formes...
Un bisou sur le front de sa mère, et il reparti dans sa chambre pour se coucher, sans prendre de douche, exceptionnellement. Dans son léger sommeil, il trouva le réconfort de son imagination : sa tête projetait de jolies images et une belle musique - semblable à celles des boîtes musicales -.
Il ne savait plus l'origine de ce souvenir, où l'avait-il entendu. Ce que Kuro regretta. Dérangé, il se creusa la cervelle pour surpasser sa frustration mais il avait beau chercher, rien ne lui venait à l'esprit...
L'enfant en avait ras le bol de ne plus rien savoir, comme si quelque chose lui avait volé sa mémoire.
"C'est injuste !" Cria-t-il à tue-tête, n'émettant des sons que dans son univers.
Il attendu que quelque chose lui réponde, mais rien ne se manifesta.
Fâché, on vit ses sourcils se froncer malgré ses yeux clos.
L'endormi, - enfin, celui qui essayait - se retourna sur son épaule et patienta, que sa conscience s'efface pour trouver le vrai repos. Une heure plus tard, nous le retrouvâmes paisiblement endormis, et le ciel aussi, qui s'était allégé dans sa toile nocturne.
Cependant, on n'y apercevait d'étoiles, ou mêle la Lune, cachées on-ne-sait-où.
Sous cette atmosphère refroidie, cette couverture ample, le petit Kuro, déçu de lui-même dormait profondément. Il reposait loin de la scène où son beau-père rentrait du travail en apprenant Kuro revenu dans sa maison. Il en fut paralysé, déstabilisé, enragé... mais afficha le plus sincère des sourires à sa femme - qui avait quitté subitement son travail dès qu'elle reçut l'appel de l'hôpital, dans l'après-midi -.
Pour Shisaki aussi, ce fut un véritable choc de recevoir des nouvelles de son fils à l'hôpital. Elle se sentait si fautive, comme directement responsable de la noyade de son fils, surtout à cause de son absence. À chaque fois, la mère imaginait le pauvre délaissé l'appeler à l'aide dans sa détresse. Et elle, elle ne venait pas, si loin de lui...
Revoir son chéri vivant lui exposait la dure réalité en pleine face. Elle contenu ses émotions débordantes et demanda au garçon probablement fatigué de se reposer un peu dans sa chambre. De suite, elle s'effondra exténuée, ravagée par le remord et la mélancolie. Cachée de tous regards, la dépressive se réfugia dans sa chambre et fit une énième crise de panique qui mit deux heures à s'apaiser. Elle commençait à avoir l'habitude de gérer ses crises, tachée de larmes à n'en plus finir. La veuve regrettait son premier mari, qui formait un manque évident en elle.
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