Chapitre 17- Flip, flop...
La chambre fut réaménagée en dortoir, un second lit déroulé au sol. Les enfants s'étaient mis d'accord pour dormir chacun dans leur lit, mais Kuro avait insisté pour offrir son matelas plus confortable à l'invitée.*
« C'est vraiment la guerre entre vous... » Avait résumé Nil en quelques mots, se laissant tomber sur le lit bleu. Elle glissa rapidement ses pieds sous la couverture moelleuse. Cela faisait une éternité qu'elle n'avait pas dormi dans un lit digne de ce nom !
« Pou' lui, j'existe pas. » Confirma Kuro, assit, son pyjamas dans les bras. Il précisa à son amie de se tourner quand il se changeait. C'était moins douloureux que ce matin, mais se changer était toujours aussi contraignant pour l'estropié.
Quelques minutes plus tard, on ne voyait plus que deux têtes dépasser sur les oreillers.
Nil épiait les étoiles à travers le velux penché sur elle, essayant de les atteindre d'un bras levé au ciel. Il y en avait tant qu'elle se serait endormie avant d'avoir pu toutes les compter ! Les astres l'avait toujours fasciné, la petite voulait les observer de plus près, danser parmi ces lumières dans la nuit claire.
« Me'ci, aujourd'hui t'ès amusant. » Intervenu Kuro, brisant le silence qui donnait du charme aux étoiles. Son regard se détourna sur la jeune fille qui se dessinait dans la pénombre. Son visage, rond et pâle, semblait perdu. Il se démarquait, éclairé faiblement par la lumière de la Lune, des ombres ondulants de temps à autre. Livrée au vaste monde, cette scène lui rappelait ce qu'il avait rencontré dans sa chambre d'hôpital : la fille aux cheveux noirs, celle dormant dans son champ de fleurs.
Nil était bien différente de la malade, débordant d'énergie et de bonne humeur. Rien à voir avec le repos inanimé de son ancienne colocataire. Malgré leurs différences, Kuro aimait poser le regard sur ces étranges créatures, énigmatiques... Il toucha du doigt le dessin accroché à sa portée sur le mur. Il n'espérait ne plus jamais avoir à ré-atterrir dans cette chambre d'hôpital épurée qu'il avait dessiné.
Il fallut patienter plusieurs minutes pour entendre la voix du fantôme :
« Tu ne t'ennuieras plus avec moi, je te le promets. Aller, bonne nuit, demain nous réserve plein de surprises ! »
Sans plus d'animation, les deux loupiots n'eurent aucun mal à sombrer dans l'inconscience.
Shisaki s'approcha de son fils, constatant que le garçon dormait dans un lit de fortune établit sur le parquet de la chambre. Pourquoi n'avait-il pas utilisé son lit ? Le comportement de son enfant n'avait plus de sens ces derniers jours. La mère supposa qu'il lui fallait un temps d'adaptation avant de redevenir le petit Kuro adorable dont elle pouvait être fière. Comme pour le récompenser, elle lui déposa un bisou sur le front sans qu'il ne se réveil.
Il se faisait tard et la femme avait bien besoin de dormir à son tour. Elle repartie silencieusement rejoindre son mari pour terminer sa journée écrasante. Cela lui fit tout drôle de réintégrer Kuro dans ses projets du week-end, elle avait perdu l'habitude de le prendre en compte... La pauvre mère se sentait indigne d'avoir oublié son fils à force d'être distraite. Elle avait en six mois, réussit à faire une sorte de deuil pour l'enfant qu'elle avait perdu. Shisaki s'en voulait de ne pas pouvoir parler à son garçon avant qu'il ne s'endorme, elle rentrait si tard du travail : Quelle mère pathétique... Décidée, elle avait libéré sa prochaine journée entière pour se consacrer uniquement à renouer des liens avec son chéri, l'emmenant chez le kinésithérapeute.
Les yeux grands ouverts, Nil attendait que quelque chose se passe, les idées embrumées. Elle pensait avoir bien dormi, mais le réveil calé sur la table de nuit lui prouvait le contraire. La fillette se tournait dans tous les sens pour adopter une position confortable, sans améliorations. Dès qu'elle était sur le point de se rendormir, sa conscience la ramenait sur terre : elle avait le sommeil léger.
Comprenant qu'elle perdait son temps à gigoter dans le lit, la demoiselle le quitta sans regrets pour se faufiler dans le couloir vide. À pas de souris, la créature nocturne longea les parois à sa droite jusqu'à atteindre le fond de la maison. Seule, l'exploratrice se mesurait au mur plâtré. Pensant avoir dompté ses capacités, Nil comptait se fier à son instinct, comme la première fois qu'elle avait traversé un mur. Et son instinct lui disait de pousser la palissade qui lui barrait la route. De toutes ses forces, le fantôme repoussait le plâtre de ses deux petits bras. Évidemment, elle était trop faible et ses pieds se mirent à glisser sur le parquet, étirant son corps amaigris.
Avouant sa défaite, elle se releva et soupira, fatiguée d'elle-même. La fille ré-inspira très fort, posant ses poings sur les hanches comme une super-héroïne qui n'aurait pas peur. Malgré sa première tentative vaine, elle comptait défier de nouveau le mur du couloir. Nil en avait fait son adversaire et super-vilain. À ce moment, elle avait le sentiment d'être dans un film où le héros dépassait ses limites pour évoluer et rayonner de milles feux. Cette idée la motivait beaucoup, elle avait très envie d'avoir la classe auprès de Kuro.
Concentrée, l'enfant choisi de se remettre dans les mêmes conditions que ce matin, espérant avoir plus de chances d'activer ses supers-pouvoirs. Elle se mit alors à genoux, et posa une main sur la paroi. Ensuite, elle ferma délicatement ses petits yeux, se plongeant dans le noir complet. Nil avait beau se persuader qu'ainsi, ses doigts traverseraient le plâtre, il n'y avait rien à faire. Elle ne pouvait pas passer, elle ne pouvait pas le sauver.
Douloureusement, la culpabilité mordait les mollets de la fillette, écroulée à terre. Kuro était juste derrière la porte, ce mur, et il se mourrait en l'attendant. Paniquée, l'innocente enfant commençait à gratter la façade : C'était un geste de désespoir. "C'est ma faute, c'est ma faute !" Répétait Nil à voix basse. Elle n'avait rien d'autre en tête que d'ouvrir la porte et de s'excuser autant de fois qu'il le faudrait en serrant son ami dans les bras.
La misérable avait accablée son compagnon de solitude et maintenant se serait son tour, d'être délaissée. Enfaîte, c'est elle qui avait délaissé les autres, le monde entier. Tout ça pour partir à l'aventure, vivre de son propre chef sans contraintes. Car Nil détestait les contraintes. Son plus grand rêve se résumait à profiter d'une liberté sans limites, pour s'amuser toute sa vie. Cependant, liberté impliquait responsabilités et la demoiselle ignorait cette règle. Qu'elle le veuille ou non, elle était impuissante.
Ce n'était qu'un maudis fantôme, qu'une coupable, qu'une gamine égoïste qui ne se retournait jamais. Derrière elle, l'ombre grandissait sans bruits. Plus elle fuyait la réalité, plus elle redoutait ce qui l'attendait si elle revenait chez elle. C'était une spirale sans fin.
Nil était au bord des larmes, qu'elle retenait en se mordant la lèvre inférieure. "Je ne sers à rien, je ne suis qu'un esprit errant que personne ne voit..." reconnue-t-elle, dans une grande faiblesse. Contrairement aux apparences, la fillette n'avait plus d'estime pour elle. L'image qu'elle revoyait était creuse, qu'un mensonge bancal. C'était pour la petite son dernier rempart, avant de s'effondrer sur elle-même. Parce qu'elle n'était pas prête à accepter son imperfection. Elle était si jeune pour supporter le poids de la culpabilité ! Mais elle n'avait aucune tolérance à s'accorder.
« Tien, toi qui sauv' moi. » Lui expliquât Kuro en bafouillant comme à son habitude. La demoiselle n'avait pas besoin de voir son visage pour deviner qu'il souriait. Qu'il était en vie. La voix lui remis les idées en place : Le fantôme avait fini par sauver son ami, et elle s'était promit de le protéger de son mieux. Repensant à sa condition elle songea à en faire un avantage. Oui, les fantômes pouvaient faire pleins de trucs cools !
Entendre Kuro la réconforta énormément. Ça lui donnait comme une seconde raison de vivre et de se battre. Son adversaire, était toujours sur pied et Nil n'avait pas dit son dernier mot.
"Tous les héros ont un but, quelqu'un qu'ils défendent !" Réalisa la minette, oubliant sa tristesse. La réponse lui vînt comme une évidence flagrante : "Ma raison, c'est Kuro." En effet, cette motivation était la plus puissante de toute. Avec un acolyte aussi extraordinaire, Nil pouvait refaire le monde.
Son sentiment d'invincibilité s'évanouit quand elle ouvrit les yeux et détourna son regard pour discerner Kuro dans la pénombre. À la place, de l'embarra la consumait. Pensant s'être fait coincer par le garçon, la fautive cherchait déjà une excuse à son excursion nocturne plus que suspecte.
Absolument rien. Personne n'était derrière son épaule. Nil était seule à être réveillée. Alors, qui lui avait parlé ? Avait-elle halluciné ?
Distraite, l'aventurière n'avait pas retiré sa main droite du mur. C'est pour cela qu'elle plongea dans le matériau solide comme s'il s'agissait d'un liquide. Déconcerté, elle eut tout juste le temps de se pencher en arrière pour ne pas tomber la tête la première. Cela ne l'empêcha pas pour autant de dégringoler en arrière sur le parquet.
Désemparée, la créature n'osait plus faire le moindre geste. Que lui arrivait-elle ? Nil se laissa le temps de reprendre son souffle, et s'assurer d'être bien lucide. Ensuite, elle revint sur ses pas et caressa la façade du bout des doigts. Ils s'enfoncèrent à travers celle-ci comme si le mur n'existait pas. Ébahie, la fillette ne croyait pas ce qu'elle observait. Tout comme elle avait été témoin du phénomène d'inondation et de l'univers aquatique, la magicienne assistait à un nouveau tour fascinant.
Ignorant ce qu'il y avait derrière la paroi, la créature faisait danser sa main dehors. C'est alors qu'elle se rendit compte que sa paume se mouillait, picorée par des gouttes d'eau tombant du ciel. Dans la surprise, Nil retira sa main du mur et vit qu'elle était dégoulinante. Sans peurs, la fillette invincible passa sa tête dans l'ouverture invisible et contempla la pluie tomber sur la ville. Les fines larmes du ciel s'éclataient sur les toits, les feuilles et remplissait les gouttières progressivement.
Nil ne voyait pas vraiment ce qui se passait : elle l'entendait. Elle écoutait attentivement l'eau glisser sur les tuiles au-dessus-elle, ainsi que les nuages gronder au loin.
Fier de son exploit, l'enfant souriait à pleines dents. Mais elle revînt à l'intérieur car ses cheveux allaient rapidement être trempés. Nil essuya ses mains et son visage sur sa robe, avec de l'excitation dans le ventre. Rafraîchie par l'intempérie, l'héroïne tenta de comprendre ce qui régulait sa capacité : Elle appuyait une main sur le mur, puis l'enlevait, cherchant à retrouver la surface solide. Après quelques tentatives, le mystère s'éclaircissait : Il lui suffisait de souhaiter dissiper un filet de nuages pour secourir quelqu'un. Facilement, le fantôme parvint à contrôler son pouvoir aussi habilement qu'un interrupteur sur lequel on devait appuyer pour allumer les lumières au plafond.
Spontanément, la demoiselle se décida à passer par le mur à sa gauche pour retrouver son lit douillet. Avant ça, elle dû remonter le couloir pour ne pas entrer dans la buanderie. Le petit fantôme s'introduisit discrètement par ce chemin atypique dans la chambre dormante. D'un bon, elle rencontra le bureau de Kuro. Juste à ses côtés, s'étalait le lit de son ami. La fille fit donc très attention à ne pas lui marcher dessus en traversant la pièce.
L'enfant se reposait en appuyant sa tête contre son doudou dauphin. Nil pouvait vaguement apercevoir ses yeux clos. Par contre, elle entendait très bien son souffle apaisé, se réitérer continuellement. Par-dessus ce bruit, la pluie tambourinait à la vitre du velux.
La petite se glissa sous la couette chaude en contemplant le ciel qui s'était couvert en son absence. Ses bras se contractèrent, pour serrer la couverture dense contre elle. Il lui manquait quelque chose, chose que Kuro avait. Nil savait pertinemment qu'elle n'y aurait plus le droit à présent. Frustrée, la visiteuse restait attentive aux sons environnants : Un rythme se formait, comblant le silence ambiant. Les "flip" et "flop" résonnaient par simonie dans l'air, rendant la nuit longue.
Cela laissa à la fillette le temps de s'accoutumer à la noirceur de la nuit et à sa musique : D'ailleurs, elle lui semblait familière, bercée par la pluie. À moitié endormie, Nil n'avait plus la force de se poser des questions. Subtilement, elle bascula dans l'antre du Kistune, illusionniste qui jouait de sa poussière bleue dans les cieux.*
~~fin de chapitre~~
*La notion de confortable pour les asiatiques est très différente de celles des occidentaux : Ils sont habitués à dormir sur des matelas durs, parfois sur des draps à même le sol (comme des duvets). Du coup, ils préfèrent dormir sur du solide que du moelleux, même si c'est mauvais pour le dos.
Dans ce chapitre, le lit déroulé par terre est rigide et Kuro préfère lui laisser le sien de peur qu'elle se fasse mal au dos, en assumant de souffrir un peu à sa place. Il ne prend pas en compte le fait qu'elle pourrait préférer dormir sur du dur plutôt que du mou.
*Le Kitsune est une créature du folklore japonais connue sous forme de renard blanc et rouge, à plusieurs queues. On dit qu'il a un pouvoir d'illusion et peut se faire passer pour de belles femmes. Plus il a de queues, plus il est considéré comme puissant.
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