Chapitre 12- Emporté par les vagues
Des petites peluches de poussières s'entraînaient les unes aux autres au gré un mouvement commun, dans un souffle mineur. Elles se regroupaient et tournoyaient en osmose sur le parquet divisé minutieusement en lattes brunes.
Nil les observaient depuis un moment, sans changer d'activité. Elle s'y était intéressée car c'était les seuls grains de poussière que l'on pouvait rencontrer dans le périmètre.
Avachie dans toute sa longueur, la fillette avait arrêté de rouler par terre pour regarder avec fascination des saletés s'accumuler près de son visage. Elle jouait avec son souffle à bouger l'ensemble, le nez collé contre le bois et ses avant-bras installés tel des charpentes pour soutenir sa tête.
Deux ruisseaux glissaient du haut de sa tête jusqu'à terre, s'enracinant un peu partout dans les failles du parquet à proximité de sa cage thoracique.
Deux plantes de pieds faisait leur apparition simultanément en repoussant le bois dès qu'elles entraient en contact avec celui-ci, dans un balancement vigoureux. Sa lèvre inférieure vibrait contre ses dents en produisant un son à peine audible, une fréquence variant quand son crâne penchait d'un côté puis de l'autre, jouant une pendule.
La jeune fille ne voyait pas le temps défiler, transportée par une impression de légèreté merveilleuse. Pour elle, il ne s'était passé qu'une seconde depuis son entrée dans la chambre. Elle y était retournée quand elle eut jeté un œil derrière toutes les portes de l'étage. Une autre chambre inutilisée, une buanderie et un placard se divisaient les mètres carrés. Déçue, la demoiselle avait rebroussé son chemin.
Nil trouvait l'endroit un peu trop impersonnel : c'est que Kuro n'exposait pas d'objets improbables sur les étagères, ni même sur son bureau. Seule une trousse fermée figurait plaquée contre le mur, ainsi qu'un fin cahier de brouillon ajusté contre la trousse par des mains maniaques.
En comptant le sac noir affalé sur un pied de la chaise roulante en cuir foncé, tout avait un emplacement bien défini, qui restait le même depuis des mois. Difficile de croire que Kuro vivait dans cette pièce si vide, rappelant la routine terne d'un écolier sans particularités.
À part quelques dessins flous qui se répartissaient au pied du mur opposé, rien ne colorait les environs. Elle pensa à se rapprocher des dessins pour mieux y voir, mais Nil n'en eu pas l'occasion :
La fondation du second étage de la maison trembla légèrement, bien que pour la hauteur de la fille, c'était un choc conséquent. Était-ce le signe d'un tremblement de terre ? Nil n'en n'avait encore jamais vécu, même s'il y en avait souvent dans son pays.
Elle cessa tout mouvements, cherchant à localiser d'où provenait l'épicentre des secousses. Mais plus rien. Le phénomène s'était arrêté sans crier gare. Un énorme bruit, une réplique se fit entendre. On aurait dit un vase qui venait de se fracturer au sol. Suivit de cris aigus étouffés par de drôles de gargouillement.
« Que ce passe-t-il ? » S'alarma Nil, sans savoir si elle s'exprimait à haute voix.
Elle n'avait pas peur personnellement, elle était invulnérable dans sa forme de fantôme, non. C'était pour Kuro que l'enfant s'affolait.
Les cris se muaient en hurlements plus virulents, quoi que point très résonnant. Gaken qui travaillait dans sa chambre au rez-de-chaussée, un casque recouvrant ses oreilles, restait imperturbable face à cette détresse. Trop éloigné du lieu d'où émanait le boucan. Ce n'était pas lui qui lèverait le petit doigt pour un enfant qu'il ne supportait pas.
Nil roula sur sa robe blanche et se releva à une vitesse insoupçonnée. Le problème venait très clairement de la pièce d'à côté.
La fillette accourut dans le couloir et chercha Kuro. Elle se retrouva face à la porte close qui refusait de s'ouvrir. Tout son corps persistait à appuyer puis cogner le barrage. Forçant à présent la porte, elle appela Kuro en tambourinant de ses poings le bois blanc.
Pas de réponses, uniquement des cris sauvages.
« Ne me laisse pas tomber ! » Incitait le fantôme impuissant.
Parce qu'il avait verrouillé l'entrée, personne ne pouvait l'aider. Et il trépasserait, par une cause si bête...
Ce type de situation ne s'avérait pas si exceptionnel: de nombreuses personnes se trouvaient régulièrement piégées par la porte qu'elles avaient elles-mêmes condamné plus tôt. Peu de temps après, elles n'avaient plus la force de la déverrouiller et mort s'en suivait.
Un triste classique.
La fillette ne supportait plus imaginer son compagnon disparaître par l'intensité que les cris suggéraient. Elle se torturait autant que la victime, par culpabilité. Il était évident que tout se terminerait ici et maintenant, spectateurs d'un mauvais tour du destin.
Le fantôme ne pouvait prévenir personne : c'était un être invisible ! Tout ce qui lui restait à faire était de s'acharner. Jusqu'au dernier son, au dernier espoir que la fille pouvait recevoir séparée de Kuro par l'isolation infranchissable.
Parce qu'elle tenait à Kuro, parce qu'elle était son amie...
La frustrée intensifia ses efforts et continua à cogner son épaule à plusieurs reprises, sans que rien n'oscille à chaque tentative...
Son cœur refusait catégoriquement de laisser un être cher à ses yeux agoniser à ses pieds, si proche et si loin de lui en même temps...
Des paillettes d'une étrange poussière bleu foncée s'incrustèrent dans les yeux de la petite.
Des miettes qu'elle voulue enlever.
Alors, elle se frotta les yeux d'un doigt à la va-vite, se déséquilibrant. Elle crût ensuite tomber dans le vide quand elle se rattrapa de justesse par ses coudes à quelques centimètres du sol.
Nil n'en ressenti aucun contrecoup, bien plus dérangée par le spectacle qui s'offrait à elle :
Son ami jonchait le carrelage, recroquevillé en boule. Il débattait dans le vide, contre un monstre inexistant. Les larmes de détresses affluaient sur ses joues comme la pluie par un mauvais temps.
« Il, il est nu ! » Bégaya Nil. Ses pommettes pâles se mirent à rougir d'embarra, aussitôt elle attrapa une serviette traînant à sa portée.
Il fallait qu'elle intervienne !
La couverture vola entraîné par l'élan que la fille avait accumulé dans la surprise et la précipitation. Geste instinctif qui montrait son dépourvu... Elle était très gênée même si elle n'avait rien observé en détail, d'un unique coup d'œil involontaire.
Un petit corps frêle et sec se moulait dessous la serviette, cachant son visage par la même occasion.
Nil ne comprit pas sur le coup pourquoi l'humain perdait ses moyens, puis elle repensa à ce qu'il lui avait confié « qu'il s'était évanouis dans le bain ». Cela n'avait présentement pas l'air d'une perte de conscience.
La fille s'en vue perplexe. Elle mit de côté sa réflexion pour aider Kuro dans l'immédiat : c'était le plus important !
Le petit fantôme s'approcha de celui qui criait sans relâche, consommant tout l'air qui lui restait. Elle lui tient fermement les épaules et dégagea le voile de sa tête pour lui permettre de mieux respirer tout en l'orientant en position assise.
Son instinct lui dicta d'apaiser la conscience du garçon qui n'était plus lucide. Elle se concentra pour évacuer son propre stress, avant de serrer le corps frêle dans ses bras fatigués. Enlaçant son dos de ses petits bras, la sauveuse se creusa une place dans le cou du garçon pour y loger sa tête. Soulagée, elle laissait battre son cœur déboussolé pour montrer que Kuro n'était pas le seul à avoir peur.
Elle avait effectué ce geste en douceur afin de mieux atteindre son oreille, afin de mieux lui chuchoter que tout allait bien, que c'était fini. D'autre part, la demoiselle s'efforçait de comprimer les bras de Kuro qui cherchait à se défaire de son emprise protectrice, dans sa crise.
C'était d'autant plus compliqué puisqu'il gesticulait comme si sa vie en dépendait.
Au bout d'un moment, il se mit à grelotter, à se calmer, sans sécher ses larmes abondantes.
Un déferlement de chaleur enroulait Kuro d'une puissante étreinte. Le contact du fantôme contre sa peau avait véhiculé des fourmillements qui remontaient le long de son dos. C'était un peu comme des ondes électriques qui le réchauffaient.
On ne saurait dire au toucher, si Nil avait un corps solide ou s'il s'avérait plutôt d'un nuage : une forme que l'on voyait certainement, mais que l'on ne pouvait saisir concrètement.
Les mains de la créature se posèrent avec légèreté sur celles de garçon. Elles caressaient ses doigts, tel un manteau d'écailles de poissons. Leur texture était si soyeuse, leur aura si protectrice... Une vague de papillons, non, une tornade de sentiments et d'espoir, frappa le malade en pleine face.
Kuro venait d'être emporté par une vague de passion. Celle-ci l'appelait à se relever, et à se battre pour survivre.
Quelqu'un tenait à lui, voulait lui dégager une petite place dans son cœur pour qu'il subsiste.
Le désorienté se faisait secouer mentalement par les propos apaisants de sa sauveuse. Cela l'extirpait de sa solitude et le forçait à ne pas sombrer dans l'exténuation.
Elle incarnait la liberté pour lui, un Soleil resplendissant qui le guiderait vers la paix intérieure. Il repensa à ses souvenirs d'antan, quand il était en bonne santé et nota qu'il avait été bien seul, sans aucunes traces d'anciennes amitiés...
En avait-il déjà eu, des amis ? Ce détail était à l'antipode des préoccupations qui venaient à l'esprit quand on se noyait !
Son cœur s'était débarrassé d'une grande partie de la frustration emmagasinée pendant deux longues années. Pourtant, ce poids mental n'avait pas de relations avec sa vie d'avant l'accident pour le concerné...
Jamais plus il n'entrerait dans un bain, se noyer deux fois en si peu de temps était absurde. Ou un signe d'acharnement !
Ses idées fusaient depuis qu'il avait récupéré son souffle, déjà en bien meilleure position. Il se reposa, enlacé par Nil et récupéra une once de calme.
Kuro lui devait tout à présent, car sans son intervention miracle, il serait probablement reparti pour six mois de coma tempéré. Nil représentait plus qu'une amie : c'était l'ego d'une déesse. Elle amenait chaleur et prospérité dans l'esprit du tourmenté.
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