Chapitre 11- Submergé
La poignée grise s'inclina difficilement, sans un bruit. Kuro n'avait plus de force dans la poigne, et Nil dû rajouter de la sienne pour parvenir à entrer.
Entrer dans une salle d'un blanc neutre, sans rien laisser transparaître de tout ce qui s'était passé. Nuls ne se douterait que quelqu'un avait manqué de mourir dans le blanc immaculé.
Cet endroit avait tous les trais d'un abattoir : Son carrelage froid, si propre qu'on pouvait y contempler son reflet. Une baignoire large et profonde, si profonde que l'on pouvait se faire submerger en entrant dedans. A sa gauche, un lavabo à la forme carré accompagnait la douche. Il soutenait un placard-miroir et quelques verres pour brosses à dents qui peuplaient l'espace de rangement à disposition. Poubelle, armoire, toilettes, tout y figurait. L'Éternel tapis violet taupe se dressait dans toute sa longueur, les invitant malicieusement à entrer. Le tissu faisait tâche dans toute cette neutralité...
Kuro désigna un tabouret en bois couvert d'une serviette propre, faisant signe de porter quelque chose.
« Vêt'ments, ici, moi appor' nou'aux tiens après. »
Elle hocha simplement de la tête, avant de s'attarder sur vue offerte par la seule fenêtre disponible, creusée dans le mur du fond. De sa position, le feuillage rougissant et chaotique d'un grand arbre obstruait la vue.
La fillette traversa la pièce pour ouvrir la haute vitre carrée. Un grand courant d'air s'en échappa, mais n'affecta pas Nil. Elle était plus absorbée par les piaulements des oiseaux qu'on entendait : D'où venaient-ils ?
La petite tête parée de couettes s'orientait dans toutes les directions, sans se satisfaire.
Des oiseaux invisibles... Abandonna Nil, qui avait cru entendre un air familier, avant de refermer le loquet.
Kuro voulu la rappeler pour continuer ses directives :
« Bel vue, ici ? C'est la mieux ! »
Il se rendit compte qu'il se laissait également charmer par le paysage lumineux. Sa maison étant construite sur la seule colline de la ville, il avait tout le loisir de balayer l'ensemble de l'agglomération d'un coup de tête.
Le jeune ignorait cependant que Nil s'intéressait plus aux oiseaux qu'à la vue. Lui, ne savait plus vraiment que regarder ces dernières minutes : si sa vue était fiable ou s'il elle le faisait délirer. Il n'arrivait pas à se concentrer sur une image précise, puis divaguait. Confus, il évitait de poser on regard où que ce soit.
Une atmosphère pesante l'entourait, un malaise anxieux rongeait les épaules tendues du malade. Déjà dans le couloir, la frayeur lui donnait la nausée, l'envie de faire demi-tour à chaque pas plus proches de la pièce.
Le placard-miroir lui renvoyait une pâleur abominable : Le cauchemar terriblement réaliste qui bouleversa sa première nuit ici, était à l'origine de son mal-être. Son instinct lui avait recommandé de s'éloigner de la porte à la poignée métallique, à tout prix.
Même si ce qu'il avait vu était un rêve, il redoutait que quelque chose de similaire se reproduise.
Que des mains de monstre le pousse dans l'eau.
Des gouttes de sueurs se formaient dans son dos, il paniquait à l'idée d'être laissé seul dans cet endroit. Trop de calme l'oppresserait... Avant son accident, c'était pour lui un havre de paix personnel avant de virer à l'état de "cabinet des enfers".
Mais... il avait pénétré les lieux, et allait assurément se laver entre ces quatre murs.
Nil fini par rejoindre son ami quand elle considéra sa recherche infructueuse. Une autre fois peut-être ? Elle entrerait ici tous les jours après tout, rien ne pressait.
Kuro se posta devant le robinet de la baignoire. Il déglutit désagréablement : Les bains chauds ne l'attiraient pas du tout ! S'éloigner de là pour regarder autre chose de convivial, lui semblait plus raisonnable.
Contraint par l'obligation d'être propre et par la présence du fantôme qui désirait se laver après lui, Kuro s'activa. Il saisit une poignée rongée de calcaire avec sa main tremblante. En l'ouvrant, sa petite voix combla le grand vide qui hantait constamment le blanc mat des meubles :
« Chaud, f'oid... Essuies sol, ouv'es fenêtre, après ! » Ordonna le chef en présentant simultanément les robinets de la douche. Il débitait tout d'une traite, complètement bouleversé. Ensuite, il s'avança en titubant jusqu'à un meuble bas, où il piocha aveuglement deux serviettes, pourvu qu'il en finisse vite !
La fillette le remercia puis lui annonça insouciante :
« Bon, je vais t'attendre dans ta chambre, fais-moi appel si tu as besoin d'aide ! »
Elle était trop distraite par l'idée de partir à la découverte du reste de la maison pour se soucier du problème de Kuro. Elle quitta son ami aussitôt.
La béquille droite de Kuro chuta, quand il leva son bras désespérément pour tenter de retenir le fantôme. Il fut déçu de constater que la porte close ne lui répondrait pas. Trop tard.
Il était seul contre sa peur.
Il voulait pleurer, mais il n'était plus en âge de pleurnicher. Les garçons comme lui, se montraient courageux et affrontaient leurs frayeurs. L'enfant serra les poings pour se convaincre de rester :
"Si je ne me lave pas, je vais puer et Nil ne voudra plus m'approcher !"
Il n'avait pas le choix, il passerait sous l'eau. L'enfant avait conscience que fuir le problème ne résoudrait rien. Mais il ne pouvait pas se résoudre à partir à embrasser son cauchemar.
Avec tout le courage qu'il put rassembler, il s'assit sur le tabouret, relâchant la tension qui le maintenait en haleine. Les deux béquilles se réunirent à terre, tristement.
Avant de bouger, son regard fixait la serrure de la porte blanche : Allait-il la laisser ouverte ? S'il n'y touchait pas, le monstre se permettrait d'entrer et de l'embêter. L'inquiet se précipita afin de tourner le verrou fiable. En un clic, toutes ses craintes s'évaporèrent. Il se croyait protégé du monstre ténébreux.
Le garçon se déshabilla comme son corps le lui permettait. Un acte long et tortueux, s'arrêtant à chaque fois qu'il tirait trop sur ses muscles. Aucuns de ses mouvements ne se terminaient, parsemés de pics douloureux qui indiquaient ses limites.
Le plus compliqué s'avérait être de retirer son pantalon. L'enfant avait eu un avant-goût de la torture qui le guettait en enfilant son pyjama l'autre jour. Kuro finissait par avoir l'habitude de souffrir à cette tâche complexe : se changer. Il l'avait compris dès qu'il se débarrassa de la répugnante robe d'hôpital.
Quand il retira l'ultime chaussette, il était à bout de force. Kuro trouvait que tout était fatiguant pour son faible corps, mais aussi pour son esprit : Penser, parler, se souvenir, ressentir, bouger...
Tout était un exploit pour le garçon. À ce moment, il regretta s'être dit que vivre était merveilleux : Son premier épanouissement quand il reprit vie après six mois d'inconscience.
Vivre est douloureux, rectifia le démuni.
Cette expérience lui enseigna que la douleur, que ce soit par bonheur ou par malheur, faisait de nous des êtres vivants. Plus vivant que jamais !
Voir le flux d'eau couler lui donnait la nausée, une mauvaise sensation dont il voulait se débarrasser. Kuro plaqua sa main sur sa bouche, pour s'empêcher de cracher quoi que ce soit.
Plus vite il en finirait, mieux il se sentirait. Le jeune garçon s'arma de courage pour s'engager dans le bain. Il prit soin de détourner son regard, détaillant ses deux béquilles à la place. De la force de ses bras, Kuro souleva sa masse pour la déplacer sur le rebord rigide en fonte, ses jambes inertes.
Il ne lui restait plus qu'à passer ses pieds du bon côté de la bassine. Livré à lui-même, il dû soulever une cuisse puis l'autre, toutes les deux pesantes et encombrantes. Avant d'enfoncer ses orteils, le garçon se préparait intérieurement à faire une descente pentue, comme un wagon arrêté sur le sommet d'une montagne russe.
À tomber dans le vide.
Sauf qu'il ne put retenir le flacon de savon, qui tomba par déséquilibre après un geste trop brusque. L'objet perça la surface lisse de manière inattendue.
Kuro ne s'imaginait pas un tel hasard survenir, rien de pouvait l'avertir de cette petite chute. Rien ne pouvait l'avertir que cet événement insignifiant allait réveiller en lui des visions perturbantes :
La dernière fois aussi cela c'était produit, pourtant rien d'autre ne lui revenait à ce propos : Ce qui s'en était suivit ou quand cela était survenu la première fois. Seul le son éphémère faisait écho à son passé.
La pomme de savon bleue et blanche n'était plus à son emplacement habituel. L'enfant comprit de suite ce qui se passait. Il s'immobilisa instantanément, déconcerté.
Il avait exactement comment il s'étendrait bientôt. Tué par le monstre sans visage.
Peu importe le nombre de barrières que Kuro pouvait dresser, les monstres parvenaient quand-même à leurs fins. L'impuissance écrasait toute sa confiance. Celle-ci avait été emportée par des désillusions qui fuyaient lâchement la pièce...
La victime hésitait quant à retenir indéfiniment son monstre, en vain. Une tâche noire et bourdonnante se présenta devant lui : Il la confondit avec la substance ragoûtante sortant du visage maléfique.
Rien ne menaçait l'enfant, absolument rien.
Tout à coup, son cœur s'effrita, sa vue se brouilla. Ses poumons se remplirent d'eau. Enfin, il n'était pas sûr d'avoir avalé de travers, mais c'était tout comme. La même contrainte.
La répétition de ses cauchemars, le pire des supplices.
Désormais, la buée embrumait son esprit, semblable aux bains de sources toujours accompagnés d'un épais nuage chaud. Kuro se retrouvait dans une position d'insécurité, et parce qu'il était perdu, il ne bougeait plus. Son torse ondula, d'avant en arrière, puis bascula à la renverse, repartant d'où il venait.
Une énorme résonance assourdit le maladroit qui se cogna violemment la tête. Malgré la douleur, il ne perdit pas connaissance : il luttait sauvagement pour rester éveillé.
Parce qu'il ne vivait pas un rêve, il ne serait pas sauvé une seconde fois par un réveil dans son lit. Kuro suffoquait, comprimé et déboussolé, haletant le peu d'air qu'il parvenait à aspirer difficilement. Ses muscles se déchiraient, surtout ceux de son visage, à s'en décrocher la mâchoire.
Des bras amaigris battaient frénétiquement l'air car l'enfant se débattait pour retrouver la surface. Rien ne lui venait sous la main, comme si les objets s'écartaient volontairement de lui, pour qu'il perde la vie.
Il ne lui restait plus qu'à se cogner contre une vitre infranchissable encore une fois !
Avait-il vraiment la force pour continuer sa vie ? N'avait-il pas qu'à se relâcher pour sombrer dans le silencieux soulagement de l'inexistence ?
Arrêter de lutter pour envenimer sa souffrance ?
Le garçonnet songea à ce genre de suppositions pessimistes un court instant. Même s'il acceptait de quitter ce monde, son organisme avait pour réflexe de fonctionner, d'inspirer : de le faire espérer. Comme un instinct qui refaisait surface dès qu'il frôlait la mort.
Il était plaqué au sol, sa colonne vertébrale écrasée contre le carrelage glacé. Il crû que la grande main ferme lui serrait la tête comme un étau, y prenant un grand plaisir. À l'effacer de ce monde, lui, la chose insignifiante...
Aucuns sons, que des sifflements stridents et insupportables attaquaient les oreilles de garçon, visiblement absent, non réceptif aux signes extérieurs. Il ne verrait toujours pas le visage de son agresseur, ironiquement...
L'eau trempait son visage, de l'eau salée.
L'eau de ses larmes.
Il avait beau les retenir, lutter, elles submergeaient sa vision d'une fine couche humide. Tout était encore plus flou, plus distant et ça empirait infernalement.
Vivre l'expérience de la noyade une fois n'avait pas suffi. Il devait replonger de nouveau, malgré ses supplications faites aux Dieux qui le punissant encore et toujours. Sans une once de pitié. Jusque dans ses rêves, constamment.
Sans qu'il n'ait commit de fautes punissables.
Kuro n'avait nulle part où être en sécurité... Plus de lieux personnels pour souffler en paix : Le garçon se trouvait au bord du gouffre.
Il acceptait cependant, l'ayant déjà intégré depuis des mois : Tout était de Sa faute, à l'homme monstrueux, sans visage. Et s'il agissait ainsi, c'était car le petit était responsable. C'était Lui la source du problème. Depuis le départ.
Il était le détail en trop, celui qui devait débarrasser le plancher de sa présence.
La gorge obstruée, aveugle, il subissait, désespéré. Et extrêmement seul...
Un drap coloré se posa sur lui, et ce fut le noir complet.
~~fin de chapitre~~
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