Chapitre 10- Déborder
Cela faisait un moment que Kuro s'était levé, et le Soleil continuait son ascension furtive au-dessus de la petite ville. Il accompagnait au fil des heures la région, qui s'animait du flux invasif de la population locale, occupée à sa routine effrénée.
Un cognement régulier débuta, douze coups comme s'il l'on sonnait midi avant de se taire sèchement : Ce vacarme annonçait un nouveau problème que le malade supporterait constamment où qu'il aille.
Kuro traînait ses jambes marche par marche, déjà épuisé avant d'avoir entamé l'escalier. Sa première main ne se décollait plus de la rambarde qui avait le mérite d'être présente : l'handicapé reconnaissait son utilité plus que quiconque. La seconde agrippait l'appui que lui proposait son amie, extrêmement heureux de son soutien.
Monter à l'étage était un exploit pour le garçon. Il ne l'aurait jamais réalisé sans l'aide de l'adorable Nil, qui avait pris l'initiative de transporter ses bagages.
Le découragement s'invitait dans l'esprit du pauvre Kuro, lorsqu' il réalisa qu'une personne ordinaire se baladait au moins une vingtaine de fois entre les étages de sa maison par jour. Il désirait pour sa survie de se débarrasser de son fardeau au plus vite, d'ici quelques jours.
L'enfant n'avait jamais passé autant de temps sur les lattes grinçantes de sa maison, pour se rendre dans sa chambre. Lui qui se précipitait toujours dans les marches à quatre pattes, sans perdre une minute à monter.
En escaladant cet obstacle, le boiteux se ménagea, forcé de faire une longue pause. Un « Merci » fut l'unique reconnaissance qu'il put exprimer envers sa bienfaitrice. Elle comprit qu'il aurait été plus bavard s'il n'était pas vaincu par les douze marches diaboliques.
« À deux, nous pourrons tout franchir, même cet abominable escalier ! » Renchérit Nil, fier de leur accomplissement anodin. Elle lui remit ses béquilles à la façon d'un trophée, le corps également un peu courbaturé.
Par la suite, ils se posèrent dans la chambre spacieuse, précisément sur le lit à la couverture tirée soigneusement : Une habitude pratique que le garçon avait adoptée comme sa mère n'avait pas le temps de passer derrière lui, depuis que la famille était livrée à elle-même...
« Que fait-on à présent ? » Questionna l'invitée toute sage.
Kuro avait dès la veille prévu de faire propre pour s'engager convenablement dans un nouvel épisode de sa vie, d'oublier l'odeur de désinfectant qu'il avait ramené de l'hôpital.
« Moi, pas douché 'ier, dois y aller là. » Ses pensées se triaient de façon à être le plus clair en débitant le moins de mots possible.
« Tu vas t'en sortir tout seul ? » S'inquiéta la petite après l'avoir vu aussi maladroit plus tôt.
Kuro resta honnête, lâchant un rire nerveux :
« Sais pas trop, pas habi'ué avec... » Il leva une béquille ne sachant comment les qualifier. « J'me déb'ouillerais ! » S'écria-t-il sans raisons apparentes.
Nil était tout sauf convaincue par l'annonce qu'elle venait d'entendre. Elle sentait plus qu'une simple complication physique responsable de l'hésitation de son ami. Mais, elle ne souhaitait le contrarier d'avantage, en insistant pour l'accompagner faire sa toilette. N'étant pas un garçon, elle ne pouvait pas entrer dans l'intimité de Kuro, et encore moins sachant qu'ils se connaissaient à peine.
« Comment t'es-tu fais mal aux jambes ? » Voulu savoir la fillette qui comprit subitement que c'était la première fois qu'il gérait des béquilles. Tout lui semblait plus évident maintenant qu'elle avait fait le rapprochement.
Le blessé ne comprit pas directement l'interrogation : Il n'avait rien fait de particulier qui abîmerait son corps !
Ses sourcils ce froncèrent et il contempla ses pointes de pieds qui se balançaient doucement dans le vide. Comment une noyade pouvait faire du mal à son corps, au point de l'empêcher de marcher et d'effectuer d'autres mouvements naturels ?
Il pensa à un effet provoqué par le traitement qu'on lui avait longuement administré. Ce ne pouvait pas être lié ! Les médecins ne chercheraient pas à le faire souffrir. Les médecins soignent, songea-t-il.
Personne ne lui avait expliqué, ou il ne s'en rappelait plus, malgré ses efforts pour trouver la cause de son handicap.
« Sais plus, docteu' dit j'dois m'reposer, p'ête fatigue ? M'étais évanouis. » Synthétisa finalement Kuro, qui apporta la réponse la plus probable à Nil qui s'impatientait.
Une phrase typique de sa maman ressortait souvent dans les idées de la fillette, quand quelqu'un traversait des moments difficiles :
« Les accidents sont des épreuves inattendues qui rendent les gens plus forts ! » Sa suggestion paraissait plus appropriée que de se montrer navré. Elle comptait partager sa vision positive de la vie, des valeurs que lui avait transmis sa mère. Je préfère voir un Kuro qui sourit ! Se dit l'enfant.
« T'as dû aussi en avoi' pour être fantôme ? » Renvoya Kuro qui ne se doutait pas du poids de ses paroles irréfléchies.
Pour Nil, c'était La question en trop. Celle qui s'apprêtait à faire déborder le vase contenant les larmes de sa tristesse. Déjà fissuré, il n'était plus que question de temps avant la catastrophe. Au plus profond d'elle, elle était consciente qu'elle n'était pas à sa place auprès de son nouvel ami, que ce qu'elle avait dit par rapport aux accidents s'appliquait aussi à elle : Enfaîte, la fille voulait s'échapper de sa condition et oublier tous les tracas qui la rongeaient.
Le petit fantôme se senti désemparé, son regard sinistre évitait Kuro. Il était trop dur pour elle d'accepter l'inévitable. Sa position lui offrait une liberté qu'elle avait toujours voulu atteindre, alors elle en profiterait le plus longtemps possible ! Coincée dans une impasse...
« Si je te disais le secret des fantômes, je disparaîtrais et tu serais maudis, petit curieux ! »
Cette réponse, inventée sur le ton des histoires qui étaient censés faire peur, avait pour but de dissuader l'imprudent.
Crédule, Kuro la prit au sérieux, même si la fille fantôme rigolait de son côté :
« Oh non, assez mal'anceux com' ça ! M'aba'donne pas ! » Angoissait-t-il d'avance, toussant par la même occasion, sa gorge devenue trop rêche.
Il redoutait de se retrouver seul, rejeté par sa seule amie après la trahison de sa maman.
Nil se sentie responsable de l'étouffement soudain de Kuro :
« Excuses-moi, je ne voulais te mettre dans cet état ! Personne ne va te jeter de mauvais sorts et... je suis toujours là ! Je ne veux juste pas vraiment en parler, tu vois ? »
« Hum, oui. » Assimila Kuro qui tenait à respecter son amie, après s'en être remis.
Etait-il encore trop tôt pour que son amie lui accorde sa confiance ?
Le garçon repensa à la fois où il avait demandé à sa mère ''Où est parti papa ?'' le jour de son enterrement, et elle l'avait averti : « Il ne faut pas chercher ce qu'il y a après la vie, seul Dieu en détient le secret. Respecte un peu tes ancêtres ! ».
Après ça, il avait arrêté d'y penser, de peur que son père en paye le prix dans l'au-delà.
Kuro se reprit en main et s'éloigna pour choisir des vêtements à porter après sa douche. Le garçon trouva des habits qu'il n'avait jamais vus de sa vie. Un cadeau de Shisaki pour son rétablissement, en conclu le fils.
Le regardant trifouiller dans son armoire trop ordonnée, Nil s'attendait à ce qu'il s'en aille par la suite.
« Je t'attends ici alors. » Clarifia-t-elle.
Contre son attente, celui-ci ne partit pas directement mais s'interrogea à l'égard de son amie :
« Comptes pas te la'er ? Vas-tu pou'oir garder ta robe ? Tu vas tâcher si fais 'ien. » Il reprenait son souffle après chaque phrases, comme s'il venait de courir un marathon.
Nil n'avait pas songé une seconde à son apparence, entre autre à sa tenue approximative. Tout ce qui la couvrait se résumait à une robe blanche trop grande pour son corps amaigrit, sans coutures ni motifs. On ne remarquerait aucuns changements si la fillette avait changé son habit contre un drap.
Au même moment, elle vérifia en gigotant si elle portait de la lingerie, terrifiée à l'idée qu'on puisse la surprendre en train de déambuler à nu.
Bonne nouvelle pour la jeune fille, elle était correctement vêtue, à l'exception de chaussures. Ce n'était pas grave, Kuro était aussi pieds-nus, avec un pyjama blanc couvert de fruits.
Le petit garçon détourna le regard quand il saisit l'intention de Nil, qui était plus préoccupée par elle-même que le spectacle qu'elle donnait. L'origine des robes blanches que l'on associait constamment aux fantômes travaillait l'imagination de l'enfant tourné vers le mur beige de sa chambre.
Décidément, son invitée relayait bon nombre de mystères sur sa nature. S'il y a bien un fait dont Kuro pouvait s'assurer : C'était que Nil n'avait pas réussi à quitter ce monde.
Lui aussi aurait dû quitter les vivants...
Mais il siégeait encore dans la réalité. Comme retenu par une volonté indéniable.
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