« L'avenir en amour fait toujours oublier le passé. »

- Girard de Propiac.

Seule la faible lumière de sa lampe de bureau l'éclairait. Il était tard, très tard. Christopher était derrière son secrétaire en bois, une des rares choses qu'il avait gardé de ses parents. Il sortit une feuille de son imprimante puis, après réflexion, en prit une deuxième au cas où. Il attrapa un stylo et prit une grande inspiration en fermant les yeux.

« Chère Katherine,

Je sais que cette lettre est pour moi mais les choses sont plus simples quand c'est à toi que je les confie alors voilà.

« Alors voilà », on peut dire ça dans ce genre de lettre ? Remarque, j'imagine que ça n'a pas trop d'importance.

Je ne sais pas trop ce que j'en ferais une fois que je l'aurai terminé ; peut-être que tu la liras, peut-être que je la brûlerai ou peut-être que je la garderai.

Le docteur Garrido m'a dit que ça sera comme un exorcisme... Quand je te dis qu'elle dit des trucs bizarres des fois !

Mais aujourd'hui, j'ai réalisé qu'elle avait raison : il faut que j'avance, que je tourne la page.

Et même si personne ne m'enlèvera tous ces précieux souvenirs que j'ai avec toi, je ne peux plus laisser le passé me rattraper, me dévorer.

Je crois qu'il me faudra encore un peu de temps pour m'en remettre. Une semaine, un mois, un an : je ne sais pas.

C'est comme si ces choses-là étaient hors de contrôle.

J'ai les yeux qui brûlent, je crois que je vais pleurer.

Avant je pensais que les gens pleuraient parce qu'ils étaient faibles, mais j'ai appris à mes dépends que c'était faux. Les gens pleurent quand ils sont heureux, quand ils sont tristes, en colère... Parfois même quand ils n'arrivent plus à gérer leurs émotions.

La vie m'a donné tellement de raisons de pleurer ces huit derniers mois. Quand je pensais te perdre, quand j'ai cru que la fin de notre histoire était arrivée et quand je me suis perdu, moi.

Je pleure... Putain ça fait un mal de chien de sortir tout ça.

Tu sais avant je détestais me confier. J'étais renfermé sur moi-même. C'est pour ça que je me suis mis à peindre, pour extérioriser.

Le jour où j'ai perdu mes parents je me suis retrouvé seule. J'avais seize ans et je suis devenue « l'ado pommé du village » ou « le pauvre orphelin ». Je n'avais plus rien, plus personne.

Plus qu'une façon de m'exprimer, la peinture était devenue mon refuge.

Et puis un jour c'est toi qui a pris sa place ; tu es devenue mon refuge.

(Tu sais, je crois que cette lettre est pour nous deux finalement.)

Tu croyais que c'était moi qui t'avais aidé quand ta famille ta tournée le dos mais la vérité c'est que c'est toi qui m'a aidé. Tu m'as sauvé, moi, ce pauvre type sans importance. Tu m'as sauvé alors que je pensais que plus rien sur cette Terre ne valait le coup d'être vécu.

Tu m'as ouvert les yeux. Tu m'as appris à lâcher prise. Tu m'as appris à vivre, plus à survire.

Tu es devenue ma famille et je me suis accroché à toi comme si ma vie en dépendait.

Tu le sais maintenant mais j'ai besoin d'en parler encore, de l'écrire... Ce soir-là nous avons aussi perdu notre enfant. J'avais l'impression que la vie me reprenait tout ce qu'elle m'avait donné, tout ce que j'avais eu tant de mal à trouver. Et j'ai trouvé ça injuste.

On m'avait déjà enlevé mes parents, mon petit frère, et maintenant toi et notre bébé.

Tu peux croire que la vie soit aussi cruelle ?

Aujourd'hui on est la 3 mars 2023 et tu es toujours auprès de moi. Tu es là, en bonne santé et tu portes notre enfant. Je t'aime, et tu m'aimes aussi.

Je sais que les choses ont changées entre nous et comment est-ce que ça aurait pu être autrement ?

Il m'a fallu du temps pour le réaliser, l'accepter et déculpabiliser.

Je pensais que changer était mal, mais j'avais tords.

Après tout, c'est la vie qui nous change.

Tu es la plus belle chose qui me soit arriver, Katherine Bang. Tu as fait de moi l'homme que je suis aujourd'hui et je suis sûr que mes parents, où qu'ils soient, seraient fières de ce que j'ai accomplis tout au long de mon existence.

Toutes ces années à tes côtés resteront mes plus beaux souvenirs et qu'importe que tu es encore les tiens ou pas, tant que je vivrais je me souviendrais pour nous trois.

Je t'aime.

Ton mari,

Christopher Bang. »