IX.
« Le souvenir est une belle chose quand il rappelle un bonheur accompli, mais dans la vie, où tout n'est pas en rose, souvent on lui préfèrerait l'oubli. »
- Paul de Kock.
Katherine récupéra les derniers vêtements qui trainaient au fond de l'armoire et les fourra en boule dans sa valise déjà pleine à craquer.
Elle jeta un dernier coup d'œil à cette chambre qu'elle avait occupé ces dernières semaines ; elle n'avait aucuns souvenirs ici, alors pourquoi est-ce qu'elle sentait son cœur se serrer comme ça ?
- Bon... Je crois que j'ai tout, dit la jeune femme en retrouvant Christopher dans la cuisine.
Il était négligemment appuyé contre le plan de travail, les bras croisés sur son torse.
- Alors ça y'est, tu pars pour de bon ?
- Je crois que c'est ce qu'il y a de mieux à faire, pour tous les deux.
- C'est injuste, murmura Christopher en essuyant ses yeux larmoyants d'un revers de main.
Katherine détourna le regard : le voir comme ça lui faisait mal au cœur.
- C'est toi qui as enlevé ton alliance l'autre jour, tu te rappels ? C'est toi aussi toi qui m'as demandé de partir.
- Je sais... C'était stupide de ma part et j'aurais jamais dû faire ça mais j'étais vraiment... Vraiment en colère.
- Tu es un idiot, Christopher.
Le jeune homme lui prit la main, l'obligeant à lâcher sa valise et l'attira vers lui.
- Je suis désolé. Si j'ai réagis comme ça c'est parce que je t'aime. Je sais que tu peux peut-être trouver ça effrayant parce que je ne suis qu'un étranger pour toi mais-
Katherine le coupa en plaquant sa main contre sa bouche.
- J'ai besoin que tu répondes à une question, juste une seule.
Christopher hocha la tête.
- Et si ça ne fonctionne pas ? Si je décide de rester mais que rien ne redevient comme avant ? Si... Si je ne retrouvais jamais mes souvenirs avec toi ?
L'australien posa sa main sur celle de Katherine, l'obligeant à le libérer et lui dit tout bas :
- Alors je serais quand même là parce que toi et moi on est une famille. On s'est dit oui pour le meilleur et pour le pire et jamais, tu m'entends, jamais je ne t'abandonnerai. On écrira une nouvelle histoire ensemble et peu importe le temps que ça prendra.
*
Quelques semaines s'étaient écoulées depuis que Katherine avait pris la décision de rester. Aucun jour ne se ressemblaient, tout n'était pas simple mais ils avaient choisi d'avance ensemble.
- J'en peux plus de ce canapé, soupira Christopher en essayant de se relever.
Katherine leva les yeux de son livre.
- On devient sensible, papy ?
Christopher lui envoya un coussin en pleine tête.
- Hé !
- Tu l'as cherché, ricana le jeune homme. Et puis je te signale que t'es plus vieille que moi.
- J'ai qu'un an de plus, bougonna l'australienne.
- Tu seras quand même la première à atteindre la trentaine.
- Et toi, si tu continues, tu ne vivras pas assez longtemps pour y arriver !
Christopher se mit à rire. Ces petites taquineries lui avaient manqués.
- Dis, reprit Katherine en reprenant son sérieux. Peut-être qu'on pourrait arrêter de faire chambre à part.
- T'en es sûre ?
Elle haussa les épaules.
- Tu sais je peux continuer à dormir sur le canapé si tu le sens pas encore, ça me gêne pas. J'ai pas envie de te brusquer.
- Chris tu te prends trop la tête, vraiment.
La jeune femme referma son livre et le déposa sur la table basse avant de se lever du canapé pour quitter la pièce, sous le regard perplexe de son mari.
*
Katherine trottina jusqu'à la cuisine, perchée sur ses hauts talons. Elle portait une petite robe à bretelles écrue avec une veste en jean. Elle s'était maquillée un peu plus que d'habitude, essayant de camoufler les traces que cet accident avait laissé sur son visage.
Elle salua Minho qui était derrière les fourneaux et rejoignit Christopher occupé à leur préparer un cocktail derrière le bar.
- J'y vais, ma mère m'attend dehors.
- Yep.
- Je sais pas trop à quelle heure je vais rentrer, continua-t-elle en piquant une olive verte.
- Hé, pas touche !
Katherine lui envoya un clin d'œil en riant.
- Aller file, ta mère doit sûrement en train de s'impatienter, lui dit le noiraud en lui envoyant un petit coup d'épaule.
- A plus tard.
- Sois prudente.
Elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur la joue de son mari, puis elle dit au revoir à Minho et quitta la maison.
- Et ben, siffla le coréen en s'asseyant près de son ami.
- Quoi ?
- C'est le grand amour on dirait.
- N'importe quoi, ria Christopher. On a juste décidé de faire des efforts, tous les deux.
- Et ce petit bisous tout mignon là, hein ?
- Ça va, la ferme, grogna le brun en rougissant.
*
- Alors, tu es toujours avec ton Christopher ? Interrogea Elizabeth en prenant une gorgée de vin rouge.
Katherine soupira.
- Oui, maman.
- Je n'arrive toujours pas à croire que tu te sois mariée avec ce saltimbanque dans notre dos.
La jeune femme resta interdite ; c'était la première fois que sa mère parlait aussi durement de quelqu'un.
- Pourquoi... Pourquoi on a coupé les ponts ? Pourquoi tu n'étais pas à mon mariage ?
Elizabeth pinça les lèvres. Elle s'essuya le coin des lèvres avec sa serviette en tissu, prenant soin de ne pas déborder sur son rouge à lèvre.
- Parce que ton père et moi on ne supportait pas de te voir gâcher ta vie comme ça.
- Gâcher ma vie ?
- Bien sûr, abandonner tes études pour devenir peintre comment est-ce que tu crois que ça s'appelle ?
Katherine se mit à rire nerveusement en secouant la tête.
- Et ce pauvre Clark, hmm ? Si tu savais dans quel état il était après votre rupture !
- Et moi dans tout ça ? Mon bonheur, ça comptait pas ?
Elizabeth leva les yeux au ciel.
- Tu aurais été heureuse si tu avais fini tes études et épousée Clark.
- Ou peut-être que je n'étais pas heureuse avec toutes ces choses que vous aviez choisies pour moi.
Jamais elle n'avait tenu tête à sa mère comme ça auparavant.
- Ne dis pas n'importe quoi. Tu sais très bien qu'avec ton père on veut ce qu'il y a de mieux pour toi.
- Si c'était vraiment le cas vous-
- Katherine, la vie t'as offert une seconde chance. Cette fois tu peux choisir de faire les choses différemment. Rentre avec nous à Sydney.
Une deuxième chance ? C'était vraiment comme ça qu'elle voyait les séquelles de son accident ?
- Bonjour.
- Oh Clark, bonjour ! Minauda Elizabeth en apercevant le jeune homme. Je te remercie d'avoir pu te libérer pour déjeuner avec nous : je sais que tu es très occupé.
- C'est toujours un plaisir de vous voir, madame Parker.
Il s'installa autour de la table, près de Katherine.
- C'est une mauvaise blague, c'est ça ?
La blonde avait lâché ses couverts, la mâchoire serrée.
- Un peu de tenue Katherine, s'il te plaît.
- Tout va bien ? Demanda Clark en fronçant les sourcils. Ta mère m'a dit que tu voulais me voir alors-
- Elle t'a dit ça ?
La jeune femme lança un regard noir à sa mère. Elle jeta la serviette qui était sur ses genoux sur la table et se leva en faisant grincer sa chaise.
- Vous m'excuserez, mais je n'ai aucune envie d'être ici avec de tels hypocrites.
Elle récupéra son sac à main et tourna les talons, quittant le restaurant d'un pas décidé.
- Katherine ! Katherine, attends !
C'était Clark.
- Katherine, s'il te plaît, dit-il en arrivant à sa hauteur.
Il l'attrapa par le bras pour l'arrêter dans sa course.
- Lâche-moi, Clark.
- Je te jure que je savais pas, je pensais que tu avais vraiment envie de me revoir.
Le jeune homme relâcha sa prise. Il posa ses mains sur ses épaules en soupirant.
- Ma voiture est juste ici, laisse-moi te raccompagner.
Katherine n'hésita pas longtemps et accepta la proposition de son ex-fiancé, épuisée par cette altercation avec sa mère.
*
- Pourquoi tu m'as appelé, l'autre jour ?
Clark avait les yeux rivés sur la route.
- J'en sais rien, soupira la jeune femme. Je... Je savais plus où j'en étais quand je suis sortie de l'hôpital. J'avais besoin de comprendre pourquoi on était plus ensemble toi et moi, pourquoi ma vie était si différente de ce dont je me rappelais.
- Est-ce que ça t'as aidé ?
Il lui jeta un rapide coup d'œil avant de rapporter son attention sur le trafic. Il s'arrêta à un feu rouge.
- Katherine ?
La blonde avait le regard fixé sur le passage piéton, devant elle. Un étrange sentiment s'empara d'elle, lui nouant l'estomac. Ses oreilles sifflaient violement, lui donnant presque le tournis.
- Je... Je me sens pas très bien... Il faut que je prenne l'air.
Sans perdre une seconde de plus elle se détacha et descendit en trombe de la voiture, ne prenant même pas la peine de refermer la portière.
Elle se mit à courir malgré ses jambes tremblantes. Elle courait à en perdre haleine, ne désirant qu'une seule chose : rentrer chez elle.
*
- Tu vas me dire ce qui va pas ?
Christopher s'agenouilla devant elle et lui tendit un verre d'eau. Elle le saisit d'une main tremblante et le porta à ses lèvres pour en prendre une gorgée.
- Est-ce que... Est-ce que j'ai repris connaissance ?
- Quoi ? De quoi tu parles ?
- Après que cette voiture m'ait... Enfin tu sais, est-ce que j'ai repris connaissance ?
Le noiraud s'assit à côté d'elle et lui prit la main.
- Oui, finit-il par répondre. Quand on est arrivé à l'hôpital tu... Tu as ouvert les yeux, mais ça n'a duré que quelques secondes.
Katherine prit une grande inspiration en fermant les yeux.
- En rentrant je... Je suis passée par cette grande place près de la fontaine.
- Tu es passée par la promenade ?
- C'est là, pas vrai ? C'est là que ça s'est passé.
Christopher acquiesça silencieusement. Comment pouvait-elle se rappeler d'une telle chose ? Lui, s'il le pouvait, donnerai tout pour oublier ce moment-là.
- Chris, murmura la jeune femme. J'ai besoin de savoir, s'il te plaît.
- D'accord. Viens avec moi, je vais te montrer quelque chose.
L'australien l'entraina dans la chambre avec lui. Il la fit asseoir sur le lit avant de se diriger vers leur dressing, fouillant frénétiquement parmi tous les vêtements. Au bout d'un moment, il en ressortit avec une boîte à chaussures. Il s'installa lui aussi sur lit, la boîte sur ses genoux et l'ouvrit. Il commença à la vider. Un top blanc à bretelles, tâché de sang, un short en jean noir, déchiré et une basket blanche elle aussi ensanglantée. Tout au fond de la boîte, une casquette noire pliée en deux.
- Qu'est-ce que c'est que tout ça ? Hoqueta Katherine.
Elle tremblait encore plus maintenant.
- C'est...
Il avait la gorge nouée.
- C'est ce que tu portais le jour de l'accident. Je sais pas pourquoi j'ai gardé tout ça... C'était la pire soirée de ma vie et pourtant... Et pourtant on aurait dit qu'une part de moi ne voulait pas l'oublier.
- Chris...
- Parce que si j'oubliais ça, je t'oubliais toi.
Katherine regarda les vêtements souillés du coin de l'œil, réprimant un haut-le-cœur.
- Et cette casquette, dit-elle. A qui elle appartient ? Ce n'est pas à moi, je ne mets jamais de casquette. Je déteste les casquettes.
- C'est la mienne, chuchota Christopher. Je la portais ce soir-là et... Je pensais qu'elle me porterait malheur si je la remettais.
Il se mit à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Ces derniers-mois avaient été un véritable enfer. Il avait perdu goût à la vie. Tout était morose. Noir. Triste. Déprimant.
Aujourd'hui il n'avait plus la force de faire semblant. Il était épuisé, les nerfs à vifs, prêt à s'écrouler à la moindre difficulté.
*
- Cette salle d'attente est glauque, glissa Katherine tout bas.
- Je sais.
Il lui attrapa la main et la serra fort.
- Madame Bang ?
Une grande blonde en blouse blanche venait d'entrer dans la salle d'attente.
- C'est à nous, continua-t-elle en souriant.
- Aller, viens, murmura Christopher en se levant.
Ils suivirent silencieusement la femme.
- Je suis le docteur Green, dit-elle en entrant dans ce qui semblait être son bureau.
C'était une vaste pièce blanche. Au milieu il y avait un grand bureau en verre, trois chaises grises en cuir et un canapé d'angle de la même couleur. Les murs étaient recouverts de schémas qui semblait représenter le cerveau humain. Au moins ils savaient qu'ils étaient au bon endroit.
- Le docteur Burk de l'hôpital Saint-Barnes m'a transmis votre dossier hier soir. Alors, comment est-ce que vous vous sentez aujourd'hui ?
- Je vais bien, répondit Katherine.
Christopher lui asséna un petit coup d'épaule.
- Un problème, monsieur Bang ?
- Ma femme à tendance à minimiser les choses.
Katherine leva les yeux au ciel.
- Je vois. Et si on se concentrait sur votre problème, hmm ? Je vous écoute.
- Je... Il y a quelques jours je me suis retrouvée prise de panique en reconnaissant l'endroit de... De...
- De votre accident ?
- Voilà.
Le docteur Green haussa un sourcil.
- Et hier soir j'ai fait un cauchemar, reprit Katherine.
- Un cauchemar ?
- Je... C'était comme une sorte de vision.
- Une vision ?
- Vous allez répéter tout ce que je dis ?
Christopher mit sa main devant sa bouche pour ne pas rire.
- Non madame Bang je ne vais pas répéter tout ce que vous dites, j'essaye simplement de comprendre. Racontez-moi ce cauchemar.
- Je... Je crois que j'ai revécue mon accident.
*
- Vous avez déjà entendu parler de l'hypnose ? Demanda le docteur Green en reposant son bloc-notes et son stylo sur son bureau.
- Vaguement, répondit la jeune femme en fronçant les sourcils.
- Je ne sais pas si tout ce que vous m'avez raconté sont de réels souvenirs, mais je crois que l'hypnose serait un bon moyen d'essayer de démêler tout ça.
- En quoi ça consisterait ?
Christopher se redressa sur son siège, intrigué par les propos de la neurologue.
- C'est un traitement qui s'étalera sur plusieurs séances et qui se passera ici, au cabinet. Je ferais entrer madame Bang en état d'hypnose et ensemble nous essayeront de nous remémorer les choses.
- Et pour le reste ? Enfin je veux dire, vous pensez qu'elle retrouva complètement la mémoire ?
- Ce n'est pas quelque chose que je peux affirmer avec certitude, monsieur Bang.
- Est-ce qu'il y a des risques ? Lui demanda Katherine.
- Il y en a toujours. Un accident comme ça est un événement extrêmement traumatisant qui peut vous marquer à vie.
- Alors... Alors ça veut dire que ça pourrait me traumatiser pour le restant de mes jours ?
- Je pense que ça sera compliqué pendant quelques temps.
Katherine se mordit les lèvres en soupirant, les yeux rivés vers le sol. Personne ne garantissait que ce traitement marche mais si, dans une infime chance, elle parvenait à se rappeler, est-ce qu'elle aurait la force de faire face à cette vague de souvenirs destructrice ?
*
- T'en as pas envie ?
- Je sais pas, j'ai besoin d'y réfléchir.
- Est-ce que c'est à cause de moi ?
Katherine soupira.
- Bien sûr que non.
- C'est à cause de ce que le docteur a dit ? Tu as peur de te souvenir de... Ce soir-là ?
- Evidement que j'ai peur, Chris. Qu'est-ce que tu crois que ça fait de se réveiller dans une chambre d'hôpital sans avoir la moindre idée de ce que tu fais là ? D'apprendre que tu as coupé les ponts avec ta famille ? Je commence juste à me faire à cette nouvelle vie et je ne suis pas sûre de vouloir voir les choses autrement.
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