Chapitre 8
Ana
Deux semaines s'étaient écoulées depuis mon premier jour en tant que serveuse prénommée Samantha. Depuis, aucun nouvel incident n'était à répertorier. Théo et moi ne nous adressions la parole que pour les commandes et la paye qu'il me donnait à la fin de chaque service tandis que ma relation avec Isaac devenait de plus en plus amicale. Je trouvais sa présence réconfortante et son énergie était communicante. Je n'avais toujours pas recroiser le chemin de l'homme aux yeux verts, du moins pas dans la vraie vie. Il continuait néanmoins à hanter mes nuits. Concernant mon travail, je servais toujours des types tous plus louches les uns que les autres mais aucun n'avait une nouvelle fois suggérer de m'acheter contre une liasse de billets. Rassurant... ironisa la petite voix dans ma tête. En revanche, je ne parvenais toujours pas à m'habituer à la présence de certaines armes, qu'elles soient posées sur les tables par certains ou gardées précieusement dans les ceintures pour d'autres. Je détestais la violence et la vision d'un couteau ou d'un pistolet me rendait particulièrement nerveuse. Logique. Je grognais et fis taire ma conscience qui se moquait ouvertement de moi.
J'écrasais mon mégot de cigarette sous la semelle de ma chaussure et envoyais un message à Maddie pour lui indiquer l'heure à laquelle mon service prendrait fin. Elle répondit presque immédiatement par un simple « ok ».
L'heure m'indiqua qu'il me restait encore quelques minutes pour profiter de ma pause avant de reprendre le travail. Mon téléphone rangé dans mon soutien-gorge, cette robe trop courte étant dépourvue de poche, je penchais mon corps par-dessus la barrière en verre. Le toit du Rockstore, ouvert seulement au personnel, offrait une vue panoramique sur la ville.
L'obscurité qui avait envahi le ciel contrastait avec des milliers de petits points lumineux qui parsemaient l'horizon. La musique faisait vibrer l'épaisse bâtisse sous mes pieds mais me parvenait complètement étouffée. En-dessous, la file d'attente qui s'était formée devant l'entrée de la boîte grandissait à vue d'œil.
Soudain, la porte qui permettait d'accéder au toit s'ouvrit et se ferma dans un claquement, me faisant sursauter. Je jetais un coup d'œil par-dessus mon épaule. Isaac s'approchait de moi, une cigarette coincée entre les lèvres. Sa venue annonçait la fin de ma pause.
- On est plus tranquille ici, dit-il en recrachant la fumée.
J'acquiesçais, les yeux toujours rivés sur l'entrée de la boîte où s'agglutinait voitures et personnes. Nous étions samedi soir et le club battait son plein.
- Je dois reprendre, lui dis-je savoir en me redressant. On se retrouve en bas ?
- Oui. Fais attention, le patron est de retour !
Je frissonnais à l'entente de ses mots. Le fameux patron était donc là ce soir... C'était l'occasion pour moi de trouver une issue de secours. Quelque chose qui me permettrait d'en finir avec ce travail car, même si je m'étais plus ou moins accommodée au travail de Samantha, je sentais toujours le danger roder autour de moi. Et je ne voulais plus vivre dans la peur qu'il m'arrive quelque chose, à moi ou bien à ma cousine. Quelqu'un finirait bien par me reconnaitre ou par me démasquer, et qui sait ce qui m'arrivera à ce moment-là ? On ne triche pas avec les mafieux.
- Merci, je vais faire attention ! le remerciais-je en retournant au travail.
Une fois devant la porte qui me séparait du salon VIP, je marquais une légère pause. J'avais un mauvais pressentiment... Quelque chose clochait. J'avais les mains moites et mon cœur battait trop fort dans ma poitrine. Il fallait que je me ressaisisse. C'était peut-être ma seule chance de me faire renvoyer car j'avais bien compris que ma démission serait rejetée dans tous les cas. Je me ressaisis donc et pris une profonde inspiration pour me donner un peu de contenance. Je pouvais y arriver !
Je tendais le bras pour ouvrir la porte et immédiatement, mes yeux cherchèrent un visage inconnu dans la pièce qui m'indiquerait l'identité du patron.
À première vue, je ne remarquais rien de différent. Tous les hommes présents étaient déjà là au début de mon service. Je balayais donc une fois du regard l'espace et enfin, je trouvais ce qui m'intéressait. Dans un coin, la plus grande table comptait deux individus de plus, habillés tous les deux de sombres costumes. Ils étaient dos à moi, en train de passer commande auprès de Théo qui leur souriait. L'un était blond, l'autre avait des cheveux de jais. Je pouvais même remarquer chez ce dernier la fin d'un tatouage dans le haut de son cou. À cette distance, je n'arrivais pas à identifier clairement ce qu'il représentait. Mais je savais à présent envers qui ma maladresse devait être destinée ce soir.
Prenant mon courage à deux mains, j'avançais en direction du bar. En sentant les regards brulants des hommes posés sur mes jambes et probablement sur la naissance de mes fesses, je tirais un bon coup sur ma robe afin de leur cacher la vue. Théo m'attendait derrière le comptoir. Lorsqu'il eut terminé de préparer les deux boissons que l'on venait de lui commander, il me les tendit et je les disposais sur un plateau propre. Ce que je m'apprêtais à faire fit grimper mon stress en flèche mais je savais que c'était la meilleure chose à faire pour en terminer avec ce boulot de serveuse. Je ne voulais plus mettre un pied dans ce club, dans ce salon VIP et être entouré de tous ces gens dangereux. Alors je devais le faire ! Je devais me faire renvoyer !
J'attrapais le plateau et avançais mécaniquement jusqu'à la table, la tête bien haute. J'allais y arriver ! Il suffisait de faire semblant de trébucher en arrivant devant eux. Ou bien de renverser le plateau sur leurs beaux costumes qui devaient coûter très cher. Ils seraient en colère, mais je n'aurais qu'à mettre cet incident sur le compte de ma maladresse. Et je recommencerais. Jusqu'à ce que le patron, que je n'avais pas encore clairement identifier, craque et me mette à la porte. Ce plan était parfait. Non ? Si tu le dis. Une nouvelle fois, je me répétais que j'allais y arr-. C'était quoi ce bordel ? Ils n'étaient pas deux tout à l'heure ? J'arrivais face aux hommes de la table 5 et remarquais immédiatement que le brun tatoué manquait à l'appel. Où était-il passé ? Les hommes autour de la table me reluquèrent, un sourire aguicheur sur les lèvres. Seul le blond restait impassible. Il m'observait calmement de ses yeux noisettes, les mains croisées sur la table devant lui et attendant que je lui serve son verre de Whisky. Mais je n'arrivais pas à faire le moindre mouvement, mon cerveau étant trop occupé à réfléchir. Était-ce lui le patron ? Ou bien était-ce l'autre ? Comment savoir ? Que devais-je faire ?
Mais soudain, les poils sur mon épiderme se hérissèrent et une vague de chaleur se répandit dans tous mon corps en sentant une présence inconnue tout près. Quelqu'un se tenait juste derrière moi. Si proche que je pouvais sentir son souffle s'écraser dans mon cou. Je pouvais sentir son odeur corporelle, un mélange de gel douche et de parfum. Sa proximité presque indécente me rendait terriblement nerveuse et mes jambes recouvertes d'un épais collant se mirent à trembler. Qui était-ce ?
Demeurant toujours immobile et silencieuse, toute la table avait les yeux rivés sur moi, guettant la moindre de mes réactions. Je devais avoir l'air ridicule, plantée là. Mais j'étais comme paralysée, incapable de réagir face à l'individu qui se tenait dans mon dos. Que me voulait-il ? Celui-ci s'avança jusqu'à ce que son corps touche le mien et se pencha en avant pour venir effleurer de ses lèvres ma peau. Mon cœur s'emballa et mes tremblements redoublèrent d'intensité. J'allais tomber s'il ne s'écartait pas rapidement. Mais au lieu de me laisser respirer comme je l'espérais, je sentis sa bouche remonter et se mouvoir contre mon oreille :
- Bonsoir Ana.
Il avait prononcé ces deux mots dans un murmure presque inaudible, faisant parcourir un délicieux frisson le long de ma colonne vertébrale. Mes bras devinrent cotonneux et je lâchais le plateau qui s'écrasa dans un fracas de verre sur le sol. Toutes les discussions cessèrent et me revoilà, à nouveau, au centre de l'attention.
Sa voix n'avait rien à voir avec celle de mon souvenir. Ce soir, elle résonnait avec douceur au creux de mon oreille. Elle semblait presque sensuelle et ne m'effrayait pas comme lors de notre première rencontre. Et pourtant, je l'avais immédiatement reconnue. Mon dieu ! C'était donc lui, le deuxième homme ? L'homme aux yeux verts. Je déglutis difficilement, la gorge sèche. J'avais besoin de m'échapper de son contact pour recouvrer mes esprits. Je fis un pas en avant et instantanément, la chaleur qui avait envahi mon corps disparut. Tout en évitant les nombreux morceaux de verre éparpillés sur le sol, je courus jusqu'aux toilettes.
Appuyée contre le lavabo, j'observais mon reflet dans le miroir. La honte avait teintée mes jours et mes yeux étaient brillants de peur. D'excitation tu veux dire ? Je fermais les yeux. Je ne voulais plus me voir. Pas comme ça. Qu'est-ce qui m'avait pris ? Pourquoi mon corps avait-il réagit de la sorte ? J'aurais dû être effrayée. Mais ça avait été tout le contraire. Putain ! J'aspergeais mon visage d'eau froide pour me ressaisir mais ses paroles résonnaient toujours dans mon esprit. « Bonsoir Ana ». Il connaissait mon véritable prénom. Comment c'était possible ? Tout le monde ici pensait que je m'appelais Samantha. Comment lui pouvait-il savoir que je m'appelais Ana ?
Le grincement de la porte attira mon attention. Mais je n'avais pas besoin de tourner la tête pour savoir qui venait d'en franchir le seuil pour pénétrer dans les toilettes. Son odeur parvint à mes narines, m'indiquant qu'il s'était approché.
- Bonsoir Ana, répéta-t-il avec ce même timbre de voix.
Les yeux toujours clos, mes doigts resserrèrent leur emprise autour du lavabo. Je ne voulais pas croiser une nouvelle fois son regard qui me tourmentait. Je devais résister.
- Vous faites er-reur, bégayais-je. Je m'appelle Samantha.
Son corps se rapprocha un peu plus. Non ! Il fallait qu'il s'écarte ou j'allais perdre mes moyens. Encore. Je ne voulais pas montrer l'effet qu'il avait sur moi. C'était ridicule. Je ne le connaissais pas. Il m'avait effrayé. Pourquoi mon corps réagissait-il en sa présence ?
Son torse me percuta, me bloquant au passage contre le lavabo. La surprise me fit ouvrir les yeux et je croisais instantanément son regard émeraude dans le miroir. Mon cœur s'arrêta de battre et mes lèvres s'entrouvrirent pour laisser rentrer l'air dans mes poumons. Je vis un petit sourire en coin étirer le coin de ses lèvres. C'était ce qu'il voulait. Que je le regarde. Il savait dans quel état il me mettait. Et il s'en amusait.
- Trésor, j'ai viré la vraie Samantha après l'avoir baisé dans mon bureau. Je n'aime pas mélanger boulot et vie privée. Et j'aime encore moins les menteuses comme toi.
Il ne me laissa pas le temps d'assimiler ses quelques mots qu'il me saisit le poignet pour me retourner et me plaquer contre le mur avec violence. Un petit gémissement de douleur s'échappa d'entre mes lèvres lorsque le choc se répercuta le long de mon dos. Qu'est-ce qu'il lui prenait ? Je levais la tête vers lui et mes tremblements reprirent. Son regard trahissait sa colère. Il avait perdu toute sa douceur et sa sensualité. Et cette fois-ci, je me sentais vraiment effrayée.
- Qu'est-ce que tu me veux ? rugit-il, son visage à quelques centimètres du mien.
Ma peur agissait comme un anesthésiant sur mon corps. J'étais paralysée, le regard toujours plongé dans ses iris vertes. La distance qui séparait nos deux visages étaient tellement mince que son nez frottait contre le mien.
- Pourquoi es-tu ici ? continua-t-il à beugler.
Ses paroles n'avaient aucun sens. Je ne comprenais pas ce qu'il essayait de me dire. On aurait dit qu'il me connaissait. Pourtant, je n'avais aucun souvenir de lui. Et j'étais persuadée qu'un homme tel que lui, ça ne s'oubliait pas. Un regard comme le sien, à la fois magnifique et terrifiant, serait rester graver dans ma mémoire.
- Je ne vous connais pas, lâchez-moi !
Son corps emprisonnait le mien et j'avais beau me débattre, je n'arrivais pas à me dégager de son emprise. Il était beaucoup trop fort. Mais je continuais à gesticuler, redoublant mes efforts, jusqu'à débloquer un bras avec lequel j'essayais de le repousser. Mais il ne bougea pas, trop occupé à m'observer. On aurait dit qu'il analysait ce que je venais de lui dire. Qu'il en vérifiait la véracité sur mon visage.
- Vous me faites mal ! l'accusais-je d'une voix forte.
Intérieurement, j'espérais que quelqu'un viendrait à mon secours. Mais ma raison savait que ça n'arriverait pas. « Dans mon bureau ». C'était lui le patron. Et je doutais que quelqu'un souhaite s'interposer entre lui et moi, au risque de le contrarier et de s'attirer de gros ennuis. Ses yeux étaient toujours noirs de colère et sa mâchoire était crispée. Je sentais sa poitrine se soulever à un rythme irrégulier. Tout à coup, il leva une main à hauteur de mon visage et l'enroula autour de mon cou. J'hoquetais de surprise en le sentant resserrer sa prise. Mon cœur pulsait entre ses longs doigts et je grimaçais de douleur lorsque ses bagues s'enfoncèrent dans ma peau. Allait-il vraiment m'étrangler ? Qu'avais-je bien pu lui faire ?
Je n'osais plus émettre le moindre son de peur qu'il me tue. À la place, je le suppliais d'un regard. Mes yeux étaient embués mais je ravalais mes larmes même si l'idée de mourir une seconde fois me terrifiait. J'avais la soif de vivre et je refusais de le laisser me prendre cette deuxième chance qui m'avait été offerte. Me défaisant de ma paralysie partielle, je recommençais à me débattre avec force. Mais alors que je pensais que mes efforts seraient vains, il retira ses doigts de mon cou et je pris une profonde inspiration. Je ne m'étais pas rendu compte que l'air manquait autant à mes poumons. Il s'écarta ensuite, libérant mon corps de son imposante carrure, et se dirigea d'un pas rapide vers la sortie des toilettes. Je soupirais de soulagement. Il ne me tuerait pas. Je ne mourrais pas aujourd'hui. Mais, avant de sortir et sans même un regard dans ma direction, il me dit d'un ton menaçant :
- Je découvrirais ce que tu es venue chercher, Ana.
C'est la fin de ce nouveau chapitre ! En espérant que vous avez passé un bon moment auprès de notre héroïne préférée. Passez un bon 1er mai et à lundi prochain pour un nouvel épisode !
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