27 - prêt
Lorsque Lothaire redescendit au village, ce matin-là, avec Lysethea et Maher, il fut accueilli avec une joie telle qu'il en fut déboussolé. Jamais de sa vie ne l'avait-on reçu avec une passion telle. Et ... ça le ravit plus qu'il ne l'aurait cru.
À l'auberge, c'était la fête. On braillait des chansons paillardes à n'en plus pouvoir, on pariait à tour de bras, et l'alcool coulait à flot. Une ambiance bruyante ... Mais chaleureuse.
Lui, Maher, et la petite Lysethea s'installèrent à la table qu'ils occupaient ici lors de son arrivée au village. Il frotta du pouce le bois de la table, un instant, et ne put empêcher un sourire. Que de chemin parcouru, depuis, et en seulement si peu de temps ... En face de lui, Maher faisait rebondir Lysethea sur ses genoux, avec une petite comptine, l'enfançonne riant aux éclats. Contrairement à ce qu'il aurait pu craindre, elle n'était pas le moins du monde dérangée par le bruit environnant. De temps en temps, elle jetait des regards curieux à ceux dont les voix s'élevaient un peu trop, mais Maher avait tôt fait d'attirer de nouveau son attention à lui.
- Eh bien. Si on m'avait dit qu'un jour, il ferait un papa gaga ...
Lothaire leva le regard vers Pénélope, qui regardait Maher avec une certaine malice, dans le regard.
- Bonjour à vous, Demoiselle Pénélope, la salua Lothaire, en inclinant la tête, avec un sourire sincère.
Malgré son côté très impulsif, Lothaire s'était attaché à Pénélope. Comme à tous les villageois, tout compte fait. Ils étaient tous si accueillant et chaleureux ... De sa vie, jamais Lothaire n'avait rien connu de ça. Et ... au fond, ça lui faisait un bien fou.
- Pour l'amour de ... ! Lothaire ! Tu ! Pénélope ! Pas de mademoiselle, de vous, d'autres saintetés ou préciosités ! Je m'en br ...
- Pénélope, la petite ! l'interpella Maher, lui coupant la parole en faisant les gros yeux.
Elle leva les yeux au ciel, exagérément, et Lothaire ne put retenir un petit rire. Ah ... Comme c'était bon, de rire.
- Tu vois, je te l'avais dit. Papa gaga.
- Il est très protecteur de Lysethea, certainement, mais de là à le désigner comme étant un ''papa'' ...
- Il élève Lysethea au même titre que toi, tu sais. Par conséquent, vous êtes tous deux les pères de cette enfant.
Les villageois pensaient que Lysethea était une orpheline que Lothaire avait récupéré sur le bord de la route, avant d'arriver ici. Une rumeur circulait, stipulant qu'il avait été envoyé pourfendre Maher par un riche seigneur, et il n'avait cherché à contredire personne. Il valait mieux que la vérité reste cachée. Si on savait que Lysethea était en réalité la princesse héritière du royaume, le village aurait été sans dessus dessous. Qui plus est, les nouvelles du palais leur étaient parvenues : la reine avait fait une fausse couche, si grave qu'elle avait manqué d'en périr. Maintenant en convalescence, le Royaume tout entier ne cessait d'envoyer au palais moult lettres de condoléances, et on ne cessait de prier pour que la reine se rétablisse au plus vite. Elle était plus aimée que le Roi, depuis qu'elle avait appuyé une loi rendant possible d'accès les bibliothèques à tous, même aux plus pauvres. Ça avait fait un tollé parmi la noblesse, mais le peuple l'avait dès lors soutenue. Elle lui manquait, parfois. Mais en compagnie de Maher et Lysethea ... Il avait moins le cafard.
- Ce n'est pas faux ... Mais tout de même, nous ne sommes pas ses parents ... Enfin ! Si elle est heureuse avec nous, et que nous la traitons comme il le faut, ce que j'espère, c'est tout ce que je peux souhaiter.
En relevant la tête, il constata avec surprise que Pénélope lui coulait un regard étrange.
- Tout va bien ? lui demanda-t-il avec une sorte d'appréhension un peu étrange.
- Huuuuum ... Oui. Je me demandais simplement ... Décider d'élever un enfant avec un dragon est une étrange décision.
Lothaire rit, doucement. En effet, une décision bien étrange.
- Maher ... Maher m'a tendu la main. M'a offert une nouvelle vie. Sur le moment ... Je n'avais rien à perdre. Et j'apprécie vraiment sa compagnie. Sans parler de Lysethea, qui est autant accrochée à lui qu'à moi.
La petite s'amusait à tenter d'attraper les mèches que Maher secouait juste sous ses doigts, à l'aide de gargouillements bien baveux. Cette vision le fit rire, et réchauffa son âme. Avec Maher ... Il vivait enfin. Pour lui-même, et Lysethea. Et c'était ... Merveilleux, comme sensation.
- Je vois ça ... Et dis-moi, Lysethea ... C'est toi qui lui a donné ce nom ? Ou elle l'avait déjà ?
- Non, non, c'est Maher qui en a eu l'idée.
- ... Donc, tu es en train de me dire que Maher a nommé le bébé que vous avez décidé d'élever ensemble ?
- Eh bien ... Oui ?
Pénélope plissa les yeux, et changea de point d'appui, en tapotant du pied par terre. Que cherchait-elle à lui dire ? Ou à lui faire dire ?
- Pénélope ... Que vou ... veux-tu ?
- Quelle genre de relation avez-vous, Maher et toi ?
Pris de cours, il se contenta de la regarder, en clignant des yeux, avant de se sentir rougir jusqu'à la racine des cheveux. Heureusement, Maher, trop accaparé par Lysethea, n'avait rien vu, ni entendu.
- Nous ... Je ... Je ... Rien ! Maher m'héberge avec gentillesse, mais ... Dieux, rien ! Enfin, je veux dire ... nous n'avons pas ... Une relation de ... Parents, finit-il par balbutier, encore sous le choc de sa demande.
Un sourire mesquin fendit ses lèvres, mais elle hocha toutefois doctement la tête, en constatant sa sincérité. Lothaire avait toujours été un très mauvais menteur.
- Et ça te déplairait ?
Il manqua soudainement d'air, et partit dans une quinte de toux monumentale, qui fit rire Lysethea avec une force assez surprenante, pour un bambin de son âge. Maher lui jeta un regard surpris, presque inquiet, mais Lothaire finit par arrêter de tousser, et but une longue gorgée de bière. Devant lui, le sourire de Pénélope s'était transformée en quelque chose de plus ... vicieux.
- Pénélope, enfin !
- Quoi ? Maher est un loup solitaire. S'il a enfin trouvé quelqu'un, moi je suis contente !
Il était tellement rouge que les veines de ses tempes en pulsaient littéralement. Quelle gamine insupportable ...
- Je te l'ai dit, Maher et moi ...
- Je sais. Mais est-ce que ça te déplairait ?
Il secoua vivement la tête, avant de se redresser.
- Là n'est pas le sujet. Maher est ... De toute manière, pourquoi poses-tu la question ?
Son sourire était quasiment carnassier. Pourtant, lorsqu'elle se pencha vers lui, à son oreille, sa voix fut très douce.
- Pour la simple et bonne raison que Maher t'a offert quelque chose de très important.
- C-comment ça ?
- La tribu de la montagne a des coutumes semblables à celles des Dragons. Le village aussi, également. Dis-moi, d'où vient le manteau que tu portes ?
- Maher me l'a offert, l'autre jour. Il me dit qu'il vient de son père.
- Eh bien ... Les Dragons courtisent de cette manière.
Il resta muet, un instant, et ne put que regarder Pénélope lorsqu'elle se redressa, la mâchoire béante. Quoi ? Quoi ? Avait-il ... Quoi ?
- Je ... Hein ?
- Lorsqu'un Dragon, ou un habitant de ce village par ailleurs, souhaite courtiser quelqu'un de manière sérieuse, il ou elle prouve son amour en offrant à l'autre un objet qui lui tient à cœur. Ça peut être tout et n'importe quoi : une tapisserie, une bille, un jouet d'enfance ... Ou tout simplement, le manteau qui appartenait à son père, de son vivant.
Soudainement, malgré la chaleur ambiante des lieux, Lothaire se mit à frissonner, longuement. Par tous les dieux. Qu'est-ce que ... mais qu'est-ce que ...
- Dégonfle un peu, Lothaire. Tu es si rouge que tu sembles sur le point d'éclater ...
- J-je ... Maher ... me ... ?
- En effet. Il n'a ... Jamais été très doué pour exprimer ses sentiments. Je pense que s'il a eu la présence d'esprit de t'offrir le manteau préféré de son père, ce n'est pas par simple altruisme. Tu comptes énormément pour lui. Et pas uniquement parce que tu es ''l'autre'' père de Lysethea.
- Je ... Nous ne nous ... connaissons que ... depuis peu !
- En effet. Mais hé, mes parents se sont mariés alors qu'ils ne se connaissaient que depuis deux semaines. Et vingt-sept ans après, ils continuent de roucouler dans leur coin. Alors tu sais ... marmonna-t-elle en haussant les épaules.
Lothaire avait commencé à trembler, ébranlé. Courtisé ... par Maher ? Il n'avait jamais été courtisé. Par quiconque. Même au palais royal. Bien qu'il soit un membre de la maison Rosario ... On le jugeait trop austère pour qu'il soit digne d'intérêt. Comment réagir ? Comment ... Comment faire ? Maher ...
- Ne chauffe pas trop du ciboulot, tu vas te faire griller.
- Oui ...
- Je te le dis d'avance parce que si ça continue à ce rythme, dans cinquante ans, on y sera encore, mais tu fais ce que tu veux de cette information.
- Pénélope !
- Quoi ? C'est vrai ! Ne me dis pas que tu es surpris, quand même !
- Je ... Tu ...
- Ce n'est un secret pour personne que Maher t'a pris en affection. Lorsque tu es arrivé, cette nuit-là, j'aurais été prête à parier qu'il t'aurait éconduit sans autre forme de procès. Mais lorsqu'il a décidé de t'emmener sur la montagne ... C'est un signe. Et les signes, ça ne trompe pas.
Elle soupira longuement, et Lothaire se retourna instinctivement vers Maher, confus. Maher ... Il chantait une comptine à Lysethea, qui paraissait sur le point de s'endormir. Toutefois, lorsqu'il se rendit compte du poids de son regard sur lui, il redressa la tête et lui adressa un sourire lumineux. Il fit de nouveau face à Pénélope, qui semblait se moquer de lui, gentiment.
- Est-ce que ça te gêne vraiment, l'attention de Maher ?
- Je ... Non, bien sûr que non, je ... Je ne comprends ... juste pas. Enfin, je veux dire ... Maher EST Maher. Et moi ... Je ... Je suis moi.
Maher était ... Et lui si ...
- Il n'y a rien à comprendre, en amour. C'est la chose la plus irrationnelle qui soit, même. Mais le sujet, c'est surtout ... Toi. Comment tu te sens, toi ?
Choqué. Complètement choqué. Il ne s'attendait pas à ça. Il était nerveux, trop nerveux. Comment réagir, à tout ça ? Que faire ? Et surtout ... Maher ...
Durant un instant, il s'imagina en sa compagnie. Comme étant ... son compagnon. Sa main dans la sienne, la sensation fantôme de ses baisers, ses regards, ses mots ... Et durant un instant, il crut sentir son cœur battre un peu plus vite.
- Je pense ... Je pense que ... Je me sentirais ... Bien.
*-*-*-*
- Oh. Mon. DIEU ! ANDREA ! Mais c'est beaucoup trop bien ! s'extasia Ophélie, en sautillant sur place.
À côté d'elle, la jeune blonde rougissait avec force, un sourire éclatant étendant ses lèvres d'un bout à l'autre de son visage.
- J'avoue. C'est super ! s'écria Jean, en rendant le script du prochain chapitre de Kaïros à la demoiselle.
- Merci ... Ça m'est venu hier soir ! J'ai tout écrit du premier coup ... C'est pas ... Un peu trop ?
- Absolument pas, c'est même génial. De toute manière, on se doute bien qu'en tant que lectorat, ces deux-là ont un lien particulier ... avança Tim, en frottant ses mains l'une contre l'autre. Et honnêtement, j'ai vraiment envie de les voir ensemble.
- Moi aussi ! enchérit vigoureusement la nouvelle amie d'Andréa, en hochant vigoureusement la tête.
Tim n'avait quitté le lycée qu'une semaine seulement. Le temps d'emménager chez la grand-mère de Jean, avec Sam, qui après une longue discussion, avait manifesté son envie d'aller chez elle plutôt que de rentrer chez sa mère, et Jean l'avait aidé à récupérer toutes les affaires dont lui et Sam pourraient avoir besoin, maintenant qu'ils n'avaient plus l'intention de rester là bas.
Elle en avait saccagé une bonne partie, mais ils avaient réussi à réunir l'essentiel. La grand-mère de Jean, qui était venue au cas où, avait pris en photo le carnage. Si procès il y aurait, un maximum de preuves il faudrait. Tim n'était pas vraiment sûr de comment tout cela se déroulerait, et il n'était pas vraiment sûr de vouloir le savoir non plus, mais ... il n'était plus seul. Jean était là, maintenant. Et jusqu'à présent, leur cohabitation avec sa grand-mère s'était passée à merveille. Jean était venu tous les jours, avec Raspoutine, et tandis que Sam jouait avec le chien dans le jardin, ils discutaient de son avenir, de détails plus ou moins importants, parfois tous les trois, parfois rien qu'avec Jean. Et ça lui faisait un bien fou.
Pour la première fois depuis des années, Tim avait l'impression de vivre. Non plus de survivre ... Mais de vivre. Et c'était ... un sentiment indescriptible. Mais bon. Si bon.
Et voilà qu'à son retour, il retrouvait une Andréa survoltée, accompagnée d'une magnifique jeune fille qu'il avait repérée dans leur classe. Ophélie, apparemment. Et vu la manière dont elles se regardaient mutuellement ... il ne leur donnait pas trois mois. Jean leur en donnait plutôt un. Ils avaient fini par parier un bocal de bonbons. Sympa, de voir que Jean avait réussi à dépasser son coup de cœur pour Andréa. Même s'il répétait que ça faisait depuis bien longtemps que ce n'était plus le cas ...
- Je vous remercie d'avoir validé mon script ! Ça fait du bien, d'avoir des bêta lecteurs !
- Toujours prêt à rendre service ! s'amusa Jean, en se mettant au garde à vous.
Ils éclatèrent tous de rire, et Tim le bouscula, d'un coup d'épaule. Jean se contenta de lui renvoyer un sourire merveilleux, qui fit naître une drôle de chaleur, au creux de son ventre.
- Et par la suite, qu'est-ce que tu comptes ...
Le reste de sa phrase se retrouva noyé par la sonnerie stridente qui annonçait le début des cours, à la grande frustration d'Ophélie, qui lança un regard lourd de sens au haut parleur juste au dessus d'elle.
- ... perie, va.
- Allez, on va être en retard. On reprendra plus tard, ne t'inquiète pas. Et maintenant que les garçons sont revenus, on va pouvoir ...
Le reste de sa phrase se perdit, alors qu'elles s'éloignaient toutes les deux, bras dessus, bras dessous, rayonnantes.
- Elle sont trop mignonnes, soupira Jean, en secouant la tête.
- Finalement, peut-être plus deux semaines que deux mois ...
Jean lui lança un drôle de regard, en haussant les sourcils.
- Un pari est un pari, Tim. Tu ne peux pas le briser comme ça !
- Eh, rien ne dit qu'on ne peut pas revenir sur les termes du pari.
- Si. Si tu brises les termes, tu as le droit à un gage.
- Un gage ?
- Ouais.
- Et c'est quoi, ce gage ?
Jean l'observa, un instant, rien qu'un ... Et à la seconde d'après, il l'embrassa.
Son cœur explosa.
Et Jean finit par se reculer, en haussant un sourcil.
- Ton gage, c'est que tu vas devoir venir à mon prochain match, m'encourager. Compris ?
- J-jean.
- Quoi ?
- JEAN.
- QUOI ?
- Tu ... Je ...
Il avait le souffle court. Si court. Trop court. Mais il finit par déglutir, vivement, et le pointa de son index.
- C'était quoi, ça ?
Jean haussa les épaules, l'air désinvolte... Mais ses oreilles, soudainement écarlates, trahissait complètement sa nervosité. Bon sang de ...
Jean Calvez venait de ...
Bon sang.
- J'avais envie.
- Pourquoi ?
- Parce que j'avais envie depuis longtemps. Pas toi ?
Tim resta planté là, un instant, le détaillant du regard ... avant de l'embrasser à son tour. Plus longuement. Plus brusquement. Mais son cœur ne cessa pas de battre la chamade pour autant. Jean ... Jean.
- Ok. Parfait. Je savais qu'on ne regardait pas un ami comme ça, souffla Jean d'une voix rauque, lorsqu'ils se séparèrent une nouvelle fois.
Tim éclata d'un rire nerveux, et se passa la main dans les cheveux. Il n'arrivait plus à penser correctement. Il était à la fois sur un nuage et six pieds sous terre. Sa tête tournait un peu, aussi ... Mais non, il ne rêvait pas. Il ne rêvait pas le moins du monde.
- T'es sérieux ? Tu m'as embrassé parce que JE TE REGARDE ?
- Non, parce que j'avais envie, et aussi parce que tu me dévores des yeux.
- C'est faux. Complètement faux.
- Non, c'est vrai. Parce que si c'est pas le cas, sache que je me sentirais très, très, mais alors très, très bête.
Tim le bouscula, d'un coup de coude, et haussa exagérément les épaules.
- Bah écoute. Fais avec !
- Tim !
- Quoi ?
- TIM !
- QUOI ?
Il soupira longuement, et il faillit éclater de rire, à son tour.
- T'es pas possible.
- Mais si, vu que je suis là. Et ... Si ça peut te rassurer, moi aussi, j'avais envie de t'embrasser.
Le regard de Jean s'illumina, et il éclata enfin de rire. Tim finit par le rejoindre, en se tenant les côtes, et durant un instant, il songea que c'était peut-être le plus beau jour de sa vie.
Et pour une fois ... il se sentait prêt à être heureux.
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