
Chapitre 2: Lazziar
Le passage débouchait sur une petite pièce encombrée. Des livres par dizaines et des objets par centaines s'entassaient partout, ne laissant presque rien voir ni des murs ni du sol. Au centre, penché sur une vieille carte poussiéreuse à moitié dissimulée par des parchemins, un grand elfe aux cheveux blancs marmonnait. Il n'entendit pas la porte se refermer ni les bruits de pas s'approcher. Par contre, il sentit deux bras l'entourer et le serrer affectueusement. Un doux sourire étira ses lèvres. Il n'y avait qu'une seule personne pour se comporter ainsi.
— Princesse Aélys. Que me vaut le plaisir de votre visite ?
Il se retourna pour lui faire face. Un frisson le parcourut en croisant le regard si singulier de la jeune. Il y avait quelque chose de profond, de réfléchi, de dangereux dans ses yeux. Quelque chose de particulier. Quelque chose d'effrayant.
— Tu es toujours aussi trouble, Lazzy.
— Ah la la, je t'ai déjà dit mille fois d'arrêter avec ce surnom.
— Seulement deux cent cinquante et une fois.
Lazziar Pentharice, ancien élève de l'inégalé Nesterin Faewenys, reconnu comme un explorateur et un savant accompli, posa doucement sa main sur la tête de la princesse elfique. Décidément, il ne pouvait rien lui refuser.
— De quelle couleur suis-je, aujourd'hui ?
— Je viens de te le dire. Tu es trouble, lui répondit-elle.
— Ce n'est pas une couleur, ma grande.
Ses yeux le transpercèrent. Depuis qu'elle lui avait parlé de son don, il ne cessait de faire des recherches et de la questionner pour en savoir plus.
Elle était capable de voir l'aura des gens. Chaque personne dégageait une sorte d'énergie qui évoluait avec leur âge, leurs expériences, leurs facultés, leurs humeurs. Aélys possédait une sensibilité hors normes concernant la magie, cependant Lazziar était persuadé que son aptitude était liée à autre chose. Le problème, c'était que cette « autre chose » lui échappait complètement. Il ne saisissait ni son origine ni son fonctionnement.
Ce mystère le frustrait. Il voulait comprendre, autant par curiosité personnelle que par envie d'aider la jeune elfe. De plus, son intuition lui disait que son pouvoir revêtait une importance capitale. Pour quelle raison, il n'en avait pas la moindre idée.
— Qu'est-ce qui t'amène, en ce magnifique jour ensoleillé ?
— Si tu sais que le soleil brille, tu devrais sortir pour en profiter.
Un léger rire échappa à Lazziar. Voilà bien des années qu'il n'avait pas mis un pied à l'extérieur. Depuis la mort de son mentor, presque deux cents ans auparavant.
— Passons, ce n'est pas la raison de ma venue. As-tu vu Come récemment ?
— Quelle utilité de poser une question dont tu connais déjà la réponse, ma chère ?
D'un pas léger, Aélys se promena dans la pièce, évitant habilement les instables piles de livres. Elle frôla de son doigt fin une reliure délicatement ouvragée, puis une ancienne carte élimée. Tout dans cette pièce respirait le passé et le savoir.
— Tu ne dois pas encore être au courant. Sauf si tes oreilles filent plus vite que les souris, lança-t-elle distraitement au vieil elfe.
Il se saisit d'un document recensant les différentes personnes travaillant au palais et prit le temps de réfléchir avant de lui répondre.
— Des couinements sont remontés jusqu'à moi. Rien de bien préoccupant, rien de bien réjouissant. Au vu de ta présence en ces lieux, enchaîna-t-il en reposant l'antique livre, je déduis que ton soudain voyage était inattendu.
Aélys hésita avant de lui faire face. Ses yeux aux reflets dorés croisèrent les profonds et sages iris de son professeur particulier. Son enfance n'avait pas toujours été facile, elle était considérée comme la fille maudite de la famille, celle qui avait mis fin à la vie de la reine Shelara Keaberos, épouse aimante et souveraine juste. Personne ne savait qu'elle était la jumelle de Come. L'arrivée au monde de jumeaux chez les elfes était un mauvais présage, de surplus dans la royauté. Les individus au courant du lien de parenté entre le prince héritier et Aélys se comptaient sur les doigts d'une main.
Si Malonne avait eu connaissance de cette information, elle aurait évincé les deux premiers-nés du roi Khatar depuis bien des années.
— J'ai besoin d'une escorte de confiance.
Lazziar haussa un sourcil, sceptique.
— Ce pour quoi tu t'adresses à un vieil elfe vivant reclus depuis des années.
— Ne fais pas l'ignorant, tu es bien plus au courant de ce qui se passe à la cour que la reine elle-même. S'il y a bien une personne capable de me renseigner sur n'importe quel sujet, c'est toi, ancien élève de Faewenys, grand sage de la cour elfique royale, historien de renom, savant...
— C'est assez, l'interrompit-il en levant la main. Viens-en aux faits, ma chère.
Elle prit un instant de réflexion. Son regard se perdit au plafond, parsemé de constellations brillant doucement dans la pénombre de la pièce. L'illusion était si réelle qu'il aurait pu s'agir des vraies étoiles, témoins silencieux des habitants d'Oswary. Leur vision l'apaisait toujours. Au moins, leur couleur intemporelle ne la surchargeait pas d'informations.
— Malonne a enfin trouvé le moyen de m'éloigner de la cour. Il n'en demeure pas moins que je reste une menace tant que je suis en vie. Elle va chercher à s'en prendre à moi, cela ne fait aucun doute. C'est pourquoi j'ai besoin de toi ; tu connais ce palais et ses résidents mieux que personne. Tu es digne de confiance, et je n'ai que toi vers qui je peux me tourner, alors, je t'en conjure, aide-moi.
La princesse Aélys s'était toujours débrouillée seule, ne comptant que sur ses capacités. Lorsqu'un obstacle lui donnait du fil à retordre, elle y faisait face avec son frère. Rien ne résistait aux jumeaux.
Mais cette fois, c'était différent.
Elle devait partir sans Come pour pouvoir le laisser s'affirmer en tant que prince héritier. Il était hors de question qu'elle l'inquiète davantage.
— Aélys, ma petite Aélys, ne pleure pas, chuchota Lazziar en la prenant dans ses bras. Je vais t'aider, ne t'en fais pas. Tu n'es pas seule.
Une larme roula sur la joue de la jeune elfe. La douce aura de son professeur l'entoura dans une chaude et réconfortante étreinte. Pour la première fois de sa vie, elle était démunie face à ses propres émotions. Rien ne l'avait préparée à devoir quitter son foyer et tous ses points de repère.
Elle allait partir pour affronter l'inconnu. Et elle avait peur.
Ses bras serrèrent fort Lazziar, elle enfouit son visage dans son cou. Durant quelques secondes, elle se laissa aller. Puis son éducation royale et ses devoirs reprirent le dessus, elle se ressaisit promptement et se redressa après avoir essuyé rapidement ses joues. Ses traits ne montraient plus que de la détermination.
Le savant la regarda attentivement. Il prit soin de graver son air assuré capable de faire face à n'importe quel danger. Il espérait qu'elle le garderait longtemps et que sa flamme intérieure ne vacillerait jamais.
— Bien, passons aux choses sérieuses. Deux noms me viennent à l'esprit, les convaincre ne devrait pas être très difficile. Commençons par celle que je connais personnellement : Lymseia Syltoris, ma nièce.
La princesse ne fit pas de remarque, elle savait la famille de Lazziar pour le moins compliquée et qu'il préférait ne pas en parler. Néanmoins, elle était légèrement surprise qu'il soit en communication avec la fille de sa sœur.
— Elle a un an de plus que toi et étudie actuellement à l'académie de magie, en dernière année. Ses capacités sont excellentes. Tu apprécieras sa franchise, j'en suis certain. De plus, elle a toujours rêvé de partir à la découverte du monde, je suis sûr qu'elle sera ravie de t'accompagner. Je vais lui écrire un mot, si tant est que tu me donnes ton accord.
Elle acquiesça, son attention tout entière focalisée sur les informations qu'il lui dispensait.
— La deuxième personne est un gardien oublié.
Il marqua un instant de pose afin de laisser le temps à ses leçons de lui revenir en mémoire.
Les gardes chargés de surveiller la prison elfique, également appelés gardiens oubliés, étaient entourés de mystères. Ils ne quittaient presque jamais les souterrains et formaient, selon les dires de son précepteur, Connak Erren, l'élite du royaume. Seuls les meilleurs élèves de l'académie militaire avaient la possibilité de rejoindre leurs rangs.
— Il se nomme Klaern Reyralei. Son caractère est pour le moins... difficile. Come le connaît bien, c'est grâce à leur relation que tu pourras le convaincre. Le mieux serait que tu demandes à ton frère, mais... c'est bien ce que je pensais, termina-t-il en voyant le regard fermé d'Aélys.
Elle ne comptait en aucun cas mêler son jumeau à ses problèmes.
— Il y a bien d'autres personnes qui pourraient t'aider, mais ils ont tous des attaches ici. Les convaincre te prendrait un temps précieux.
— Que je n'ai pas. Il faut absolument que je règle plusieurs affaires avant de partir, ce pour quoi je me dois déjà de te dire au revoir.
Lazziar hocha doucement la tête et posa une main sur son épaule, dans un geste de soutien. Il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l'aider.
— Avant que tu ne t'en ailles, laisse-moi te faire un cadeau.
Il se détourna et commença à fouiller dans ses documents en marmonnant tout seul. Cette scène si familière fit sourire Aélys, qui sentit sa poitrine se serrer. Quand le reverrait-elle, si tant est qu'elle parvienne à revenir un jour ? La vie de son peuple était bien longue, mais tout avait une fin. Peut-être qu'à son retour, Lazziar aurait achevé sa transformation et serait devenu un magnifique arbre, à l'instar de nombreux elfes avant lui.
— Ah, le voilà ! s'exclama-t-il en brandissant triomphalement un objet.
Il rejoignit la princesse en une fraction de seconde et lui tendit quelque chose de rond et blanc, tacheté de brun et de noir. Elle le regarda attentivement. On aurait dit un œuf froid au toucher, comme s'il absorbait toute sa chaleur. Il dégageait une aura ensommeillé ; quoique ce fût, c'était vivant.
— Qu'est-ce que je suis censée en faire ?
— Garde-le contre ton cœur, c'est tout. Tu en sauras plus bien assez tôt.
Le doux air avenant de son professeur l'accompagna tandis qu'elle quittait la pièce encombrée aux senteurs de vieux livres et de poussières. La porte se referma derrière elle, laissant Lazziar dans un lourd silence.
Un lointain souvenir titilla son esprit, il se mit soudainement à fourrager dans une pile de feuilles considérablement plus anciennes que les autres. Il s'agissait des prises de notes de Nesterin Faewenys, son mentor et grand ami.
— C'est ça, murmura-t-il pour lui-même.
La Prophétie, cette vision sans fondement apparue au vieil elfe lors d'un de ses voyages, avait suscité nombre de moqueries dans son entourage. Personne ne le croyait, même Lazziar avait douté de la véracité des vers. Pourtant, alors que la princesse venait de s'en aller, il ne pouvait s'empêcher de relire encore et encore les sinistres rimes.
Animaux, habitants, environnement
Sont face à un avenir inéluctable.
Du fait de leur cruauté insatiable,
Ils traiteront leur sauveur ignoblement.
Après nombres d'inévitables tourments,
Le monde connaîtra la paix véritable
Car sera expulsé le mal incurable
Qui ronge Oswary jusqu'à ses fondements.
Abomination bravera Royal.
Qu'importe le rang ou les traditions,
Ensemble, ils avanceront.
Sous le regard de la source inépuisable,
Aux confins de l'inexpugnable océan
Sera versé le sang.
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