Synérèse.

TaeHyung court. Il court depuis trente minutes et ne veut pas s'arrêter. Il ne court pas trop vite, mais pas trop lentement non plus. Il ne veut pas s'arrêter. Le soleil décline en un halo orangé. Le long du trottoir il voit défiler, les mêmes maisons, les mêmes voitures et les mêmes chiens. Il n'est plus surpris de rien. Il connaît ces recoins par cœur. De la couleur des rideaux à celles des voisins. Un en particulier, celui qui nettoie sa voiture et qui le dévisage avec une expression béate à chaque fois qu'il passe devant son garage. Et TaeHyung court autour du même pâté de maison encore et encore. Il compte les tours, il compte les boîtes au lettre, il compte les fois où l'homme le toise en astiquant son pare-choc. Les cabots lui aboient dessus, les chats se réfugient dans les buissons. Mais TaeHyung continue de courir. Et il continuera jusqu'à ce qu'il en vomisse, comme à chaque fois. Son souffle est entrecoupé, ses jambes tremblent dès que ses pieds rencontrent le sol et ses muscles brûlent. Il a un goût de sang sur sa langue mais il continue. Chaque tour est une satisfaction immense, chaque souffrance le rend fier. Et le ciel est beau, si beau.

TaeHyung doit s'arrêter de courir quand la bile lui monte à la gorge. Il chancelle et transpire. La température frôle les 5°C mais TaeHyung irradie. Alors il rentre chez lui, dans sa maison comme les autres, avec des rideaux comme les autres et une voiture comme les autres. Il fait sombre dans la salle, comme toujours. Il y a une odeur de renfermé et de mélancolie. La mère de TaeHyung est assise à la table. Il l'aperçoit dans la cuisine américaine et la salue. Elle ne lui répond pas. Elle regarde la rue depuis sa chaise, les traits froids et le front plissé. Elle entend TaeHyung, elle sait qu'il est là mais l'ignore. Elle ne lui parle pas. Alors TaeHyung s'éclipse et ferme sa chambre à clé. Il choisit un gros pull coloré parmi les milliers qui s'entassent dans son placard et l'enfile. Puis il retire ses lunettes et s'allonge sur le lit. Le ciel apparaît derrière le velux au dessus de sa tête. Il est d'un bleu grisé qui lui rappelle les murs du lycée. Il aime bien cette couleur. C'est presque violet. Il essaie de la reproduire les yeux fermés. Mais quand il les ouvre à nouveau, le bleu est devenu noir. Et il n'y a pas de lumière dans son assommoir.

Un peu plus tard, TaeHyung est assis avec ses parents pour le dîner. Une des ampoules au plafond grésille un peu. Personne ne parle. La mère de TaeHyung fait la tête. Le père de TaeHyung a l'air fatigué. Et son frère traîne sur son portable. Le père lui dit de lâcher l'appareil. La mère réplique que ce n'est pas grave. Et le frère claque sa langue contre son palet. TaeHyung retourne le riz avec sa fourchette. Il a goûté une bouchée de sa viande et l'a recouverte de garniture. Il balade son couvert dans son assiette, les yeux baissés, le visage neutre.

« -TaeHyung. Combien de fois est-ce que je t'ai dit de ne pas jouer avec la nourriture. Et retire ton coude de la table. »

Le garçon obéit, croise le regard de sa mère. Ses pupilles sont noires, glaciales. TaeHyung baisse les yeux sur son assiette et son père intervient pour combler le silence. Il lui demande comment va le lycée et TaeHyung hausse les épaules. Il dit qu'il ne se passe rien. Il dit que les jours se ressemblent et que les élèves sont bruyants. Alors sa mère geint. Elle vagit et se met à pleurer. Elle peste que TaeHyung la rend triste. Elle le fusille du regard et lui dit qu'elle souffre par sa faute. Et il lui fait tant de peine ! Tant de peine ! Son père murmure que TaeHyung devrait avoir plus pitié de sa mère. Mère qui lui ordonne de monter dans sa chambre. TaeHyung s'exécute. TaeHyung fuit et se réfugie dans son lit. TaeHyung s'en va et laisse derrière lui son assiette pleine. TaeHyung ne proteste pas, ne pleure pas. TaeHyung s'endort entre ses courbatures et son ventre vide.

Et peut être que dans une autre réalité où TaeHyung est bien, sa mère n'est pas fâchée.