Rime féminine.

A chaque fois que quelqu'un sort la tête de l'eau, il y a au moins un malheur qui s'écrase contre lui et le pousse dans les profondeurs. C'est ce qu'on appelle la loi de Murphy. Et si c'est Murphy qui choisit les mauvais endroits et les mauvais moments, si c'est Murphy qui dérègle les esprits, si c'est Murphy qui crée la pluie et les heures sombres juste avant l'aube, alors Murphy est détestable. Mais s'il n'y avait pas d'eau, il n'y aurait pas de surface. Et s'il n'y avait pas de nuit,

il n'y aurait jamais d'aube.

TaeHyung hait Murphy ce soir. Le front dans les mains, il est assis à son bureau, et la nuit tombe. Cette nuit aucune lumière ne sera assez forte pour éclairer l'ombre. Il tremble. Et il culpabilise. L'eau salée du désespoir emplit sa trachée, comble sa gorge. Elle a un goût méphitique, elle lui griffe l'intérieur du cou. La nuit tombe. Lentement. TaeHyung tremble. Ce n'est pas son corps, ce ne sont pas ses mains, ce n'est pas lui. Tout le monde le regarde. Tout le monde se moque de lui. Et sa mère le déteste. Il est son Murphy à elle. Kim TaeHyung. Kim TaeHyung. Kim TaeHyung. Kim TaeHyung. C'est son nom. Non, ce n'est pas son nom. Ce n'est pas lui. Il n'est pas grand chose lui. Il n'est sûrement pas assez pour porter un prénom. Mais quelle journée, quelle calamité. Il a honte d'être aussi horrible, aussi énorme, aussi imparfait. Il n'est que bémol sur bancalité. Il culpabilise de se laisser aller comme ça. Et ce soir il se sent si mal qu'il préférerait recracher tous les repas qu'il a avalés le long du mois.

Rien ne va rien ne va rien ne va.

Tout a commencé dans ce bus sale. Les gens parlaient fort. TaeHyung n'avait pas d'écouteurs, il n'avait que le bruit du monde pour peupler ses oreilles. Et il y avait ces jeunes qui criaient, dégradaient les sièges, balançaient leurs déchets. Et il y avait ces types qui le regardaient de travers. Et il était si seul. Si froid. Il ne sentait plus ses doigts. Les jeunes l'ont toisé une dernière fois et sont descendus. Et avant de partir, ils ont ri de lui. Puis subitement, le vide s'est engouffré dans le bus, en TaeHyung. Il était comme sous l'eau. Et d'un seul coup le temps s'est arrêté. TaeHyung a vu toute sa vie l'avaler. Tout dans les décors, dans les sons, dans les odeurs, tout avait déjà été exploré. Et cette sensation de familiarité le dévorait depuis les entrailles. Et tout ce qu'il essayait de faire tenir debout s'effondrait. Il avait suffi d'un quart d'heures, et la route a changé de sens. Et lorsqu'il est rentré, le médecin avait téléphoné. Sa mère priait, son père la suppliait de l'écouter. Elle l'a fusillé du regard. Kim TaeHyung n'est pas son fils. Kim TaeHyung n'est pas Kim TaeHyung. Puis elle s'est mise à hurler et à pleurer et à geindre qu'il lui faisait du mal, du mal, tellement de mal, qu'il faisait tout pour que sa vie soit difficile, qu'il était égoïste, et qu'elle souffrait, et qu'elle souffrait.

Rien ne va rien ne va rien ne va.

Son père, lui, a regardé son fils en silence, caressant l'épaule de la pauvre femme. Il lui a dit de monter dans sa chambre, et c'est tout. Maintenant, TaeHyung est assis à son bureau. La nuit tombe. Lentement. Et il ne pleure pas. Il a déjà tout pleuré. Il n'a plus que ses muscles pour trembler et son cerveau pour culpabiliser. Lorsque le ciel est orange, quelqu'un rentre. C'est son frère. Il s'accroupit à côté du bureau et pose une main sur son bras. C'est l'accalmie. Il parle.

« -Papa dit que tu vas peut être mourir.»

«-Papa dit que tu veux mourir.»

«-Papa ment, hein ? »

Rien ne va rien ne va rien ne va.

Mais demain ça ira.

« -Papa ment, souffle TaeHyung d'une voix grave. Et maman aussi. Tout le monde ment. »

Et peut être que dans une autre réalité, il n'a pas pris le bus, et il n'est pas rentré.