✾ Chapitre 14 ✾
La pluie tomba toute la nuit et ce ne fut que le lendemain matin que le soleil pointa le bout de son nez à l’aube. Les deux voyageurs reprirent la route une fois leurs montures équipées. Le voyage leur paraissait interminable, mais ils savaient tous les deux qu’une fois à destination, il leur paraîtrait avoir été bien trop court.
Trois jours plus tard, la silhouette d’une ville se dessina à l’horizon. Avec de tels remparts il s’agissait fort probablement d’une capitale. Félix consulta la carte ; il n’y avait pas de doute, ils venaient de pénétrer dans le royaume des Lee. Cependant, la princesse semblait sceptique.
— Changbin… dit-elle en posant sa tête sur l’épaule de ce dernier.
— Hum ?
— Ça n’est pas mon château.
Le mercenaire stoppa les chevaux d’un coup et se tourna pour regarder la jeune femme.
— Comment ça c’est pas ton château ?
— C’est bizarre, sur la carte il n’y a pas de doute possible mais maintenant que je l’ai devant les yeux, je peux te confirmer que ça n’est pas mon château.
Changbin serra les doigts sur les rênes, il claqua sa langue et hésita.
— Qu’est-ce qu’on fait alors ? finit-il par demander en espérant que Félix ait une réponse à lui apporter.
Elle lui pressa la cuisse et se mordit la lèvre. Que pouvaient-ils faire maintenant qu’ils étaient arrivés là ?
— Peut-être que je me trompe… marmonna Félix après un long moment.
Le mercenaire pouffa de rire.
— Tu ne reconnais même plus ton propre château ?
— Non c’est pas ça mais… c’est peut-être… Peut-être que c’est pas la capitale. Peut-être que c’est une autre ville que je ne connais pas.
Un nouveau rire échappa à Changbin.
— Honnêtement, vu la taille du château et les remparts qui l’entourent, je pense pas que ça soit un petit village…
— On devrait y aller, on verra bien.
— Tu es sûre ?
— Oui, on n’a pas fait tout ce trajet pour rien…
— Très bien.
Le mercenaire serra les mollets et remit son cheval au pas. La grosse jument suivait toujours, ses rênes fixées au paquetage de Kobalt.
Il ne leur fallut que quelques heures pour atteindre les hauts murs de pierres, l’immense porte de bois renforcée de ferrures était gardée par une flopée de gardes qui observèrent les voyageurs d’un œil suspect, sans pour autant les arrêter dans leur progression. Ils se rendirent jusqu’au château, traversant les rues pavées presque inhospitalières. Les villageois semblaient surpris de voir des inconnus dans la capitale, comme si c’était quelque chose d’inhabituel. Les allées étaient sinueuses, les habitations toutes identiques, mais la population ne semblait pas manquer de quoi que ce soit, si ce n’était de joie de vivre.
Félix s’accrochait à Changbin comme s'il allait l’abandonner si elle s’éloignait ne serait-ce qu’un peu de lui.
— Eh, lui dit-il en lui caressant la main qu’elle avait posée sur son ventre, je ne vais nulle part, d’accord ?
La blonde se contenta d’hocher la tête dans son dos, même si elle était tout de même peu rassurée. Un garde les arrêta un peu plus loin, les forçant à descendre de cheval.
— Qui va là !
— Lee Félix, je demande à voir le souverain, fit la princesse en prenant un air assuré que Changbin lui connaissait peu.
L’homme en armure cligna plusieurs fois des yeux et appela un autre garde avec qui il échangea quelques mots, avant que celui-ci ne disparaisse dans les escaliers de pierres menant à la grande double porte du château. Le premier resta là à les regarder en silence en attendant le retour de son camarade.
Félix serrait la main de Changbin dans la sienne, comme terrorisée à l’idée de ce qui allait arriver.
— Changbin ? appela-t-elle au bout de quelques instants.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
— Il y a quelque chose qu’il faut que je te dise…
Mais elle n’eut pas le loisir d’épiloguer, le garde était de retour.
— Le roi va vous recevoir, annonça-t-il en indiquant aux deux voyageurs de le suivre.
— Tu m’en parleras plus tard, dit le noiraud à Félix en l’emmenant sur les marches.
Elle déglutit, visiblement perturbée, mais le suivit néanmoins d’un pas hésitant.
L’homme en armure les conduisit dans un long couloir richement décoré de sculptures de marbre sur un sol de pierre. De grandes tentures bordeaux et dorées semblaient cacher des portes et autres petits couloirs adjacents. La longue et large allée les amena jusqu’à ce qui sembla être la salle du trône. Un grand fauteuil chargé d’épais coussins de velours de couleurs vives se trouvait au fond de la grande pièce. On ordonna aux deux voyageurs de ployer le genou en attendant. Cette attente ne fut heureusement pas bien longue.
— Le roi Lee Minho ! annonça un valet d’une voix presque tonitruante.
Changbin et sa protégée ne purent s’empêcher de lever les yeux vers la silhouette qui s’avançait depuis un coin de la pièce. Un jeune homme qui leur sembla juste un peu plus vieux apparut, une large couronne couvrait ses cheveux bruns, il souriait ce qui dévoilait une dentition plutôt petite, presque enfantine. Ses épaules étaient couvertes d’une épaisse fourrure d’ours brun et dessous, ses vêtements satinés faisaient se refléter la lumière émanant des vitraux de la salle du trône. Plutôt que d’aller s’asseoir, il s'avança vers le couple, d’un pas souple mais imposant, son petit sourire ne quittait pas ses lèvres et il s’arrêta devant Félix pour lui tendre la main pour qu’elle se relève.
— Cela faisait bien longtemps que l’occasion ne m’avait pas été donnée de rencontrer un membre de ma famille.
Lui comme Félix avaient l’air surpris de se voir. Le roi fit signe à Changbin de se lever également.
— Je suis Lee Minho, feu mon père était le frère de ton père, dit-il en observant la princesse d’un air toujours un peu surpris, je forme la deuxième branche des Lee. Qu’est-ce qui t’amène en mon royaume ?
— J’ai été enlevée et Changbin m’a aidée à rejoindre mon royaume, expliqua la princesse en indiquant le noiraud. Mais il semble que nous nous soyons justement trompés de royaume…
— Il existe deux royaumes Lee, ne le sais-tu pas ? Mon père s’est séparé du tiens voilà de longues saisons afin de répandre le nom des Lee plus vite dans le monde d’Astys. Je suis peiné d’apprendre que nous ayons l’opportunité de nous rencontrer dans de telles circonstances. Un enlèvement, voilà qui est bien triste… souffla Minho en secouant doucement la tête pour ne pas en perdre sa couronne.
— C’est vrai, admit Félix en baissant la tête, sans l’aide de Changbin, je n’aurais pas donné cher de ma peau. Sans lui, je ne serais probablement plus là depuis longtemps.
Le roi se décala pour se planter devant le mercenaire, il le toisa de haut en bas avant de lui adresser un nouveau sourire en croisant son regard. Changbin essayait de rester de marbre, il n’avait jamais aimé les rois.
— Vous méritez une grande récompense pour avoir sauver mon cousin, lui dit le brun.
Changbin eut un moment d’absence.
— Votre cousin ? répéta-t-il d’une petite voix.
— Oui, ça aurait vraiment été un grand malheur de perdre le prince héritier de la branche principale, précisa le roi. Vous pouvez rester ici aussi longtemps qu’il vous sierra, je vais faire chercher de l’or pour vous récompenser.
Félix tremblait aux côtés du noiraud tandis que ce dernier lui accorda un regard perdu. Alors la princesse était en fait un prince ? Pourtant, depuis le début Changbin l’avait pris pour une femme et Félix ne lui avait jamais dit ne pas en être une.
Ces mots se répétaient dans sa tête. Félix était un homme. La personne pour laquelle il avait des sentiments était un homme. Il avait fantasmé sur un homme, il avait partagé sa couche, et il l’avait même embrassé.
— Changbin… appela tristement Félix en essayant de capter son regard et en tendant la main vers lui.
Il savait que quelque chose venait de se briser entre eux et pourtant, il voulait continuer d’y croire.
— Merci pour la récompense votre majesté, lâcha le noiraud en dégageant sa main de l’emprise du blond. Je ne peux malheureusement pas rester, il me faut reprendre la route.
Félix tenta une autre approche mais fut interrompu par le roi.
— Bien, qu’on amène la récompense au sauveur de mon cousin ! annonça-t-il à voix haute avant de se reconcentrer sur le mercenaire. Vous serez ainsi libre de partir.
Changbin attendit de recevoir son or, il ne lui sembla pas avoir déjà reçu une telle somme en une fois. Il salua ensuite le souverain et s’éloigna pour sortir de la salle du trône, laissant Minho rejoindre son trône et Félix perdu au milieu de la grande salle. Le prince le suivit, attrapant la manche du mercenaire alors qu’il disparaissait derrière un épais rideau.
— Changbin ! Changbin je t’en supplie attends, pleura Félix en le forçant à le regarder.
— Qu’est-ce que tu veux ? aboya le noiraud sans vouloir croiser son regard.
— Je veux te parler, je veux t’expliquer…
— M’expliquer quoi ? La raison pour laquelle tu me mens depuis le départ ?
— Je ne t’ai pas menti… marmonna le blond sans lâcher la manche qu’il lui avait attrapé.
— Ah non ?
— Non, je ne t’ai juste… pas corrigé quand tu t’es mépris sur mon sexe.
Félix avait un regard dur, un regard que Changbin ne lui connaissait pas, mais il ne voulait pas céder et le blond non plus.
— Pardonne-moi…
Le noiraud pouffa de rire.
— Te pardonner alors que tu t’es moqué de moi tout ce temps ? Tu as du culot de me demander ça…
— Si je t’avais dit être un prince cette nuit-là, m’aurais-tu sauvé ? lui demanda Félix sans prendre en compte ses paroles.
Changbin lui accorda finalement un regard et le prince en profita pour faire un pas vers lui.
— Si je t’avais dit être un homme, est-ce que tu m’aurais sauvé ? répéta-t-il. Est-ce que tu te serais donné tout ce mal pour m’aider ?
— Tu me dégoûtes, lâcha le noiraud.
Pourtant, il se dégoûtait tout autant.
— Reste… le supplia Félix en tendant une main vers sa joue. Tu m'as promis que tu n'irais nulle part sans moi.
Le mercenaire fut pris de court par ces paroles. Il avait beau tenter de le nier, il aimait Félix, du moins, il aimait la princesse Félix. Il chassa cette idée de son esprit et eut un mouvement de recul.
— Comme si j’allais pouvoir oublier ça comme ça, siffla-t-il les sourcils toujours froncés de colère, mais aussi de frustration.
— Tes sentiments, reprit le prince sans en démordre, est-ce qu’ils étaient pour moi ou pour la femme que tu croyais que j’étais ?
Le regard de Changbin s’adoucit de surprise. Il entrouvrit la bouche, cherchant à répliquer.
— On n’aime pas un sexe Changbin, reprit le blond sans détourner les yeux, on aime une personne…
Ils restèrent à s’observer en silence pendant de longues minutes ; tout se bousculait dans la tête du mercenaire. Félix avait beau dire ce qu’il voulait, il lui avait caché la vérité et peu lui importait ses motivations. Pourtant, son coeur lui faisait mal, il se sentait trahi et stupide. Comment avait-il fait pour ne pas s’en rendre compte ? Comment avait-il pu tomber amoureux d’un homme ?
— S’il te plaît Changbin… fit Félix d’une petite voix alors qu’une larme roulait le long de sa joue pour s’écraser sur la manche de sa robe.
— Bonne chance, Prince, lui répondit le noiraud en détournant le regard et en se libérant de son emprise. Je suis certain que ton cher cousin le roi se fera un plaisir de te ramener sain et sauf dans ton vrai royaume…
Il laissa échapper un long soupir avant de quitter le château. Il n’avait pas besoin de passer la nuit dans ce royaume, plus rien ne l’y retenait.
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