✾ Chapitre 1 ✾
Le soleil disparaissait progressivement derrière la ligne d’horizon et la nuit s’installait peu à peu sur les terres d’Astys. Changbin déposa le lapin qu’il avait dépecé sur un long pic, au-dessus du feu qu’il avait allumé pour lui tenir chaud jusqu’au lendemain matin. Dans quelques minutes, il pourrait déguster son seul vrai repas de la journée.
Les bois étaient toujours l’endroit idéal pour dégoter du petit gibier, et le jeune homme avait développé une certaine habileté dans la fabrication de pièges en tous genres. Il avait même eu la chance de tomber sur divers arbres à baies et s’en était fait un petit stock, parfait pour grignoter pendant son périple. Changbin se leva pour aller étaler correctement la peau du lapin afin de la faire sécher, il lui faudrait ensuite la rincer correctement dans le ruisseau pour la nettoyer. L’animal avait une couleur peu commune, il pourrait probablement en tirer un bon prix en la vendant dans un village, après tout, il n’en avait pas l’utilité, elle était bien trop petite pour lui servir à quoi que ce soit. Le jeune homme passa la main dans ses cheveux de jais qui lui tombaient devant les yeux afin de les plaquer vers l’arrière. Il savait bien qu’ils le gêneraient à nouveau dans peu de temps. Il allait devoir trouver un moyen de les couper pour être tranquille, ça devenait particulièrement pénible lorsqu’il tirait à l’arc. Changbin alla ensuite vérifier que sa monture se portait bien.
Le soir venu, il laissait toujours son fidèle destrier en liberté, cela lui permettait de manger à sa faim grâce à ce qu’il pouvait trouver aux alentours de leur campement de fortune. Le large hongre noir aux hautes balzanes blanches restait toujours à proximité de son propriétaire. Il leva la tête des hautes touffes d’herbes qui lui servaient de repas lorsque son cavalier approcha. Ses longs crins sombres lui tombaient également dans les yeux et le jeune homme s’en amusa. Il les lui dégagea et lui caressa le chanfrein. Il lui tendit ensuite quelques baies qu’il avait dans la main et l’animal s’empressa de les engloutir. Changbin tapota son encolure et retourna s’enquérir de la cuisson de son modeste festin. Il fouilla son paquetage et en sortit un pain encore assez mou pour être consommé, le reste irait certainement à son cheval le lendemain. Il sortit la carcasse fumante des flammes et la laissa refroidir sur le côté, le temps de sortir sa gourde afin d'étancher sa soif. Ils avaient eu la chance de tomber sur un ruisseau non loin de la forêt. Le noiraud avala quelques gorgées puis essuya son menton anguleux d’un revers de manche; ils auraient suffisamment d’eau jusqu’au lendemain matin, avant de reprendre la route vers le prochain village.
Changbin était un jeune mercenaire de vingt printemps. Il parcourait les terres d’Astys en quête de petites missions et de basses besognes qu’on voulait bien lui confier. Il vivait humblement mais n’avait pas à se plaindre, il était libre de ses faits et gestes et c’était bien mieux que d’être un simple paysan au service d’un des nombreux rois des contrées du pays. Jamais il n’aurait pu passer sa vie à travailler dans les champs à cultiver tout et n’importe quoi juste pour payer son dû à un roi qui n’avait d’un roi que le titre. Changbin en avait vu passer des royaumes tout au long de ses pérégrinations ; il y en avait qui ne faisant pas plus de quelques kilomètres avec un ou deux villages gérés par un monarque bien trop fier pour se rallier à un autre.
L’histoire disait qu’Érésis, le Dieu créateur présent en toute chose n’avait rien laissé de précis concernant un souverain suprême pour diriger l’ensemble des hommes. Les textes sacrés faisaient juste mention d’un nom qui traverserait les âges. Les seules familles à porter un nom étaient celles de l’aristocratie, alors elles s’étaient toutes mises en tête que leur nom était le nom. Cela avait conduit à la création de multiples petits royaumes car en réalité, chaque famille avait décrété que ses terres étaient désormais des royaumes. Bien entendu, les ressources de chacun étaient limitées et le commerce entre les familles n'était pas vraiment la priorité, alors il n’était pas rare de traverser des contrées dont la population avait été décimée par la famine. Des étendues entières sans aucun signe de vie humaine, et qui se voyaient rapidement accaparées par un royaume voisin.
Il n’y avait pas de guerre, après tout, les familles possédaient un nombre trop limité de soldats et préféraient voir leurs sujets s'affairer aux tâches de la ferme ou à la mine plutôt qu’à se préparer pour Érésis sait quels conflits potentiels. Il n’était alors pas rare que les différents royaumes aient recours à de petites manigances afin de se débarrasser des héritiers aux trônes. Pas d’héritiers, pas de descendance, et pas de descendance, plus de famille. Un royaume qui n’avait plus de souverain légitime se voyait rapidement conquis par la première famille venue, sans violence ni sang versé. Il n’y avait plus qu’un trône à occuper.
Mais Changbin était bien loin de tout cela. Pour commencer, il n’avait pas de nom ; il avait été élevé par ses parents, dans une ferme, et après avoir vu son père se tuer littéralement à la tâche, il n’avait pas eu envie de subir le même sort. Sa mère n’avait pas voulu s’enfuir avec lui, trop effrayée de subir le courou de leur roi. Le jeune Changbin se débrouillait donc seul depuis ses douze ans et il n’avait pas à se plaindre. Certes, il avait vécu misérablement pendant plusieurs années mais au moins, il vivait libre, sans avoir à suivre les ordres de quiconque. Petit à petit, il avait appris à chasser, à se défendre, à travailler seul, il avait parcouru de nombreux territoires, survivant grâce à du troc ou en rendant des petits services et puis, en grandissant, il était devenu une sorte de mercenaire et au final, cette vie le satisfaisait.
Changbin devait avouer qu’il aurait aussi pu apprécier la vie de château. Il amassait de l’argent, parfois des trésors, et, peut-être qu’un jour il pourrait arriver à la cheville d’un roi.
Le cheval du jeune homme releva soudain la tête, les oreilles dressées vers les ténèbres de la forêt. Il piaffa et s’éloigna de quelques foulées.
— Qu’est-ce qu’il y a Kobalt ? Tu as entendu quelque chose ? s’inquiéta Changbin en s’approchant de la bête.
Mais cette fois, lui aussi entendit des craquements et des frottements de feuilles provenant des bois. Le jeune homme courut immédiatement jusqu’à son paquetage pour en tirer son arc et son carquois. Son couteau lui, ne quittait sa ceinture sous aucun prétexte. Il arma une flèche et la pointa vers les ténèbres. S’il tombait sur un ours, il serait chanceux car cela représenterait de quoi manger pour un moment, et la fourrure d’ours se vendait toujours à prix d’or, peu importe la période de l’année.
Il banda son arc quand les bruits se firent plus forts, mais ce qu’il vit sortir des buissons n’avait rien à voir avec un animal sauvage. Il s’agissait plutôt d’un être humain, une femme à première vue. Elle tomba à genoux, hors d’haleine, devant Changbin, flèche pointée dans sa direction. Son regard affolé croisa celui surpris du noiraud.
— Aidez-moi… Je vous en supplie, haleta-t-elle, sa voix à peine audible.
Des larmes de terreur lui coulaient des yeux et le jeune homme baissa un peu son arme.
— Je suis poursuivie par des bandits, aidez-moi je vous en prie… Mon père… mon père est roi, il vous récompensera grassement si vous me ramenez à lui… Pitié…
Une nouvelle vague de larmes roula le long de ses joues et Changbin baissa totalement son arc. Poursuivie par des bandits ? Elle ne croyait pas si bien dire, le noiraud n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler un enfant de chœur. Il s’avança vers la jeune femme et l’aida à se relever ; elle était tremblante sur ses jambes et il l’amena près du feu. Il écarquilla les yeux en distinguant son visage à la lumière des flammes, elle avait de jolis yeux sombres, un petit nez et de belles lèvres pulpeuses parfaitement dessinées. Changbin remarqua également que sa peau était parsemée de taches de rousseur, détail qu’il avait rarement trouvé aussi charmant. La jeune femme en détresse avait des cheveux courts, chose pourtant impensable pour une princesse. Mais Changbin ne s’arrêta pas à ce détail, après tout, il y avait tellement de contrées qu’il n’avait pas explorées, il n’était pas au fait de toutes les coutumes ou traditions de chaque royaume. Elle avait par contre les cheveux d’une teinte claire, que Changbin n’arrivait pas parfaitement à discerner à la lumière des flammes. Tout ce qu’il pouvait dire était que cette princesse était vraiment très belle.
— Les bandits sont à mes trousses, dit-elle de sa voix aiguë et cassée, ils seront là d’un instant à l’autre…
Changbin soupira. Il n’avait pas vraiment envie de se battre, il avait chevauché toute la journée et tout ce qui lui faisait envie à ce moment-là, c’était de déguster sa prise du jour et de profiter d’une bonne nuit de sommeil. La princesse sembla remarquer son hésitation et elle lui attrapa le poignet. Il s’amusa de la taille ridiculement petite de ses mains mais après tout, ça n’était pas si surprenant pour une jeune femme.
— S’il vous plaît… le supplia-t-elle sur le point de se remettre à pleurer. Aidez-moi…
Changbin déglutit ; il lui avait été rarement donné de rencontrer une créature aussi belle. Il se dégagea de sa prise et l’analysa des pieds à la tête. Elle n’était pas très grande, mince, et un peu plate à son goût peut-être. Il haussa les épaules. Au pire, si elle mentait sur ses origines et sur la nature de la récompense, Changbin pourrait toujours gagner au change en passant entre ses cuisses. Ca lui changerait des filles de joies tout à fait banales des tavernes des villages dans lesquels il avait pu séjourner. Cette jeune femme était bien plus belle que toutes celles qu’il avait pu croiser. De plus, si elle était de sang royal, elle était très probablement encore vierge.
Changbin chassa un sourire malicieux de ses lèvres et se prépara à faire feu de son arc.
— Combien sont-ils ? demanda-t-il à la princesse.
— Quatre… Mais je crois que seuls trois d’entre eux sont partis à ma poursuite.
— Reste derrière moi, lui ordonna-t-il en se plaçant face aux fourrées.
La jeune femme obtempéra et seulement quelques instants plus tard, deux silhouettes sortirent de l’obscurité.
— Eh toi ! Laisse-nous reprendre ce qui nous appartient et on ne te fera aucun mal ! cria un homme bourru à l’intention de Changbin.
Ce dernier plissa les yeux et les analysa rapidement. Tenues de qualité, belles épées aux poings… Il ne s’agissait pas de simples petits malfrats.
— Désolé, leur dit-il, je l’ai trouvée, elle est à moi…
Il décocha une première flèche qui atteignit sa cible sans aucune difficulté en traversant le crâne du bandit.
— Oh alors toi ! s’écria le deuxième en courant vers Changbin, son épée levée et prête à pourfendre son adversaire.
Le noiraud tira une nouvelle flèche qui alla se planter dans la poitrine de l’assaillant. L’homme s’effondra dans un grognement de douleur.
— Tu as dit qu’il y en avait combien ? demanda Changbin à l’intention de l’inconnue tandis qu’il récupérait ses flèches sur les deux corps sans vie.
— Trois se sont lancés à ma poursuite, le quatrième est resté garder leur campement… Du moins je pense… murmura-t-elle en cachant ses mains à l’aide des longues manches de sa tunique.
— Alors il en manque un… fit le noiraud en rangeant son arc afin de dégainer son épée.
Il ne crut pas si bien dire. Un troisième homme surgit d’un bond de derrière un arbre, une longue épée en main prête à s’abattre sur Changbin, mais le jeune homme para l’attaque de sa lame, envoyant le bandit s’étaler sur le sol un mètre plus loin. Il se releva aussi rapidement que possible, l’air furieux.
— Pour qui tu te prends sale petit…
Changbin fonça sur lui, l’autre le repoussa plusieurs fois, mais le noiraud profita d’une ouverture pour lui asséner un coup d’épée sur le flanc droit. L’homme tomba à genoux et le chasseur n’eut plus qu’à l’achever d’un coup de pommeau sur le crâne. Le corps sans vie de l’homme heurta lourdement le sol. Changbin essuya la lame de son épée sur les vêtements du cadavre avant de la remettre dans son fourreau. Il alla ranger ses armes dans son paquetage puis s’approcha des corps pour les fouiller. Il les débarrassa de leurs épées, il pourrait les revendre dans un village, il trouva également quelques pièces. Il tira ensuite les trois corps jusque dans les buissons, il n’avait pas vraiment envie de les avoir près de lui pour dormir.
— Qu’est-ce que vous faites ? demanda la jeune femme depuis le coin du feu.
— Je récupère des choses qui vont s’avérer inutile aux animaux de la forêt, dit-il en allant ranger les pièces dans sa bourse. Pourquoi ?
— Dépouiller les morts… c’est un peu… bas… marmonna-t-elle.
Changbin la dévisagea, haussant les sourcils dans une moue déconcertée.
— J’aurais dû les laisser te récupérer peut-être ? demanda-t-il en croisant les bras.
Elle secoua la tête en baissant les yeux.
— Non… Merci de m’avoir aidée.
— Assieds-toi, lui dit-il en indiquant une peau qu’il avait installée devant le feu.
L’inconnue obtempéra, se plaçant aussi loin que possible de Changbin tout en restant sur la peau de bête.
— T’as faim ?
Elle leva les yeux vers lui et acquiesça timidement. Le noiraud replaça son lapin au-dessus des flammes pour le faire réchauffer et lui tendit un morceau de pain en attendant.
— Merci… dit-elle en inclinant la tête.
— Alors, je peux savoir ce qu’une princesse faisait avec des types comme eux ? lui demanda Changbin en indiquant les corps disparus dans l’obscurité d’un geste de son menton.
La jeune femme l’observa, visiblement surprise. Elle cligna des yeux et avala le bout de pain qu’elle avait dans la bouche.
— Mon père est le roi Lee, j’ai été kidnappée lors de la fête du printemps dans mon royaume, expliqua-t-elle. Depuis, je suis sur la route avec mes ravisseurs.
— Où est-ce qu’ils t'emmenaient ? demanda le noiraud en retirant la viande du feu.
— Je l’ignore, ils ne m’ont jamais rien dit sur notre destination, je sais juste que ça fait plus de vingt jours que nous chevauchons, je ne sais même pas dans quelle direction…
Changbin sortit un couteau de sa ceinture et commença à couper des morceaux de viande, il en tendit un à la jeune femme, elle le remercia mais manqua de s’étouffer en l’avalant. Il remarqua alors qu’une épaisse corde lui encerclait la gorge. Elle détourna le regard et tenta de la cacher.
— Ils m’avaient mis ça pour m’attacher… dit-elle. La corde a fini par céder avec le temps et j’en ai profité pour m’enfuir…
— C’était courageux, je ne veux pas imaginer ce qu’ils t’auraient fait s’ils t’avaient trouvée avant moi, souffla le noiraud en s’approchant de la princesse.
Elle eut un mouvement de recul mais se figea quand les mains de Changbin touchèrent la corde.
— Le nœud est trop serré, dit-il en attrapant son couteau, je vais devoir la couper, bouge pas.
Il approcha la lame de la fine peau de la jeune femme et commença à scier la corde avec précaution. Un faux mouvement et la princesse pouvait se vider de son sang. Après quelques minutes, l’entrave tomba sur le sol. La jeune femme se massa le cou et toussota plusieurs fois, comme étant surprise d'être désormais capable de respirer correctement. Changbin prit sa gourde et la lui tendit.
— Bois, ça va te faire du bien.
La jeune femme le remercia d’un signe de tête et avala quelques gorgées.
— J’aurais pensé qu’on traitait mieux les prisonniers royaux quand même… Attends…
Il farfouilla avant de sortir un morceau de tissu qu’il imbiba d’eau. Il le lui tendit.
— Nettoie ça, c’est pas très beau à voir…
— Merci…
La princesse prit le linge et tamponna doucement sa peau à vif. Ils se mirent à manger en silence.
— Je m’appelle Félix, dit soudain la jeune femme en dévorant la viande que son sauveur lui coupait au fur et à mesure.
— Moi c’est Changbin, lui répondit-il avant de pointer du doigt son cheval quelques mètres plus loin. Et lui c’est Kobalt.
— Et de quel royaume est-ce que vous venez ?
Le noiraud réfléchit quelques instants, il avait quitté sa mère huit ans auparavant et il avait très peu de souvenirs de son "ancienne vie", comme il aimait l’appeler.
— Je crois que c’était le royaume des Hwang, un nom de ce genre ? dit-il en mâchant son morceau de pain.
— Hwang… ça ne me dit rien... fit Félix en fixant les flammes.
— En même temps il y a tellement de royaumes, c’est difficile de tous les connaître… Et puis, j’ai quitté ces terres il y a une dizaine d’années, je ne saurais même pas y retourner.
— Alors vous êtes un voyageur ?
— Mercenaire plutôt.
— Oh…
— Et il semblerait que je vienne de me trouver une nouvelle mission grâce à vous Princesse Félix… fit Changbin avec un petit sourire malicieux.
La jeune femme se mit à rougir et détourna le regard, celui-ci se porta vers les fourées.
— Vous étiez vraiment obligé de les tuer ? soupira-t-elle en frissonnant.
— Je ne pense pas qu’ils seraient repartis tranquillement si je les avais laissé en vie, et même si je les avais juste blessés. Ils auraient certainement fini dévorés par des bêtes sauvages d’ici quelques jours. Le feu les effraie, mais une fois éteint, elles se seraient fait un plaisir de venir achever leurs souffrances.
Félix frissonna à nouveau et Changbin ne manqua pas de le remarquer cette fois-ci. Les nuits étaient fraîches, surtout en forêt. Il sortit une épaisse fourrure de son paquetage et la déposa sur les frêles épaules de la jeune femme. Elle le remercia d’un doux sourire et le noiraud redoubla d’efforts pour calmer ses hormones en ébullition. Les prostitués étaient un luxe qu’il évitait de s’offrir trop régulièrement, et il devait avouer qu’il n’aurait pas été contre une petite session avec une pucelle de sang royal. Mais ce roi Lee n’apprécierait certainement pas qu’on lui rapporte sa fille déflorée, et entre sa tête et le sexe, le choix de Changbin était vite fait.
— C’est plutôt peu commun comme prénom “Félix” c’est la première fois que je l’entends, dit-il pour se changer les idées.
— Oui, je ne connais personne d’autre que moi qui le porte… Mais je n’étais jamais sortie de mon royaume avant mon enlèvement, et les festivals sont ma seule occasion de sortir du château.
— Pas certain que tu aies à nouveau l’occasion de quitter ta prison dorée… marmonna Changbin en remettant des branches dans les flammes. Tout ça à cause de ces histoires ridicules de noms et d’héritiers…
Félix le dévisagea quelques instants puis hocha doucement la tête.
— Oui… Vivre dans la peur de ne pas pouvoir faire perdurer la lignée…
Elle s'emmitoufla un peu plus dans la fourrure et le jeune homme en profita pour la regarder à nouveau. Elle avait dû traverser des moments bien difficiles depuis son enlèvement, son espèce de robe beige était fendue sur le devant, le tissu était poussiéreux et couvert de taches de boue, et ses petites chaussures avaient également souffert du voyage, elles n’étaient plus bonnes à rien. Il se demandait même comment elle avait fait pour courir avec ça aux pieds. Il eut soudain une idée et se leva pour retrouver les cadavres qu’ils avaient empilés au loin.
— Qu’est-ce que vous faites ? l’interrogea Félix sans bouger de sa place près du feu.
— Si on doit voyager un moment, il va te falloir d’autres chaussures, sinon, on ne va pas aller bien loin… dit-il depuis les bois.
Il revint avec une paire de bottes et les tendit à la princesse.
— Celles-ci devraient faire l’affaire.
Félix hésita quelques instants et céda finalement. Changbin jeta ses anciennes chaussures au feu, pour éviter de laisser des traces lui avait-il dit pour se justifier.
— C’est loin le royaume des Lee ? demanda le noiraud en retrouvant sa place près du feu.
— Je ne sais pas ?
— Comment ça ?
— Je vous l’ai dit, je ne sais pas quel chemin nous avons emprunté, je sais juste que nous avons chevauché pendant une vingtaine de jours, mais je ne sais pas dans quelle direction… Mais si vous avez une carte, on pourra se repérer facilement.
— Une carte ? s’étonna Changbin. Pour faire quoi ?
Félix écarquilla les yeux et le fixa, interloquée.
— Eh bien… Normalement on utilise une carte pour se repérer… Vous… n’avez jamais utilisé de carte ?
Changbin secoua la tête.
— Non, je n’ai jamais eu à aller à une destination précise, Kobalt et moi allons où le vent nous porte. D’ailleurs je ne sais pas dans quel royaume nous nous trouvons en ce moment.
De toute manière, il était difficile de trouver des cartes réellement fidèles, les terres changeaient tellement souvent qu’elles devenaient vite obsolètes. Et en plus, elles coûtaient chères, alors Changbin n’avait jamais trouvé utile de s’en procurer une. Et même s’il savait que le sauvetage de la princesse lui rapporterait une somme rondelette, il n’avait pas forcément envie de dépenser son or là-dedans. Il retrouverait bien le royaume en voyageant de village en village comme il l’avait toujours fait. Et puis, rien ne l’empêcherait de continuer à travailler même en ayant Félix pour compagnie. Il ferait d’une pierre deux coups.
— Il se fait tard, dit soudain le noiraud en regardant les étoiles, il faut dormir maintenant, j’ai quelques trucs à faire à la rivière avant de reprendre la route demain matin.
Félix hocha simplement la tête. Changbin se leva et alla installer une autre peau de bête de l’autre côté du feu afin d’offrir un peu d’intimité à la princesse.
— Je vais dormir là, lui dit-il en prenant une fourrure pour lui. Prends ça, juste au cas où ton quatrième bandit aurait l’idée de passer nous voir pendant la nuit.
Il lui tendit un poignard que Félix hésita à prendre avant que Changbin ne le lui impose dans la main.
— Garde-le à proximité, on ne sait jamais.
La princesse accepta à contre-cœur ; elle n’était pas franchement à l’aise avec l’idée de devoir potentiellement se servir de la lame, mais elle n’aurait peut-être pas le choix. Elle espérait bien que Changbin s'empresserait de la défendre en cas de problème.
— De toute façon Kobalt réagira avant nous en cas de problèmes, la rassura le mercenaire en indiquant le gros cheval couché à quelques mètres d’elle.
— D’accord… Merci encore pour tout Changbin… dit-elle, sa voix toujours cassée.
Le noiraud croisa son regard et inspira longuement avant d’expirer tout l’air de ses poumons. Il devait vraiment se maîtriser, et il espérait que le royaume d’origine de la princesse ne se trouvait pas trop loin, car il ne donnait pas cher de son self-control si la jeune femme restait à ses côtés trop longtemps. Cependant, il n’aurait pas refusé un petit baiser en guise de remerciement. Il jeta un dernier coup d'oeil vers la jeune femme et soupira à nouveau.
— De rien… Bonne nuit Princesse, répondit-il simplement en s’enroulant dans sa fourrure de l’autre côté du feu.
Il saurait rapidement si le jeu en valait la chandelle.
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